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critique - Page 42

  • Paolo Pinocchio****

    En préambule, disons que c’est une bonne idée de traiter de l’enfer en bande-dessinée (une idée dontfanzine,bd,zébra,bande-dessinée,illustration,critique,zombi,paolo pinocchio,lucas varela,dante,boccace,rome,enfer,paradis,psychanalyse,âme,tanibis,panthéon,divine comédie les planches de Louise Asherson dans "Zébra" autour de la "Divine comédie" ne sont pas éloignées, voire la BD expérimentale de David Roche sur la "Vie des Cavernes", qui pourrait être sous-titrée: "Une Saison en Enfer").

    L’enfer est, en effet, une fiction extrêmement tenace, pour ainsi dire liée à l’âme ou la conscience humaine. Ceux qui ne veulent rien entendre de l’enfer, le plus souvent, ne font que le fuir pour se précipiter dans une formule alternative, ignorant à quel point cette fiction peut revêtir des formes artistiques différentes ; parfois un seul objet d'art suffit à la représenter symboliquement, tel le vase de Pandore. Il n’y a donc pas de conscience éthique ou morale chez un individu, sans conception de l’enfer liée à cette conviction.

    Une personne prétendument dépourvue de conscience éthique ou de sens moral -par exemple un tueur en série, le type auquel on prête généralement ce type de caractère-, cette personne est sans doute persuadée que l’enfer n’est qu’une extension du domaine de la lutte à laquelle se livrent les puissants entre eux, au détriment des faibles, ici et maintenant. Dans ce cas le paradis se réduit à de rares moments de jouissance exclusive. Le jouisseur, seul, en détient la clef.

    Prendre Pinocchio comme personnage principal de pérégrinations au sein de l’enfer et ses différents lieux d'aisance, est également judicieux de la part du dessinateur argentin Lucas Varela (du magazine "Fierro"). La version originale de "Pinocchio" est précisément un conte pédagogique et moral, dont le but est donc d’inculquer la peur de l’enfer. Il y a une tendance aujourd'hui, dans le domaine des contes pédagogiques, à publier des contes "politiquement corrects", adaptés aux péchés modernes, dont on peut dire qu’ils sont dans la droite ligne du "Pinocchio", déjà en son temps, œuvre d’éducation nationale. La force de "Pinocchio" est d’être générique, et donc recevable dans une variété de cultures ou de religions plus grande (Les contes retranscrits par Perrault, ou ceux d’Esope, sont beaucoup plus équivoques, et remettent parfois en cause la piété familiale ou nationale.)

    Le Pinocchio de Lucas Varela se joue de l’enfer. Disons que, comme tous les ouvrages humoristiques, il a pour effet de remettre en cause le discours éthique ou politique nécessairement binaire; de mettre un bâton dans la mécanique de la fiction, dont le discours moral et politique se nourrit au contraire (On comprend que les anarchistes puissent user de l’humour comme d’une arme beaucoup plus efficace que le terrorisme.)

    Les allusions dans "Paolo Pinocchio" à d’autres œuvres inspirées par l’enfer sont nombreuses. Dans la culture italienne où Varela puise, elles ne manquent pas. Elles viennent tantôt de la mythologie romaine, tantôt du christianisme opposé (qui associe Rome à Satan); parfois de telles conceptions se conjuguent bizarrement, comme dans la "Divine comédie". Varela fait ainsi du clergé catholique, à l’instar de Dante et Boccace, un grand pourvoyeur de l’enfer. Une prêtresse de Diane confie à Pinocchio: "L’enfer n’est qu’un état de l’âme." Elle rejoint ainsi la psychanalyse moderne, et Varela s’amuse de la comparaison entre l’appendice nasal érectile de Pinocchio et l’organe viril, objet spécial de l’attention de toutes les doctrines morales à travers les âges (La capote anglaise n’est pas si éloignée du voile islamique qu’on le croit, tous deux instruments conçus pour protéger la société des débordements masculins.)

     Apparemment légère, cette variation sur le conte de Pinocchio facilite la compréhension de déterminations sociales le plus souvent inconscientes, et d’un symbolisme culturel plus profond que les étiquettes religieuses ou partisanes antagonistes peuvent laisser penser. Ces oppositions correspondent en réalité à des méthodes opposées pour accéder au bonheur. La multiplication des points de vue éthiques ou identitaires finit par incliner chacun à penser que l’enfer, c’est l’autre, dans la mesure où il constitue un obstacle sur la voie du bonheur. La crise économique représente une menace de nature infernale pour beaucoup; une menace qui trouve sa principale force dans la conviction que la société de consommation est un paradis (si tel était le cas, nul n'y ferait un usage abusif de l'alcool ou de la drogue, dont la jouissance paisible dissuade). L'état de panique ou de terreur provoquée par l'enfer et ses multiples représentations, joue donc un rôle social décisif de maintien de l'ordre public, en tous temps et en tous lieux.

    Pour faire valoir encore l’actualité de cette BD, je fais observer que nos députés ne sont autres que des "élus". Et que la destination de nos grands hommes et femmes est toujours le "Panthéon" ; enfin qu’il est réservé au peuple un rôle de figuration, guère éloigné de celui attribué à Jupiter dans certaine religion antique.

    Paolo Pinocchio, Ed. Tanibis, 2012

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Heureux qui comme...****

     BD pleine d’ironie de Nicolas Presl, comme sa précédente «Hydrie» qui m’avait emballé (cinq étoiles au

    fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,illustraation,critique,kritik,nicolas presl,l'hydrie,heureux qui comme,mali,afrique,occident,picasso,guernica guide Zombi 2012). Le titre confronte d’emblée le voyage initiatique du héros antique, son cheminement vers la sagesse dans un décor et parmi des monstres symboliques, au circuit touristique par où l’homme moderne passe, fuyant ses démons au lieu de les affronter.

     Si «Heureux qui comme…» se contentait d’illustrer la folie du touriste occidental ordinaire, en quête d’exotisme, ce serait une observation de second ordre, déjà faite; mais c’est tout le transport humain, au sens propre comme au figuré, à l’échelle mondiale ultime, que la BD de Nicolas Presl rassemble dans ses planches, formant tableau. Une BD muette, encore une fois, mais néanmoins plus expressive que la parole. Le «Guernica» de la guerre tiède où nous trempons, lorsque l’empoisonnement discret est préféré au coup de poignard trop franc.

    Puisque N. Presl joue du noir et du blanc, du fossé entre l’Afrique et l’Occident que l’hypocrisie ne fait que creuser plus encore: qui peut dire pourquoi la France envoie des troupes au Mali? Pourtant, elle est aussi contrainte de s’exécuter qu’il lui est impossible de fournir une explication sérieuse, de comment elle en est arrivé là, et comment elle compte s’en sortir? D’autres nécessités viennent en face, plus ou moins puissantes: télescopage, affrontement, coït, tuerie, rebondissement, pause culturelle… Presl peint tout ça, comme le chassé-croisé d’une myriade de destins. C’est à peine si l’on trouve le temps de s’arrêter sur un visage, animé par un rictus…

    Se souvenant de «L’Hydrie» précédente, drame situé dans l’Antiquité, on peut en conclure que rien n’a changé. Rien ne s’est perdu du sacrifice humain antique, il ne s’en est pas créé de manière plus radicale ; seule la culture ou le vernis a changé. Bien qu’il donne l’illusion de bouger, comme le cinéma ou la BD, le plan social est statique. Le regard exercé de Presl ne tombe pas dans le panneau ou le détail, par où les choses paraissent mobiles.

    Les bouquins de Presl sont des cauchemars ; sans doute cette matière-là se vend moins bien que les rêves, mais l’avantage du cauchemar sur le rêve, c’est qu’au réveil on n’est pas déçu.

    Heureux qui comme... - Ed. Atrabile, 2012. 

     

  • Stalag IIB**

    Jacques Tardi s’est attelé à la tâche ardue de rendre intéressants les souvenirs d’un ancien combattant,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,kritik,jacques tardi,stalag iib,zombi,critique,kritik,drôle de guerre,char,céline,shakespeare,homère,casterman,xavier guibert,guerre d'alan,gi son propre père, enrôlé dans un régiment de char français en 40. Comme l’auteur se plaint lui-même d’avoir subi, enfant, les radotages plein d’amertume de son paternel, le moins qu’on puisse dire est qu’il avait conscience du défi qu’il se lançait… et qu’il n'est pas parvenu à relever.

    Dans «Stalag IIB», l’auteur s’est en outre représenté, en train d’accoucher son père au fil des pages de ses souvenirs d’un passé pénible, jouant de l'effet de voyage dans le temps permis par la fiction, qui permet de "repasser les plats", au contraire de l'Histoire. L’idée est originale et intrigante au départ, mais on peut prendre ensuite le déroulé de ce dialogue entre un père en tenue de soldat et un fils en tenue d'écolier, pour une sorte de règlement de compte psychanalytique, où le décor historique n’est plus qu’un prétexte.

    A mon sens, le lien du sang gâche la peinture d'histoire. Dans le même genre, l’accouchement d’un ancien GI américain par Emmanuel Guibert («La guerre d’Alan») était mieux réussi, le témoignage plus intéressant car plus large.

    La haine des Boches du père de Tardi, par exemple, était-elle représentative du sentiment populaire, des types embringués malgré eux dans une aventure dont le plan général de concurrence entre nations industrielles les dépassait? Ou bien cette haine n'était que le moyen que le père de Tardi avait trouvé pour se galvaniser contre l’atmosphère délétère des camps de prisonniers, comme d’autres choisissaient la belote, ou le souvenir émue d'une fiancée.

    On ne peut s’empêcher, d'ailleurs, quand on a lu Céline et ces deux romans complémentaires que sont «Le Voyage» et «Mort à Crédit», de comparer. Et de conclure que Tardi est loin d'atteindre la dimension historique du diptyque de Céline, qui trouve dans la folie guerrière nationaliste la force de témoigner contre elle, et de dissuader les milieux populaires de gober les grands plans de paix internationaux. L’expérience militaire du père de Tardi et l’antimilitarisme de son fils Jacques se confrontent, mais ne sortent pas renforcés l’un de l’autre. On pourra dire de Jacques Tardi qu'il a les mains pures parce qu'il n'a pas de mains. De son père qu'il est un salaud et un con, mais qu'il ne faisait qu'obéir à l'injonction sanguinaire du pouvoir républicain. Tandis que Céline a mis un terme à l'art républicain: il s'est vengé de la civilisation et de l'élite. L'art républicain en principe continue; mais plus personne de sincère ne continue d'y croire. Les auteurs de BD se torchent avec la légion d'honneur.

    La partie de «Stalag IIB» la plus réussie est le préambule où les Tardi narrent ensemble «la drôle de guerre», défaite éclair de l’armée française face aux troupes allemandes, prompte mais suffisamment longue pour permettre à Tardi-père d’éviscérer à coups de canons quelques-uns de ces Boches qu’il exécrait, avant d’être fait prisonnier.

    Stalag IIB - Jacques Tardi - Casterman - 194p.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Le Roi Oscar****

    et autres racontarsfanzine,bd,zébra,bande-dessinée,critique,humour,kritik,critique,roi oscar,racontars,jorn riel,groenland,humour,hervé tanquerelle,gwen de bonneval,sarbacane,zombi

    Les vastes étendues glacées du Nord-Est du Groenland sont des territoires où l’on ne s’attend guère à rencontrer l’humour, mais plutôt la génuflexion la plus stricte, compte tenu de la rigueur des éléments sous cette latitude extrême.

    Le Danois Jorn Riel, avec ses contes drolatiques basés sur l’infini ridicule de l’existence humaine, prouverait presque le contraire si ses trappeurs scandinaves exilés au Groenland riaient vraiment. Mais n’est-ce pas plutôt le lecteur qui sourit à leurs dépends ? Une part du rire, dit Baudelaire, vient du fait qu’autrui, par sa dégringolade, nous fait éprouver le sentiment d’être en position supérieure.

    Certes, il y a de quoi se réjouir de ne pas devoir faire la conversation au «Roi Oscar», vulgaire cochon, jusqu’à s’en éprendre, comme Vieux-Niels et Halvor dans leur chalet coupé du monde par le blizzard, tandis qu'on dispose en France de «tout ce qu’il faut», et bien plus, pour nourrir les sentiments. Jorn Riel ne se limite d’ailleurs pas au rire gras; l’immensité blanche et glaciale de l’Arctique, cet auteur nous la montre comme un alcool fort, auquel nul homme, fût-ce Danois, ne résiste bien longtemps.

    Autant dire qu’il fallait pas mal de talent de la part de Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle pour traduire fidèlement en BD ces quelques contes ironiques. Le comique de situation est seulement une question de technique pour l’auteur de BD et son scénariste: une question de la bonne case au bon moment. Mais pour l’humour noir, il faut un peu plus que de l’encre de cette couleur, comme la rareté des réussites dans ce domaine témoigne.

    Les amateurs d’œuvres originales, portés souvent eux-mêmes à se croire des spécimens «uniques», ont tendance -par principe- à dénigrer l’adaptation en BD de chefs-d’oeuvres de la littérature. Cette espèce de puritanisme fait oublier que les œuvres d’art les plus indémodables ont une existence autonome de leurs auteurs. Plus utilement, on fera le tri entre les ouvrages littéraires qui se prêtent à la traduction, et ceux qui n’y sont pas, ou peu, propices, comme les ouvrages de style.

    En ce qui concerne le dessin d’H. Tanquerelle, il m’a fait penser à de nombreux dessinateurs aussi variés que Gus Bofa, Dimitri, Blutch, Crumb, et on ne peut pas dire qu’il soit original lui non plus, mais justement placé entre le grotesque et le réalisme, comme l’exigent les contes de Jorn Riel.

    Ed. Sarbacane, 2011 (deux tomes parus, un 3e en cours).

    (Zombi - leloublan@gmx.fr - critiques 2012)

  • Les Noceurs***

    A propos de l’intrigue, d’abord. Elle s’annonce des plus banales, dès le titre. «Dionysiaque», comme on
    fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,kritik,les noceurs,brecht evens,ergens waar je niet wil zijn,actes sud,festival,angoulême,exposition,néerlandais,vile bodies,ces corps vilsdit dans "Télérama"; j’en soupirais d’avance, vu que tout est dionysiaque aujourd’hui: du supermarché en période de fête à la boîte de nuit «California Dream» en bordure de la voie express, jusqu’aux plateaux télé de Patrick Sébastien, sans oublier le look de croque-mort «too much» de Karl Lagerfeld… on n’en sort plus de la bacchanale mollassonne et quasi-quotidienne, si bien que, sans une petite tuerie de temps en temps, du côté de l’Ohio ou d’Oslo, on finirait par prendre le divin Bacchus pour un vulgaire guignol.

    On le sait, c'est pas nouveau, le diable est le roi de la fiesta, et il a le don de tomber les filles. Dans la BD de Brecht Evens, il se nomme «Robbie», pour les intimes, et tout le monde est intime avec Robbie, qui s'y entend comme pas deux question "climax". Même si ce tombeur-là n’est pas Don Juan, il ne démérite pas trop, dans le genre sémillant et chatoyant, servi par la palette d’Evens. Celui-ci a tenté l’audacieux pari de la couleur directe, dont on s'étonne qu'il soit gagné, tant il est inadapté à l’imprimerie. On peut craindre l’effet "sucre d'orge", mais ce n’est pas le cas de ces enluminures modernes, qui vibrent plus que la sérigraphie un peu nostalgique, à la mode chez d’autres auteurs.

    J’ai connu un Robbie à la fac, tout à fait fascinant: il ne demandait pas -ou presque pas- leur avis aux filles, et ça marchait. Pareil avec les mecs, d’ailleurs; tout le monde voulait être son pote, moi le premier. Je fus vraiment fier qu’il me choisisse. Ce que je ne prévoyais pas, c’est de devoir consoler toutes ces gonzesses, et distribuer les tickets d’entrée de sa garçonnière ; ah ça non, merde, je n'avais pas prévu ça ! J’en ai donc eu marre et j’ai rendu mon tablier (ustensile satanique, pour les non-initiés). Le maelström d’Evens est donc une fiction véridique...

    Peut-être manque-t-il un peu de noirceur à ce regard kaléïdoscopique? Comme celle qu’on trouve dans «Vile Bodies» («Ces Corps vils»), perle d’humour noir anglais 1930, sur le même thème:

    «(...) Soirées masquées, soirées "Cromagnon", soirées "Victoria", soirées "Grèce", soirées "Far West", soirées "Russie", soirées "Cirque", soirées où il fallait se déguiser en quelqu'un d'autre, soirées presque nues dans Saint-John's Wood, soirées dans des appartements, dans des studios, dans des maisons, dans des hôtels, des bateaux et des boîtes de nuit, dans des moulins à vent et des piscines; thés à la fac où on mangeait des petits pains, des meringues et du crabe en conserve, soirées à Oxford où on buvait du sherry brun et on fumait des cigarettes turques, lugubres bals de Londres, bals amusants en Écosse, ignobles bals de Paris,

    Toute cette succession et cette répétition d'humanité agglomérée… Ces corps vils…
    La soirée se résumait maintenant à une douzaine de personnes, à ce coriace noyau de gaîté qui ne se brise jamais. Il était dans les trois heures du matin.(…)»

    (Une exposition consacrée à Brecht Evens et ses "compagnons de route" (sic) se tiendra au cours du prochain festival d’Angoulême.)

    - "Les Noceurs" (titre original: «Ergens waar je niet wil zijn», ce qui signifie à peu près: enfer), Actes Sud, 2009, 22€

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Les Bidochon sauvent la planète***

    Je vais encore me faire traiter d’hérétique, mais tant pis : je préfère Binet à Reiser. Je sais que Reiserfanzine,bd,bande-dessinée,zébra,critique,kritik,bidochons,reiser,brétécher,sociologue,binet,charb,st germain-des-prés,bobos est mort jeune, mais ce n’est pas une raison. Chez Reiser, dans le tas, il y a trop de blagues centrées sur le cul, si je peux m’exprimer ainsi.  C'est un genre un peu trop facile ; il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour rendre un plan cul comique; la position scabreuse est en elle-même grotesque. Voyez le lion, noble et fier animal bouffeur de zèbres, pas le genre à laisser sa femme tenir la culotte comme la hyène: eh bien même le lion, dans cette posture, a tendance à déchoir. C’est beaucoup plus difficile de parler sérieusement de cul, comme dans «36 Nuances de grey».

    D’ailleurs Claire Brétécher me paraît moins digne que Binet du titre de «meilleure sociologue de France», qu’un de ses éminents confrères lui décerna. Je lis parfois à propos des Bidochon : «Pas mal, mais Binet ne se renouvelle pas assez.» Eh, vous en connaissez beaucoup, vous, des comiques qui se renouvellent ? Charb ?

    Non, Brétécher connaît à fond le milieu bobo parisien, dont l’influence culturelle s’étend sans doute bien au-delà de St-Germain-des-Prés, mais elle ne déborde pas tellement ce périmètre.

    Le couple et les gadgets technologiques permettent de parler de la France moderne tout entière : le thème est «transversal» (j’ignore si c’est le terme exact). Couple + gadgets technologiques, c'est là l'essentiel des valeurs modernes, la religion commune.

    Dans son dernier album, Binet parle d’écologie, et ceux qui croient comme moi que l’écologie n’est qu’un gadget de plus vont se taper sur les cuisses (un gadget, c’est-à-dire un truc dont certaines personnes ne peuvent absolument pas se passer, mais dont l’efficacité reste à prouver). Binet s'amuse à confronter le discours beauf habituel de M. et Mme Bidochon à celui de leurs fréquentations écolos: et la partie n’est pas gagnée d’avance...

    Que pourrait faire Binet de mieux pour se renouveller ? Un album sur les «gays» ?... quand ils seront mariés.

    Ed. Fluide Glacial, 2012, 10 €

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • D'Air pur et d'Eau fraîche****

    Voici un petit "western de pionniers" brutal et sauvage comme je les aime, non par goût de la brutalité fanzine,bd,zébra,bande-dessinée,critique,kritik,d'air pur et d'eau fraiche,pero,boîte à bulles,western,nietzsche,bernanos,thoreau,fourier,tocqueville,pionnier,trappeur,charybde,scylla,ulysse,homèreet de la sauvagerie, mais par goût du réalisme.

    Le malaise social moderne, imputable à l’esclavage industriel et à la mécanisation des rapports sociaux, a suscité en réaction tout un art et une philosophie pour tenter de contrecarrer les effets de l’oppression. Ces réactions sont aussi variées que contradictoires entre elles, puisqu’on peut regrouper sous ce motif aussi bien Nietzsche que Bernanos, mais encore Tocqueville, Fourier, Thoreau, l’écologisme, etc.

    Chacun a une idée différente des causes de l’oppression moderne et des remèdes à y apporter. Si Nietzsche et Bernanos s’accordent sur le mépris du libéralisme et de la démocratie, en revanche ils s’opposent sur le christianisme ; Nietzsche l'accuse d'être responsable du libéralisme et de la démocratie, tandis que Bernanos voit le système technocratique moderne comme un mouvement néo-païen, tel que le nazisme se vanta d'être.

    Plus rares sont les penseurs ou les artistes qui, également préoccupés par l’oppression ou la décadence,  observent que la société, du coït le plus primitif jusqu’aux œuvres d’art les plus sophistiquées ou grandiloquentes, ne fait somme toute que refléter la nature ou l’imiter. Sur ce point, les nostalgiques du bonheur antique – citons Nietzsche encore une fois – n’ont sans doute pas tort d’observer que l’imitation était plus consciente dans l’Antiquité, et par conséquent plus respectueuse et mieux maîtrisée. La démocratie est un exemple concret d’abstraction juridique ou d’invention pure, sans rapport avec le déterminisme des choses naturelles, le rapport de force biologique permanent. A cet égard, la concurrence économique libérale est, certes, une formule plus bestiale, mais moins artificieuse. On devine que la démocratie répond surtout au besoin de l’élite de promettre aux opprimés de la terre des lendemains meilleurs.

     Et c’est là où je voulais en venir, après une parenthèse dont on me pardonnera, je l’espère, la longueur et les références un peu pompeuses. Car sous le titre de cette BD, «D’air pur et d’eau fraîche», dont on comprend l’ironie après quelques pages seulement, se cache le petit récit bien rythmé, sans paroles, de l’existence d’un jeune trappeur dans le Grand Ouest américain ; trappeur, donc prédateur, mais en fait lui-même en proie à toutes les sortes de dangers naturels ou mystiques, balloté de Charybde en Scylla, s’écorchant sur l’une, avant, à peine cautérisé, de se faire dévorer un membre par l’autre. Victime de bout en bout, de la nature sauvage qui le consume à petit feu d’une part, et de la société d'autre part, qui ne fait que rajouter un peu d’huile sur le feu. Notre trappeur se démmerde comme il peut ; il ignore le chenal, contrairement à Ulysse, doté par Homère du super-pouvoir de la sagesse.

    Les imprudents qui se nourrissent d’espoir risquent de bouder ce western en noir et blanc de Pero, entièrement dépourvu de cet ingrédient (celui qu’on retrouve au fond, tout au fond du vase de Pandore) ; ou bien encore, séduits par le dessin, simple et proche du croquis, ils le prendront pour un récit réaliste, du temps révolu de la fondation de l’Amérique, où les hommes se dévoraient entre eux, dans un cadre naturel aussi somptueux que terrible. Ils auraient tort. Le désespoir est essentiel à l’homme. La preuve, sans le désespoir, l’humour n’existerait pas : il n’y aurait que la morale ou la politique. Sans le désespoir, il n’y a qu’à se branler sur une toile et c’est de l’art.

    Pero, éds. Boîte à Bulles, 2012, 14€

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)