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critique - Page 35

  • Retour au Congo***

    Le genre de dessin sensuel, ou bien encore «païen» de Hermann, se fait de plus en plus rare en bande-webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,critique,kritik,retour au congo,glénat,hermann,yves h.,congo,colonial,tintin,jijé,gillain,belgique
    dessinée ; il est combattu par des grammairiens de la BD, qui préfèrent mettre à l’honneur des albums qui sont au 9e art ce que les manuels "Bled" sont à la littérature.

    Cette sensualité tient au charisme du dessin d’après nature, quand il n’est pas excessivement virtuose ou académique, et sans doute plus encore au plaisir manifeste que Hermann prend à dessiner, et qui se communique au lecteur. On peut le comparer à cet ancien pilier de la BD belge, Joseph Gillain alias Jijé, doué du même talent pour imiter la nature (bien que l’adjectif «païen» lui eût déplu).

    Dans ce «Retour au Congo» fraîchement paru, on ressent en particulier le plaisir de dessiner des lions, des zèbres, des rhinocéros et des crocodiles dans des paysages africains.

    Hermann a cherché et trouvé également des solutions pour remplacer les couleurs d’imprimerie artificielles et peu adaptées à son style ; une lumière grise pour rendre l’atmosphère de la Belgique, une lumière bleutée pour le Congo.

    On peut craindre de la part de ce type d’artiste, chez qui le goût du dessin l’emporte, le choix de scénarios indigents. De fait, Hermann comme Gillain ont dessiné beaucoup d’albums presque «paysagers», dont on retient peu le propos, qui sonne à chaque fois comme un prétexte.

    Cette fois-ci, dans «Retour au Congo», dont Hermann a délégué le scénario à son fils, un jeune dessinateur de BD belge s’embarque pour le Congo afin d’y déterrer quelque vilain secret enfoui dans le passé de sa famille et de son pays. Les anciennes colonies restent une grande source d’inspiration pour la littérature occidentale, peut-être parce que le Royaume-Uni, la France et la Belgique ont définitivement perdu leur âme et leur vertu dans cette aventure, comme dit Senghor ?

     Les meilleurs romanciers en ont tiré des œuvres ambigües ou vénéneuses, à mille lieux de la sérénade de l’amitié entre les peuples, officielle ou publicitaire. Mais ces romanciers avaient un minimum d’expérience de la vie coloniale, qui fait défaut ici au scénariste pour rendre l’âpreté du mélange des cultures et de la concurrence des intérêts ; on s’approche plus ici d’un clin d’œil ou d’un pied de nez au naïf «Tintin au Congo» d’Hergé ; mais on sent que le scénario laisse surtout la plus grande marge afin que l’art de Hermann puisse se déployer.

     

    Retour au Congo, Hermann & Yves H., Glénat, oct. 2013.

  • L'Âge de Kali****

    «Kali Yuga», autrement dit «L’âge de Kali», est synonyme dans la mythologie hindoue d’une ère dewebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,l'âge de kali,william dalrymple,kali yuga,inde,pakistan,rajahstan,bihar,occident,bangladesh,charia,bangalore,libretto,monique lebailly décadence sinistre. Mais cet ouvrage traduit de l’anglais ne traite pas directement de cosmologie. Le journaliste écossais William Dalrymple n’est pas tombé amoureux de l’Inde au point d’en épouser les mythes ancestraux. Il confronte ses impressions sur le sous-continent indien, où il a séjourné environ dix ans, et dont il a visité les différentes parties, à la croyance répandue en Inde dans la traduction de l’âge de Kali par le chaos politique et moral actuel.

    Pour W. Darlymple, la situation du sous-continent indien (Inde & Pakistan) est très contrastée. Au Nord et à l’Est, l’extrême violence et la corruption politiques ont tendance à accréditer le mythe, quand la prospérité croissante du Sud et de l’Ouest le démentirait plutôt. Reste à savoir quelle tendance l’emportera ?

    Le bouquin est méthodiquement divisé en six chapitres, consacrés aux observations de W. Dalrymple sur le Nord, le Rajasthan, la Nouvelle Inde, le Sud, la côte bordée par l’Océan indien, et enfin le Pakistan. Un index des noms propres et des noms communs (indiens) complète ce long reportage.

    Les observations du journaliste, qui remontent à une quinzaine d’années, sont étayées sur la fréquentation et les interviews de personnalités locales de premier plan du monde politique, du business ou du monde culturel.

    Comme on pouvait s’y attendre, W. Dalrymple témoigne d’une nation indienne peu conforme aux fantasmes que l’Occident nourrit à son sujet. S’il ne prend pas toujours la forme inquiétante qu’il a dans le Bihar, région voisine du Bangladesh, au bord du chaos, on peut parler de véritable choc des cultures interne vécu par l’Inde. Les valeurs démocratiques et libérales dont l’Occident moderne s’enorgueillit ont dynamité l’organisation politique et la culture ancestrale, ultra-conservatrices, de l’Inde. Hormis les barons de la drogue, les politiciens corrompus et quelques stars du show-biz, la société indienne est dans un état plus piteux qu’elle fut sous l’occupation coloniale britannique. Les promesses de lendemains qui chantent ont fait long feu.

    Du fait des pratiques invasives du commerce international, nombre d’Indiens ont le sentiment de subir une présence étrangère plus envahissante que jamais. Les symboles de la culture occidentale dernier cri (fast-food) et les mœurs libérales cristallisent un sentiment de haine grandissant vis-à-vis de l’Occident, dont les politiciens locaux ne peuvent pas ne pas tenir compte, y compris lorsqu’ils ont étudié à Oxford et pris le pli occidental.

    W. Dalrymple note que la charia peut être vantée par un candidat populiste pakistanais, sur la foi de statistiques établissant une fréquence des viols bien plus importante aux Etats-Unis que dans des régions du Nord de l’Inde encore administrées d’une manière médiévale.

    Au Nord, appauvri au point que la famine persiste, l’ancienne caste des brahmanes a perdu son statut privilégié au profit d’une catégorie d’intouchables, qui ont désormais le pouvoir institutionnel en main, mais se comportent en parvenus inaptes dans les domaines économiques et administratifs, ce qui a pour effet de restaurer la violence primaire des armes et le gangstérisme dans ses droits.

    Dans les régions ou les villes plus prospères du centre et du Sud de l’Inde, le phénomène de captation de la majorité des richesses par une oligarchie restreinte a le don d’excéder toutes les couches de la population dont le bonheur se trouve altéré par les métamorphoses rapides de leur cadre de vie (Bangalore est passée rapidement d’1,6 million d’habitants à 6), et la culture traditionnelle est effacée peu à peu au profit d’enseignes et de slogans modernes.

    Même si on le devine plutôt libéral, les opinions politiques de W. Dalrymple ne déteignent guère sur ses observations. Force lui est de constater que les espoirs placés par les milieux d’affaires occidentaux au début des années 90 dans une croissance rapide de l’Inde, à l’instar de la dictature chinoise, sont devenus plus qu’hypothétiques quelques années plus tard.

    D’ailleurs, s’il n’envisage pas d’autre issue que l’application du modèle libéral, suivant un mécanisme qui semble s’imposer au monde entier, Dalrymple manifeste de la sympathie vis-à-vis de la volonté des Indiens, aussi réactionnaire soit-elle, de ne pas se soumettre à l’égalisation de toutes les cultures du monde sur le modèle occidental.

    Rédigé dans un style simple et vivant, faisant bonne mesure entre la part des descriptions, celle des dialogues et des anecdotes significatives, le gros bouquin de Dalrymple est d’une lecture agréable et instructive.

    Le mérite de l’auteur est de faire apparaître le droit international des nations et les motifs idéalistes servis avec comme une rhétorique en décalage avec la réalité politique intérieure d’un des principaux pays émergents, où les valeurs occidentales sont très loin d’être perçues comme exemplaires, et ne font tout au plus que servir de paravent à des méthodes cyniques très éloignées de l’accomplissement démocratique – si éloignées, même, qu’elles suscitent dans une partie de la population la nostalgie de l’ordre le plus archaïque, auprès duquel le fachisme peut presque passer comme une aimable concession à l’air du temps.

    Son défaut est la rançon de sa qualité, à savoir une présentation des faits la plus objective possible, d’où découle l’absence de conclusion synthétique à ces larges états généraux du sous-continent indien. L’auteur paraît lui-même écartelé entre sa culture occidentale moderne d’origine, d’une part, et l’expression quasiment artistique ou nietzschéenne du refus de se soumettre à ce mercantilisme, qui émane d’autre part de la société indienne.

    Le constat plutôt inquiétant de W. Dalrymple, d’une situation pré-révolutionnaire engageant la responsabilité de l’Occident, fait planer le doute sur la science politique, économique, technique, voire philosophique de ceux qui détiennent les rênes du pouvoir à l’échelle mondiale, et paraissent dépassés par les événements. Sans doute c’est ce qui explique la référence à une logique plus ancienne, mythologique : l’âge de Kali.

     

    L’Âge de Kali, William Dalrymple, trad. Monique Lebailly, Libretto, 2013, 13 euros.

  • Hautes Oeuvres***

    Les BD de Simon Hureau («Le Massacre», «Crève Saucisse») se démarquent de la pléthore d’albums webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,hautes oeuvres,humanisme,lumières,françaises,sade,violence,françois-robert damiens,la boîte à bulles,simon hureau,louis xv,napoléon,le massacre,crève saucisse
    publiés grâce à leurs thèmes originaux et un style de dessin peu commun (proche cependant du style de Plantu, en moins mollasson) ; une «différence» qui n’est pas forcément gage de succès commercial, à l’ère du marketing et de la culture de masse.

    La Boîte à Bulles vient de rééditer «Hautes Œuvres», dont le scénario se déploie de façon presque circulaire autour de l’exécution du célèbre François-Robert Damiens (1715-1757), auteur d’une tentative de régicide contre la personne de Louis XV.

    La BD de S. Hureau souligne la dimension de spectacle dionysiaque des exécutions en place publique, dont la violence érotique magnétisait le public autant que n’importe quel carnaval ou défilé militaire. «Hautes Œuvres» vaut pour ce rappel de la bestialité sociale, que les idéologies totalitaires du XIXe siècle se sont efforcé d’occulter derrière leurs utopies progressistes; l’idéologie libérale, notamment, en propageant l’idée de «liberté sexuelle» de la manière la plus sournoise; ou le nazisme à travers la théorie de l’amélioration biologique de la race humaine. Ce type de rappel est préférable aux cris d’orfraie hypocrites consécutifs à la violence conjugale de tel chanteur populaire, ou aux débordements libidineux de tel politicien ambitieux.

    Du moins dans la littérature du marquis de Sade, évoqué dans cette BD, l’apologie du viol et de la torture est-elle franche, et non larvée et insidieuse comme dans certains types de divertissements modernes, ou comme la violence des riches dominants (de nature érotique également). On pense également à Nietzsche, dont l’incitation réactionnaire à un retour à la domination des faibles par les forts a le mérite d’être posée clairement, permettant à celui qui n’adhère à ce régime de castes de s’y opposer plus facilement qu’à une violence bourgeoise plus souterraine.

    Le scénario ironise sur le contraste entre cette exécution d’une cruauté extraordinaire et la réputation «d’âge d’or» du Siècle des Lumières, non seulement dans le domaine des arts et des lettres, mais aussi, faut-il le rappeler, dans le domaine de la politique, puisque le règne de Louis XV fut précédé par le régime de fer de Louis XIV, et suivi par le régime sanglant de Napoléon et les temps modernes d’industrialisation barbare. Le sous-titre : « Petit traité d’humanisme à la Française », est sans doute pour indiquer qu’il est préférable, en matière d’humanisme, ne pas s’endormir sur des lauriers remportés par d’autres.

    L’autre suggestion de cette BD est celle d’une métamorphose de la violence sociale, comparable à celle que l’art a connue, passant de méthodes à la fois plus artisanales et plus brutales, mais aussi plus circonscrites, à des méthodes désormais quasiment industrielles mais non moins létales.

     

     Hautes Œuvres, par Simon Hureau, La Boîte à Bulles, 2013.

  • L'Enéide**

    «L’Enéide» est-elle chiante ? Auteur d’une nouvelle traduction du poème épique de Virgile, Paul Veyne tente dans sa préface dewebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,l'enéide,paul veyne,karl marx,latin,romain,super-héros,métempsycose,virgile,achille nous convaincre que ce long poème latin est encore digne d’intérêt au XXIe siècle. Après tout, les super-héros continuent de passionner une partie du public, et «L’Enéide», justement, en est pleine...

    Des divers arguments avancés, la comparaison de «L’Enéide» avec les films d’action n’est pas le plus persuasif - ce genre passe à juste titre pour un des plus rébarbatifs ; les films d'action ne font qu'assouvir le besoin de mouvement des employés de bureau ou des plantons astreints à la passivité pour gagner leur vie.

    L'argumentaire esthétique est, de surcroît, plutôt confus :

    «Si le lecteur aime la musique classique ou la peinture italienne, il aimera l’Enéide.», écrit-il, tout en rapprochant Virgile du «moderne Baudelaire».

    Classique et moderne, en somme Virgile a de quoi satisfaire un maximum de clients.

    P. Veyne ne cache pas que le long poème religieux et patriotique de Virgile résulte de l’effort du poète latin pour éclipser Homère ou lui succéder. Au lieu d'un plaidoyer "pro domo" ou d'un article publicitaire en guise de préface, le lecteur aurait aimé que Paul Veyne, "spécialiste de la culture antique gréco-romaine", lui dise si la copie de Virgile vaut mieux que l'original d'Homère - car la vie du lecteur est courte et la culture un vrai labyrinthe où l'on peut perdre beaucoup de temps.

    A cette réclame pour Virgile, P. Veyne ajoute un questionnement assez vain : - Les Romains étaient-ils, oui ou non, athées ? Prenaient-ils les mythes, toute cette poésie religieuse, au sérieux ? Ici le questionnement universitaire est cousu de fil blanc : P. Veyne ne fait rien d'autre que tenter de jeter un pont entre l'Antiquité romaine et la bourgeoisie rationaliste à laquelle il appartient, qui croit que deux et deux sont quatre, et rien d'autre. Cette démarche n'est pas plus sérieuse que celle de Mussolini.

    Si Platon était athée, se serait-il autant employé à dénigrer Homère et sa mythologie, selon lui impie ?

    Quelques extraits du bruit et de l'humeur des anciens super-héros, traduits par P. Veyne :

    «Quel dieu pourrait, à ce point, me faire connaître tant d’atrocités ? Lequel pourrait dire en vers les carnages dans les deux camps opposés, la mise à mort des capitaines à laquelle procèdent, tour à tour, dans toute l’étendue de la plaine, tantôt Turnus et tantôt le héros troyen ? Ce fut donc ton bon plaisir, Jupiter, qu’un si large mouvement jette l’un contre l’autre des peuples destinés à vivre un jour une paix éternelle ?

    Enée cueille d’un coup dans le flanc le Rutule Sucro ; ce premier combat a stoppé l’offensive troyenne, mais Sucro ne retarde pas longtemps Enée qui, de sa cruelle épée, lui transperce les côtés et la cage de la poitrine, par où le destin est le plus rapide. Turnus, lui, a mis pied à terre et aborde Amycus, jeté bas par son cheval, et son frère Diorès, qu’il frappe de sa longue lance pendant qu’il venait sur lui ; il frappe l’autre de son épée, accroche à son char les deux têtes coupées et les emporte, ruisselantes de sang. Enée envoie à la mort talos, Tanaïs et le vaillant Céthégus, tous trois dans une même rencontre, et avec eux Onitès au visage peu avenant, fils d’Echion et qui avait pour mère Péridia.»

    Enéide, Chant XII.

    L’Enéide, de Virgile (trad. et préface de Paul Veyne), Albin Michel, les Belles Lettres, 2012.

  • La Tectonique des Plaques**

    Autant le dire d’emblée, l’humour à base de galipettes et de shopping de Margaux Motin me laisse webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,margaux motin,tectonique des plaques,blog,humour,bigard,vuilleminplutôt froid. J’ai déjà eu l’occasion d’y goûter sur son blog avant que la «Tectonique des plaques» ne fasse un carton. Il faudrait que je puisse me glisser dans la peau d’une femme pour apprécier, de même que l’humour d’un joueur de foot ou de rugby ne passera pas forcément auprès du public féminin, du genre : - Quel est le point commun entre un pack de bière et une femme ? (aucune loi morale selon moi, même assortie d’une peine de prison à vie, ne pourra abolir cet humour couillon, du moins tant qu’il y aura des femmes et des packs de bière).

    On pourrait presque définir un humour de droite (Bigard, Vuillemin), et un humour de gauche (Margaux
    Motin, Florence Foresti) ; de même il y a une manière virile de se fendre la poire, qui rend un son caverneux, tandis que les femmes « rient sous cape », hi, hi, hi, à propos d’une sombre histoire de paire de chaussures surnuméraire. Or, le principal mérite de l’humour n’est-il pas d’être transsexuel et de nous lâcher un peu la grappe dans un monde de compétition hypersexué ? Comme dirait Cabu, on n’est pas au Japon ici.

    Cependant il y a des bouquins qui sont des phénomènes de société et, à ce titre, on peut être amené à les feuilleter. Non pas pour les critiquer, vu que le point de vue social est imperméable à la critique, comme tout ce qui relève de la foi, mais plutôt histoire de prendre la température.

    Je m'arrête à cet aphorisme de M. Motin : « La femme est un homme comme les autres. » Il permet de cerner plus précisément les goûts sexuels de l’auteur, selon la méthode freudienne qui a fait franchir à la critique d’art un pallier (surtout quand on l’applique à l’art de Freud lui-même).

    Cette méthode permet d’affiner la «cible-marketing». Ainsi les féministes tendance «émasculatrice» plus traditionnelles ne devraient pas tellement trouver leur compte dans le mot d’ordre de M. Motin, prônant l’alignement sur l’organe viril. Pas plus que les hommes qui ne se retrouvent pas dans l’idée que M. Motin se fait du sexe opposé au sien. A cet égard, j’avoue ne pas bien piger à quoi servent les codes-barres des bouquins s’ils ne permettent pas de se cultiver en fonction de son identité sexuelle ou politique ? Le système est, j'imagine, encore balbutiant.

     

    Un tel succès public devrait pousser Margaux Motin, qui n’est sans doute pas une idiote, à se remettre sérieusement en question. Sinon, autant faire actrice de cinéma.

  • Spirou par Chaland***

    webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,yves chaland,spirou,fantasio,josé-louis bocquet,jean-louis fournier,joseph gillain,andré franquin,maurice de bevère,comics,manga,belge,boy-scout,culture,contre-culture,picasso,75e anniversaire,morris,métal hurlant,pastiche,paul reboux,comtesse de ségur,sadique,pédérastique,michel tournierA l’occasion du 75e anniversaire de Spirou, personnage vedette de la maison, les éditions Dupuis rééditent certains vieux albums et publient quelques ouvrages qui permettent de pénétrer dans les coulisses de la BD belge francophone, d’en comprendre les méthodes de production, à mi-chemin entre le procédé industriel et une démarche plus artisanale.

    De telles méthodes ont permis aux auteurs et dessinateurs de BD de bénéficier d’un minimum de respect en Europe, tandis que la production de comics américains ou de mangas japonais fut au contraire complètement assimilée à la culture de masse, et ainsi méprisée.

    Des personnalités telles que Joseph Gillain, André Franquin ou Maurice de Bevère (Morris) ont pu s’affirmer dans un contexte de semi-liberté créative, se jouant parfois du cahier des charges qui leur était imposé; ce contexte fut même moins pesant que le dirigisme culturel typiquement français, qui après-guerre a contribué à ouvrir un boulevard à l’industrie du divertissement primaire.

    La récente reconnaissance officielle de la BD comme un art à part entière ne signifie d'ailleurs pas tant le progrès de la BD, dont tel ou tel cherchera à s’attribuer le mérite, que l’échec retentissant des politiques culturelles menées au cours des cinquante dernières années.

    Nous avons déjà recommandé dans «Zébra» un documentaire-BD dédié à Jean-Claude Fournier, repreneur de la série emblématique de Dupuis; celui-ci éclaire les conditions économiques de cette production littéraire destinée aux enfants. On aborde plus directement avec Yves Chaland une autre particularité, à savoir l’ambiguïté de la culture belge francophone sur laquelle cette BD a poussé; on peut presque parler de schizophrénie, dans la mesure où sont amalgamées des valeurs patrimoniales traditionnelles, quasiment «nietzschéennes», avec un «judéo-christianisme» en principe aux antipodes de ces valeurs conservatrices. Semblable syncrétisme bizarre se retrouve dans le mouvement boy-scout, autre spécialité belge indissociable. Si le pagano-christianisme n’est pas l’apanage exclusif de la Belgique, en revanche sa mutation belge en culture enfantine ou adolescente hétérosexuelle est assez originale et renforce son ésotérisme.

    Or Y. Chaland, n’étant pas Belge mais Français, a mieux perçu cette bizarrerie culturelle de l’extérieur. Il n’est sans doute pas le premier à la remarquer, mais son travail est d’un mimétisme et d’une rigueur étonnantes sur le plan technique, où un phénomène comparable à la piété filiale est presque décelable ; sur le plan technique seulement, car par ailleurs Chaland s’élève au niveau du pastiche et ouvre la voie à la subversion des codes de la BD belge.

    José-Louis Bocquet, auteur de cette petite étude, «Spirou par Y. Chaland», note très bien le caractère paradoxal de pastiche respectueux du travail de Chaland, ainsi que le malaise qu’il provoqua chez les «fans» de «Spirou & Fantasio», aussi bien qu’au sein de la maison Dupuis où une telle dérision n’était pas de mise.

    Cette façon de dynamiter les codes de l’intérieur est la plus efficace, selon l’intention plus ou moins délibérée du pasticheur. Ainsi, quelques pages de pastiche suffisent au critique littéraire Paul Reboux pour faire ressortir le sadisme pédérastique sous-jacent des ouvrages de la Comtesse de Ségur, mieux qu’une longue et fastidieuse étude théorique de Michel Tournier menant à la même conclusion.

    Et Chaland ne se limite pas à Spirou & Fantasio, série dont on apprend par Jean-Claude Fournier qu’elle était considérée par Franquin comme un travail alimentaire excessivement contraignant. Le travail de pastiche de Chaland atteint le maximum de la subversion dans «Le jeune Albert», ou encore une biographie de Jijé parue dans «Métal Hurlant».

    Il est intéressant d’observer que le travail de Picasso traduit la même démarche paradoxale. Elle peut se comprendre en effet comme un travail de pastiche ou de critique picturale, ironie comprise dans de nombreux cas. Sa science du dessin permet à Picasso de subvertir la peinture classique de l’intérieur, avec une efficacité inégalée. Le profanateur a été élevé dans le temple.

    La part du pastiche est essentielle dans la contre-culture, et la contre-culture dans le mouvement de l'art moderne. Bien que le mouvement soit présenté officiellement comme un progrès ou un renouvellement, il consiste largement dans une illusion de type alchimique ("rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme"). L’art de Chaland illustre ce phénomène à l’intérieur d’une culture plus marginale et circonscrite.

    A titre d'exemple, de nombreux croquis préparatoires et un épisode de "Spirou & Fantasio" par Chaland sont reproduits au regard des propos de J.-L. Bocquet.

     

    Spirou par Y. Chaland, José-Louis Bocquet, Dupuis, automne 2013.

  • Stalingrad - Khronika***

    Un post-scriptum informe le lecteur que la bataille de Stalingrad (aujourd’hui Volgograd), conclusion de webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,critique,kritik,stalingrad,volgograd,khronika,franck bourgeron,nicolas ricard,histoire,bataille,hugo pratt,scorpions du désert,shakespeare,hitler,libyie,abyssinie,mussolini,revue dessinée,fachiste,althusser,sartre,fiction,idéologie,journalisme,propagandela seconde guerre mondiale sur le continent européen, fut une des pires boucheries de l’humanité, faisant deux millions de victimes environ; précision utile puisque on est, en France, ordinairement mieux instruit des circonstances du carnage national de Verdun.

    Franck Bourgeron et Sylvain Ricard ne prétendent pas ici faire œuvre d’historiens avec «Stalingrad Khronika», mais situent plutôt dans le contexte de la bataille de Stalingrad une fable sur la guerre, ou sur les soldats qui la mènent. On pense ici à une BD comparable d’Hugo Pratt, dont le contexte est la guerre coloniale que se livrèrent les Italiens et les Anglais en Libye et en Abyssinie pour le contrôle de ces territoires, combats bien moins sanglants, mais qui jouèrent un rôle majeur dans le déclenchement de la guerre, poussant Mussolini dans les bras de Hitler («Les Scorpions du Désert»).

    Suivant la démonstration de Shakespeare, la guerre a le don de dévoiler la véritable personnalité des hommes qui la font, en même temps que le sens profond d’une culture nationale; dans les périodes de trêve, au contraire, ces vérités sont occultées, quoi que les guerres modernes industrielles ou totales ont aboli la frontière entre civils et militaires, et donc aussi entre la guerre et la paix; le vernis de la civilisation ou de la modernité "craque", faisant apparaître sous cette couche superficielle un matériel psychologique plus intéressant pour le romancier ou le tragédien.

    La chronique de Ricard et Bourgeron se concentre sur une équipe de cinéma, mandatée par Staline en personne, afin de tourner un film de propagande en l’honneur des troupes soviétiques dans les décombres de Stalingrad, au milieu des derniers assauts, alors que le sort de l’Allemagne est scellé, nonobstant la résistance acharnée des troupes allemandes, à Stalingrad comme ailleurs.

    Ici on ne peut s’empêcher d’observer, entre parenthèses, que Franck Bourgeron a de la suite dans les idées, puisque il est récemment à l’initiative d’un magazine, la «Revue dessinée», qui entend rompre avec la mise en scène cinématographique de l’information, dont les scandales ayant secoué les médias au cours des dix dernières années font soupçonner un public de plus en plus large qu’elle n’est pas au service de l’information, mais de quelque chose qui s’apparente plus à la guerre économique.

    Le rapprochement avec la manière de Pratt est justifiée, non seulement par la ressemblance entre le trait de Bourgeron et le sien, mais par l’épaisseur psychologique que les auteurs parviennent à donner à leurs personnages; cette épaisseur psychologique, assez rare en BD, s’avère en effet un des points forts de Pratt. Ce dernier savait notamment faire du ressort de la trahison un usage habile dans ses intrigues, montrant comment cette détermination typiquement politicienne permet à des personnages machiavéliques de soumettre des soldats plus frustes et plus brutaux, à leurs plans, jusque à faire du soldat qui a le malheur de se situer du côté des vaincus (le propre père de H. Pratt servit dans l’armée fachiste italienne), une sorte de super-cocu de l’histoire. Plus malins, les politiciens savent occulter leurs responsabilités en mettant au frais les archives… le temps nécessaire.

    Bourgeron et Ricard montrent bien comment l’idéologie, sur le terrain militaire, se réduit à l’injonction caricaturale afin de coïncider avec les réflexes des soldats, tandis qu’elle peut prendre la place de gros volumes subtils d’idéologie stalinienne à la manière d’Althusser ou Sartre à l’arrière des troupes, réservés aux cadres du parti. Et cela n’est pas seulement valable pour le totalitarisme stalinien, mais pour n’importe quel régime au stade de l’engagement militaire, y compris démocratique. C’est une preuve de lucidité d’avoir placé le cinéma au centre de cette fable sur la guerre moderne ; il est en effet l’instrument principal de la réduction de l’idéologie à des slogans caricaturaux, stimulant la combativité de la foule ou des masses militantes, proportionné au gigantisme des nations.

    Cette intrigue, répartie en deux albums, vient d’être réunie en un seul par l’éditeur. On peut cependant regretter que le scénario, sur la base d’une psychologie consistante, manque un peu de rythme, ou soit trop dilué. C’est la difficulté qui se présente à ceux qui ne font pas œuvre de pure fiction, et doivent camper leurs personnages. La publication dans des magazines de BD permettait aux auteurs de romans graphiques de l’ancienne école d’apprendre à mieux tenir ce rythme, y compris parfois d’une façon un peu artificielle.

    Stalingrad - Khronika (Intégrale), Franck Bourgeron & Sylvain Ricard, Eds Dupuis-Aire Libre, 2013.