+ Marin Martinie (Arts déco. Paris) succède à l'Enigmatique LB au palmarès du trophée "Presse-Citron", organisé par les étudiants de l'Ecole Estienne (Paris 13e) et décerné par un jury de dessinateurs de presse professionnels. Cette année encore le jury s'est prononcé pour un dessin en rapport avec la vie politique française, bien que les nombreux dessins envoyés abordassent des thèmes très variés.
Tous ces dessins sont exposés à la bibliothèque Mitterrand (Bnf), accessible à tous (à condition de se soumettre aux contrôles de sécurité à l'entrée).
+ La bibliothèque nationale de France n'est pas la Sorbonne, mais quand même, le moins que l'on puisse dire c'est que ce cadre institutionnel jurait avec "Hara-Kiri", le thème choisi par l'Equipe interdisciplinaire de recherche sur l'image satirique (Eiris) pour une série d'allocutions, proposées le 15 mars à une assemblée clairsemée (une vingtaine de personnes).
Il est vrai que la culture officielle se trempe régulièrement dans le courant de la contre-culture, auparavant ignorée voire méprisée, où elle trouve à se renouveler. Ainsi le musée Pompidou est devenu le temple de la culture bourgeoise, où les couples branchés trouvent une alternative à la messe dominicale, alors que ce musée recèle bon nombre d'oeuvres d'abord subversives.
Ce phénomène est d'autant plus important à signaler en ce qui concerne "Hara-Kiri" ; en effet ce titre est associé au mouvement de révolte de "Mai 68", qui a fait l'objet d'une récupération politicienne intensive depuis. F. Cavanna et ses comparses ont témoigné au contraire d'un sentiment de défaite de l'esprit de "Mai 68" face au gaullisme, sentiment dont le pouvoir actuel, non moins appuyé sur l'armée et la police que le pouvoir gaulliste, nous rappelle qu'il est proche de la réalité historique.
- Yves Frémion ("Papiers Nickelés") a exposé clairement les circonstances qui amenèrent François Cavanna (dessinateur médiocre) et Georges Bernier (alias Pr Choron, pas dessinateur du tout) à fonder LE journal satirique dessiné de référence du XXe siècle. "Charles Philipon (1800-1862) ["Le Charivari"], c'était Choron et Cavanna dans le même homme", a déclaré Y. Frémion en guise de comparaison.
Cavanna et Choron, issus de milieux très modestes, ont été initiés au fonctionnement de la presse après-guerre par Jean Novi, promoteur avec sa femme de jeunes dessinateurs par le biais de différentes publications à forts tirages ("Zéro", "Première Chance", "Cordées"), publiant des dessins d'humour et vendues par des colporteurs (dont Bernier le meilleur). Le décès de J. Novi et le tempérament entreprenant de Bernier et Cavanna les poussèrent par la suite à lancer leur propre journal, repoussant les limites de la censure (ci-contre, couverture du n°7 de "Zéro", illustrée par F. Cavanna, alias Sépia).
Le Pr Choron expliquait par une comparaison avec le judo la ligne "bête et méchante" de "Hara-Kiri" ; il s'agissait de s'appuyer sur la bêtise et la méchanceté de la bourgeoisie et ses institutions pour les combattre.
Y. Frémion a tenu a rappeler que le mensuel "Hara-Kiri" n'était pas un journal engagé politiquement ; de ce fait l'hebdomadaire "Charlie-Hebdo" ne découle pas directement de "Hara-Kiri", mais dérive plutôt de la "Grosse Bertha" de Ph. Val.
Autre précision utile, celle de J.-C. Gardes (fac. de Brest), qui a indiqué que "Hara-Kiri" s'inscrivait déjà dans un contexte de déclin de la caricature dessinée. "Hara-Kiri" comblait en effet un vide creusé par la guerre.
Outre l'influence sur "Hara-Kiri" des journaux satiriques français d'avant-guerre, tel "L'Assiette au Beurre", Frémion indique aussi l'influence du magazine américain "MAD" et son sens de l'humour absurde. R. Topor fut le représentant le plus emblématique au sein de "Hara-Kiri" de cette forme d'humour vague.
- Ancienne collaboratrice de F. Cavanna et gardienne de sa mémoire à travers différents ouvrages, Virginie Vernay a, de son côté, insisté sur l'amitié entre F. Cavanna et le Pr Choron, qui suppléa au manque de moyens et d'expérience de ces deux aventuriers.
Cavanna avait le flair pour dénicher de jeunes talents, à commencer par Reiser. Il eût parfois sur ses jeunes recrues une influence décisive : G. Wolinski, surnommé "petite culotte au vent" par Cavanna, abandonna ainsi son style méticuleux sur le conseil de son rédac' chef.
On a souvent tendance à confondre le mensuel "Hara-Kiri" (-1960), et l'hebdomadaire plus politique (-1969), qui renaîtra après la censure sous le nom de "Charlie-Hebdo" ; en effet Cavanna et Choron publiaient un mensuel de BD, "Charlie", dont Wolinski était le rédac-chef. Pour tromper la censure, une fois devenu "Charlie-Hebdo", des planches de Charles Schulz ("Snoopy") seront encore publiées.
- Jean-Claude Gardes, président de l'Eiris, avaient invité trois dessinateurs de presse : MRic ("Siné-Mensuel"), Pascal Gros ("Marianne"), dont une jeune dessinatrice allemande installée en Bretagne, Dorthe Landschultz ("Titanic", "Eulenspiegel" et le magazine "Stern").
Ces dessinateurs de presse étaient invités à témoigner de leur formation, de leur expérience et de leurs influences. D. Landschulz a émis l'hypothèse que la satire vigoureuse, voire violente, telle qu'elle est pratiquée en France, est peut-être taboue en Allemagne à cause du souvenir du régime nazi ? Plutôt que "dessinateurs de presse", les dessinateurs allemands préfèrent se dire "Witzzeichner" (dessinateurs de gags).
- Ces conférences feront l'objet d'une publication ultérieurement dans la revue "Ridiculosa" (organe de l'Eiris).
Dessin de Dorthe Landschulz (- Ma pétition en ligne contre le brocoli a atteint plus de 100.000 signataires ; - M'en fous, tu manges ce qui est dans ton assiette !)
+ Jean-Yves Brouard consacre une enquête dans le mensuel dBD (février 2017) à l'utilisation de la BD par le service de propagande de l'armée française, au travers de ses publications "Bled" (hebdo), puis "TAM" (pour Terre, Air, Mer). Comme on peut s'y attendre, rien de très satirique là-dedans, ces publications souvent rédigées et conçues par des appelés du contingent ne publiant que des BD "édifiantes" ou des enquêtes policières menées par la gendarmerie. Pour l'anecdote, J.-Y. Brouard rappelle que Cabu dessina des gags pour "Bled" pendant son service militaire en Algérie, même si l'on sait que la guerre d'Algérie détermina le caricaturiste dans le choix d'une carrière de dessinateur satirique.
Autre contribution humoristique, celle du dessinateur... Martial (ci-contre).
J.-Y. Brouard mentionne deux cas de censure : - l'un touchant un projet de BD sur la guerre des Malouines et l'utilisation d'avions "Super-Etendard" français par l'armée argentine. L'armée française formant discrètement les Argentins à l'usage de nos missiles, on craignait sans doute de provoquer ainsi une réaction anglaise. Autre cas plus intéressant, la censure d'une BD relatant un crime de guerre commis par l'armée américaine pendant la 2nde guerre mondiale contre la marine militaire allemande et les marins italiens et anglais au secours desquels les Allemands s'étaient portés. Ronald Reagan étant en tournée diplomatique en France, le service de propagande de l'armée française craignit de provoquer ainsi un incident diplomatique.
+ Le polémiste Alain Soral vient d'être condamné à trois mois de prison ferme pour "contestation de crime contre l'humanité" et "injure raciale" par un tribunal correctionnel de Paris, saisi d'une plainte de l'Union des étudiants Juifs de France et de la Licra ; en cause, un dessin publié par Alain Soral sur son site "Egalité et Réconciliation", qui fait non seulement allusion à la shoah, mais aussi à la Une de "Charlie-Hebdo" représentant le chanteur Stromae, dessin faisant suite à un attentat à l'aéroport de Bruxelles.
Il y a sans doute un côté ubuesque ou bipolaire chez Alain Soral, qui a récemment molesté publiquement... un partisan xénophobe de l'expulsion de tous les immigrés d'origine africaine. On peut également trouver absurde tout ou partie de ses propos complotistes ; mais il est sans doute plus absurde encore de déléguer à une poignée de magistrats le pouvoir de décréter ce qui est couvert par la "liberté d'expression" et ce qui ne l'est pas.
Aussi violent soit-il, A. Soral est un type assez isolé : il convient de rappeler que la déportation massive des Juifs est le fait d'un appareil d'Etat tout entier et, ainsi que le diagnostiqua H. Arendt, d'un esprit de soumission généralisé à cet appareil d'Etat, qui conduisit la plupart des fonctionnaires à exécuter les ordres qu'ils avaient reçus sans se poser de questions.