(Une par Zombi)
reiser
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Fanzine n°100 - Avril 2022
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Revue de presse BD (437)
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- Au programme cette semaine : 1. La Caricature dans l'Art par Bertrand Tillier ; 2. Une grosse commission sénatoriale de plus (sur la concentration des médias entre les mains de quelques marchands de canons et autres ustensiles nocifs) ; 3. Kroll et la Zélinskimania ; 4. Reiser et les cons qui votent.
(éd. Hazan) Illustration de couverture par James Ensor (détail de "Les bons Juges")
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Revue de presse BD (367)
Dessin (maladroit) de Biche dans "Charlie-Hebdo" - 2 sept.
+ Les frères Kouachi, assassins des caricaturistes de "Charlie-Hebdo", ont été liquidés par la police, ce qui ne n'empêche pas la justice française d'organiser un très médiatique et très politicien procès.
Dans un numéro revanchard, spécialement consacré à ce procès (2 sept.), Philippe Lançon (grièvement blessé lors de l'attentat) ose espérer que le procès apportera des... explications (!?). Comment un hebdomadaire plutôt anticolonialiste, d'abord contre la guerre d'Algérie, puis celle d'Irak, a-t-il pu finir par se rallier à la politique du Pacte atlantique et ses méthodes... expéditives ? Voilà qui mériterait en effet une explication.
Le dessin (ci-dessus) de Biche est particulièrement maladroit, parce qu'il suggère une connivence entre la puissance financière de Manhattan et le minuscule "Charlie-Hebdo".
Et suis-je le seul à trouver que "Charlie-Hebdo" s'est "gentrifié" depuis Cavanna et Choron, pour parler pudiquement ? Sans doute pas.
- Curieusement la rédaction de "Charlie-Hebdo" éprouve plus de rancune vis-à-vis de ceux qui, à gauche, les auraient trahis (E. Plenel, E. Todd, Delfeil de Ton...) que vis-à-vis des frères Kouachi.
Quand on n'aime pas les traîtres et la trahison, mieux vaut ne pas s'avancer sur le terrain de la politique (cette leçon est déjà dans Shakespeare).
Dans sa double page sur "Les charognards du 7 Janvier 2015", "Charlie" cite le rappeur Abd Al Malik : "lorsqu'on défend la liberté de la presse, (...) il ne faut pas oublier le rapport de force entre celui qui l'exerce et celui qui la subit." N'est-ce pas parfaitement résumer l'affaire des caricatures de "Charlie-Hebdo" ?
- "Résilience" est un mot que je déteste." : cette citation de Cabu comme pour rappeler que "Charlie-Hebdo" fut naguère "à contre-courant" médiatique. La "résilience" n'est rien d'autre que l'état d'esprit des citoyens d'un régime totalitaire dont les médias diffusent en boucle le fameux slogan : "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles."
Picasso dans un dessin d'humour (de Maurice Henry).
+ Retour sur l'expo. (peu fréquentée pour cause de paranoïa nationale) "Picasso et la BD" (jusqu'au 3 janvier au musée Picasso à Paris) ; dans "Le Figaro" (1er sept.), Etienne Sorin explique que l'expo. joue surtout sur la sympathie entre Picasso et la BD, nés en même temps.
Picasso appréciait particulièrement le genre du "comic strip" (le plus "pur").
De leur côté, les auteurs de BD n'ont pu manquer de faire référence au pape de l'art moderne (de E.P. Jacobs à Gotlib en passant par Maurice Henry).
Il reste que l'art de Picasso, qui repose surtout sur le dessin, est le plus éloigné de la bande dessinée, dans lequel le dessin compte peu. Le récent succès d'un Riad Sattouf le prouve encore, car il s'agit d'un succès surtout "littéraire". "Peanuts" est un chef-d'oeuvre littéraire, non plastique ; idem pour "Calvin & Hobbes".
Pour cette raison, il est plus juste de rapprocher Reiser de Céline que de Picasso ; Reiser et Céline sont tous deux "géniaux" : l'un réinvente la manière de faire de la caricature, l'autre d'écrire des romans. Picasso est d'abord et surtout un travailleur acharné, de 7 à 77 ans.
+ Il aurait eu cent ans cette année ; on peut définir le poète satirique Charles Bukowski comme un pavé dans la vitrine du rêve américain, ou encore comme le seul musicien de rockn'roll authentique.
La misogynie de "Hank" Bukowski lui est comptée comme un péché, mais pas son alcoolisme ; pourtant, qu'est-ce qui traduit mieux que l'alcoolisme la violence de la société américaine, latente ou intériorisée, qui n'attend qu'une étincelle pour éclater en pogroms ?
En lisant Bukowski, on comprend que l'enfer est le terminus de la civilisation occidentale.
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Revue de presse BD (291)
+ Certains lecteurs de la presse satirique expriment la nostalgie du temps où Cabu, Wolinski, Reiser, Siné,
Gébé, dessinaient encore, et déplorent la fadeur de la presse satirique actuelle. D'autres rétorquent qu'il y a encore de très bons dessinateurs en activité.
La question du niveau technique des uns et des autres est sans doute secondaire ; on peut tout de même dire que le talent de reporter de Cabu est supérieur ; quel caricaturiste est capable de caricaturer, non pas seulement telle ou telle grosse légume, mais une ville entière et ses habitants, comme Cabu l'a fait avec Paris ?
Il faut d'abord tenir compte d'un contexte politique -la Ve République-, particulièrement défavorable à la liberté de la presse. Certains signes ne trompent pas, comme la rapidité et l'efficacité des pouvoirs publics, de gauche comme de droite, à colmater les brèches dès qu'il y en a - naguère les radios libres, aujourd'hui internet.
Par conséquent l'aventure de "Charlie-Hebdo" est unique et implique une audace exceptionnelle de la part de ses inventeurs, Cavanna et Choron - non seulement du talent.
La différence entre la première mouture de "Charlie-Hebdo" et la seconde est celle qu'il y a entre Elvis Presley et Johnny Hallyday, c'est-à-dire entre la contre-culture et la contre-culture digérée et assimilée par la culture dominante et ses "intellos de service", jouant le rôle d'enzymes gloutons.
Ce n'est pas seulement rendre hommage aux pionniers que de souligner cette différence entre eux et leurs héritiers : cela permet de mieux comprendre la manière dont la culture bourgeoise se défend contre les attaques dont elle est la cible.
+ Après Catherine Meurisse, Patrick Pelloux, c'est au tour de Luz et Philippe Lançon, choqués ou grièvement blessé par la fusillade à la rédaction de "Charlie-Hebdo" de publier leurs témoignages. A croire que les gens heureux n'ont rien à dire...
Philippe Lançon (journaliste à "Charlie" et "Libération") vient de recevoir le prix Fémina pour "Le Lambeau", récit de sa pénible convalescence. Il s'est déplacé pour recevoir le prix en mains propres. A en croire P. Lançon : "L'esprit critique (...), la caricature, tout cela est bien vivant". Cela sonne un peu comme un "Allahou Akbar !" germanopratin.
A propos de "Le Lambeau", le club des lectrices (en décolleté) du "Figaro" a rendu son verdict.
Yves Chaland vu par C. Berbérian.
+ Les BD d'Yves Chaland, auteur du "Jeune Albert", en disent plus long sur la BD franco-belge qu'une longue thèse fastidieuse et hagiographique. Suivant le procédé du pastiche qui consiste à caricaturer le style d'un auteur, Y. Chaland souligne les stéréotypes d'un genre destiné aux enfants, dont Hergé est considéré comme le maître.
Chaland se plaît ainsi à souligner le décalage radical avec la réalité de ces récits ; c'est probablement ce qui plaît aux jeunes enfants, mais on peut s'interroger sur l'intention des adultes qui ont conçu cette culture et sa portée éthique.
Chaland souligne aussi, avec son trait de designer automobile, plus maniaque encore que celui de Hergé, l'arrière-plan industriel de cette culture. Chaland n'a pas été publié dans "Métal Hurlant" pour rien !
TV7 Bordeaux diffuse un long documentaire sur Yves Chaland (2018). En dépit du ton proustien ou dévot d'Avril Tembouret, son auteur, ce documentaire éclaire plusieurs aspects de la personnalité et de l'oeuvre de cet auteur, via ceux qui l'ont côtoyé ou qu'il a influencés (F. Margerin, F. Avril, C. Berbérian, Zep, B. Poelvorde...).
On pourrait croire en le lisant que Yves Chaland tente de s'évader de la BD et de son horizon fictif.
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Revue de presse BD (288)
+ "Les Droits de l'Homme sont les droits de l'Homme égoïste." Karl Marx (1843)
Entre autres choses, l'historien communiste avait prévu les noyades de migrants par milliers aux portes
d'une Europe drapée dans la tartuferie humaniste.
L'hebdomadaire "Spirou" s'efforce de raviver la flamme en publiant un n° spécial "Droits de l'Homme" en concertation avec l'ONU, institution dont le génocide au Rwanda restera (à jamais ?) comme le symbole de l'impuissance.
Depuis son lancement, le magazine belge est un magazine de promotion de la culture bourgeoise belge, dont la fabrication semi-artisanale a permis d'éviter l'excessive fadeur des produits de très grande consommation (comme les mangas japonais ou les "comics" américains).
+ Comme il y a un avant et un après Céline dans la littérature du XXe siècle, il y a un avant et un après Reiser (1941-1983), imité par la génération suivante des dessinateurs de presse comme un seul homme ou presque.
Un documentaire tiré des archives de la télévision belge, en grande partie filmé sur la plage de Blankenberge (près d'Ostende) en 1976, dévoile en partie la technique, et donc le style de Reiser.
La laideur de son dessin et de ses personnages n'est pas seulement un parti-pris comique: Reiser schématise pour souligner l'expression juste ; il ne corrige pas son dessin pour conserver la spontanéité du premier jet. Reiser est un peintre réaliste avant d'être un styliste.
La civilisation des loisirs, illustrée ici par la station belge de Blankenberge mais répandue dans toute l'Europe, fait les frais de l'ironie du dessinateur satirique.
+ Banksy, auteur de graffitis plus ou moins subversifs peints sur les murs de grandes villes du monde entier, a tenté de détruire l'une de ses oeuvres qui venait d'être adjugée un peu moins d'un million d'euros à Londres ("La Fille au ballon").
Soupçonné d'avoir voulu attirer l'attention sur lui par cette mise en scène, Banksy a ensuite cherché à prouver sa bonne foi en montrant qu'il était prévu que son dessin au pochoir soit entièrement détruit (et non en partie seulement).
Il y a quelque temps, Banksy avait déjà organisé une distribution gratuite de ses oeuvres afin de court-circuiter les marchands d'art.
Cette affaire illustre la capacité de la culture dominante à absorber les contre-cultures contestataires et les digérer.
Peints par Banksy lors d'un récent séjour à Paris, "Porte de La Chapelle" où sont regroupés les migrants de sexe masculin, quelques graffitis dont le graffiti ci-dessous ont déjà été recouverts.
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Revue de presse BD (275)
Dessin de Presse par Bobika ("Siné-Mensuel")
+ L'anniversaire de "Mai 68" ne déclenche pas seulement des railleries "à droite", chez les héritiers du "gaullisme", mais encore de la part de certains militants de gauche ulcérés par le libéralisme de Daniel Cohn-Bendit, figure du mouvement estudiantin qui cautionne aujourd'hui la politique d'E. Macron.
On peut dire que "Charlie-Hebdo" a connu la même évolution que Cohn-Bendit; sans l'attaque de sa rédaction au fusil d'assaut, qui lui a conféré un nouveau statut médiatique international, "Charlie-Hebdo" ne serait sans doute plus qu'une icône vieillie, le symbole d'une époque révolue.
Il convient aussi de mentionner l'ironie précoce de Reiser vis-à-vis de "Mai 68" ; le Pr Choron et Marcel Gotlib ("Fluide Glacial") le rejoignaient sur ce point, qui avaient en commun d'être issus de milieux très modestes et de n'avoir pas pu faire d'études supérieures. De leur point de vue, le militantisme politique était un luxe qu'ils ne pouvaient pas se permettre.
+ Quand on cite G. Orwell en 2018, on se fait traiter de militant de droite (sur
les réseaux sociaux). C'est sans doute le pessimisme d'Orwell qui le fait passer pour un "essayiste de droite". On ne devrait pourtant pas s'étonner qu'un essayiste marxiste s'efforce de désillusionner ses lecteurs (ci-contre éd. française 1969 de "1984").
G. Orwell faisait observer combien le militantisme politique nuit à la satire, et par conséquent à la "liberté d'expression", slogan creux n'en déplaise aux auteurs de "Le Pouvoir de la Satire" (Dargaud, 2018), BD didactique à ranger au rayon des ouvrages pieux républicains.
Le plus agaçant dans cet ouvrage est la récupération au profit d'une thèse de caricaturistes qui ne sont pas ou peu "républicains", voire antirépublicains comme Gustave Jossot.
+ Le journaliste belge Didier Pasamonik a tenu à défendre la récente adaptation de Gaston Lagaffe au cinéma contre la "bigoterie" de ceux qui estiment l'oeuvre culte de Franquin trahie : "Gaston Lagaffe de PEF est un bon film, drôle, bien écrit, malin dans l’adaptation, respectueux mais pas béat, soucieux d’abord de bien caractériser les personnages et de les mettre dans des situations comiques cohérentes. Le jeu des acteurs en particulier est très réussi."
La fille de Franquin semble particulièrement visée par D. Pasamonik, qui compare la réception de ce film à la "Bataille d'Hernani" - pas moins.
Ce spécialiste de la BD doit pourtant savoir que l'humour de Gaston Lagaffe tient largement au rythme de ses gags, impossible à transposer au cinéma. Rarement nanard n'aura été défendu avec autant de conviction !
+ Emmanuel Macron, lors d'un voyage diplomatique, a gratifié la femme de son homologue australien d'un "delicious wife" sexuellement connoté ; ce lapsus a valu au chef de l'Etat d'être comparé à "Pépé le Putois" par la presse australienne. Il s'agit d'un personnage de "cartoon" américain ("Looney Tunes"), s'exprimant avec un fort accent français ou italien. Or Pépé le Putois se distingue par ses moeurs de harceleur sexuel.
Le "Daily Telegraph" de Sydney aurait-il osé s'en prendre ainsi à de Gaulle ?
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Si Doux Foyer
Déclinaison de l'acronyme SDF par Le Borgne en une trentaine d'épisodes humoristiques publiés
d'abord dans l'hebdo "Fluide Glacial".
Le dessin de Reiser a beaucoup été imité, pour le meilleur et pour le pire. Le Borgne prolonge aussi l'esprit satirique de Reiser, abordant le problème de la misère à Paris sans tomber dans l'apitoiement sentimental.
L'ambiguïté du principe de "solidarité sociale" est résumée dans les paroles de l'hymne des "Restos du coeur" : "Quand je pense à toi, je pense à moi." Cette ambiguïté explique la relative tolérance des Parisiens vis-à-vis des SDF qui hantent les rues et le métro, plus nombreux depuis le "krach" capitaliste de 2008: le cadre dynamique en pleine ascension d'une carrière abrupte est conscient qu'il pourrait dévisser ; pas sûr d'ailleurs que l'on soit aussi tolérant dans des villes plus puritaines et féministes, car le SDF éructe parfois de façon inquiétante, et siffle même parfois les filles pour tuer le temps.
Or Le Borgne montre bien le SDF tel qu'il est : à la fois très loin et très proche du citoyen lambda "bien inséré socialement". Démocrite (IVe siècle av. J.-C.) rapprochait la misère de la trop grande richesse, en montrant que cette dernière n'est pas moins "un état de nécessité" ; autrement dit : un état d'insatisfaction permanent impropre à la jouissance.
Chacun voit assez bien que la misère du SDF est la rançon de l'esprit de compétition économique. On le reconnaît d'autant mieux que cette misère, qui a considérablement diminué dans la partie occidentale du monde au cours des derniers siècles, persiste de façon résiduelle dans les pays dits "développés". Elle persiste donc évidemment comme un "dommage collatéral".
Certains béni-oui-oui s'étonnent que l'immense richesse amassée par l'Occident ne soit pas divisée en parts égales: - comment l'esprit de compétition illimité pourrait-il aboutir à l'abolition de la cupidité d'où vient son impulsion ?
Béni-oui-oui, cette BD de Leborgne ne l'est pas ; mais peut-être seulement un peu dépassée, car on voit se multiplier dans Paris une nouvelle espèce de SDF, venus du tiers-monde pour participer aux jeux olympiques du profit, où tous les coups sont permis.
Si Doux Foyer, par Leborgne, Ed. Fluide-Glacial, 2010.