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critique - Page 38

  • Marx**

    C’est la mode en BD de présenter ou d’introduire des philosophes réputés, voire des hypothèses webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,karl marx,engels,marxisme,biographie,révolutionnaire,hegel,stalinienscientifiques tarabiscotées, auxquelles les  non-initiés ne comprennent que dalle.

    Tous les outils semblent réunis aujourd'hui pour satisfaire la soif de connaissance et la combler -internet, wikipédia-, et pourtant cette soif n’en demeure pas moins aussi impérieuse, après des millénaires d’enquête.

    Il y a deux catégories d’être humains selon la dichotomie de Francis Bacon, qui fait partie des références humanistes de Karl Marx: d’une part ceux qui poursuivent le but du bonheur, de l’autre ceux qui poursuivent le but de la connaissance ou du savoir – que l’ignorance vrille autant que peuvent la soif ou la faim, et qui ne se satisfont pas de l’explication toute faite de la destinée, du hasard ou de l’Etat providentiel. Certainement Karl Marx fait partie de la seconde catégorie ; il affiche son mépris pour Epicure et l’épicurisme. C’est le principal mérite de cette BD de montrer Marx aiguillonné par la curiosité… et peut-être son seul mérite.

    L’album parvient à rendre Marx sympathique, comme le sont me semble-t-il les hommes ou les femmes insatisfaits d’eux-mêmes, et qui ne cherchent pas d’abord à se justifier par les erreurs d’autrui, ce qui est le penchant commun. Sur l’aspect didactique, en revanche, cette BD échoue à dire clairement en quoi la science de Marx est révolutionnaire et perturbe les certitudes technocratiques de son temps, qui est encore le nôtre.

    Le principal problème que la communication des ouvrages de Marx en France doit affronter n’est pas abordé dans cet album. C’est celui de la censure. En effet, Karl Marx ne partage aucune des valeurs laïques républicaines dont l’enseignement est obligatoire en France*. Les élites staliniennes ont naguère fait un effort considérable pour rapprocher Marx de Hegel, alors que celui-là n’a cessé de s’éloigner de la brillante théorie du progrès national-socialiste. Tout simplement parce que l’hégélianisme, lui, est compatible avec l’appareil judiciaire d’une république populaire ou démocratique, contrairement à la démonstration historique de Marx que le droit républicain ne fait que prolonger le droit ecclésiastique en l’adaptant à la nouvelle donne industrielle.

    Marx et Engels ont d'ailleurs anticipé la violence républicaine catastrophique du XXe siècle, tandis que les élites républicaines européennes n’ont fait que se disculper de cette violence, postérieurement aux catastrophes mondiales, suivant une méthode religieuse caractéristique.

    Marx avait bien compris que l’institution catholique romaine était imperméabilisée contre l’histoire. Mais qu'il en va de même pour toute institution puissante, qui pour des raisons organiques ne peut pas se permettre l'autocritique.

    Les quelques dernières pages de cette BD, consacrées à l’actualité de Marx, ne font qu’accroître la déception, car c’était là un sujet bien plus intéressant. Et Marx n’aurait accordé à sa propre biographie aucune espèce d’intérêt, n’étant pas de ces artistes qui se contemplent ou se projettent dans leurs ouvrages, en pensant qu’ils les prolongeront dans l’au-delà.

    Les auteurs, Corinne Maier et Anne Simon, constatent que chaque nouvelle crise économique remet au goût du jour la fameuse observation de Marx : «Le Capital est le pire ennemi du Capital», fortement évocatrice de la spiritualité juive dressée contre la tour de Babel, qui symbolise l’anthropologie ou le langage, et s’écroule d’elle-même. Parodiant Marx, on pourrait dire que la force révolutionnaire des «subprimes» ou des «hedge funds», aussi imprévisibles que les cyclones, excède largement la force révolutionnaire des mélanchoniens ou des lepénistes réunis, somme toute plus nostalgiques des «Trente Glorieuses» qu’autre chose.

    *Le meilleur indice de cette censure est l'omerta sur les études critiques de Marx concernant la révolution française de 1789, dans lesquelles l'historien établit un lien entre la démocratie libérale et le populisme, très peu conforme au catéchisme républicain.

    Marx, par Corine Maier et Anne Simon, Dargaud, 2013.

  • Etapes 213***

    Puisque le graphisme est surtout une question de présentation, on peut faire cette comparaison avec le webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,graphisme,étapes graphiques,critique,kritik,graphisme,bobo,jo ratcliffe,,shoreditch,the estate office,orwellien,stéphanie posavec,adolf hitler,police,caractère,propagande,publicitémaquillage féminin et avancer que le graphisme le plus efficace sera le plus discret.

    Cependant, c’est le développement extraordinaire du commerce et de la publicité au cours des dernières décennies qui explique que le graphisme a pris une telle ampleur (malgré la désaffection grandissante du public pour la presse). Grâce ou à cause de la publicité, le graphiste a été élevé au rang d’artiste. Et la discrétion ne s’est pas imposée partout.

    Appréciée des professionnels, bien que luxueuse, la revue «Etapes graphiques» se situe plutôt dans le camp des puritains que des polices bling-bling et des coups de massicots déjantés ; elle réussit le tour de force de parler du graphisme sans trop ennuyer avec des problèmes de nomenclatures et de chartes.

    J’étais plutôt amusé d’apprendre dans un précédent numéro le goût d’Adolf Hitler pour le graphisme, et même qu’il avait une police de caractère préférée… ce qui est assez logique de la part d’un propagandiste, ou du stade totalitaire où politique et art se recoupent entièrement, donnant à ce dernier le caractère le plus légal.

    La dernière livraison d’« Etapes », volumineuse, est un numéro spécial sur Londres. Même si le point de vue « d’Etapes » n’est pas exactement « orwellien », on nous relate comment une agence immobilière « The Estate Office » a imaginé de draguer les bobos londoniens (dont un certain nombre de professionnels du graphisme), à l’aide d’une campagne de publicité dessinée (Jo Ratcliffe), afin de peupler le village branché de Shoreditch pour en faire un ghetto chic et prospère. Dans la même revue, Stéphanie Posavec évoque « la névrose des graphistes en mal de spontanéité » : il faut souhaiter que la clientèle du village de Shoreditch ait été prévenue.

    Plus sérieusement la question se pose pour des illustrateurs ou des artistes, souvent dans la dèche, de l’engagement au service de causes publicitaires parfois obscures, en même temps que celle de la suprématie de l’argent sur les autres arts abstraits.

    Un autre article est consacré au quartier de « l’East-End » londonien, où misère et crime sévissaient il y a un siècle et demi –c’était d’ailleurs le périmètre d’action de Jack l’Eventreur ; la réhabilitation de ce quartier en a apparemment chassé les derniers fantômes...

    Bref, un bon numéro dans l’ensemble, où le blanc tournant ne l’emporte pas trop sur le jaune d’oeuf.

    Etapes, mai-juin 2013

  • Pablo-Matisse (T.3)****

    Après avoir dit tout le bien que je pensais du premier tome des aventures de Pablo Picasso, par webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,pablo,matisse,clément oubrerie,julie birmant,picasso,max jacob,gertrude stein,biographie,arianna stassinopoulos huffington,biopic,apollinaireBirmant et Oubrerie, je me suis abstenu de faire la critique du second tome, moins léger. On retrouve dans le troisième tome le ton de l’esquisse légère pour brosser le portrait du peintre qu’il est convenu de considérer comme le Michel-Ange des temps modernes, et qui ambitionna, de fait, d’atteindre le sommet de l'art.

    Plus intellectuel que Picasso, Delacroix mentionne dans son «Journal» que, contrairement à la musique, qui exige des œuvres les plus parfaitement composées, l’esquisse vaut souvent mieux en peinture que le produit fini destiné à satisfaire le commanditaire…

    Ma comparaison est ici avec des biographies pesantes, pleines de références et qui se veulent exhaustives, mais tombent dans les détails superflus, voire souvent le piège de l’hagiographie en ce qui concerne Picasso, afin d’en faire une gloire nationale.

    L’habileté du scénario de Julie Birmant consiste à mettre les personnages « secondaires » en avant, et à décentrer au maximum sa biographie de Pablo, ce qui permet de gommer l’image d’Epinal du « monstre sacré », et de rendre l’artiste plus humain. D’ailleurs l’œuvre d’un artiste qui vise la gloire comme Picasso, ne s’élabore pas exclusivement en son âme et conscience. Il tient compte de ses contemporains, ou au moins de son entourage proche, surtout lorsqu’il est composé d’artistes comme Max Jacob et Apollinaire, ou d’amateurs d’art comme Gertrude Stein, que l’on voit traiter Picasso comme son poulain. Les caractères sont bien traités, d’une manière caricaturale mais sans excès, suivant une méthode qui permet d’en saisir le caractère. Max Jacob dans le premier tome, étonné et séduit par tant de primitive virilité chez son ami Pablo ; Matisse fait office de contrepoint dans le dernier, tant son tempérament policé diffère de celui du brutal Espagnol. Le scénario fait bien d’insister sur la virilité, voire le machisme de Picasso, dont l’art n’a pas toujours l’heur, en effet, de plaire aux femmes, a contrario de Gertrude Stein, dont la BD de Picasso nous dit qu’il a voulu la portraiturer comme une pierre. Je fais référence ici à la biographie d’une autre Américaine, qui s’est appliquée à démolir la statue de Picasso, pour la seule raison de cette virilité débordante (Arianna Stassinopoulos-Huffington). Au demeurant, on peut se demander si le seul lien véritable entre Picasso et le parti communiste ouvrier n’est pas, précisément, cette virilité, vu l’indifférence manifestée par Picasso pour l’idéologie ou la politique ? (la mentalité de Picasso est très éloignée de la dévaluation de l'idée de "génie artistique" par K. Marx).

    Pour le défaut de ce «biopic», et bien que le dessin de Clément Oubrerie soit assez enlevé, je mentionnerais la colorisation des planches, estimant le noir et blanc à la fois mieux adapté à la BD en général, et à l’art d’un peintre assez sculptural.

    La biographie de Birmant et Oubrerie permet de suppléer autant que possible à l’enseignement de l’histoire de la peinture, presque parfaitement sinistré en France, ou recouvert du leitmotiv de l’art numérique, qui dissimule mal son objectif de promotion des gadgets technologiques. Des esprits moins ronchon que le mien diront que cela permet au moins de préserver l’art du manque de saveur des matières enseignées à l’école… et ils auront sans doute raison.

    Pablo-Matisse (T.3), J. Birmant & C. Oubrerie, Dargaud, 2013.

    Zombi (leloublan@gmx.fr)

  • Cow-Boy Henk**

    L’humour de Kamagurka ne résiste pas au format long qu’il s’est imposé dans ce «Cow-Boy Henk», webzine,bd,gratuit,fanzine,bande-dessinée,zébra,critique,cow-boy henk,kritik,kamagurka,herr seele,fremok,camus,meursault,absurde,molière,étranger,comique,humour,aryen,football,flamand,poker,scapin,avareluxueusement édité chez Frémok. Ses vignettes  ou ses strips publiés ici ou là sont des clins-d’œil qui pointent légèrement l’absurdité de l’existence, tandis que j’ai les paupières lourdes après trois pages du «Cow-Boy», en dépit de ses couleurs vives, ou à cause d’elles.

    De la même façon, le court roman de Camus récemment adapté par Ferrandez, «L’Etranger», qui tire de l’absurdité de la condition humaine une humeur froide, à la limite du suicide, aurait versé s’il s’était étiré sur des centaines de pages, dans le récit mélancolique ennuyeux.

    Les pédagogues ou les enseignants prétendent parfois que non, non, Camus n’incite pas au suicide, mais c’est probablement pour pouvoir se justifier de l’enseigner aux jeunes lycéens. Le héros de Camus, Meursault, fait bien l’expérience du meurtre, un peu par hasard, mais aussi parce que, privée de sens à ses yeux, la vie humaine perd le prix que lui accorde la morale publique : celle d’autrui, la sienne. Le principal mérite de Camus est de mettre en lumière le relais de la religion traditionnelle par l’idéologie socialiste, dont la principale fonction est de donner un sens à peu près crédible à l’existence.

    La mort ou le coma (éthylique) dans lequel sont plongées les idéologies socialistes à leur tour, après les religions traditionnelles, nous vaut peut-être d’ailleurs ce regain de littérature ou d’art plus ou moins cocasse, fondé sur l’absurde. Les grands auteurs comiques puisent déjà leur faculté de faire rire des paradoxes et des conséquences auxquels s’exposent les hommes qui s’efforcent de vivre sans penser à rien d’autre : les hommes à qui la volonté seule fait office de colonne vertébrale. Si l’on veut bien relire Molière, on verra que les portraits qu’il brosse sont tous de types sociaux dans ce cas, non seulement l’Avare ou Scapin. On peut songer aussi au parti que Molière aurait tiré de l’affaire Strauss-Kahn : certainement une comédie plutôt qu’un drame.

    Mais l’absurdité peut aussi prendre la forme du divertissement, en particulier dans les sociétés oisives, et il me semble que c’est le travers dans lequel, par la répétition des gags, Kamagurka tombe. Ainsi, rien de plus absurde qu’un match de football, ou un tournoi de poker, avec ses gagnants et ses perdants, parfaitement conformes en cela à l’existence, et compensant par la multiplication des règles l’absence de sens.

    Il est vrai que Kamagurka ne dissimule rien, dans sa BD, de la contention sexuelle explosive qui pousse le grand supporter blond aryen à s’adonner à ce type de spectacle, faute de pouvoir déployer autrement (en temps de paix) son énergie. J’aurais préféré qu’il brocardât plutôt les intellectuels qui se masturbent sur le football ou le rubgy.

    Zombi (leloublan@gmx.fr)

     Cow-Boy Henk, Kamagurka et Herr Seele, Fremok, 2013 (pour l’édition française traduite du flamand)

  • Hollande et ses 2 femmes***

    La BD de Renaud Dély (scénariste chargé de l'info sur "France-Inter") et Aurel n’est ni un pamphlet, ni 

    webzine,gratuit,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,hollande,ségolène royal,renaud dély,aurel,valérie trierweiler,françois mitterrandune satire comique, contrairement à ce que son titre boulevardier pourrait laisser croire. C’est plutôt un portrait biographique du nouveau président. Je dis «nouveau», bien que François Hollande paraît déjà usé; mais, ce qui s’use à toute vitesse, en réalité, ce ne sont pas tant les hommes que le «marketing» politique et les belles promesses de campagne. Le jour où vous vous rendez compte que le père Noël n'est pas ce que vous croyez, vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous d'y avoir cru.

    Il fallait remplacer le soldat Sarkozy, bien trop amoché par la crise et la contradiction flagrante des martingales libérales par la faillite du système libéral : F. Hollande a su saisir le coche.

     

    Quel homme se cache derrière le discours de pondération radicale du terroir corrézien, qui a permis à F. Hollande de l’emporter ? Cette biographie en BD permet de le découvrir partiellement. Il semble que ses conseillers en com’ n’ont pas eu beaucoup à se creuser les méninges pour faire de Hollande un homme normal, assez sympathique pour cette raison – somme toute un type en conformité avec l’idéal démocratique, comme son prédécesseur était conforme à l’idée de compétition ; comme la vie sociale est bien plus soumise à l’esprit de compétition, Hollande risque d’être accusé de jouer un double jeu (il l’est déjà).

     

    La vie sentimentale du président met un peu de piment dans la sauce, certes, mais pas tant que ça. Le «divorce» (ils ne sont pas mariés, mais « ça revient au même », dit François Mitterrand à Ségolène Royal) entre François et Ségolène était inéluctable: leurs carrières politiques respectives les accaparaient autant l’un que l’autre. F. Hollande trouve en Valérie Trierweiler une assistante plus dévouée. Son "twitter" gaffeur et plein de jalousie prouve qu’elle est, elle aussi, on ne peut plus normale. Pratiquement, malgré sa connaissance des arcanes politiques, madame Royal aurait sans doute été trop encombrante pour F. Hollande.

     

    Tous ces gens normaux, aux prises avec une réalité qui semble les dépasser, ne dirait-on pas qu’il y a quelque chose qui cloche ? Pas forcément : le personnage du politicien fait bien partie de la tragédie, qu’il soit un grand personnage, fin stratège couvert de gloire comme César, soi-disant le descendant de Vénus, ou bien falot et en proie au questionnement existentiel, comme Richard II d’Angleterre ; il fait bien partie de la tragédie, mais le tragédien nous le montre toujours, agissant inconsciemment et comme dans un rêve. La politique est donc toujours décrite dans la tragédie comme un niveau de conscience subalterne. De tous les souverains « inconscients », le peuple est sans doute celui qui l’est le plus. Il ne sait même pas qui l’a couronné, ni où, ni comment, ni pourquoi ?

    Hollande et ses 2 femmes, R. Dély & Aurel, Glénat, 2013.

     

  • L'Etranger***

    Nombre d’écrivains ont tiré de l’absurdité de l’existence, résumée par Shakespeare dans la fameuse webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,camus,l'étranger,gallimard,kritik,jacques ferrandez,algérie,shakespeare,hamlet,houellebecq,meursaulttirade de Hamlet («To be or not to be»), matière à des pièces ou des morceaux comiques. L’absurdité de la condition humaine est bien le sujet de «L’Etranger» de Camus, que Jacques Ferrandez vient d’adapter en BD, mais c’est un constat sec, sans humour, presque animal.

    Meursault, le jeune héros de Camus, tue un Arabe, le lendemain des obsèques de sa mère, moitié par réflexe de défense, moitié par hasard. Son manque de foi étonne et indispose ses juges, qui le condamnent à mort. Meursault, en effet, ne gobe ni l’amour, ni l’ambition professionnelle, ni la religion, ni le mariage, ni l’amitié, rien de tout ce qui excite ses contemporains. Comment s’offusquerait-il de sa condamnation, puisque vivre, en définitive, c’est pour mourir ? L’imperméabilité de Meursault à l’espoir surprend même son confesseur, venu pour le sauver in extremis, et que les condamnés à mort on habitué à plus de crédulité. Meursault avoue bien un peu de crainte devant le couperet, mais pas assez pour changer brusquement sa disposition d’esprit.

    Le roman, quand il parut, choqua les apôtres du socialisme par son athéisme. Il est vrai que je me suis toujours demandé quelle philosophie ou quel humanisme on peut bien déduire des romans de Camus ?

    Cela dit, Camus paraît désormais plus moderne que le socialisme ; la société de consommation a triomphé en quelques décennies des envolées lyriques des derniers poètes socialistes ; s’il reste bien encore quelques militants, qui proposent tantôt de s’indigner, tantôt de protéger la couche d’ozone, ce sont eux qui sont devenus des étrangers, quasiment isolés dans un océan d’indifférence. Le monde est devenu camusien, c’est-à-dire plus ou moins épicurien, cherchant dans les petits plaisirs culinaires ou érotiques de l’existence, si ce n’est un but, du moins un mode de vie. Il y a bien eu le grand projet d’Europe unie contre la guerre, il y a quelques années, mais on peut se demander aujourd’hui qui a vraiment cru sincèrement dans ce machin, hormis quelques technocrates ? Puisque la politique consiste à gouverner au centre, n’est-il pas raisonnable que chacun, pour toute direction, choisisse celle indiquée par son nombril ? Ainsi Meursault, centré sur lui-même, se rattache à la vie. Il est «amoral», parce que la vie est physique d’abord, avant d’être bonne ou mauvaise.

    L’adaptation de Ferrandez est fidèle au roman de Camus ; assez plate, mais la platitude est voulue par Camus. Le dessin coloré et chatoyant fait paraître l’Algérie où évolue notre antihéros, une sorte de paradis infernal, puisque sans réponses aux questions que l’homme ne peut s’empêcher de se poser.  Cette ignorance de l’homme, ou sa conformité à ce qui le détermine, Camus ne l’envisage même pas comme le principal forceps vers la tombe ; peut-être se débarrasser de l’espoir socialiste a-t-il pompé toutes ses forces ? Camus, comme Houellebecq, a un côté lézard.

    Le problème avec littérature épicurienne, c’est qu’elle vaut rarement un bon verre de vin blanc frais quand il fait chaud.

    L’Etranger, Jacques Ferrandez d’après Camus, Gallimard, coll. Fétiche (!) 2013.

  • Journal d'un Corps**

    Il s’agit ici de la réédition chez Futuropolis-Gallimard d’un bouquin de Daniel Pennac, illustré par Manuwebzine,bd,gratuit,zébra,bande-dessinée,fanzine,critique,kritik,journal,corps,manu larcenet,daniel pennac,gallimard,futuropolis,médecine,lucrèce,michel-ange Larcenet.

    La crise économique m’a presque rendu végétarien, ce qui est peut-être la meilleure solution pour vivre plus vieux que l’économie capitaliste, assez comparable à une boulimie de viande. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle je ne suis pas aussi enthousiaste que la plupart des critiques à propos de ce gros bouquin.

    Pennac part en gros de l’idée, qui a pu être défendue comme une véritable religion par certain savant médecin français de renom, que nous sommes entièrement déterminés par nos organes et notre corps. Des êtres de chair en combustion, point à la ligne. L’âme ne serait qu’une façon de donner du style à notre corps, de le «customiser» comme disent et font aujourd’hui beaucoup (la moindre sous -préfecture possède aujourd’hui son artisan-tatoueur), et de sympathiser avec autrui pour l’amener à différents types de rapports.

    Les médecins, les chirurgiens surtout, et les gastro-entérologues aussi, qui plongent les mains dans le cambouis humain toute la journée, sont souvent athées pour la raison que leur besogne les convainc que l’âme finit par faire «pschiitt». Cela rehausse énormément la valeur culturelle d’une entrecôte ou d’un ris de veau (où va ma préférence). Dans le même sens, beaucoup d’hommes perdent, avec l’usage de leur organe préféré, le goût de la vie. Je pourrais citer quelques écrivains très prisés des femmes dans ce cas ; mais j’ai un meilleur exemple : celui d’un écrivain britannique porté sur la bonne chère qui, condamné au dentier par l’âge, commença dès lors de trouver le temps long : il ne pouvait plus manger que de la soupe. Peut-être le supplément d’âme des femmes leur permet-elle de vivre au-delà de l’espérance que procure le corps ? Et, dans ce cas, l’athéisme n’est pas une bonne thérapie.

    Le corps exprime tout, et D. Pennac le fait donc parler des diverses émotions qu’il peut ressentir, et qui se ramènent toutes au plaisir et à la douleur, au partage desquels la société est consacrée, d’une façon aussi inégalitaire que les corps peuvent l’être entre eux, suivant le hasard ou la condition. L’égalitarisme est certainement un animisme, qui défie la biologie.

    La prose de D. Pennac est assez poétique, voire même humoristique, ce qui nous sort un tantinet du déterminisme, car c’est une chose assez inexplicable que l’humour, du point de vue de la médecine. Surtout l’humour de Molière. Je ne parle pas de l’humour qui réconforte, comme un verre de pinard.

    C’est l’excès d’anthropologie qui me dérange un peu chez Pennac et Larcenet. D’ailleurs il est difficile de déguster leur pavé, autrement que par petits morceaux.

    Dans le même genre, convaincu de la bouillie humaine et du retour à la terre définitif de celle-ci, je conseille plutôt le poète Lucrèce. S’il n’y croit pas, Lucrèce est persuadé de l’utilité de l’âme et de la religion dans le peuple, pour des raisons de stabilité politique. A quoi bon vivre si on se sent frustré, ce qui est généralement le ressenti de l’homme du peuple qui besogne toute la journée, à se faire mal ? D’où l’utilité de croire et de faire croire dans les mondes parallèles. Même agréable, la rêverie traduit toujours une frustration du corps. Donc Lucrèce, plutôt que dans la chair humaine, va chercher dans les grands corps constitués de la mère nature -rivières, forêts, montagnes, météorites, astres- le motif d’une poésie plus pure et quasiment ultime.

    Pour ce qui est du style de Larcenet, je ne l’apprécie guère. Je le trouve trop chiadé à mon goût, un peu comme ces femmes ou ces hommes qui, si je peux laisser parler mon corps, mettent trop de maquillage. Le dessin de Michel-Ange, à tout prendre, me semble mieux adapté au discours de Pennac, néanmoins la foi de Michel-Ange dans les hautes sphères. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’âme ou la personnalité, en effet, dans l’art de Michel-Ange, guère apprécié pour cette raison des dévôts, qui décidèrent vite de le rhabiller, tant sa vitalité corporelle paraissait indécentes aux champions de la mort lente ou de la vie vertueuse.

    Maintenant je dois m’arrêter là, puisqu’il paraît que les grandes douleurs sont muettes, et que seuls les petits plaisirs sont bavards.

    (Zombi - leloublan@hotmail.com)

    Journal d’un corps, D. Pennac et M. Larcenet, Futuropolis-Gallimard, 2013.