Caricature par ZOMBI
antisémitisme - Page 2
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Macron multiracial
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Revue de presse BD (279)
Catherine Sinet caricaturée par Jiho.
+ Une partie de la presse satirique française vit sous perfusion de dons (des abonnés). Ironie du sort, le massacre des plus talentueux dessinateurs de "Charlie-Hebdo" a relancé ce titre à l'agonie, placé sous la protection du ministère de l'Intérieur.
On apprend grâce à cette interview de sa directrice Catherine Sinet dans "L'Humanité", que "Siné Mensuel" survit aussi grâce aux dons des lecteurs (et quelques bonnes ventes au numéro) ; la directrice de "Siné Mensuel" estime à 70.000 euros le coût de fabrication de son mensuel. On regrette que les frais ne soient pas détaillés, pour connaître le coût de la distribution.
La presse gratuite publicitaire, financée par des groupes industriels, reflète certainement mieux notre époque que les derniers titres de presse satirique, vestiges de l'âge d'or de la presse écrite.
Autre fait significatif : la presse et les journalistes français furent systématiquement pris pour cible par les rénovateurs de la presse satirique et/ou indépendante dans les années 60 (Siné, Choron, Cavanna...) ; la culture libérale au contraire fait du journaliste un véritable héros, aux côtés du médecin ou du policier (Tintin, bien sûr, mais aussi Superman).
+ La récente disparition de Serge Dassault (né en 1925) n'est pas seulement celle d'un industriel de l'aéronautique militaire, mais aussi d'un patron de presse engagé. On imagine que les abonnés du "Figaro" et les nombreux journalistes employés par Dassault sont plongés dans l'affliction, à l'instar des pilotes de chasse.
A la suite de son père Marcel, Serge comprenait la nécessité pour le président d'une multinationale d'entretenir quelques danseuses : "Le Figaro", mais aussi "Valeurs actuelles" (si l'on peut se permettre de parler ainsi des journaux et des journalistes). Sans le devoir de désinformation, l'histoire du capitalisme ne serait certes pas tout à fait la même.
Sans sa légendaire franchise, Serge Dassault aurait été "de gauche", car l'argument de la paix est le dernier cri pour vendre des avions de chasse à des puissances étrangères ; c'est bien plus efficace que les vieilles techniques marketing de droite. Mais on ne peut pas avoir toutes les qualités, et Serge Dassault en avait déjà pas mal comme ça.
+ Face à l'accusation d'antisémitisme, le "Süddeutsche Zeitung", gros quotidien bavarois, n'a pas tardé à renvoyer son caricaturiste Dieter Hanitzsch (85 ans), auteur d'un dessin (ci-contre) montrant le Premier ministre B. Netanyahou dans la tenue de la gagnante israélienne du très médiatisé concours de l'Eurovision ; le Premier ministre tient un missile dans la main et déclamant le slogan nationaliste israélien : - L'année prochaine à Jérusalem !
Contrairement à son rédacteur en chef, D. Hanitzsch a refusé de faire des excuses. Il a reçu le soutien du dessinateur Chappatte dans "Le Temps" (29 mai), qui invoque l'affront fait à la liberté d'expression et a interdit au "Süddeutsche Zeitung" de reproduire à l'avenir ses dessins.
Comme l'intellectuel juif Hajo Meyer le déplorait, la définition de l'antisémite n'est plus désormais "celui qui hait les Juifs", mais "celui que les Juifs haïssent".
+ A quoi bon la critique d'art ? Baudelaire lui assigna la plus haute fonction de guide, tout en ayant l'intelligence de se positionner en admirateur face à Delacroix (un peu moins face à Manet, dont le caractère moins affirmé l'agaçait).
Jamais la critique d'art n'a eu un statut aussi élevé, au point que l'on ne peut concevoir l'art moderne sans cette dimension critique (rien n'est moins juste que d'associer l'art moderne à la "spontanéité") ; la critique d'art devient même oeuvre d'art à part entière, comme certains fameux poèmes de Baudelaire, bien entendu, mais aussi la prose critique de Sainte-Beuve, qui éclipse bien des littérateurs de son temps, ainsi que Proust dans le sillage de Baudelaire.
Il ne faut pas oublier le genre parodique, dont Baudelaire fait la promotion à travers Daumier ou Hogarth. L'effort contemporain stérile pour encenser le "9e Art" (expression initialement parodique), répond en grande partie à ce besoin critique, bien que d'une façon qui frise parfois le ridicule. Devenue un art, la critique s'expose aussi à l'académisme.
Notons que la publication de critiques de bandes dessinées sur des blogs permet aux auteurs critiqués de défendre leur travail, comme Thierry Murat, auteur d'"Etunwan" (Futuropolis), ne se prive pas ici.
(Ci-contre : silhouette de Baudelaire par Manet).
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Revue de presse BD (272)
Strip vertical signé F'murrr.
+ Nous avons appris cette semaine la disparition de Richard Peyzaret, alias F'murrr, âgé de 72 ans. La série "Le Génie des Alpages", chef-d'oeuvre d'humour loufoque mettant en scène un berger et son troupeau, avait fait la célébrité de ce bédéaste.
"Fabriquer un nom complètement débile, ressemblant à une onomatopée et l'imposer au public, ça me plaisait."
Craignant que son humour ne déroute les lecteurs de "Pilote" où le "Génie" débuta sa carrière, Goscinny avait tendance à censurer F'murr, qui put s'épanouir après le départ de celui-ci.
F'murr était sans doute l'un des auteurs qui avait le plus de recul sur son métier, dont il avait pressenti le déclin (occulté par le succès commercial) ; en mars 1978, il déclarait au fanzine "Schtroumpf" (n°17*) : - Les dessinateurs de bandes dessinées sont dans une position très équivoque : d'un côté nous sommes considérés comme des artistes, de l'autre comme des employés et finalement, nous n'avons que les désavantages des uns et des autres (...).
- Attention, ajoutait F'murr, de ne pas faire de la BD un produit de consommation.
Dans cette vieille interview par Jean Léturgie, F'murr fait exactement le contraire des intellectuels payés pour déblatérer sur la BD puisqu'il évoque dans un style direct un sujet qu'il connaît.
(*: nous tenons à la disposition de qui en fera la demande à zebralefanzine@gmail.com l'entretien du perspicace F'murr avec J. Léturgie publié dans "Schtroumpf")
+ A propos d'humour absurde, j'ai noté la référence de Mandryka à Alphonse Allais dans le n° spécial de "dBD" (mars 2017) consacré à Gotlib, où Mandryka s'efforce de préciser le sens du travail de feu son confrère. Cela permet de rebondir sur la notion d'humour absurde, qui n'est pas "monolithique".
Ainsi Alphonse Allais ne cultive pas l'absurdité ; cet auteur anarchiste s'emploie à souligner de façon comique que l'Etat moderne républicain et ses principales institutions -armée, police, université-, sont absurdes, et risibles pour cette raison. Allais est, par conséquent, un auteur sérieux dans la lignée de Rabelais ou Cervantès. Très différents sont des auteurs tels qu'Apollinaire, Ionesco, voire Beckett, qui cultivent l'absurdité comme un motif poétique, non dans un but subversif.
Avec pertinence A. Allais rapproche le consentement à l'absurdité de l'existence moderne du sentiment religieux, ce qui fait d'A. Allais un précurseur de Guy Debord et sa "société du spectacle" ; la culture moderne repose en effet de plus en plus sur des spectacles absurdes (la compétition sportive moderne est un exemple parmi d'autres) ; la science elle-même devient un spectacle absurde.
Caricature de Magali Le Dissez où elle défie le maire de sa commune.
+ F. Forcadell attire l'attention sur son blog sur un cas récent de censure d'une caricaturiste dans la presse régionale ("Le Berry républicain"). D'autres cas similaires ont été rapportés sur internet ces dernières années ; et il y a sans doute pas mal d'autocensure de la part de dessinateurs moins naïfs que Magali Le Dissez.
Il a même pu arriver qu'un parti politique achète un caricaturiste lors d'une campagne électorale locale afin de s'assurer du soutien de ses dessins.
A l'échelle nationale, les plaintes sont plus rares. E. Macron au cours de sa campagne répondit à la question d'un journaliste qui l'interrogeait sur sa perception des caricatures : - Les caricatures font partie du jeu. Cela n'empêcha pas le candidat Macron d'accuser ultérieurement un dessinateur engagé au service de François Fillon d'antisémitisme ; il est vrai que ce dessinateur était le porte-parole d'un parti politique, non un dessinateur satirique (l'accusation d'antisémitisme à tout bout de champ risque surtout de porter tort aux Juifs en définitive). En politique, tous les coups sont permis, y compris les plus bas ; dans le domaine de la satire, seuls les coups intelligents sont permis.
Le rôle actuel du "Canard enchaîné" dans la vie politique française, dont il est un rouage, illustre parfaitement dans quelles limites la satire politique est enfermée. Le "Canard" ne fait pas que mettre les politiciens sur la sellette ; il rend aussi le service d'animer une vie politique cadenassée par la Constitution, qui sans cela serait bien terne.
+ Comme c'est le cinquantième anniversaire de "Mai 68", il n'est pas inutile de mentionner deux remarques de Karl Marx, qui observa et/ou étudia de près des révolutions plus importantes.
La première remarque est que la République française est le mieux protégé de tous les régimes contre une révolution. La raison invoquée par Marx est une cause persistante, à savoir la pléthore de fonctionnaires entretenus par l'Etat, qui tacitement en répandent le culte "laïc".
La fréquente invocation des "philosophes des Lumières" (pas ou peu révolutionnaires) a tendance à faire oublier que les institutions actuelles de la France remontent au XIXe, siècle d'autoritarisme et de censure bien plus que de liberté d'expression. Les élites politiques françaises ont tiré les leçons de la Révolution de 1789, devenue "légende dorée".
- Deuxième remarque de Marx, qui est une prophétie accomplie, celle que la "gauche" trahira l'idéal socialiste et la confiance du peuple plus efficacement que la "droite" (Marx sous-entend que la droite est trop bête pour accomplir cette opération de mystification du peuple).
A propos de "Mai 68", on peut constater que la propagande de gauche a interprété ce mouvement insurrectionnel comme une victoire sur le plan de la politique et des moeurs, tandis que les acteurs du mouvement eux-mêmes (Cavanna et ses caricaturistes, par ex.) ont exprimé le sentiment d'une défaite.
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Revue de presse BD (249)
+ BD-Zoom signale la publication d'un album d'Harvey Kurtzman (1924-1993) (aux éds Wombat), cofondateur de la revue satirique américaine "Mad", qui exerça une certaine influence sur les humoristes français ("Fluide-Glacial", "Pilote"...).
L'auteur de l'article mentionne au passage le lancement par Kurtzman d'un (éphémère) magazine baptisé... "Trump", et financé par le patron de presse pornographique Hugh Hefner ("Play-Boy").
Commentant l'article de Franck Guigue, un lecteur de BD-Zoom fait remarquer la difficulté de traduire l'humour d'Harvey Kurtzman en français.
+ Une récente dépêche AFP mentionnant la hausse des profits des éditeurs de BD au cours de la décennie écoulée a déclenché le mécontentement d'une partie des auteurs, dont le nombre s'est multiplié et les revenus sont, en moyenne, très bas (inférieurs au smic dans plus de 50% des cas).
L'industrialisation de la production est en cause ici ; elle ne date pas d'aujourd'hui et l'on peut s'étonner que ses conséquences suscitent la désapprobation d'une corporation restée globalement muette et passive devant ses causes. Toute la question est de savoir si la production et le marketing finiront par nuire aux éditeurs eux-mêmes.
Quant aux éditeurs et aux auteurs les plus indépendants, ils auraient peut-être plus à gagner qu'à perdre dans la faillite de cette petite industrie du divertissement (faillite ou absorption par l'industrie du divertissement).
On discerne ici également l'arnaque de la reconnaissance par les pouvoirs publics de la BD comme "un art à part entière" (à coup de médailles et de discours creux). Cet argument essentiellement commercial a l'inconvénient d'unifier artificiellement des pratiques parfois aux antipodes. Cette opération de "gentrification" de la BD rappelle l'histoire plus ancienne du droit de la propriété intellectuelle, systématiquement présenté comme une avancée et un progrès pour les auteurs, mais dans lequel les moins naïfs d'entre eux ont souligné un gain pour les éditeurs, principalement.
+ Guillaume Doisy ("Caricatures & Caricature") aborde le problème de la caricature et de l'antisémitisme dans un long article truffé de références portant sur la presse illustrée de la fin du XIXe siècle. L'auteur pose la question de savoir si la caricature fut une figure majeure du discours antisémite ? Son étude est focalisée sur la gazette "La Libre Parole illustrée" du pamphlétaire antisémite Edouard Drumont.
Comme la caricature a servi au cours des derniers siècles à la promotion des idéologies occidentales les plus sinistres et meurtrières (nationalisme, communisme, nazisme, etc.), la question posée par G. Doisy revient à se demander s'il y a un lien spécial entre l'antisémitisme et la caricature. G. Doisy conclut que "S’il ne faut pas minorer l’extrême violence de certaines caricatures diffusées par "La Libre parole illustrée", il faut souligner néanmoins leur rareté."
Précis et bien documenté, l'article entretient néanmoins le préjugé qu'il y a, entre le discours antisémite et le massacre des Juifs au cours de la seconde guerre mondiale, un lien de cause à effet. L'étude historique approfondie de cette période consiste en effet à élucider la ou les causes véritables du conflit ayant entraîné les massacres, par-delà le(s) prétexte(s) invoqué(s) par les élites politiques pour mobiliser les masses.
En se limitant au prétexte, on déduirait que la haine du riche, sur quoi repose largement la démagogie communiste, est la principale cause des massacres perpétrés par le régime soviétique (on passerait ainsi complètement à côté du mobile nationaliste très puissant, sous-jacent au communisme d'Etat...).
Une autre source de confusion consiste à présenter l'antisémitisme comme une sorte de "golem" puissant et unifié, alors même que l'antisémitisme se présente plutôt comme une nébuleuse idéologique, dont certaines tendances se combattent parfois entre elles. On mesure par exemple l'écart entre l'antisémitisme contemporain de l'affaire Dreyfus et l'antisémitisme plus tardif du régime nazi au fait que, du point de vue antidreyfusard, "Juif" et "Allemand" sont quasiment synonymes.
Il est assez évident que l'émergence récente du nationalisme juif a nettement modifié la perspective de l'antisémitisme, mais aussi de ses détracteurs, qui ont tendance à minimiser dangereusement l'importance du mobile nationaliste sous-jacent, auquel l'antisémitisme fournit un argument démagogique supplémentaire, populiste ou moderniste (dans le cas de l'antisémitisme nazi, appuyé sur un darwinisme racial pseudo-scientifique).
En affirmant que "(...) la caricature politique en cette fin de XIXe siècle fait généralement preuve d’une violence extrême, intégrée dans les mentalités collectives", G. Doisy ne fait que répéter le poncif qui assimile l'outrance de la caricature à la violence, poncif véhiculé afin de stigmatiser un genre populaire et incriminer a posteriori le "populisme". Si l'on songe aux manifestations à la fois les plus extrêmes et les plus modernes de la violence, on constate qu'elles sont souvent conçues et élaborées dans des ambiances feutrées, avec beaucoup de précautions de langage. Le "politiquement correct", en traquant la violence des mots, n'a pas effectivement aboli la violence.
(Ci-dessus : portrait d'E. Drumont en "Une" de "La Libre Parole illustrée" en guise d'autopromotion - l'hebdo se vante ici d'avoir épinglé le traître Dreyfus huit ans à l'avance.)
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Revue de presse BD (228)
Personnage de Groucha, créé par R. Topor pour une émission de télé (Téléchat) faisant la satire de la télé.
+ A l'initiative d'Alexandre Deveaux, la bibliothèque Mitterrand (Paris XIIIe) propose, du 28 mars au 16 juillet, une expo. des oeuvres de Roland Topor, ancien dessinateur à "Hara-Kiri".
Lors d'un récent colloque à la Bnf, A. Deveaux a tenté de qualifier plus précisément l'oeuvre de R. Topor. Il n'est pas anodin que son père fût un artiste-peintre et sculpteur venu de Pologne, immigré à Paris pour tenter d'y faire carrière. Le jeune Roland sera encouragé à reprendre le flambeau. Entrer à "Hara-Kiri" se présente pour Roland Topor comme une occasion de débuter une carrière d'artiste, dans un genre jugé mineur mais plus vite lucratif. Topor admirait du reste les dessins de Siné.
Si la technique de Topor est plus conventionnelle que celle de ses confrères à "Hara-Kiri", cela s'explique donc peut-être par sa formation et son ambition, plus académique. Au sommet de sa renommée, Topor sera souvent employé par le "New York Times" Outre-Atlantique, dont il a dessiné de nombreuses Unes.
Comme Topor n'est pas un auteur satirique à part entière, l'adjectif "surréaliste" est souvent dans la bouche des commentateurs de ses dessins, gravures, peintures. De fait, la parenté avec les images à la fois énigmatiques et froides du Belge Magritte incite à rapprocher Topor de la mouvance surréaliste, bien que celle-ci n'ait pas des contours plus nets que l'impressionnisme. On pourrait proposer aussi le rapprochement avec Vallotton, artiste assez inclassable.
+ A l'initiative de l'association "Le Crayon", plus de 150 caricaturistes professionnels et amateurs se sont regroupés afin de proposer une exposition itinérante de caricatures contre le Front National et Marine Le Pen. On relève l'absence de la plupart des dessinateurs de "Charlie-Hebdo" et du "Canard enchaîné" dans cette longue liste.
L'absentéisme de certains caricaturistes peut se comprendre dans la mesure où il s'agit ici de s'impliquer directement dans la campagne des présidentielles. On peut d'ailleurs estimer que, contrairement à la suggestion de Marine Le Pen, son parti fait bien partie du "système" (électoral et institutionnel). Certains spécialistes de cuisine électorale soulignent en effet le rôle joué par le FN de canalisation du mécontentement populaire (rôle positif aux yeux de ces spécialistes, dans la mesure où il prévient le risque d'une contestation plus radicale).
De plus l'efficacité d'une exposition de centaines de caricatures visant le FN de façon univoque est douteuse. Il y a fort à parier que l'on ne convaincra ainsi que des personnes déjà convaincues de l'ineptie du discours du FN ou du danger qu'il représente.
Enfin, l'attelage du militantisme politique et de la satire entraîne des situations parfois... ubuesques. Ainsi on note la participation du dessinateur Plantu ("Le Monde") à cette expo militante ; or ce dessinateur propose en Une du "Monde" des dessins où il place sur le même plan (populiste) la candidate Le Pen et le candidat Mélenchon. Pourquoi diable dans ce cas organiser des élections si seuls les candidats approuvés par "Le Monde" sont dignes d'êtres élus ?
La présence de quelques dessinateurs décédés dans la liste est sans doute faite pour signifier qu'il vaut mieux être mort plutôt que de vivre dans un pays où le FN xénophobe récolte 25% des suffrages ?...
+ Après avoir contesté sur son blog le caractère antisémite d'une caricature d'E. Macron dans un support de propagande du candidat François Fillon, François Forcadell commente : "Désormais il faudra se faire à l’idée (ou pas) que les dessins de presse sont mal lus, interprétés, et manipulés pour en faire des sujets à polémiques."
On note que la campagne présidentielle est un terrain particulièrement favorable à ce genre de polémique insane.
De façon plus générale, certains essayistes tentent de faire passer la caricature pour un art antisémite, en rappelant par exemple que certains caricaturistes célèbres furent antidreyfusards (Caran d'Ache, Forain). Mais l'antisémitisme n'est pas plus répandu chez les caricaturistes qu'il n'est chez les philosophes ou les romanciers.
+ Il y a sans doute autant de festivals de BD que de fromages en France, et par conséquent autant d'affiches, qui comme les fromages, sont de plus ou moins bon goût. L'affiche ci-dessous, pour le festival de BD de la Ferme du Buisson (à Noisiel en Seine-et-Marne, les 21, 22 et 23 avril prochains) attire l'attention avec ses couleurs criardes et son dessin amusant (N. de Crécy).
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Revue de presse BD (190)
Caricature extraite du "Look Book" d'Eric Salch
+ Plutôt que de se payer la tête de telle ou telle personnalité publique, Eric Salch a eu la riche idée de se moquer des Français à travers leurs styles vestimentaires. Dans son "Look Book" ("Fluide-Glacial"), il égrène sans complaisance les différentes panoplies à la mode, du "hipster" au spectateur de Roland-Garros en passant par les cathos défenseurs de la famille et le collégien branché, manquant rarement son effet. L'ouvrage n'est guère partisan, puisque aucun milieu n'est épargné, pas même les... dessinateurs de presse (voir ci-dessus).
+ Daniel Muraz, du "Courrier Picard", regrette sur son blog que l'hommage de "Charlie-Hebdo" au dessinateur satirique Siné n'ait pas été plus appuyé. Le caricaturiste Walter Foolz a même pondu un dessin caustique sur le sujet. Mais il est difficile de revenir sur l'accusation d'antisémitisme, péché majeur par les temps qui courent, quand bien même les tribunaux ont disculpé Siné officiellement ; invoquant les décisions de justice quand elles leur sont favorables, certains représentants de l'intelligentsia n'ont pas raté une occasion de traiter Siné d'antisémite. On se souvient que, de son côté, Charb avait été piqué au vif par les accusations d'islamophobie le visant. Ce climat délétère est la conséquence de la soumission des artistes à des diktats politiques.
+ En guise d'hommage à Siné, le bédéaste suisse Zep reproduit sur son blog une de ses planches, destinée à "Siné-Hebdo" (2011), dans laquelle il tente une analyse de la presse satirique française ; si celle-ci est plus dynamique que la presse suisse, c'est parce que la France est une monarchie (déguisée en démocratie) ; la presse satirique française jouerait donc le rôle assez clairement défini du "bouffon" dans une monarchie ; l'exercice de la satire, dans un pays plus démocratique comme la Suisse, serait plus difficile. Zep n'a sans doute pas tort, car si "Hara-Kiri" n'épargnait pas grand-monde, visant plutôt le bourgeois et le citoyen que le roi, c'est la fameuse "Une" de Choron, insultante à l'égard du monarque de Gaulle, que l'on mentionne à chaque fois. Or cette "Une" a fait beaucoup pour la notoriété du titre.
Le fait est que la culture française est très peu démocratique. K. Marx a montré que l'enseignement de la Révolution française de 1789 tient lieu d'alibi à la bourgeoisie et relève plus du "roman national" que de l'histoire véritable ; à travers cet enseignement, c'est la bourgeoisie qui se trouve justifiée, non la démocratie. L'expérience dictatoriale napoléonienne conditionne bien plus la République que les prétendus idéaux des Lumières de la catéchèse scolaire laïque. Cela dit, Suisse et France ont en commun leurs cultures militaristes ; le règne des banquiers conduit à ne pas trop surestimer la différence entre les différents régimes et constitutions politiques.
+ Un petit extrait du passage de Siné au "Tribunal des Flagrants délires" (1982) est disponible sur le site de l'INA.
+ La chaîne franco-allemande "Arte" diffuse un reportage sur le peintre allemand Max Beckmann (1884-1950) ; cousin germain de Picasso sur le plan artistique, bien qu'il n'égala jamais sa notoriété, Beckmann est sans doute plus laborieux et moins génial que le peintre franco-espagnol ; cependant la peinture de Beckmann s'accompagne d'une réflexion plus profonde, suivant l'exigence de Baudelaire qui reprochait aux peintres de son temps d'être des artisans imbéciles (à l'exception du "phare" Delacroix, ou encore du peintre lyonnais P. Chenavard). S'il n'est pas aussi inventif et varié, Beckmann rivalise avec Picasso sur le plan de la couleur.
Beckmann fut classé parmi les artistes décadents par le régime nazi et s'enfuit pour cette raison aux Pays-Bas, puis aux Etats-Unis où il fut accueilli avec déférence. Mais la thèse néo-classique nazie, largement pompée sur Nietzsche, est sujette à caution ; Nietzsche évacue les éléments de la culture grecque, qui reflète parfois la pensée juive, quand ils ne vont pas dans le sens de sa doctrine réactionnaire.
On peut regarder gratuitement ce documentaire consacré à Beckmann (en replay) jusqu'à lundi prochain.
+ Le Comité canadien pour la liberté de la presse a remis le 12 avril dernier au Canadien Dale Cummings son prix international du dessin (ci-dessous) ; le thème cette année était le "droit d'être oublié".
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Revue de presse BD (189)
Siné vu par le dessinateur de presse Gab.
+ La mort a choisi le jour de l'Ascension (jeudi 5 mai) pour emporter Maurice Sinet, alias Bob Siné, alias Siné. Pied de nez du destin ? A sa manière, parti le même jour, Jésus-Christ était une sorte d'anticlérical et d'anarchiste (honni par Nietzsche pour ce motif).
Au cours des dernières années qui ont précédé sa mort à l'âge de 87 ans (à l'hôpital Bichat), le dessinateur et chroniqueur satirique n'a pas été ménagé : en effet, outre la maladie, celui-ci a connu une rupture difficile avec une partie de l'équipe de "Charlie-Hebdo", qui s'est séparée de Siné à l'occasion d'un retentissant et ubuesque procès pour... antisémitisme ; cela ne l'a pas empêché ensuite d'éprouver de la douleur lors de l'assassinat des caricaturistes de "Charlie-Hebdo" qui s'étaient rangés du côté de Philippe Val ; enfin, le spectacle actuel d'une France quadrillée par l'armée et la police, sous prétexte de renforcer la sécurité, devait être désespérant pour un ancien soixante-huitard. En dépit de ces claques successives, Siné tenait à faire bonne figure et affichait crânement sa joie de vivre.
On peut sans hésiter ranger Siné parmi les derniers auteurs satiriques de ce pays, en compagnie du Pr Choron, de Cabu et quelques autres. Le dessin minimaliste de Siné était particulièrement percutant ; les meilleures affiches de Mai 68 s'inspirent de son style et le dessinateur a continué de dessiner les "unes" de "Siné-Mensuel" jusqu'à son dernier souffle. La qualification "d'anarchiste" est plus contestable : non seulement Siné avait foi dans la politique, à travers l'idéal révolutionnaire, mais il reprochait à l'équipe de "Hara-Kiri" de n'être pas assez impliquée dans le combat politique. Des années plus tard, Siné a regretté son engagement en faveur de la révolution cubaine, qui le rapprocha d'un régime brutal et tortionnaire, loin de la pure utopie socialiste.
+ Petit inventaire de la carrière anticarriériste de Siné, par l'un des ses admirateurs.
+ A mi-chemin entre Arthur Rimbaud et Tintin, le Petit Prince de Saint-Exupéry fête ses soixante-dix ans. Pour l'anecdote, on apprend à cette occasion que le polémiste Jean-Edern Hallier aurait pu servir de modèle à une sculpture de Consuelo de Saint-Exupéry, épouse du conteur, reproduite fidèlement par celui-ci pour illustrer son conte.
Le rapprochement est plutôt amusant entre le Petit Prince, exemple un peu niais donné à la jeunesse, et le fantasque Jean-Edern Hallier, peu avare d'insultes aux chefs de l'Etat successifs, Giscard d'Estaing sa bête noire, puis F. Mitterrand par dépit. Edern-Hallier fonda "L'Idiot international" avec l'argent de Sylvina Boissonnas, riche héritière d'une famille d'industriels alsaciens.
+ Devancée par Luz chez Futuropolis, c'est au tour de la dessinatrice Catherine Meurisse, de publier chez Dargaud "La Légèreté", un album dédié à la manière dont Catherine a "encaissé" l'attentat contre sa rédaction et la mort violente de ses consoeurs et confrères. En retard comme Luz à la réunion de rédaction, Catherine Meurisse avait ainsi évité le massacre ; le professionnalisme ne paie pas toujours.
Peu de temps avant le drame, en décembre 2014, C. Meurisse avait déclaré au magazine de BD "Casemate" : - Traiter [dans "Charlie-Hebdo"] les sujets avec gaieté me sauve. Le propos de "La Légèreté" est plus confus. On devine qu'il est plus difficile de traiter avec gaieté le sujet d'une violence qui nous touche directement. L'humour exige du recul. La religion est bien souvent la dernière défense de ceux qui éprouvent directement telle ou telle forme de violence ; d'où le ton un peu religieux et mystique de Catherine pour parler de "La Légèreté".
+ Dans le nouveau webzine "Marsam Graphics", Elric fait remarquer, dessins à l'appui, la ressemblance entre le style de Hergé et une BD japonaise parue peu de temps auparavant, "Shouchan no Bouken" (1924), par le dessinateur Katsuichi Kabashima ; à cette ressemblance avec le style épuré de Hergé, il faut ajouter que le jeune garçon, héros de la série, est accompagné par un écureuil, comme le sera Spirou, créé par le Français Rob-Vel. L'affaire se corse, puisque la bande-dessinée japonaise a été imaginée à partir d'une autre série populaire en Grande-Bretagne, "Pip, Squeak & Wilfred". Elric fait aussi remarquer l'influence que le style de Forton ("Les Pieds Nickelés") semble avoir exercée sur le dessinateur japonais.
Ce rapprochement est le prétexte à un article sur l'influence réciproque de la culture japonaise et de la culture européenne, britannique en particulier. La célèbre revue humoristique anglaise "Punch" a même été exportée par un dessinateur au Japon, où l'on était peu habitué à voir les représentants du pouvoir brocardés dans la presse.
Cet article, abondamment illustré, est un peu une façon de démontrer que l'originalité, en art, n'est qu'une illusion.
Couverture d'un des albums de la série "Shouchan no Bouken", par Katsuichi Kabachima.