Le genre de dessin sensuel, ou bien encore «païen» de Hermann, se fait de plus en plus rare en bande-
dessinée ; il est combattu par des grammairiens de la BD, qui préfèrent mettre à l’honneur des albums qui sont au 9e art ce que les manuels "Bled" sont à la littérature.
Cette sensualité tient au charisme du dessin d’après nature, quand il n’est pas excessivement virtuose ou académique, et sans doute plus encore au plaisir manifeste que Hermann prend à dessiner, et qui se communique au lecteur. On peut le comparer à cet ancien pilier de la BD belge, Joseph Gillain alias Jijé, doué du même talent pour imiter la nature (bien que l’adjectif «païen» lui eût déplu).
Dans ce «Retour au Congo» fraîchement paru, on ressent en particulier le plaisir de dessiner des lions, des zèbres, des rhinocéros et des crocodiles dans des paysages africains.
Hermann a cherché et trouvé également des solutions pour remplacer les couleurs d’imprimerie artificielles et peu adaptées à son style ; une lumière grise pour rendre l’atmosphère de la Belgique, une lumière bleutée pour le Congo.
On peut craindre de la part de ce type d’artiste, chez qui le goût du dessin l’emporte, le choix de scénarios indigents. De fait, Hermann comme Gillain ont dessiné beaucoup d’albums presque «paysagers», dont on retient peu le propos, qui sonne à chaque fois comme un prétexte.
Cette fois-ci, dans «Retour au Congo», dont Hermann a délégué le scénario à son fils, un jeune dessinateur de BD belge s’embarque pour le Congo afin d’y déterrer quelque vilain secret enfoui dans le passé de sa famille et de son pays. Les anciennes colonies restent une grande source d’inspiration pour la littérature occidentale, peut-être parce que le Royaume-Uni, la France et la Belgique ont définitivement perdu leur âme et leur vertu dans cette aventure, comme dit Senghor ?
Les meilleurs romanciers en ont tiré des œuvres ambigües ou vénéneuses, à mille lieux de la sérénade de l’amitié entre les peuples, officielle ou publicitaire. Mais ces romanciers avaient un minimum d’expérience de la vie coloniale, qui fait défaut ici au scénariste pour rendre l’âpreté du mélange des cultures et de la concurrence des intérêts ; on s’approche plus ici d’un clin d’œil ou d’un pied de nez au naïf «Tintin au Congo» d’Hergé ; mais on sent que le scénario laisse surtout la plus grande marge afin que l’art de Hermann puisse se déployer.
Retour au Congo, Hermann & Yves H., Glénat, oct. 2013.