«L’Enéide» est-elle chiante ? Auteur d’une nouvelle traduction du poème épique de Virgile, Paul Veyne tente dans sa préface de nous convaincre que ce long poème latin est encore digne d’intérêt au XXIe siècle. Après tout, les super-héros continuent de passionner une partie du public, et «L’Enéide», justement, en est pleine...
Des divers arguments avancés, la comparaison de «L’Enéide» avec les films d’action n’est pas le plus persuasif - ce genre passe à juste titre pour un des plus rébarbatifs ; les films d'action ne font qu'assouvir le besoin de mouvement des employés de bureau ou des plantons astreints à la passivité pour gagner leur vie.
L'argumentaire esthétique est, de surcroît, plutôt confus :
«Si le lecteur aime la musique classique ou la peinture italienne, il aimera l’Enéide.», écrit-il, tout en rapprochant Virgile du «moderne Baudelaire».
Classique et moderne, en somme Virgile a de quoi satisfaire un maximum de clients.
P. Veyne ne cache pas que le long poème religieux et patriotique de Virgile résulte de l’effort du poète latin pour éclipser Homère ou lui succéder. Au lieu d'un plaidoyer "pro domo" ou d'un article publicitaire en guise de préface, le lecteur aurait aimé que Paul Veyne, "spécialiste de la culture antique gréco-romaine", lui dise si la copie de Virgile vaut mieux que l'original d'Homère - car la vie du lecteur est courte et la culture un vrai labyrinthe où l'on peut perdre beaucoup de temps.
A cette réclame pour Virgile, P. Veyne ajoute un questionnement assez vain : - Les Romains étaient-ils, oui ou non, athées ? Prenaient-ils les mythes, toute cette poésie religieuse, au sérieux ? Ici le questionnement universitaire est cousu de fil blanc : P. Veyne ne fait rien d'autre que tenter de jeter un pont entre l'Antiquité romaine et la bourgeoisie rationaliste à laquelle il appartient, qui croit que deux et deux sont quatre, et rien d'autre. Cette démarche n'est pas plus sérieuse que celle de Mussolini.
Si Platon était athée, se serait-il autant employé à dénigrer Homère et sa mythologie, selon lui impie ?
Quelques extraits du bruit et de l'humeur des anciens super-héros, traduits par P. Veyne :
«Quel dieu pourrait, à ce point, me faire connaître tant d’atrocités ? Lequel pourrait dire en vers les carnages dans les deux camps opposés, la mise à mort des capitaines à laquelle procèdent, tour à tour, dans toute l’étendue de la plaine, tantôt Turnus et tantôt le héros troyen ? Ce fut donc ton bon plaisir, Jupiter, qu’un si large mouvement jette l’un contre l’autre des peuples destinés à vivre un jour une paix éternelle ?
Enée cueille d’un coup dans le flanc le Rutule Sucro ; ce premier combat a stoppé l’offensive troyenne, mais Sucro ne retarde pas longtemps Enée qui, de sa cruelle épée, lui transperce les côtés et la cage de la poitrine, par où le destin est le plus rapide. Turnus, lui, a mis pied à terre et aborde Amycus, jeté bas par son cheval, et son frère Diorès, qu’il frappe de sa longue lance pendant qu’il venait sur lui ; il frappe l’autre de son épée, accroche à son char les deux têtes coupées et les emporte, ruisselantes de sang. Enée envoie à la mort talos, Tanaïs et le vaillant Céthégus, tous trois dans une même rencontre, et avec eux Onitès au visage peu avenant, fils d’Echion et qui avait pour mère Péridia.»
Enéide, Chant XII.
L’Enéide, de Virgile (trad. et préface de Paul Veyne), Albin Michel, les Belles Lettres, 2012.