Caricature par l'Enigmatique LB
culture - Page 2
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Caricature Franck Riester
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Revue de presse BD (313)
(Sous-bock signé Placid)
+ Le "sous-bockisme" ou l'art de dessiner sur des sous-bocks, lancé par le bédéaste Lolmède au début du XXIe siècle, énième avatar de l'effort de certains artistes modernes pour désacraliser l'art (Magritte, Duchamp, Ben...).
Paradoxalement la désacralisation revêt parfois à son tour un caractère sacré, un peu comme certains pratiquent le doute avec une foi inébranlable.
+ Gilles Rochier lit "Ta mère la pute" dans "La BD à voix haute", websérie vidéo produite par "Lyon BD" (festival) et "Québec BD".
A partir de croquis et de témoignages recueillis dans les "quartiers" où il a grandi, G. Rochier les raconte avec une sincérité qui tranche singulièrement avec la dramaturgie médiatique.
+ Pierre Lungheretti (directeur de la Cité internationale de la Bande dessinée et de l'Image) a publié en janvier 2019 un rapport commandé par le ministère de la Culture sur l'état de la bande dessinée et ses acteurs.
Le rapport pointe du doigt le mercantilisme des producteurs de bande dessinées, annoncé et dénoncé par certains auteurs... depuis 40 ans déjà. C'est ce qui s'appelle enfoncer une porte ouverte.
Plus nettement que ce rapport, il faut dire à ceux qui gobent le slogan de "l'ouverture culturelle" que la mode des mangas japonais découle entièrement de cette stratégie mercantile stupide que les éditeurs belges plus intelligents n'adoptèrent pas dans les années soixante face aux comics américains et à Disney.
- Les auteurs et regroupements d'auteurs (impuissants) à qui le rapport donne la parole accusent plus franchement les éditeurs et les organisateurs de festivals d'avoir contribué à appauvrir les auteurs. On peut se demander pourquoi les auteurs de BD se sont laissé tondre aussi facilement, ou pourquoi ils se laissent berner par "l'artification" (sic) en cours de la BD, récupération qui ne profite qu'à quelques-uns, et dont le lecteur (lui aussi maltraité par ces stratégies éditoriales) n'a cure ?
- Les remèdes proposés par le rapporteur sont plus symboliques qu'efficaces ; parmi ces mesures on note la création d'un musée de la BD à Paris, sur le modèle bruxellois. Le nouveau ministre Franck Riester en réceptionnant le rapport a prononcé un joli discours, osant même parler de "nouvel âge d'or de la BD" ; entre les grandes phrases on devine que le mercantilisme ne risque pas de se heurter au ministère de la Culture. Il serait bien naïf d'espérer obtenir du ministère de la Culture ce que l'on n'obtient pas du ministère de l'Agriculture ou de l'Industrie.
- Mieux qu'un long rapport, le témoignage sarcastique de l'ex-bédéaste Adrien Fournier révèle l'état de la bande dessinée.
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Revue de presse BD (266)
+ Etonnant de voir figurer Alix en "Une" d'un magazine dédié à l'Histoire alors que c'est un héros de... science-fiction. Si la SF de Jacques Martin (1921-2010) n'est pas tournée vers un futur hypothétique mais vers une Antiquité idéalisée, l'exotisme n'est pas moins l'un des principaux ressorts de cette série antihistorique.
L'Antiquité fabriquée par Jacques Martin est dépaysante car elle ramène le lecteur adolescent à une époque encore vierge des marques laissées par notre civilisation industrielle et technocratique (bien que les "valeurs technocratiques" soient des valeurs romaines); au contraire, les BD de science-fiction voyageant dans le futur regorgent le plus souvent de gadgets technologiques.
Les universitaires réunis autour du hors-série de la revue "L'Histoire" -"Les Mondes d'Alix"-, rapportent les anachronismes, les invraisemblances ou les contre-vérités qui émaillent cette série conçue comme un récit de propagande éthique et divertissant (prépublié dans l'hebdomadaire "Tintin") ; la comparaison avec les péplums hollywoodiens est suffisamment dissuasive de prendre le propos d'"Alix" pour un propos historique.
Par-delà le diagnostic universitaire fait ici, la comparaison s'impose avec la doctrine réactionnaire de Nietzsche, pour qui l'Histoire dissimule un long processus de décadence imputable au judaïsme et au christianisme ; pour le besoin de cette thèse un peu simpliste, Nietzsche, comme J. Martin, conçoit un monde gréco-romain antique mieux disposé à la jouissance et préservé de l'argument judéo-chrétien illusoire selon laquelle l'Histoire a un sens. Pour le besoin de sa thèse, le moraliste allemand n'hésite pas à purger la culture antique de la métaphysique, alors même que la littérature grecque antique compte plusieurs "héros métaphysiques", et pas des moindres (Ulysse, Hercule...).
Etant donné la francophilie de Nietzsche, on peut ajouter que la série de Jacques Martin, de toutes les séries "franco-belges", est probablement la plus française et la moins belge. Tandis que la culture allemande ou américaine se tourne volontiers vers un futur utopique, la culture française (ou italienne) se tourne plus concrètement vers le bonheur et un "état de nature" idéal, mieux représenté par certaines cultures anciennes. Les Français s'intéressent peu à l'Histoire - ou s'y intéressent en touristes ou en archéologues, confirmant l'adage selon lequel "les peuples heureux n'ont pas d'Histoire".
- Certains universitaires croient déceler l'idéologie européiste à l'arrière-plan de la série "Alix". On peut le penser dans la mesure où Rome est un modèle d'impérialisme tel que Napoléon, Mussolini ou l'oligarchie capitaliste s'efforcent de ressusciter. La propagande communiste s'efforça d'ailleurs d'opposer à Alix le personnage de Taranis (dans "Pif"), héros gaulois refusant de se soumettre à l'envahisseur romain, contrairement à Alix. La propagande communiste cache ici que le communisme est un des visages de l'impérialisme moderne, dont les peuples n'ont pas moins souffert qu'ils n'ont subi l'impérialisme napoléonien ou hitlérien.
Du reste le statut d'Alix d'esclave gaulois affranchi par un notable romain est un des éléments qui confère à cette série la crédibilité, si ce n'est historique, du moins morale. Contrairement à de nombreux héros de la culture de masse américaine, communiste ou fachiste, dont on ne peut extraire qu'une éthique militante la plus partisane et fragile, l'auteur prend soin de confronter son personnage à des problèmes moraux plus proches de la réalité. L'éthique des "comics" et de la culture de masse n'a pas une grande portée ; certains psychiatres ou psychanalystes reconnaissent qu'elle a valeur d'excitant sexuel, en quoi les plus sérieux critiques du totalitarisme sont fondés à établir un lien entre le totalitarisme et la culture de masse, quelle que soit son étiquette idéologique.
+ L'illustratrice de presse Dominique Corbasson a succombé à la maladie ; elle était notamment connue pour ses représentations d'un Paris "idéalisé", à l'opposé du regard satirique porté par Cabu, témoin de la gentrification et des dommages esthétiques causés par les géants du BTP au cours des dernières décennies.
Le site Actuabd raconte comment Dominique Corbasson avait été engagée par l'agent de son mari, le bédéaste François Avril.
+ Le trophée 2018 du dessin de presse "Presse-Citron" organisé par l'école Estienne, ouvert jusqu'au 9 ou 10 mars, est ouvert non seulement aux professionnels mais aussi aux étudiants, jugés de nombreux dessinateurs chevronnés, réunis pour l'occasion.
Malgré des conditions politiques les plus défavorables au dessin de presse satirique (déclin de la presse organisée en monopole), on note qu'il continue de susciter des vocations, qui s'expriment tant bien que mal sur les réseaux sociaux.
Cela dit la métaphore suggérée par l'affiche du trophée entre le dessin de presse et piétiner un plat de pates à la sauce tomate, est relativement énigmatique...
+ "Il est devenu le BHL de la bande-dessinée. J’attends son entartage avec impatience." a déclaré l'ex-éditeur Jean-Christophe Menu à "Médiapart" en parlant de Joann Sfar, à qui les médias font la part belle et qui s'est récemment immiscé dans la campagne présidentielle en prenant position contre Jean-Luc Mélenchon.
Il ne faudrait pas confondre le pape avec ses évêques ; cela dit en lisant certaines chroniques de BHL dans "Le Point", on peut être frappé par leur ressemblance avec le langage de la bande-dessinée, propagande claire, "hergéenne", efficace et imagée, au service d'une idée de la justice et du progrès très... abstraite -dont le bénéfice demeure incertain.
Comme BHL n'a jusqu'ici négligé aucun des moyens lui permettant de servir sa cause, il n'est donc pas invraisemblable de l'imaginer en scénariste de BD.
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Le Strip de Lola
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Caricature Françoise Nyssen
La Semaine de Suzette Zombi. Lundi : Ministre de la Culture ou ministre du Culte, c'est la même chose.
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Revue de presse BD (242)
Portrait d'A. Moore par Rebecca Clarke.
+ "De nos jours, il n’y a plus que des romans graphiques, des livres pour table à café. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me retire de la bande-dessinée."
Le scénariste de BD Alan Moore dénonce l'embourgeoisement de la BD dans une interview donnée au "Point" (25 août), hebdo prisé par les cadres commerciaux."La bande-dessinée s'est embourgeoisée. Maintenant, on parle de roman graphique – une invention d'un département de marketing quelconque. La raison pour laquelle j'aimais les bandes-dessinées est qu'elles parlaient à tout le monde, par-delà les classes sociales. Elles ne remplissent plus cette fonction désormais."
Il vaudrait mieux parler à propos du roman graphique d'intellectualisme, car de manière générale la BD est, comme le cinéma, un art bourgeois, produit par des magnats de la presse en conformité avec les intérêts de la bourgeoisie industrielle. Ce n'est qu'à titre exceptionnel que la BD échappe à ce cahier des charges : "Hara-Kiri" en France, les fanzines de R. Crumb aux Etats-Unis, etc.
Le "roman graphique" est une appellation qui contribue à la gentrification culturelle de la BD, opération à travers laquelle les élites bourgeoises s'efforcent de mettre en valeur leur patrimoine culturel. Sur ce point A. Moore n'a pas tort.
+ Les gouvernements changent, la démagogie continue ; la nouvelle ministre de la Culture Françoise Nyssen, à peine nommée, s'est empressée de faire l'apologie des jeux vidéos comme ses prédécesseurs ; il faut dire que l'industrie des jeux vidéos est des plus lucratives. Les bibliothèques municipales cèdent elles aussi à la mode qui consiste à installer des "postes de jeu" et organiser des tournois de jeux vidéos ; de l'adage ancien qui signale que les peuples intelligents sont difficiles à gouverner, on peut en forger un autre : "Les crétins décérébrés font les électeurs les plus dociles."
Comme "dieu" sert à certains fanatiques à justifier tout et n'importe quoi, la "culture" est devenue un argument massue en Occident, une méthode pour étouffer l'esprit critique, au profit de la culture de masse. Le divorce est d'ailleurs consommé entre les élites contemporaines et les philosophes des Lumières qui fustigeaient les spectacles divertissants comme un frein à l'émancipation du peuple.
Strip extrait du blog de Xavier Gorce.
+ Le romancier naturaliste J.-K. Huysmans (1848-1907) ("Là-bas", "A Rebours"...), émule de Zola avant de se convertir au catholicisme, fut aussi critique d'art (Huysmans descendait d'une famille de peintres flamands).
Dans "Certains", recueil de portraits d'artistes, Huysmans décrit le caricaturiste Forain : "(...) M. Forain a voulu faire ce que le Guys [Constantin], révélé par Baudelaire, avait fait pour son époque : peindre la femme où qu'elle s'affirme, dans les lieux où elle travaille (...).
A coup sûr, personne n'a mieux que lui, dans d'inoubliables aquarelles, décrit la fille ; personne n'a mieux rendu les tépides amorces de ses yeux vides, l'embûche polie de son sourire, l'émoi parfumé de ses seins, le glorieux dodinage de son chignon trempé dans les eaux oxygénées et les potasses ; personne, enfin, n'a plus justement exprimé la délicieuse horreur de son masque rosse, ses élégances vengeresses des famines subies, ses dèches voilées sous la gaieté des falbalas et l'éclat des fards.
En sus de ses qualités d'observation aiguë, de son dessin délibéré, rapide, concisant l'ensemble, avivant le soupçon, forant d'un trait jusqu'aux dessous, il a apporté, en art, la sagace ironie d'un Parisien narquois.
C'est grâce, sans doute, à cette orientation d'un esprit net et blagueur, très élagué de toute chimère, qu'il dut d'avoir trouvé, pour les dessins des journaux où il logeait, d'audacieuses légendes, parfois cruelles, souvent même presque comminatoires pour les ridicules gredineries de ces temps fous."
A l'instar de Baudelaire (et de nombreux romanciers du XIXe siècle), un des thèmes favoris de Huysmans est le satanisme ; il faut dire que le "grand Pan" est souvent tenu pour le dieu des artistes. Sur le sujet relativement confus du satanisme et de Huysmans, dont il est fin connaisseur, François Angelier (!) a donné une conférence assez claire à la librairie "Le Monte-en-l'air" - conférence enregistrée ici.
Petite danseuse et son souteneur, par Forain, qui mettait plus de satire et moins d'esthétique dans ses peintures que son ami E. Degas.
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Revue de presse BD (241)
+ Grâce ou à cause de sa récente reconnaissance officielle, la bande-dessinée sert de plus en plus de "bouche-trou" dans la presse pendant la longue parenthèse estivale ; sous forme de prépublication d'une série à succès, d'enquête ou de dossier spécial...
"Le Monde" (F. Potet) a choisi de démontrer dans un dossier spécial (27 juillet) que la BD est désormais un art sérieux puisqu'elle se penche de plus en plus sur les questions politiques. En réalité, la BD a eu dès le début un usage politique, ainsi que le concède le journaliste lui-même, mentionnant le célèbre pamphlet de Hergé contre le régime soviétique.
On aurait mieux fait de remarquer que "Cher pays de notre enfance" (par E. Davodeau et B. Collombat), qui sert à illustrer le dossier du "Monde", ose encore égratigner la statue du commandeur de Gaulle, blasphème public devenu assez rare depuis que l'histoire a fait place au roman national dans l'enseignement scolaire.
+ La "reconnaissance" du public et des autorités culturelles ne nourrit pas toujours les artistes ; en 1896, fut lancée à Montmartre la première "Vachalcade", sous l'impulsion de quelques dessinateurs satiriques. Entre manif de protestation contre la culture bourgeoise et oeuvre de bienfaisance (souscription ouverte au profit des artistes nécessiteux), la "Vachalcade" doit son nom à l'emblématique "vache enragée". Le cortège haut en couleurs fait naturellement le tour de Montmartre, épicentre de la bohème artistique fin de siècle. La première édition, mal préparée, est un échec ; mais d'autres vachalcades suivront, mieux préparées.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les vachalcades, Laurent Bihl a écrit un long article très bien documenté et illustré qui traite le sujet, consultable dans la revue en ligne Cairn.info.
La "Vache enragée" fut aussi une gazette satirique (illustration de couverture par Toulouse-Lautrec, où l'on distingue dans la vache enragée l'ancêtre du gorille de G. Brassens)
+ Le musée de Cherbourg proposait pendant l'été (et jusqu'au 1er octobre) une rétrospective inédite de l'oeuvre de Winsor McCay (1869-1934), auteur de "Little Nemo". Une soixantaine de planches originales de ce dessinateur au trait un peu passé de mode, mais néanmoins considéré comme un pionnier de la BD et du dessin-animé américains, sont exposées.
McCay avait travaillé dans un cirque et concevait ses planches comme un spectacle pour les enfants. Son fils Robert lui servit de modèle (physique) pour dessiner le personnage de Little Nemo.
Comme d'autres dessinateurs de "comics", McCay travailla surtout pour le compte du magnat de la presse californien Randolph Hearst, qui publiait les planches en couleurs dans ses journaux. R. Hearst contribua fortement avec ses publications à la fabrique d'une culture de masse, produite par des industriels en quantité industrielle, dans un but qui n'est pas seulement mercantile, mais aussi d'asservissement des esprits.
W. McCay dessinait aussi des "editorial cartoons" dans les journaux de Randolph Hearst, critiquant ici les gaspillages de l'Oncle Sam (Une grande mais néanmoins dépensière nation).