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critique - Page 45

  • Pablo (T.1 Max Jacob)***

    (Critique parue dans Zébra n°2)

               L’exercice de la biographie en bande-dessinée est un des plus difficiles. On compte à ce jour peu de réussites. Parfois citées en exemple, les biographies du Belge Joseph Gillain, quoi que fort bien dessinées, ont le défaut de n’être que des hagiographies. Ainsi dans son récit de la vie du fondateur du mouvement scout, le général britannique Baden-Powell (ouvrage de commande), J. Gillain, alias Jijé, omit-il de mentionner l’invention des camps de concentration de prisonniers civils par l’état-major britannique, dont Baden-Powell faisait partie, lors de la guerre coloniale des Boers en Afrique du Sud (opposant les Britanniques aux colons hollandais) (1899-1902).

     

                L’Américain Edouard Sorel est un cas beaucoup plus rare, qui n’a pas hésité dans ses « Vies Littéraires » dessinées (trad. française Denoël Graphic, 2006) à lever le voile sur quelques icônes des arts et lettres modernes, habituellement drapées des plus hautes vertus par les autorités culturelles (Tolstoï, Proust, Jung, Sartre, Brecht, notamment)… avec la conséquence qu’on imagine de faire scandale dans le Landerneau des lettres new yorkais (E. Sorel prouve au passage que les Yankees ne sont pas tous aussi politiquement corrects que l’on dit généralement en France).

                La bio. de Picasso, par J. Birmant et C. Oubrerie, se situe à peu près entre les deux, l’hagiographie selon Gillain, et le réalisme de Sorel. Plus près sans doute de ce dernier, y compris pour le dessin, assez agréablement relâché.pablo,picasso,birmant,clément oubrerie,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,biographie,fanzine,edward sorel,jijé,joseph gillain

                Picasso ne suscite le plus souvent que des réactions d’idolâtrie débile, ou au contraire des insultes gratuites (sans arguments), comme ce fut le cas récemment de la part du romancier M. Houellebecq dans son dernier « best-seller ». Seulement esquissé, le portrait de Picasso est, dans cette bande-dessinée, plus équilibré.

                Heureusement le milieu artistique n’est pas épargné : peintres, modèles, marchands et collectionneurs, réunis comme larrons en foire. Je regrette l’insistance sur la romance de Pablo avec Fernande Olivier et ses préliminaires. Plus pittoresques sont en effet les aventures du groupe de peintres dont Picasso faisait partie. Max Jacob, notamment, n’est pas raté ! Toute l’innocente dévotion que le poète breton vouait au style hyper-viril de Pablo est même poussée jusqu’à la caricature, ce qui vaut encore mieux que l’hagiographie ou les bons sentiments.

               
    pablo,picasso,birmant,clément oubrerie,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,biographie,fanzine,edward sorel,jijé,joseph gillainComme l’Education nationale s’avoue elle-même impuissante à enseigner les rudiments de l’histoire de l’art, cette bande-dessinée pourra pallier cette lacune et servir d’introduction à Picasso. Quelques scènes salaces ne troubleront pas nos « chères têtes blondes », vu la banalisation par la télévision des scènes de cabaret et danseuses à demi-nues, depuis que Picasso et son pote Casagemas débarquèrent à Paris, en 1900, n'en croyant pas leurs yeux de l'audace des danseuses de « French-Cancan ».           
                                                                                                                                                                                                                                                                                                              Zébra

    (Julie Birmant & Clément Oubrerie, Dargaud, mars 2012, 17 euros)

  • La Famille****

            (Critique parue dans Zébra n°2)

                      Dans cet album qui rassemble des strips verticaux parus sur son blog, B. Vivès sait tirer parti de l’arrière-plan incestueux de la famille pour des saynètes et des dialogues caustiques assez réussis.

                    Je dois dire que j’étais curieux de cet album avant de l’ouvrir, car la formule de la famille moderne, impalpable depuis que l’ancien schéma familial a été supplanté dans sa fonction autoritaire par des institutions plus puissantes, rend la critique ou la caricature plus difficile. Le « pater familias », disposant du droit de vie et de mort sur ses enfants, avant que l’Etat n'en ait le monopole, était une cible plus facile.fanzine,zébra,critique,bd,bande-dessinée,bastien vivès,shampoing,famille,jeux vidéos

                    Les publicitaires et les marchands de lessive tirent d’ailleurs parti de ce flou artistique pour fourguer avec d’autant plus de facilité l’épanouissement sexuel, le couple moderne... et tous les accessoires qui vont avec. Bienvenue par conséquent la BD de Vivès, qui introduit un peu de sarcasmes dans cet océan de bons sentiments lucratifs ; n’est-ce pas ?

                    Le dessin suggestif de Vivès a d’ailleurs le mérite de donner un ton impersonnel à son humour, même si l’on devine que l’auteur a tiré de sa propre situation amoureuse et familiale une partie de son inspiration. Rien d’étonnant à ce que le personnage du père de famille (barbu) soit le mieux réussi, puisque c’est bel et bien celui qui a le plus nettement « dévissé » de son piédestal. Il est retranché dans un humour provocateur et agressif, la seule arme qui lui reste.

                    On regrette donc que Xavier Dupont de Ligonès n’ait pas eu accès au manuel de savoir-vivre de Bastien Vivès.

     

                    NB : à noter que Vivès a aussi publié un album dédié aux jeux vidéos, autre pilier de l’aliénation mentale moderne.

    Zébra

    (Bastien Vivès, Ed. Delcourt-Shampoing, mars 2012, 10 euros)

     

     

  • Alexandre Pompidou***

    (Critique BD à paraître dans Zébra n°2)

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    Lard Moderne

     

                Cornette-Frissen-Witko : ce trio belge nous sert une tranche de vie bien assaisonnée avec ce premier tome des aventures d’Alexandre Pompidou, sobrement intitulé « Lard Moderne », inspiré du milieu des artistes en herbe ou, comme on dit aujourd’hui, « fraîchement diplômés ».

                Alexandre Pompidou, à peine muni de son certificat, décroché à l’Ecole des Arts Majeurs et attestant de sa maîtrise des principales notions de l’esthétique contemporaine, à commencer par : «Mieux vaut battre le fer tant qu’il est chaud !», déploie toute son ingéniosité à essayer de convaincre Adonias Solomon Aurochs-Lascaux, galeriste réputé, de tout miser sur lui. Car, hélas pour Alexandre, la réputation de la famille Pompidou n’est pas établie dans l’art, mais dans la... boucherie.

                Comme on dit, « dans l’art, tout est bon ! » : le seul « hic », c’est que Pompidou n’a aucun talent ; il n’est même pas doué pour se vendre, et il va multiplier les gaffes…

                Vu le blaze de leur héros, ça sent la vendetta belge à plein nez, cette histoire. Peut-être la double vengeance ? D’abord contre le Français Baudelaire, jadis critique d’art, qui insulta les Belges et les traita de « peuple de négociants et de boutiquiers ». Ensuite, il ne serait pas étonnant que Cornette, Frissen et Witko soient eux-mêmes passés par l’Ecole des Arts Majeurs, comme le réalisme des situations comiques dont ils s'inspirent semble l'indiquer... avant de se reconvertir dans la BD ; pour pouvoir manger ou par amour de l'art ?

     

    Zébra

    (Cornette-Frissen-Witko, Ed. du Lombard, mars 2012, 12 euros)

  • Ta Mère la pute***

    (Critique parue dans Zébra n°1)

    La dominante grise de l’album donne le ton. Ca tombe bien, la cité c’est principalement gris.

    Gillou passe son enfance dans une cité et traine dans les rues (Ile-de-France, années 70). Gillou est sensible et poli, mais ça, il vaut mieux qu’il le garde pour lui.

    Le foot, les copains, les resquilles de piles à l’épicerie, les virées dans la forêt. Jusque-là rien de bien inquiétant. Tout ça pourrait se passer n’importe où.gilles rochier,tmlp,ta mère la pute,zébra,fanzine,critique,6 pieds sous terre,bd

    Mais, peu à peu, les anecdotes se font plus violentes, l’auteur tisse le drame. Le titre « TMLP » (Ta mère la pute) résume la chute de la dignité. Sur fond de chômage, d’ennui, de prostitution et de minorités mal acceptés, le terrain de jeu se transforme en ghetto.

    Gilles Rochier n’est pas complaisant. Il ne cherche pas non plus à faire pleurer dans les chaumières. Les dialogues crus et l’ironie allègent ce qui pourrait être vraiment glauque : « Malgré tout ça, on vivait heureux, pas riches, pas beaux, mais heureux. »

     Le dessin acéré et les cadrages inattendus sont au service de l’histoire, juste et implacable.

    En somme, Rochier évoque les prémices des problèmes actuels qui n’ont fait que s’amplifier, les seringues ont remplacé les règlements de compte. Jusqu’à la chute, où l’auteur retourne dans la cité qu’il a quittée pour une autre cité…

     La boucle est bouclée.

    Zébra

    (Gilles Rochier, Ed. 6 pieds sous terre, 16 euros)

     

  • La Guerre d'Alan***

    (Critique BD parue dans Zébra n°1)

                    Emmanuel Guibert raconte en bd les souvenirs de guerre d’un certain Alan Cope, obscur bidasse au sein d’un régiment de blindés yankee.

                    « Drôle de guerre », vu qu’Alan débarque en 1945 en pleine débâcle des Schleus : du coup les Yankees s’enfoncent comme dans du beurre, à qui arrivera le plus vite à Berlin, des Soviets ou de l’Oncle Sam.critique,bd,fanzine,zébra,emmanuel guibert,alan cope,l'association,bd

                    Détail amusant, on dirait que Guibert dessine avec du plomb, comme un vitrier, ce qui pour une histoire de trouffions et de canons tombe plutôt bien.

                      Un type ordinaire, Alan, jeune engagé inexpérimenté. C’est ce qui fait l’intérêt du récit ; car le jeu de la guerre et du hasard, cette espèce de gigantesque partie de poker à l’échelle de l’Europe dans laquelle Alan se retrouve embringué, tout ce ziggourat machiavélique va finir par le questionner.

                    Comme quoi les types ordinaires sont parfois moins cons que les héros, qui vont à la guerre se faire dégommer sans se douter de rien, quasi sans raison, pour la beauté du geste alors qu’il n’y a personne pour le filmer.

                    Tout ça a déjà été dit par d’autres anciens combattants, y compris le silencieux encouragement au sacrifice de parents restés à l’arrière, qui fait frémir. Soit. Disons que le mérite d’Alan, c’est de n’avoir pas eu besoin de se prendre des tonnes d’acier au coin de la gueule, ni vu le champ d’honneur parsemé de cadavres, de nous faire sentir la mort avec son confident-illustrateur Guibert « à l’économie ».

    Zébra

    (L’Association, 2009, 300 p., 38 euros)

  • Pour en finir avec le cinéma**

    Certains n'imaginent même pas qu'on puisse dénigrer le cinéma, qui fait presque aujourd'hui figure d'art sacré. Pourtant, tous les arts y sont déjà passés ! Fameuse, par exemple, la critique du théâtre par J.-J. Rousseau, l’utopie des Lumières passant par l’éducation du peuple, contrecarrée par le divertissement.zébra,critique,bd,blutch,blotch,vitesse moderne,pour en finir avec le cinéma,fanzine

    On suit Blutch depuis quelques années ; son effort pour hisser la bande-dessinée au rang d'art majeur, alors qu'elle bénéficie d'une reconnaissance bien moindre que le cinéma, est sans doute la clef de lecture de son dernier opus.

    A l'arrière-plan, il y a le bras de fer entre un auteur de BD et le cinéma. La passion de Blutch pour le cinéma n'est d'ailleurs pas nouvelle, même si elle se rapproche de plus en plus du dégoût du cinéphile pour sa madeleine de Proust.

    Blutch fait ainsi allusion au côté macabre du cinéma, insiste sur le maniérisme et la vanité des acteurs de cinéma.

     Moins comique que son excellente série brocardant la vanité des artistes, parue dans "Fluide Glacial" ("Blotch"), mais moins abstrait que le titre "Vitesse moderne" (qui tourne aussi autour du même sujet), "Pour en finir avec le cinéma" plaira sans doute paradoxalement plutôt aux cinéphiles... les moins susceptibles.

     Zébra

    ("Pour en finir avec le cinéma", Dargaud, 2011, 20 euros ; "Vitesse Moderne", 2010 ; "Blotch", Fluide-Glacial Audie, 2009)