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pionnier

  • Marco Polo***

    Marco Polo est un peu le saint patron des commerçants & des aventuriers simultanément. C’est une webzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,marco polo,christian clot,didier convard,éric adam,fabio bono,glénat,mongol,gengis-kahn,chine,occident,chrétien,aventure,religion,magie,devisement du monde,merveilles du monde,scénariste,scénario,shakespeare,méthode,histoire,philippe ménard,olivier germain-thomasfigure sympathique du temps où le négoce et les voyages n’étaient pas encore associés à la conquête coloniale, bien que le célèbre voyageur et conteur vénitien soit un pionnier de la «mondialisation». La famille Polo était spécialisée dans le commerce lucratif des pierres précieuses.

    Ainsi que les scénaristes de « Marco Polo – Le Garçon qui vit de ses rêves », nouvellement paru aux éditions Glénat, nous le rappellent dans une documentation complémentaire aux aventures de « Marco Polo », l’authenticité du récit du célèbre voyageur vénitien du XIIIe siècle (« Les Merveilles du Monde ») fut contesté de son vivant, et le reste encore par certains érudits aujourd’hui. Mais l’argument de Christian Clot pour dissiper les soupçons fondés sur les inexactitudes du récit m’a convaincu : « (…) le voyage de Marco Polo a duré près de vingt-quatre ans – dont trois de voyage aller, dix-sept en Chine et trois de voyages retours – sur plus de trente-cinq mille kilomètres (sans compter ceux réalisés durant ses années en Chine). Marco était un adolescent rêveur lorsqu’il est parti, un adulte accompli à son retour. Essayez de vous souvenir avec une exacte précision de tout ce que vous avez fait il y a vingt-cinq ans. Les lieux où vous avez été, les distances parcourues, l’ensemble des personnes rencontrées et des événements survenus sur les plans culturel, politique et autres… Faites-le, bien entendu, sans aucune aide, sans internet, amis ou archives pour vous rafraîchir la mémoire (…) »

    Au demeurant, que ces aventures aient été vécues ou seulement rapportées par Marco Polo, leur récit mentionne des paysages, des peuples, des coutumes et des rois, inconnus de quiconque n’aurait traversé le gigantesque empire mongol de Gengis-Kahn et ses héritiers, jusqu’à la capitale de l’empire, alors en Chine, avant d’en revenir.

    La BD est « librement adaptée » du «Devisement du Monde» et des «Merveilles du Monde» de Marco Polo, parti en 1271 faire du trafic en compagnie de son père et son oncle à l’âge de dix-sept ans. Elle ne s’en écarte que pour combler les lacunes sur la psychologie de Marco Polo (les rapports avec son père) et quelques détails de la sorte, qui mettent du liant dans le récit. Cette fidélité est heureuse et préférable aux scénarios hâtivement construits autour d’un événement historique, qui sert seulement de prétexte à des cavalcades ou des romances qui pourraient aussi bien se situer dans un temps fictif. Pour autant, le côté épique et le rythme n’ont pas été sacrifiés. Shakespeare est la preuve vivante, si je puis dire, qu’on peut faire ouvrage d’historien tout en méprisant les méthodes scolastiques méticuleuses.

    Le scénario souligne les lignes étroits qui unissent le commerce, l’aventure et la religion ; le caractère local de la religion, comme de la musique (les deux mots sont synonymes en grec), explique d’ailleurs que Marco, grand voyageur, se soit forgé sa propre religion, des bribes de cultures exotiques s’additionnant à la culture chrétienne de sa région d’origine.

    Le vif intérêt de Marco Polo pour les inventions techniques, et le rapport que celles-ci entretiennent avec la magie, en raison des pouvoirs extraordinaires que les inventions confèrent à leurs premiers inventeurs, est également illustré. Cela explique d’ailleurs que, en dépit de la logique rationaliste fréquemment mise en avant dans la technocratie moderne, le merveilleux ou la magie n’est jamais très loin. Le discours rationaliste lui-même est magique du point de vue de celui qui n’y a pas été initié. Ce type de rationalisme (il y en a plusieurs) n’est guère qu’une manière pour l’Occident d’affirmer son avance culturelle sur le reste du monde, ce à quoi Marco Polo ne songeait pas. L’Occident chrétien va alors chercher en Orient un allié contre le monde musulman.

    Le dessinateur, Fabio Bono, compatriote de Marco Polo, est influencé par le dessin de manga japonais, ce qui est en l’occurrence une coïncidence plutôt heureuse.

    NB : les scénaristes citent notamment en référence "Marco Polo, à la découverte de l’Asie", de Philippe Ménard (Glénat, 2009) et Marco Polo, d’Olivier Germain-Thomas (Folio, 2010), ainsi que les ouvrages de Marco Polo.

     

    Marco Polo - Le Garçon qui vivait de ses rêves, par Christian Clot, Didier Convard, Eric Adam et Fabio Bono, éd. Glénat, oct. 2013.

  • D'Air pur et d'Eau fraîche****

    Voici un petit "western de pionniers" brutal et sauvage comme je les aime, non par goût de la brutalité fanzine,bd,zébra,bande-dessinée,critique,kritik,d'air pur et d'eau fraiche,pero,boîte à bulles,western,nietzsche,bernanos,thoreau,fourier,tocqueville,pionnier,trappeur,charybde,scylla,ulysse,homèreet de la sauvagerie, mais par goût du réalisme.

    Le malaise social moderne, imputable à l’esclavage industriel et à la mécanisation des rapports sociaux, a suscité en réaction tout un art et une philosophie pour tenter de contrecarrer les effets de l’oppression. Ces réactions sont aussi variées que contradictoires entre elles, puisqu’on peut regrouper sous ce motif aussi bien Nietzsche que Bernanos, mais encore Tocqueville, Fourier, Thoreau, l’écologisme, etc.

    Chacun a une idée différente des causes de l’oppression moderne et des remèdes à y apporter. Si Nietzsche et Bernanos s’accordent sur le mépris du libéralisme et de la démocratie, en revanche ils s’opposent sur le christianisme ; Nietzsche l'accuse d'être responsable du libéralisme et de la démocratie, tandis que Bernanos voit le système technocratique moderne comme un mouvement néo-païen, tel que le nazisme se vanta d'être.

    Plus rares sont les penseurs ou les artistes qui, également préoccupés par l’oppression ou la décadence,  observent que la société, du coït le plus primitif jusqu’aux œuvres d’art les plus sophistiquées ou grandiloquentes, ne fait somme toute que refléter la nature ou l’imiter. Sur ce point, les nostalgiques du bonheur antique – citons Nietzsche encore une fois – n’ont sans doute pas tort d’observer que l’imitation était plus consciente dans l’Antiquité, et par conséquent plus respectueuse et mieux maîtrisée. La démocratie est un exemple concret d’abstraction juridique ou d’invention pure, sans rapport avec le déterminisme des choses naturelles, le rapport de force biologique permanent. A cet égard, la concurrence économique libérale est, certes, une formule plus bestiale, mais moins artificieuse. On devine que la démocratie répond surtout au besoin de l’élite de promettre aux opprimés de la terre des lendemains meilleurs.

     Et c’est là où je voulais en venir, après une parenthèse dont on me pardonnera, je l’espère, la longueur et les références un peu pompeuses. Car sous le titre de cette BD, «D’air pur et d’eau fraîche», dont on comprend l’ironie après quelques pages seulement, se cache le petit récit bien rythmé, sans paroles, de l’existence d’un jeune trappeur dans le Grand Ouest américain ; trappeur, donc prédateur, mais en fait lui-même en proie à toutes les sortes de dangers naturels ou mystiques, balloté de Charybde en Scylla, s’écorchant sur l’une, avant, à peine cautérisé, de se faire dévorer un membre par l’autre. Victime de bout en bout, de la nature sauvage qui le consume à petit feu d’une part, et de la société d'autre part, qui ne fait que rajouter un peu d’huile sur le feu. Notre trappeur se démmerde comme il peut ; il ignore le chenal, contrairement à Ulysse, doté par Homère du super-pouvoir de la sagesse.

    Les imprudents qui se nourrissent d’espoir risquent de bouder ce western en noir et blanc de Pero, entièrement dépourvu de cet ingrédient (celui qu’on retrouve au fond, tout au fond du vase de Pandore) ; ou bien encore, séduits par le dessin, simple et proche du croquis, ils le prendront pour un récit réaliste, du temps révolu de la fondation de l’Amérique, où les hommes se dévoraient entre eux, dans un cadre naturel aussi somptueux que terrible. Ils auraient tort. Le désespoir est essentiel à l’homme. La preuve, sans le désespoir, l’humour n’existerait pas : il n’y aurait que la morale ou la politique. Sans le désespoir, il n’y a qu’à se branler sur une toile et c’est de l’art.

    Pero, éds. Boîte à Bulles, 2012, 14€

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)