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occident

  • Barbarie occidentale

    Le nettoyage ethnique de la bande de Gaza me scandalise mais ne me surprend pas. Je suis de la génération sous les yeux de laquelle un demi-million d'Irakiens ont été éliminés par la diplomatie américaine ; ça ne s'est pas fait d'un seul coup, mais en quelques années.

    Il faut dire "diplomatie", car les soldats formés à manier le fusil-mitrailleur et qui montent à l'assaut des Sarrasins en écoutant de la musique "métal" ne font qu'obéir à des diplomates en cols blancs.

    Quand je dis "sous les yeux", je veux dire sous l'oeil de la caméra et les images de CNN retransmises avec une voix "off" pour vous expliquer quoi penser."Frappes chirurgicales" : les journalistes parlaient déjà couramment la langue pure, expurgée des lambeaux de chairs.

    - Si tu n'aimes pas l'Occident, quitte-le !, me disait l'autre jour un type persuadé comme Philippe de Villiers d'être un rempart de la civilisation, ou quelque chose dans ce goût de carton-pâte. Impossible de quitter l'Occident, mon vieux, car le monde est entièrement occidentalisé, désormais. Le Français se confine comme le Chinois ou le Néo-Zélandais, et on a bien du mal à distinguer un flic russe d'un flic allemand ou iranien. Même le taliban, à force de penser, de respirer, de manger et de baiser contre l'Occident, finit par être occidental - une forme du syndrome de Stockholm, mâtinée de résilience.

    Je me souviens, j'avais un ami d'enfance, à peine plus âgé que moi, qui commandait un char dans le désert. Il m'a raconté à son retour des choses, le genre que la télé ne montre pas. - C'était pas une guerre, les Irakiens ont les terminait à la grenade dans leurs trous après le passage des chasseurs. Une sommation, et puis "hop", un, deux, trois, grenade !

    Si on montrait les choses aux foules sentimentales qui constituent la base des sociétés barbares, ça serait tout de suite beaucoup plus compliqué ; c'est le principe même du journalisme tel que l'a théorisé Goebbels, mais que l'Allemagne n'a pas eu le temps d'appliquer. Chaque fois que le Hamas publie une photo de gosse palestinien mutilé par une bombe, Israël doit répliquer en publiant une photo de femme israélienne violée. Le choc des photos est aussi important que, pour un soldat, d'embarquer avec lui le nombre de chargeurs nécessaire. Les réseaux sociaux ne doivent surtout pas fonctionner comme un moyen d'information.

    D'abord, je voulais intituler ce billet : "De la Shoah à Gaza", mais ce serait la dernière des conneries d'incriminer Hitler et Nétanyahou, de les rendre seuls responsables de massacres dont la cause se situe en amont. C'est exactement la même chose que d'accuser les flics de violences policières et d'épargner les préfets donneurs d'ordre. La haine entre Israéliens et Arabes ne date pas d'aujourd'hui ; elle couve depuis longtemps. Donc en pointant du doigt Nétanyahou ou le Hamas, on oublie tous ceux qui les ont laissés monter en température.

    Aucun des rares intellectuels occidentaux qui ont pensé contre la barbarie occidentale n'a fait ça - désigner un coupable. G. Orwell a pris une balle franquiste dans la gorge, et ça ne l'a pas rendu "antifa". Les communistes ont tenté de le liquider, mais ça ne l'a pas rendu anticommuniste.

    Hannah Arendt a subi des pressions parce qu'elle ne désignait pas un coupable mais un système, consistant pour un haut fonctionnaire à obéir aveuglément aux ordres de l'Etat de droit (l'Etat totalitaire se présente  toujours comme un "Etat de droit", jamais comme une junte ou une oligarchie). Elle a tenu bon.

    Pour ramener la paix, la jeune génération devra être moins bestiale que celles qui l'ont précédée - ça ne devrait pas être bien difficile.

  • Tintin au pays des Philosophes

    On a déjà évoqué ici la tintinophilie galopante, contre laquelle aucun vaccin ne semble efficace, sauf, peut-être, les mangas ?

    Reconnaissons tout de même à Tintin un mérite : il permet de mettre sur lOccident un visage, de se figurer ce quil est devenu au XXe siècle.

    La tintinophilie est aussi une philosophie ; en pionnier, Michel Serres épata Hergé avec leswebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,critique,philosophie,magazine,occident,tintin,milou,michel serres,pascal bruckner,hergé,philippulus,schopenhauer,étoile mystérieuse,université,prophète prolégomènes de ses albums ; ainsi Hergé faisait-il de la philosophie à linsu de son plein gré, comme Monsieur Jourdain de la prose. Ny a-t-il pas une manière de Tintin de causer avec Milou qui évoque Schopenhauer ? Depuis, accélérée par la chute du Mur de Berlin et la déstalinisation de lUniversité, sest formée autour de « Tintin & Milou » une sorte d'Ecole (de pensée) ; elle a produit «Tintin au pays des philosophes» (éd. Philosophie magazine, 2010).

    Lessayiste Pascal Bruckner, qui enseigna à Sciences-po. et cultive avec les Lumières un lointain rapport, y commente l’épisode du prophète Philippulus dans « LEtoile mystérieuse », « étrange vieillard vêtu dun drap blanc et muni dune longue barbe », qui annonce la fin du monde :

    « () il [Philippulus] me paraissait illustrer, à sa façon, le message masochiste dune certaine philosophie occidentale depuis un demi-siècle. Mais Philippulus, le prophète fou, jouit sous nos climats dune innombrable postérité : écologistes radicaux qui nous annoncent la disparition imminente de la planète, gauchistes qui prédisent leffondrement du capitalisme et de la consommation, imprécateurs et nihilistes divers qui pleurent sur la disparition de l’école, de la culture, de la nation, du bon sens, fondamentalistes chrétiens, juifs ou musulmans qui maudissent nos sociétés débauchées et en appellent au châtiment de Sodome et Gomorrhe, et jen passe. Quand devient-on un Philippulus ? Quand on substitue à une inquiétude légitime une réponse mécanique et systématiquement catastrophique ; quand on cède à la paresse de la pensée qui se met à ânonner « tout est foutu » au lieu de réfléchir et daffronter les défis qui se présentent. »

    Soit. Mais l’optimisme béat de Tintin n’est-il pas encore plus crétin ? Sa candeur juvénile que l’expérience n’altère jamais et projette dans toutes les directions de la planète, jusque dans la lune, comme une boule de flipper, ne provoque-t-elle pas, en réaction, les fatwas de tous les Philippulus de la terre ulcérés ? Est-ce que la philosophie ne commence pas où s’arrête l’optimisme, selon Voltaire ?

  • L'Arabe du Futur***

    Riad Sattouf est surtout connu pour plusieurs bandes-dessinées et films où il brocarde les travers et ticswebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,riad sattouf,charlie-hebdo,réactionnaire,lepéniste,occident des « jeunes d’aujourd’hui », les bobos comme ceux issus de l’immigration. Dans ce nouvel opus, «L’Arabe du Futur», au titre « accrocheur », R. Sattouf raconte ses souvenirs d’enfance, dans un style simple et direct, auquel son trait caricatural ajoute une touche comique.

    Né d’un père Syrien, prof de fac, et d’une mère bretonne, femme au foyer, Riad Sattouf a pas mal bourlingué en raison des différentes affectations de son père, en Libye, puis en Syrie, faisant escale entre deux postes au Cap Fréhel en Bretagne où sa grand-mère maternelle résidait. Dans ce premier tome paru aux éditions Allary, le petit Riad n’est encore qu’un nourrisson, puis un bambin métis dont la blondeur surprend au Moyen-Orient. L’auteur évoque donc surtout son père, personnage principal de cette « tranche de souvenirs » ; exilée dans des pays dont elle ne connaît pas la langue et les coutumes, et peut-être aussi du fait d’une personnalité moins exubérante, sa mère se trouve plus en retrait.

    Disons quelques mots des idées morales et politiques du paternel de Sattouf, puisqu’elles orientent son vouloir et sa carrière, et que celui-ci entraîne femme et enfants derrière lui. Pour résumer, le père de Riad Sattouf est une sorte de lepéniste arabe ; il estime les Arabes capables de rattraper leur retard sur l’Occident, et qu’une période de dictature est le meilleur moyen pour ce faire, suivant l’évolution que la France a elle-même connue, ou la Russie encore plus récemment. M. Sattouf père accorde à l’école une grande importance dans la course au progrès. Benjamin dans sa famille syrienne aux valeurs frustes, cette position lui a permis d’être le seul de sa famille à pouvoir aller à l’école.

    Bien que de confession musulmane, M. Sattouf n’est pas croyant et a vis-à-vis de la religion l’attitude qu’on peut avoir vis-à-vis d’un folklore que l’on estime dépassé. En toute bonne logique, ses modèles politiques sont, Saddam Hussein, le plus occidental des dictateurs arabes, et Kadhafi (qui a davantage joué de l’apologie du continent africain, et même de la race noire). On sait que ces despotes furent adoubés par les démocraties occidentales pour la raison qu’ils développaient des Etats laïcs en principe « avant-gardiste ». (...)

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  • Marco Polo***

    Marco Polo est un peu le saint patron des commerçants & des aventuriers simultanément. C’est une webzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,marco polo,christian clot,didier convard,éric adam,fabio bono,glénat,mongol,gengis-kahn,chine,occident,chrétien,aventure,religion,magie,devisement du monde,merveilles du monde,scénariste,scénario,shakespeare,méthode,histoire,philippe ménard,olivier germain-thomasfigure sympathique du temps où le négoce et les voyages n’étaient pas encore associés à la conquête coloniale, bien que le célèbre voyageur et conteur vénitien soit un pionnier de la «mondialisation». La famille Polo était spécialisée dans le commerce lucratif des pierres précieuses.

    Ainsi que les scénaristes de « Marco Polo – Le Garçon qui vit de ses rêves », nouvellement paru aux éditions Glénat, nous le rappellent dans une documentation complémentaire aux aventures de « Marco Polo », l’authenticité du récit du célèbre voyageur vénitien du XIIIe siècle (« Les Merveilles du Monde ») fut contesté de son vivant, et le reste encore par certains érudits aujourd’hui. Mais l’argument de Christian Clot pour dissiper les soupçons fondés sur les inexactitudes du récit m’a convaincu : « (…) le voyage de Marco Polo a duré près de vingt-quatre ans – dont trois de voyage aller, dix-sept en Chine et trois de voyages retours – sur plus de trente-cinq mille kilomètres (sans compter ceux réalisés durant ses années en Chine). Marco était un adolescent rêveur lorsqu’il est parti, un adulte accompli à son retour. Essayez de vous souvenir avec une exacte précision de tout ce que vous avez fait il y a vingt-cinq ans. Les lieux où vous avez été, les distances parcourues, l’ensemble des personnes rencontrées et des événements survenus sur les plans culturel, politique et autres… Faites-le, bien entendu, sans aucune aide, sans internet, amis ou archives pour vous rafraîchir la mémoire (…) »

    Au demeurant, que ces aventures aient été vécues ou seulement rapportées par Marco Polo, leur récit mentionne des paysages, des peuples, des coutumes et des rois, inconnus de quiconque n’aurait traversé le gigantesque empire mongol de Gengis-Kahn et ses héritiers, jusqu’à la capitale de l’empire, alors en Chine, avant d’en revenir.

    La BD est « librement adaptée » du «Devisement du Monde» et des «Merveilles du Monde» de Marco Polo, parti en 1271 faire du trafic en compagnie de son père et son oncle à l’âge de dix-sept ans. Elle ne s’en écarte que pour combler les lacunes sur la psychologie de Marco Polo (les rapports avec son père) et quelques détails de la sorte, qui mettent du liant dans le récit. Cette fidélité est heureuse et préférable aux scénarios hâtivement construits autour d’un événement historique, qui sert seulement de prétexte à des cavalcades ou des romances qui pourraient aussi bien se situer dans un temps fictif. Pour autant, le côté épique et le rythme n’ont pas été sacrifiés. Shakespeare est la preuve vivante, si je puis dire, qu’on peut faire ouvrage d’historien tout en méprisant les méthodes scolastiques méticuleuses.

    Le scénario souligne les lignes étroits qui unissent le commerce, l’aventure et la religion ; le caractère local de la religion, comme de la musique (les deux mots sont synonymes en grec), explique d’ailleurs que Marco, grand voyageur, se soit forgé sa propre religion, des bribes de cultures exotiques s’additionnant à la culture chrétienne de sa région d’origine.

    Le vif intérêt de Marco Polo pour les inventions techniques, et le rapport que celles-ci entretiennent avec la magie, en raison des pouvoirs extraordinaires que les inventions confèrent à leurs premiers inventeurs, est également illustré. Cela explique d’ailleurs que, en dépit de la logique rationaliste fréquemment mise en avant dans la technocratie moderne, le merveilleux ou la magie n’est jamais très loin. Le discours rationaliste lui-même est magique du point de vue de celui qui n’y a pas été initié. Ce type de rationalisme (il y en a plusieurs) n’est guère qu’une manière pour l’Occident d’affirmer son avance culturelle sur le reste du monde, ce à quoi Marco Polo ne songeait pas. L’Occident chrétien va alors chercher en Orient un allié contre le monde musulman.

    Le dessinateur, Fabio Bono, compatriote de Marco Polo, est influencé par le dessin de manga japonais, ce qui est en l’occurrence une coïncidence plutôt heureuse.

    NB : les scénaristes citent notamment en référence "Marco Polo, à la découverte de l’Asie", de Philippe Ménard (Glénat, 2009) et Marco Polo, d’Olivier Germain-Thomas (Folio, 2010), ainsi que les ouvrages de Marco Polo.

     

    Marco Polo - Le Garçon qui vivait de ses rêves, par Christian Clot, Didier Convard, Eric Adam et Fabio Bono, éd. Glénat, oct. 2013.

  • L'Âge de Kali****

    «Kali Yuga», autrement dit «L’âge de Kali», est synonyme dans la mythologie hindoue d’une ère dewebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,l'âge de kali,william dalrymple,kali yuga,inde,pakistan,rajahstan,bihar,occident,bangladesh,charia,bangalore,libretto,monique lebailly décadence sinistre. Mais cet ouvrage traduit de l’anglais ne traite pas directement de cosmologie. Le journaliste écossais William Dalrymple n’est pas tombé amoureux de l’Inde au point d’en épouser les mythes ancestraux. Il confronte ses impressions sur le sous-continent indien, où il a séjourné environ dix ans, et dont il a visité les différentes parties, à la croyance répandue en Inde dans la traduction de l’âge de Kali par le chaos politique et moral actuel.

    Pour W. Darlymple, la situation du sous-continent indien (Inde & Pakistan) est très contrastée. Au Nord et à l’Est, l’extrême violence et la corruption politiques ont tendance à accréditer le mythe, quand la prospérité croissante du Sud et de l’Ouest le démentirait plutôt. Reste à savoir quelle tendance l’emportera ?

    Le bouquin est méthodiquement divisé en six chapitres, consacrés aux observations de W. Dalrymple sur le Nord, le Rajasthan, la Nouvelle Inde, le Sud, la côte bordée par l’Océan indien, et enfin le Pakistan. Un index des noms propres et des noms communs (indiens) complète ce long reportage.

    Les observations du journaliste, qui remontent à une quinzaine d’années, sont étayées sur la fréquentation et les interviews de personnalités locales de premier plan du monde politique, du business ou du monde culturel.

    Comme on pouvait s’y attendre, W. Dalrymple témoigne d’une nation indienne peu conforme aux fantasmes que l’Occident nourrit à son sujet. S’il ne prend pas toujours la forme inquiétante qu’il a dans le Bihar, région voisine du Bangladesh, au bord du chaos, on peut parler de véritable choc des cultures interne vécu par l’Inde. Les valeurs démocratiques et libérales dont l’Occident moderne s’enorgueillit ont dynamité l’organisation politique et la culture ancestrale, ultra-conservatrices, de l’Inde. Hormis les barons de la drogue, les politiciens corrompus et quelques stars du show-biz, la société indienne est dans un état plus piteux qu’elle fut sous l’occupation coloniale britannique. Les promesses de lendemains qui chantent ont fait long feu.

    Du fait des pratiques invasives du commerce international, nombre d’Indiens ont le sentiment de subir une présence étrangère plus envahissante que jamais. Les symboles de la culture occidentale dernier cri (fast-food) et les mœurs libérales cristallisent un sentiment de haine grandissant vis-à-vis de l’Occident, dont les politiciens locaux ne peuvent pas ne pas tenir compte, y compris lorsqu’ils ont étudié à Oxford et pris le pli occidental.

    W. Dalrymple note que la charia peut être vantée par un candidat populiste pakistanais, sur la foi de statistiques établissant une fréquence des viols bien plus importante aux Etats-Unis que dans des régions du Nord de l’Inde encore administrées d’une manière médiévale.

    Au Nord, appauvri au point que la famine persiste, l’ancienne caste des brahmanes a perdu son statut privilégié au profit d’une catégorie d’intouchables, qui ont désormais le pouvoir institutionnel en main, mais se comportent en parvenus inaptes dans les domaines économiques et administratifs, ce qui a pour effet de restaurer la violence primaire des armes et le gangstérisme dans ses droits.

    Dans les régions ou les villes plus prospères du centre et du Sud de l’Inde, le phénomène de captation de la majorité des richesses par une oligarchie restreinte a le don d’excéder toutes les couches de la population dont le bonheur se trouve altéré par les métamorphoses rapides de leur cadre de vie (Bangalore est passée rapidement d’1,6 million d’habitants à 6), et la culture traditionnelle est effacée peu à peu au profit d’enseignes et de slogans modernes.

    Même si on le devine plutôt libéral, les opinions politiques de W. Dalrymple ne déteignent guère sur ses observations. Force lui est de constater que les espoirs placés par les milieux d’affaires occidentaux au début des années 90 dans une croissance rapide de l’Inde, à l’instar de la dictature chinoise, sont devenus plus qu’hypothétiques quelques années plus tard.

    D’ailleurs, s’il n’envisage pas d’autre issue que l’application du modèle libéral, suivant un mécanisme qui semble s’imposer au monde entier, Dalrymple manifeste de la sympathie vis-à-vis de la volonté des Indiens, aussi réactionnaire soit-elle, de ne pas se soumettre à l’égalisation de toutes les cultures du monde sur le modèle occidental.

    Rédigé dans un style simple et vivant, faisant bonne mesure entre la part des descriptions, celle des dialogues et des anecdotes significatives, le gros bouquin de Dalrymple est d’une lecture agréable et instructive.

    Le mérite de l’auteur est de faire apparaître le droit international des nations et les motifs idéalistes servis avec comme une rhétorique en décalage avec la réalité politique intérieure d’un des principaux pays émergents, où les valeurs occidentales sont très loin d’être perçues comme exemplaires, et ne font tout au plus que servir de paravent à des méthodes cyniques très éloignées de l’accomplissement démocratique – si éloignées, même, qu’elles suscitent dans une partie de la population la nostalgie de l’ordre le plus archaïque, auprès duquel le fachisme peut presque passer comme une aimable concession à l’air du temps.

    Son défaut est la rançon de sa qualité, à savoir une présentation des faits la plus objective possible, d’où découle l’absence de conclusion synthétique à ces larges états généraux du sous-continent indien. L’auteur paraît lui-même écartelé entre sa culture occidentale moderne d’origine, d’une part, et l’expression quasiment artistique ou nietzschéenne du refus de se soumettre à ce mercantilisme, qui émane d’autre part de la société indienne.

    Le constat plutôt inquiétant de W. Dalrymple, d’une situation pré-révolutionnaire engageant la responsabilité de l’Occident, fait planer le doute sur la science politique, économique, technique, voire philosophique de ceux qui détiennent les rênes du pouvoir à l’échelle mondiale, et paraissent dépassés par les événements. Sans doute c’est ce qui explique la référence à une logique plus ancienne, mythologique : l’âge de Kali.

     

    L’Âge de Kali, William Dalrymple, trad. Monique Lebailly, Libretto, 2013, 13 euros.

  • Culturisme 2013

    Notre BHL national a concocté pour l'été un de ces événements philosophico-mondains dont il a le secret, dans lewebzine,gratuit,bd,zebra,bande-dessinée,fanzine,culture,culturisme,fondation maeght,olivier kaeppelin,bhl,bernard-henry lévy,basquiat,hegel,peep-show,crucifixion,station,chemin de croix,nietzsche,occident,art,judéo-chrétien,bible,catalogue,aventures de la vérité,gérard depardieu,saint-paul de vence cadre enchanteur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence. Nous étions habitués à des prêches éthiques plus austères, et voilà que maître Bernard saute de l’éhique à l’esthétique pour nous surprendre - il faut bien varier les plaisirs…

    Au menu : magret de canard façon Hegel, arrosé de sauce nietzschéenne pour en relever le goût, avec sa farandole de petits légumes judéo-chrétiens tout autour. Qui niera que la gastronomie est, en matière d’œcuménisme, la seule recette vraiment efficace pour ne froisser personne (à condition toutefois de ne pas inviter Gérard Depardieu, qui semble prendre un malin plaisir à mettre les pieds dans le plat) ?

    Notre top-chef a choisi pour l’assister dans son arrière-cuisine un maître-queue secondaire, Olivier Kaeppelin, deux étoiles au guide Michelin seulement, mais cependant habile à jongler avec les casseroles de la rhétorique.

    Le menu affiche un titre à se pâmer : Les Aventures de la Vérité. Il nous rappelle que le canard a beau faire «coin-coin», c’est un animal capable de s’élever haut dans le ciel.

    «Culturisme» se propose de vous dévoiler dans ce n° «spécial été», ce qui se cache derrière la cuisine des grands chefs, à la fois la recette et les petits secrets de fabrication. C’est le privilège de la démocratie d’ouvrir les grandes maisons aux regards de tous.

    Avec tout le professionnalisme dont l’homme moderne s’honore à juste titre, BHL a composé préalablement à ces agapes culturelles un catalogue complet. La lecture préalable du catalogue raisonnée n’est pas requise pour goûter la mise en scène - pas plus que vous ne devez empprter un livre de cuisine pour dîner à la "Tour d'Argent". Le commissaire… ah, mais laissons-là ce terme un peu trop «connoté», pour celui «d’initiateur» ; l’initiateur, donc, a prévu une ventilation légère des œuvres sous la forme d’un chemin de croix (virtuel). Ben oui, quand même, on n’entre pas à la Fondation Maeght juste pour s’amuser.

    Passons rapidement sur le préambule de la rencontre entre maître Bernard et son adjoint Kaeppelin  (les grandes toques finissent toujours par se rencontrer, etc.)

     Passons aussi sur la modestie de BHL, comparée à celle des grands collectionneurs qu’il fréquente. BHL sait bien qu’il n’est pas de grand art sans modestie, ni de grands événements culturels itou.

    La présentation en stations/peep-shows des œuvres – la «station» pour rappeler que la culture occidentale tire son origine dans la crucifixion du Christ, et le «peep-show» pour nous indiquer que la modernité est une station-services en tous genres -, une telle présentation n’est pas sans risque. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que BHL éprouve le frisson de sa propre audace. En effet, ce parcours initiatique rappelle l'avertissement de Nietzsche, cassandre de la modernité, selon lequel, de contre-culture en contre-culture, l’art moderne finira en eau de boudin : « Adieu, phalli vigoureux des satyres, et ménades qui dansiez autour ! » (je cite F.N. de mémoire).

    Deux morceaux m’ont paru tout de même moins bien cuits que les autres, et peu propices à une digestion sans heurt. C’est une drôle d’aventure, en somme, note BHL, que celle de l’art occidental, qui s’appuie sur la Bible, alors même que celle-ci n’envisage l’art que sous l’angle de l’idolâtrie ou du veau d’or. Inconsciemment, BHL pointe ainsi du fouet tout ce que la philosophie existentielle et l’éthique judéo-chrétienne dont il est l’héritier s’efforcent de dissimuler depuis le moyen-âge. Car Hegel, dont l’étoile brille au firmament de la grande cuisine philosophique moderne, n’a de cesse de touiller l’art et la vérité, mélange bibliquement impossible, pour en faire une mayonnaise conceptuelle à peu près digeste. Le principe de la mayonnaise philosophique, c’est de ne pas s’arrêter de touiller, sans quoi elle n’a aucune chance de prendre ; résultat : les ingrédients se séparent, et la culture perd ainsi le sens que l’anthropologue judéo-chrétien tente de lui donner.

    Un autre morceau passe difficilement, c’est le rôle assigné dorénavant à "l’artiste nietzschéen" de pimenter le met fadasse de l’éthique moderne, en vertu de son amour de l’art, un peu brut mais sincère. Basquiat, en couverture, masochiste crucifié par l’amour de l’art, est là pour stimuler les papilles de l’amateur d’art et de vérité. L’auberge a beau être provençale, il est douteux que Nietzsche eût cautionné ce rôle d’assaisonnement d’une culture à son goût beaucoup trop faisandée. L’art de Nietzsche se consomme cru ; c’est plutôt le genre à tenir la gastronomie pour un art dégénéré.

    Quoi qu’il en soit, sous la sauce et entre les petits légumes, les mentions légales de traçabilité indiquent un gibier hégélien, ramené de quelque partie de chasse dans une forêt souabe ou franconienne (la philosophie transcende la théologie, et l’art numérique de l’expert-comptable transcende la nature, blablabla).

    Comme quoi la cuisine moderne n’est que l’art de mettre de mettre la cuisine bourgeoise dans des petits plats.

    Zombi

  • Sauvages blancs****

    La question de l’honneur de l’Occident est liée à celle du colonialisme ou de l’impérialisme, et Gustave webzine,bd,gratuit,fanzine,bande-dessinée,gustave jossot,sauvages blancs,occident,orient,frédéric nietzsche,anarchiste,Jossot ne l’ignorait pas en rédigeant cette collection d'anathèmes vibrants.

    Quelle que soit l’étiquette: chrétienne au XVIIe-XVIIIe siècles, républicaine aux XIXe-XXe siècles, démocratique et anti-islamiste aujourd’hui, le colonialisme se renforce toujours de la démonstration d'une éthique supérieure.

    On a donc affaire ici à un pamphlet anarchiste, et non à un de ces ouvrages sous le coup de la dépression ou de la mélancolie, déplorant la décadence de l’Occident, dont la littérature française regorge dans toutes les domaines censés servir de piliers à la civilisation.

    Ce pamphlet méritait d’être réédité, puisqu’on vient d’assister en Egypte à un coup d’Etat téléguidé par des «sauvages blancs», sous couvert des meilleures intentions. J’en profite ici pour rappeler que le droit-d’ingérence-afin-d’aider-les-peuples-opprimés-à-disposer-d’eux-mêmes n’est pas une invention de Bernard Kouchner, comme on le pense parfois, mais de saint Thomas d’Aquin au moyen âge. Comme quoi la sainteté ne date pas d’aujourd’hui.

    Il est vrai cependant que Jossot partage avec de nombreux poètes ou philosophes inquiets du déclin de l’art, l’admiration de l’Orient, dont il oppose l’immobilisme majestueux et confiant dans lui-même à l’agitation permanente et vaine de l’Occident. Moitié par curiosité, moitié pour faire la nique à ses confrères imbus des valeurs républicaines, Jossot ira même jusqu’à se convertir à l’islam. Humoriste d’abord, il ajoute toujours à ses pamphlets une bonne dose d’ironie mordante, comme témoigne le titre de ce chapitre : "Les parents sont des scorpions" - proverbe arabe.

    De façon surprenante, c’est Frédéric Nietzsche que Jossot cite en référence, à qui il consacre un petit chapitre. Jossot partage avec ce pamphlétaire réactionnaire ennemi de la modernité le dégoût de la moraline républicaine, du clergé laïc ou confessionnel, de la démocratie et du libéralisme, du socialisme, voire la misogynie ; en revanche Jossot ne justifie nulle part l’oppression des faibles par les forts, ni le culte de la puissance, qui est le fondement de la morale instinctive «par-delà bien et mal» selon Nietzsche*.

    L’attrait de Jossot pour Nietzsche vient sans doute principalement de la détestation du peuple allemand, qui fut un des leitmotivs de F.N. au point de s’inventer des origines polonaises, ou de se croire plus Français ou Italien qu’Allemand. Il faut replacer la détestation de Jossot dans son contexte industriel. L’Allemagne rime pour lui avec le progrès technique, qu’il prend pour cible et dans lequel il voit la cause des pires maux: dégradation de l’art, culte du profit intensif, abrutissement des masses populaires, exaltation de la concurrence comme facteur de progrès, etc. De sorte que l’uniformisation de l’Occident, qu’il vitupère en artiste, est un phénomène allemand à ses yeux. Et on ne peut pas dire que l’avenir lui ait donné tort, ne serait-ce que sur le plan de la mainmise industrielle.

    Sauvages blancs - Gustave Jossot - Eds Finitude, 2013.

    *"Périssent les faibles et les ratés ! Premier principe de notre philanthropie. Et il faut même les y aider. Qu'est-ce qui est plus nuisible qu'aucun vice ? La compassion active pour tous les ratés et les faibles (...)" 

    F. Nietzsche, in : L’Antéchrist