Je ne pensais pas dépasser les trois premières pages de ce panégyrique en BD de Jean-Claude Fournier par Joub et Nicoby. Dessinateur breton,
Jean-Claude Fournier est surtout connu pour avoir pris la suite de Franquin et dessiné «Spirou» pour le compte de Dupuis pendant dix ans.
D’abord parce qu’étant gosse, Spirou était la dernière chose à laquelle je m’intéressais en BD. Je ne voyais que la monstrueuse ingéniosité du dessin de Franquin, imité par Jean-Claude Fournier (idéal esthétique de la famille Dupuis). J’étais trop jeune pour comprendre à quel point cette laideur est le reflet du temps, bien plus que le style dopé à l’ecstasy de Hergé; j'étais encore moins capable de cerner que Gaston Lagaffe incarne l’homme moderne, peu résolu à des tâches aussi vaines qu’ingrates, et qui se résument presque toutes à la recherche du temps perdu (ce rapprochement du bricolage et de l'existentialisme fait de Franquin un précurseur de Houellebecq).
Le questionnement autour de la mélancolie du dessinateur de BD est un peu incongru ; on peut se demander plutôt à quelle sorte de réalité se raccrochent les auteurs de BD ? Par quoi ou pourquoi ils tiennent à la vie ? Question valable pour tous les professionnels qui produisent des choses impalpables, d’ailleurs, tant l’homme a besoin de palper pour vivre et se sentir vivant.
De plus je n’ai pas aimé «Gringos Locos», sur le trio Jijé, Morris et Franquin, tentative similaire à celle de Joub et Nicoby. A cause de son côté «vintage» belgicain.
La gageure de faire la bio d’un auteur de BD en BD est remportée au contraire par Joub et Nicoby. Au-delà du personnage de Fournier, presque aussi truculent que Jijé, et à qui il ne manque que d’être catholique pour être tout à fait baroque, un éclairage intéressant est apporté sur la bande-dessinée franco-belge et ses méthodes révolues.
Certains auteurs de BD le font parfois observer, au détour d’une interview : la bande-dessinée est un art moins conventionnel ou psychorigide que le cinéma ; ce dernier consiste essentiellement à mettre les nouvelles technologies industrielle au service du divertissement de masse ; tandis que l’industrie de la BD laisse une part assez large à artisanat, très astucieusement accordée par ses producteurs. La BD n’est pas moins moderne que le cinéma, mais c’est une autre modernité, circonscrite à la Belgique et au public enfantin, tandis que le cinéma joue un rôle de propagande à l’échelle nationale, voire continentale. Et puis les acteurs de cinéma ignorent qu’ils n’existent pas, ou que leur vie est un mensonge ; tandis que les personnages de BD le savent, eux.
A travers les différentes séquences de la carrière de Fournier, promu grâce à Franquin, par ailleurs pressé de se débarrasser du «groom» Spirou, ses biographes nous permettent de comprendre la méthode belge, qui oscille entre la recherche de profit, le souci de ne rien diffuser de politiquement incorrect - et enfin, dernier point qui fait toute la différence : la confiance accordée aux dessinateurs et aux scénaristes. Confiance typiquement wallonne ou bruxelloise, qui consiste dans le respect du travail artisanal. De là dérive presque exclusivement la reconnaissance dont bénéficièrent les auteurs de BD en Europe. Les bourgeois Dupuis veulent entretenir avec leurs artistes les rapports que Jules II entretenait avec Michel-Ange, ou plus exactement les bourgeois d'Amsterdam avec Rembrandt, qui tînt d'ailleurs un atelier dont celui de Jijé (Joseph Gillain) fut presque le décalque. Et non les traiter en simples employés besogneux, conscients que ce type de rapport est une nette plus-value.
Le caractère pompeux et institutionnel de la culture, en France, ne l’aurait pas permis. La méthode française pour contrôler les artistes, c’est d’en faire des fonctionnaires. La méthode belge est beaucoup plus habile: elle consiste à laisser croire aux auteurs qu’ils sont libres, et, de fait, les presser un peu plus, tout en leur accordant une marge de manœuvre plus grande, ce à quoi les artistes tiennent d'abord, avant la sécurité de l’emploi.
Une question cependant à laquelle le bouquin ne répond pas, et qu'on peut de poser, c'est de savoir si Franquin n'a pas tout orchestré de la reprise de "Spirou" par Fournier, de a à z ? Au contraire, affirme Jean-Claude Fournier, qui se décrit comme un type naïf et sincère, Franquin lui aurait déconseillé d'accepter la reprise d'une série aussi pesante. Mais Franquin savait très bien que Fournier ne pourrait pas refuser l'offre de Dupuis.
Dans l'atelier de Fournier, par Joub et Nicoby, Dupuis, 2013.
Comme quoi il n’y a pas forcément besoin d’aller jusqu’en Afghanistan ou en Palestine pour trouver des sujets brûlants; il suffit de pénétrer dans les coulisses de la société, derrière une série de lourdes que l’on déverrouille au fur et à mesure sur le passage du prof. Du prof quasi-missionnaire, car on se doute bien qu’il ne s’agit pas de donner des leçons de BD académiques.
saccadé façon cinéma muet de Charlie Chaplin ou Buster Keaton, sa naïveté rafraîchissante, et vous aurez une idée du bouquin.
exerça d’abord avant celui de journaliste, guidant de grandes barges dotées d’une roue et leur fret sur le fleuve Mississippi ; ou se frayant un passage, plutôt, faudrait-il dire, au gré des crues et des décrues d’un fleuve, alors encore capable d’engloutir une ville entière, et de redessiner le pays. La profondeur de deux brasses («mark twain !») est une cote que gueule le guetteur, utile pour ne pas s’échouer sur un banc.
album façon manga de Bastien Vivès, emballé dans une pochette surprise. La BD au niveau de la branlette, quoi. Ceux qui font un effort pour, au contraire, la tirer de l'infantilisme, apprécieront... En parlant d'infantilisme, il vaut mieux se méfier des adultes que des gosses eux-mêmes.