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par Antistyle
Nouvelle traduction de Jacques Darras*
« La vraie manière d’écrire est d’écrire comme on traduit. Quand on traduit un texte écrit dans une langue étrangère, on ne cherche pas à y ajouter, on met au contraire un scrupule religieux à ne rien à ajouter. »
Simone Weil (la philosophe politiquement incorrecte) vante ainsi la probité du traducteur. Mais un proverbe latin incite a contrario à se méfier du traducteur comme d’un traître, et il y a fort à parier que S. Weil prête sa volonté de fidélité et sa probité à toute la corporation des traducteurs, avec une générosité un peu naïve.
Les problèmes que fait surgir la traduction d’un poète ordinaire, où les partisans du style et ceux de la critique s’opposent, ces problèmes deviennent si épineux s’agissant de Shakespeare qu’on ferait aussi bien, par mesure de précaution, de s’abstenir de traduire Shakespeare. Mais c’est impossible, puisque la vocation des éditeurs français est de vendre du Shakespeare dans la langue de Molière.
Le mystère enveloppant l’œuvre de Shakespeare justifie une nouvelle traduction à chaque génération ou presque. Ces dernières années, elles se sont multipliées. La dernière version proposée par Jacques Darras doit être la troisième ou la quatrième au cours du dernier demi-siècle.
« Les 154 sonnets de William Shakespeare n’ont cessé, depuis quatre siècles, d’ensorceler les lecteurs et de passionner la critique, à la fois par leur beauté, expression suprême de l’art poétique élisabethain, et par leur mystère. »
Ce nouveau projet éditorial est ainsi introduit par l’éditeur en quatrième de couverture. Faisons d’emblée la remarque que les temps modernes ont promu une conception de la beauté la plus subjective qui soit, si bien qu’il y a désormais autant de sortes de beauté que d’interprètes ou de traducteurs.
L’intention esthétique de Shakespeare, celle de procurer une émotion de cet ordre, n’est pas prouvée ; il y a même de très nombreux indices dans le théâtre de Shakespeare, avertissant que l’idéal esthétique n’est pas un idéal shakespearien, voire qu’il n’y a rien d’idéal dans Shakespeare, compte tenu des déboires ou des catastrophes encourus par les personnages animés d’une tel idéal esthétique, moral, politique, religieux, ou encore érotique. En témoigne dans ces sonnets ce que le poète dit des roses, qui ne valent pas les mauvaises herbes, dès lors que le temps a fait son œuvre. Métaphore applicable à l’art : le plus brillant aujourd'hui passe vite pour la vanité d’une époque donnée le lendemain. D’autres sonnets encore témoignent de ce que l’art de Shakespeare n’est pas indexé sur le temps, ni même la nature.
Ces observations sont assez dissuasives, ainsi que des lecteurs peu attentifs l’ont fait auparavant (notamment Stendhal), de rapprocher Shakespeare de l’espèce des poètes romantiques. (...)
+ Autant de nouvelles revues de BD, autant de déceptions. J'ai fini par dénicher et feuilleter "Aaarg !" n°1 (ci-dessus), dont l'esthétisme est agaçant ; dessin léché, emballage luxueux (14 euros), pour un propos globalement assez creux. Il est vrai que le rédac-chef Starsky se réclame de "Métal Hurlant", qui n'était déjà pas trop ma came en dehors de Chaland - un peu trop "belles mécaniques et poupées Barbie" pour prolos enrichis à mon goût.
Pour l'instant, les "vieux" "Fluide-Glacial" et "Psikopat" bien rodés n'ont pas de souci à se faire.
+ Pénélope Bagieu prouve dans cette vidéo où elle mène campagne contre le racisme des agences de publicité qu'elle est aussi douée pour le "stand-up" que pour la BD. Pénélope B. oublie juste un détail : l'idée que l'antiracisme ou les bons sentiments en général peuvent contribuer à rendre le monde meilleur est une idée tout droit sortie des agences de com' ou de pub.
+ Le dernier prix de la BD chrétienne d'Angoulême a été remis à une biographie de Benoît-Joseph Labre (1748-1783), clochard décédé en "odeur de sainteté" et canonisé par l'Eglise romaine en 1881 ("Quelques écorces d'orange amère", par C. Hadevis et E. Le Saëc). Bien que la part des saints laïcs a beaucoup augmenté (on peut s'attendre bientôt à une BD retraçant la vie de N. Mandela), ce genre de biographie fut l'occasion pour quelques auteurs réputés dans les années 50 d'exercer leur talent. Benoît-Joseph Labre est un saint original, puisque sa puanteur et sa crasse faisaient partie de sa renommée ; en général, le puritanisme se traduit plutôt par une hygiène corporelle méticuleuse.
+ Le quotidien "Libération" revient sur la querelle entre associés de "L'Association", ayant entraîné la création par son ex-patron Jean-Christophe Menu d'une nouvelle boîte baptisée "L'Apocalypse". Celui-ci aime tendre des verges pour se faire battre, apparemment, puisqu'il n'hésite pas à afficher son dédain pour le mode d'organisation démocratique; mais surtout, alors que les auteurs de cette nouvelle vague de BD conceptuelle autour de "L'Association" sont parfois accusés de péter plus haut que leur derrière, J.-C. Menu ne démord pas de ses formules d'agrégé ès bande-dessinée : "La BD est un langage avant tout.", repris par "Libération".
+ A la veille de Noël, de nombreux sites BD ont établi leur TOP 10 des meilleures BD de l'années. On peut trouver ce genre d'anthologie ridicule, ou bien au contraire l'estimer utile pour s'y retrouver dans les rayons des libraires. Zébra s'est livré à l'exercice ; résultat, une seule BD en commun avec les cinquante titres retenus par les cinq critiques du site Bodoï. Cela devrait inciter la critique a fournir plutôt une liste des 10 pires attrape-couillons de l'année.
+ Les éditions du Cherche-Midi publient les "Afourismes" de Morez, dessinateur humoristique qui écuma la grande presse après guerre. Le site "Actuabd" annonce la publication prochaine d'une interview de ce dessinateur juif roumain émigré en France, aujourd'hui âgé de plus de quatre-vingt dix ans.
+ Le dessin de la semaine est de Voutch, humoriste exposé à la galerie "Oblique" au marché Saint-Paul, du 11 au 31 décembre.
Emmanuel Mané-Katz -dit «Morez»- a connu son heure de gloire dans l’après-guerre, quand les plus célèbres titres de la presse magazine publiaient encore plusieurs pleines pages de dessins humoristiques.
Morez collabora à des titres aussi différents que «Krokodil», journal humoristique soviétique, «Lui», «Paris-Match», «Le Pèlerin», «Punch». Il est vrai que les humoristes s’encombrent rarement d’idéologie.
Prolifique, Morez a donc rarement été publié sous forme de recueil. «Afourismes», au «Cherche-midi», comble cette lacune. S’il n’est pas aussi subversif qu’Alphonse Allais, dynamiteur subtil de cette religion de l’homme moderne qu’est le « progrès », reculant à mesure qu’on s’approche de lui, Morez polit des aphorismes ou des bons mots, et les intercale entre ses dessins, évocateurs des saillies du maître normand. Voyez plutôt :
« Le maroquinier a licencié l’apprenti, il l’a surpris la main dans le sac. » ;
« Elle ne va plus à la selle quand elle monte à cheval. » ;
« Un type trop « raide » pour se payer une boîte de viagra » ;
« Ils s’entendent à merveille : il est peintre, sa femme est cadre. » ; ces facéties nous rappellent que l’art populaire a toujours comporté une part de raillerie ou de désinvolture vis-à-vis du langage, sacré en revanche du point de vue de l’élite et de ses rhéteurs.
Morez a aussi en commun avec certains artistes du «Chat Noir» une opportune reconversion de peintre en dessinateur humoristique, en des temps où la peinture de chevalet ne sert plus guère qu’à épater le chaland ou à l’art-thérapie.
Comme il ne traînait pas de «Paris-Match», de «Lui» ou de «Pèlerin» dans le grenier de mon grand-père, qui préférait les quotidiens plus adéquats pour allumer le feu ou dégraisser la vaisselle, je dois avouer que Morez (nonagénaire) est pour moi une heureuse découverte. Son trait évoque un peu celui de Sempé, en plus franc.
Afourisme, Morez, éd. du Cherche-midi, nov. 2013.
100 dessins de "Cartooning for Peace" pour la liberté de la presse
Autant le dire d'emblée, je trouve ce genre d'initiative d'un goût douteux, éditorialement parlant. De Gaulle parlait de "machin" pour désigner l'ONU ; j'appliquerais volontiers ce sobriquet à "Cartooning for Peace", association de dessinateurs de presse lancée par Plantu, le dessinateur-vedette du "Monde" depuis des lustres : un machin de plus.
D'abord Plantu n'est pas un dessinateur humoristique, mais un dessinateur politique ; or les causes de la guerre sont des causes politiques et non humoristiques. Je veux dire que Plantu est associé à une cause politique, celle du "Monde", organe de centre-gauche (qu'on me corrige si je me trompe, car je ne lis pas ou peu la presse "engagée") et, plus ou moins aussi la cause palestinienne.
Je soupçonne même Plantu de voter, ce qui ne manque pas de sel dans la circonstance où le seul parti réputé fachiste améliore son score, mais surtout dans la circonstance où le budget de l'Etat est cruellement obéré par les dépenses électorales des précédents régimes et exige la jachère électorale. Imaginez que, sur autant de bulletins de vote où l'on imprime le nom de M. Tartempion ou Mme Cucugnan soient plutôt imprimés des dessins humoristiques... sans doute la face du monde n'en serait pas changée, mais, au moins, l'habitude un peu fastidieuse de s'en remettre à un bulletin de vote pour décider de son avenir serait freinée. (...)
« C’est toi ma maman ? » est à déconseiller aux lecteurs qui exècrent la psychanalyse ou qui trouvent facilement les auteurs nombrilistes » : ainsi Tasha met-elle franchement en garde d’emblée sur son blog les lecteurs éventuels du roman graphique d’Alison Bechdel, traduit de l’américain par «Denoël graphic». Cette critique n’a pas tort de mentionner, en outre, le goût prononcé des Américains pour la psychanalyse. Dès les débuts du cinéma parlant, ils en ont fait la matière de certains films à prétention intellectuelle plutôt rébarbatifs.
On l’oublie parfois, mais la culture américaine est d'abord et surtout germanique, et les sciences sociales issues de la «Mitteleuropa» sont tenues en plus haute estime aux Etats-Unis qu’en France. Malgré les efforts des institutions éducatives et sanitaires dans ce sens, le scepticisme persiste dans les milieux populaires vis-à-vis de la psychanalyse. Il y a quelques années, le porte-parole d’un parti ouvrier, sommé au cours d’une interview à la télé de donner son avis sur ce qu’il pensait de cette pratique, s’était contenté de hausser les épaules et de lever les yeux au ciel pour toute réponse. Le narcissisme/bovarysme continue d’être perçu comme une tournure d’esprit typique des milieux bourgeois.
Néanmoins, sur un plan ethnographique plus général, on peut trouver la lecture du cas clinique en bande-dessinée d’Alison Bechdel instructive. La psychanalyse s’impose en effet aujourd'hui comme la pratique religieuse ou le moyen d’accomplissement de soi le plus répandu dans les pays occidentaux développés.
La mère de l’auteur est d’ailleurs elle-même circonspecte à l’égard de l’homosexualité de sa fille, et plus encore vis-à-vis d’une pratique artistique mêlant introspection et déballage public du linge sale familial (bisexuel, le père d'Alison s'est suicidé). Mme Bechdel-mère exprime en effet des doutes sur la valeur d’une telle littérature de genre, ultra-spécifique.
Féminisme et homosexualité se recoupent implicitement dans le discours d’Alison B., étayé par les études de psy. de la jeune femme, qui complètent une très longue analyse ; or celle-ci relève que les lesbiennes, l’icône féministe Virginia Woolf, par exemple, ont souvent eu des mères assez réacs, attachées à des mœurs traditionnelles.
Le lien ambivalent mais très étroit qui unit Alison B. à sa mère est donc central dans ce long déballage de linge sale (295 p.). Comment "tuer la mère", alors qu’Alison n’a pas de grief sérieux vis-à-vis d’elle ? «C’est toi ma maman ?» est en effet largement un matricide virtuel, ainsi que les deux femmes finissent par reconnaître. Dans un précédent tome, bien accueilli par la critique aux Etats-Unis, Alison B. avait déjà «réglé son compte» à son père.
On peut regretter la traduction du «mother» du titre original en un «maman» un peu niais, car il y a dans l'exposition de ce lien identitaire entre Alison et sa mère une dimension dramatique, qui traduit l’effort pénible pour naître une deuxième fois, bien que l'on soit loin de la noirceur des drames familiaux racontés par François Mauriac. Comme dans les films américains, la thérapie fait espérer une fin heureuse. Contrairement à l'usage le plus courant dans la littérature européenne, l'aspect comique est sacrifié à l'espoir de béatitude. L’auteur de «Mon Ami Dahmer », témoignage sur un tueur en série américain, évoquait lui aussi l’état dépressif fréquent des jeunes mères au foyer américaines.
L’homosexualité d’Alison B., dans la mesure où elle implique un désintérêt pour la procréation, ne fait que stimuler son envie d’indépendance et de création artistique. (...)
...littéraire (pour faire de la place dans ma bibliothèque). Cette semaine, deux (vrais) humanistes.
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