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KRITIK - Page 36

  • Stalag IIB**

    Jacques Tardi s’est attelé à la tâche ardue de rendre intéressants les souvenirs d’un ancien combattant,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,kritik,jacques tardi,stalag iib,zombi,critique,kritik,drôle de guerre,char,céline,shakespeare,homère,casterman,xavier guibert,guerre d'alan,gi son propre père, enrôlé dans un régiment de char français en 40. Comme l’auteur se plaint lui-même d’avoir subi, enfant, les radotages plein d’amertume de son paternel, le moins qu’on puisse dire est qu’il avait conscience du défi qu’il se lançait… et qu’il n'est pas parvenu à relever.

    Dans «Stalag IIB», l’auteur s’est en outre représenté, en train d’accoucher son père au fil des pages de ses souvenirs d’un passé pénible, jouant de l'effet de voyage dans le temps permis par la fiction, qui permet de "repasser les plats", au contraire de l'Histoire. L’idée est originale et intrigante au départ, mais on peut prendre ensuite le déroulé de ce dialogue entre un père en tenue de soldat et un fils en tenue d'écolier, pour une sorte de règlement de compte psychanalytique, où le décor historique n’est plus qu’un prétexte.

    A mon sens, le lien du sang gâche la peinture d'histoire. Dans le même genre, l’accouchement d’un ancien GI américain par Emmanuel Guibert («La guerre d’Alan») était mieux réussi, le témoignage plus intéressant car plus large.

    La haine des Boches du père de Tardi, par exemple, était-elle représentative du sentiment populaire, des types embringués malgré eux dans une aventure dont le plan général de concurrence entre nations industrielles les dépassait? Ou bien cette haine n'était que le moyen que le père de Tardi avait trouvé pour se galvaniser contre l’atmosphère délétère des camps de prisonniers, comme d’autres choisissaient la belote, ou le souvenir émue d'une fiancée.

    On ne peut s’empêcher, d'ailleurs, quand on a lu Céline et ces deux romans complémentaires que sont «Le Voyage» et «Mort à Crédit», de comparer. Et de conclure que Tardi est loin d'atteindre la dimension historique du diptyque de Céline, qui trouve dans la folie guerrière nationaliste la force de témoigner contre elle, et de dissuader les milieux populaires de gober les grands plans de paix internationaux. L’expérience militaire du père de Tardi et l’antimilitarisme de son fils Jacques se confrontent, mais ne sortent pas renforcés l’un de l’autre. On pourra dire de Jacques Tardi qu'il a les mains pures parce qu'il n'a pas de mains. De son père qu'il est un salaud et un con, mais qu'il ne faisait qu'obéir à l'injonction sanguinaire du pouvoir républicain. Tandis que Céline a mis un terme à l'art républicain: il s'est vengé de la civilisation et de l'élite. L'art républicain en principe continue; mais plus personne de sincère ne continue d'y croire. Les auteurs de BD se torchent avec la légion d'honneur.

    La partie de «Stalag IIB» la plus réussie est le préambule où les Tardi narrent ensemble «la drôle de guerre», défaite éclair de l’armée française face aux troupes allemandes, prompte mais suffisamment longue pour permettre à Tardi-père d’éviscérer à coups de canons quelques-uns de ces Boches qu’il exécrait, avant d’être fait prisonnier.

    Stalag IIB - Jacques Tardi - Casterman - 194p.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Le Roi Oscar****

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    Les vastes étendues glacées du Nord-Est du Groenland sont des territoires où l’on ne s’attend guère à rencontrer l’humour, mais plutôt la génuflexion la plus stricte, compte tenu de la rigueur des éléments sous cette latitude extrême.

    Le Danois Jorn Riel, avec ses contes drolatiques basés sur l’infini ridicule de l’existence humaine, prouverait presque le contraire si ses trappeurs scandinaves exilés au Groenland riaient vraiment. Mais n’est-ce pas plutôt le lecteur qui sourit à leurs dépends ? Une part du rire, dit Baudelaire, vient du fait qu’autrui, par sa dégringolade, nous fait éprouver le sentiment d’être en position supérieure.

    Certes, il y a de quoi se réjouir de ne pas devoir faire la conversation au «Roi Oscar», vulgaire cochon, jusqu’à s’en éprendre, comme Vieux-Niels et Halvor dans leur chalet coupé du monde par le blizzard, tandis qu'on dispose en France de «tout ce qu’il faut», et bien plus, pour nourrir les sentiments. Jorn Riel ne se limite d’ailleurs pas au rire gras; l’immensité blanche et glaciale de l’Arctique, cet auteur nous la montre comme un alcool fort, auquel nul homme, fût-ce Danois, ne résiste bien longtemps.

    Autant dire qu’il fallait pas mal de talent de la part de Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle pour traduire fidèlement en BD ces quelques contes ironiques. Le comique de situation est seulement une question de technique pour l’auteur de BD et son scénariste: une question de la bonne case au bon moment. Mais pour l’humour noir, il faut un peu plus que de l’encre de cette couleur, comme la rareté des réussites dans ce domaine témoigne.

    Les amateurs d’œuvres originales, portés souvent eux-mêmes à se croire des spécimens «uniques», ont tendance -par principe- à dénigrer l’adaptation en BD de chefs-d’oeuvres de la littérature. Cette espèce de puritanisme fait oublier que les œuvres d’art les plus indémodables ont une existence autonome de leurs auteurs. Plus utilement, on fera le tri entre les ouvrages littéraires qui se prêtent à la traduction, et ceux qui n’y sont pas, ou peu, propices, comme les ouvrages de style.

    En ce qui concerne le dessin d’H. Tanquerelle, il m’a fait penser à de nombreux dessinateurs aussi variés que Gus Bofa, Dimitri, Blutch, Crumb, et on ne peut pas dire qu’il soit original lui non plus, mais justement placé entre le grotesque et le réalisme, comme l’exigent les contes de Jorn Riel.

    Ed. Sarbacane, 2011 (deux tomes parus, un 3e en cours).

    (Zombi - leloublan@gmx.fr - critiques 2012)

  • Les Noceurs***

    A propos de l’intrigue, d’abord. Elle s’annonce des plus banales, dès le titre. «Dionysiaque», comme on
    fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,kritik,les noceurs,brecht evens,ergens waar je niet wil zijn,actes sud,festival,angoulême,exposition,néerlandais,vile bodies,ces corps vilsdit dans "Télérama"; j’en soupirais d’avance, vu que tout est dionysiaque aujourd’hui: du supermarché en période de fête à la boîte de nuit «California Dream» en bordure de la voie express, jusqu’aux plateaux télé de Patrick Sébastien, sans oublier le look de croque-mort «too much» de Karl Lagerfeld… on n’en sort plus de la bacchanale mollassonne et quasi-quotidienne, si bien que, sans une petite tuerie de temps en temps, du côté de l’Ohio ou d’Oslo, on finirait par prendre le divin Bacchus pour un vulgaire guignol.

    On le sait, c'est pas nouveau, le diable est le roi de la fiesta, et il a le don de tomber les filles. Dans la BD de Brecht Evens, il se nomme «Robbie», pour les intimes, et tout le monde est intime avec Robbie, qui s'y entend comme pas deux question "climax". Même si ce tombeur-là n’est pas Don Juan, il ne démérite pas trop, dans le genre sémillant et chatoyant, servi par la palette d’Evens. Celui-ci a tenté l’audacieux pari de la couleur directe, dont on s'étonne qu'il soit gagné, tant il est inadapté à l’imprimerie. On peut craindre l’effet "sucre d'orge", mais ce n’est pas le cas de ces enluminures modernes, qui vibrent plus que la sérigraphie un peu nostalgique, à la mode chez d’autres auteurs.

    J’ai connu un Robbie à la fac, tout à fait fascinant: il ne demandait pas -ou presque pas- leur avis aux filles, et ça marchait. Pareil avec les mecs, d’ailleurs; tout le monde voulait être son pote, moi le premier. Je fus vraiment fier qu’il me choisisse. Ce que je ne prévoyais pas, c’est de devoir consoler toutes ces gonzesses, et distribuer les tickets d’entrée de sa garçonnière ; ah ça non, merde, je n'avais pas prévu ça ! J’en ai donc eu marre et j’ai rendu mon tablier (ustensile satanique, pour les non-initiés). Le maelström d’Evens est donc une fiction véridique...

    Peut-être manque-t-il un peu de noirceur à ce regard kaléïdoscopique? Comme celle qu’on trouve dans «Vile Bodies» («Ces Corps vils»), perle d’humour noir anglais 1930, sur le même thème:

    «(...) Soirées masquées, soirées "Cromagnon", soirées "Victoria", soirées "Grèce", soirées "Far West", soirées "Russie", soirées "Cirque", soirées où il fallait se déguiser en quelqu'un d'autre, soirées presque nues dans Saint-John's Wood, soirées dans des appartements, dans des studios, dans des maisons, dans des hôtels, des bateaux et des boîtes de nuit, dans des moulins à vent et des piscines; thés à la fac où on mangeait des petits pains, des meringues et du crabe en conserve, soirées à Oxford où on buvait du sherry brun et on fumait des cigarettes turques, lugubres bals de Londres, bals amusants en Écosse, ignobles bals de Paris,

    Toute cette succession et cette répétition d'humanité agglomérée… Ces corps vils…
    La soirée se résumait maintenant à une douzaine de personnes, à ce coriace noyau de gaîté qui ne se brise jamais. Il était dans les trois heures du matin.(…)»

    (Une exposition consacrée à Brecht Evens et ses "compagnons de route" (sic) se tiendra au cours du prochain festival d’Angoulême.)

    - "Les Noceurs" (titre original: «Ergens waar je niet wil zijn», ce qui signifie à peu près: enfer), Actes Sud, 2009, 22€

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Histoire de dessiner

    Ceux qui ont raté comme moi l’exposition consacrée à Raphaël au Louvre pourront se consoler à l'aide du site du Louvre consacré au fonds des dessins. Cet outil formidable contribua il y a quelques années à me convertir à l’internet. Des dizaines de milliers de dessins ont été scannés et mis en ligne à la disposition du public.

    Le moteur de recherche est d’un maniement qui pourrait être plus simple, mais au bout de quelques minutes d’entraînement, il vous sera possible d’accéder aux dessins suivant l’angle que vous désirez : suivant l’auteur, bien entendu, mais aussi l’école ; vous pouvez encore choisir un thème ou un mot-clef précis : «lion», par exemple, si vous cherchez des exemples d’études de lion, du moyen-âge au XXe siècle. 334 dessins sont ainsi classés sous le nom Raffaelo Santi (Raphaël).

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    Sainte Marie-Madeleine lisant à plat ventre (Jules Romain)

    L’expo de la super star Raphaël aurait été l’occasion de redécouvrir un artiste passé de mode, élève de Raphaël, dont le nom a perdu une partie de son lustre au profit de nouvelles «têtes d’affiche» : Giulio Pippi/Romano (1492/99-1546), autrement dit "Jules Romain", dans la forme francisée, en usage du temps de Baudelaire : «(…)Car une grande peinture vénitienne jure moins à côté d’un Jules Romain, que quelques-uns de nos tableaux, non pas des plus mauvais, à côté les uns des autres.»

    En effet, bon nombre d’œuvres exposées étaient de la main de Jules Romain. Après avoir dit le plus grand bien du site de l’inventaire du département des arts graphiques, je n’en dirai pas autant du service de communication du Louvre, qui prend plus ou moins le chaland pour un crétin en mettant un (superbe) portrait de Raphaël, et le nom de ce peintre en avant, quand par ailleurs de dignes conservateurs répètent dans la presse et les médias leur souci de «pédagogie» vis-à-vis du public; sans compter les expos à thèmes, de plus en plus fréquentes, comme il y a des parcs «à thèmes» (la mélancolie, crime et châtiment, les bohémiens, etc.).

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    Triomphe de Scipion et sacrifice d'éléphants (Jules Romain)

    Il ne faut pas avoir honte de s’intéresser au dessin ancien. Le dessin est indémodable, et l’engouement pour celui-ci n’a jamais faibli depuis la fin du XIIIe siècle en Europe, époque où le papier se répandit. Le développement de l’imprimerie, puis de la presse, a joué en sa faveur, tandis que d’autres arts d’apparat, comme la peinture, ont beaucoup moins bien résisté au bouleversement des mœurs et des institutions en Europe. Moins esthétique et bluffant que la peinture, le dessin est également beaucoup moins codifié. La distance entre les époques et le fossé entre les classes sociales est moins grand.  D’ailleurs, s’ils n’avaient été soumis à la nécessité d’épater la galerie, certains artistes du XXe siècle auraient sans doute pu se contenter de carrières de dessinateurs, tel Dali ou Picasso, dont on ne peut pas dire que la technique des couleurs soit bouleversante.

    Pas peu fier de son talent, Picasso s’est vanté d’avoir très jeune su dessiner aussi bien que Raphaël. Si le propos du maître espagnol n’est pas loin du "concours de bite", il témoigne du prestige de Raphaël à travers les siècles. Mais ce sont plutôt les dessins de la maturité de Picasso qui témoignent d’une liberté de trait et d’une simplicité proche de Raphaël ou Jules Romain.

    (par Zombi)

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    (Groupe de pêcheurs - copie d'après Jules Romain)


  • Les Bidochon sauvent la planète***

    Je vais encore me faire traiter d’hérétique, mais tant pis : je préfère Binet à Reiser. Je sais que Reiserfanzine,bd,bande-dessinée,zébra,critique,kritik,bidochons,reiser,brétécher,sociologue,binet,charb,st germain-des-prés,bobos est mort jeune, mais ce n’est pas une raison. Chez Reiser, dans le tas, il y a trop de blagues centrées sur le cul, si je peux m’exprimer ainsi.  C'est un genre un peu trop facile ; il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour rendre un plan cul comique; la position scabreuse est en elle-même grotesque. Voyez le lion, noble et fier animal bouffeur de zèbres, pas le genre à laisser sa femme tenir la culotte comme la hyène: eh bien même le lion, dans cette posture, a tendance à déchoir. C’est beaucoup plus difficile de parler sérieusement de cul, comme dans «36 Nuances de grey».

    D’ailleurs Claire Brétécher me paraît moins digne que Binet du titre de «meilleure sociologue de France», qu’un de ses éminents confrères lui décerna. Je lis parfois à propos des Bidochon : «Pas mal, mais Binet ne se renouvelle pas assez.» Eh, vous en connaissez beaucoup, vous, des comiques qui se renouvellent ? Charb ?

    Non, Brétécher connaît à fond le milieu bobo parisien, dont l’influence culturelle s’étend sans doute bien au-delà de St-Germain-des-Prés, mais elle ne déborde pas tellement ce périmètre.

    Le couple et les gadgets technologiques permettent de parler de la France moderne tout entière : le thème est «transversal» (j’ignore si c’est le terme exact). Couple + gadgets technologiques, c'est là l'essentiel des valeurs modernes, la religion commune.

    Dans son dernier album, Binet parle d’écologie, et ceux qui croient comme moi que l’écologie n’est qu’un gadget de plus vont se taper sur les cuisses (un gadget, c’est-à-dire un truc dont certaines personnes ne peuvent absolument pas se passer, mais dont l’efficacité reste à prouver). Binet s'amuse à confronter le discours beauf habituel de M. et Mme Bidochon à celui de leurs fréquentations écolos: et la partie n’est pas gagnée d’avance...

    Que pourrait faire Binet de mieux pour se renouveller ? Un album sur les «gays» ?... quand ils seront mariés.

    Ed. Fluide Glacial, 2012, 10 €

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • D'Air pur et d'Eau fraîche****

    Voici un petit "western de pionniers" brutal et sauvage comme je les aime, non par goût de la brutalité fanzine,bd,zébra,bande-dessinée,critique,kritik,d'air pur et d'eau fraiche,pero,boîte à bulles,western,nietzsche,bernanos,thoreau,fourier,tocqueville,pionnier,trappeur,charybde,scylla,ulysse,homèreet de la sauvagerie, mais par goût du réalisme.

    Le malaise social moderne, imputable à l’esclavage industriel et à la mécanisation des rapports sociaux, a suscité en réaction tout un art et une philosophie pour tenter de contrecarrer les effets de l’oppression. Ces réactions sont aussi variées que contradictoires entre elles, puisqu’on peut regrouper sous ce motif aussi bien Nietzsche que Bernanos, mais encore Tocqueville, Fourier, Thoreau, l’écologisme, etc.

    Chacun a une idée différente des causes de l’oppression moderne et des remèdes à y apporter. Si Nietzsche et Bernanos s’accordent sur le mépris du libéralisme et de la démocratie, en revanche ils s’opposent sur le christianisme ; Nietzsche l'accuse d'être responsable du libéralisme et de la démocratie, tandis que Bernanos voit le système technocratique moderne comme un mouvement néo-païen, tel que le nazisme se vanta d'être.

    Plus rares sont les penseurs ou les artistes qui, également préoccupés par l’oppression ou la décadence,  observent que la société, du coït le plus primitif jusqu’aux œuvres d’art les plus sophistiquées ou grandiloquentes, ne fait somme toute que refléter la nature ou l’imiter. Sur ce point, les nostalgiques du bonheur antique – citons Nietzsche encore une fois – n’ont sans doute pas tort d’observer que l’imitation était plus consciente dans l’Antiquité, et par conséquent plus respectueuse et mieux maîtrisée. La démocratie est un exemple concret d’abstraction juridique ou d’invention pure, sans rapport avec le déterminisme des choses naturelles, le rapport de force biologique permanent. A cet égard, la concurrence économique libérale est, certes, une formule plus bestiale, mais moins artificieuse. On devine que la démocratie répond surtout au besoin de l’élite de promettre aux opprimés de la terre des lendemains meilleurs.

     Et c’est là où je voulais en venir, après une parenthèse dont on me pardonnera, je l’espère, la longueur et les références un peu pompeuses. Car sous le titre de cette BD, «D’air pur et d’eau fraîche», dont on comprend l’ironie après quelques pages seulement, se cache le petit récit bien rythmé, sans paroles, de l’existence d’un jeune trappeur dans le Grand Ouest américain ; trappeur, donc prédateur, mais en fait lui-même en proie à toutes les sortes de dangers naturels ou mystiques, balloté de Charybde en Scylla, s’écorchant sur l’une, avant, à peine cautérisé, de se faire dévorer un membre par l’autre. Victime de bout en bout, de la nature sauvage qui le consume à petit feu d’une part, et de la société d'autre part, qui ne fait que rajouter un peu d’huile sur le feu. Notre trappeur se démmerde comme il peut ; il ignore le chenal, contrairement à Ulysse, doté par Homère du super-pouvoir de la sagesse.

    Les imprudents qui se nourrissent d’espoir risquent de bouder ce western en noir et blanc de Pero, entièrement dépourvu de cet ingrédient (celui qu’on retrouve au fond, tout au fond du vase de Pandore) ; ou bien encore, séduits par le dessin, simple et proche du croquis, ils le prendront pour un récit réaliste, du temps révolu de la fondation de l’Amérique, où les hommes se dévoraient entre eux, dans un cadre naturel aussi somptueux que terrible. Ils auraient tort. Le désespoir est essentiel à l’homme. La preuve, sans le désespoir, l’humour n’existerait pas : il n’y aurait que la morale ou la politique. Sans le désespoir, il n’y a qu’à se branler sur une toile et c’est de l’art.

    Pero, éds. Boîte à Bulles, 2012, 14€

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Autour du Chat Noir***

    Sous-titré "Arts & plaisirs à Montmartre" (1880-1910), le catalogue (bilingue français-anglais) de fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,illustration,chat noir,montmarttre,musée,raphaëlle martin-pigalle,libertaire,anarchiste,catalogue,phillip dennis catel'exposition en cours au musée de Montmartre (-2 juin 2013) vaut particulièrement pour ses illustrations.

    Ma dernière chronique dans Zébra (n°5) souligne le rôle décisif de la Butte Montmartre dans le renouveau artistique au XXe siècle. L'esprit contestataire qui régnait dans ce quartier contribua au renversement de principes usés. Le catalogue évoque un esprit "libertaire", mais "anarchiste" paraît mieux approprié pour qualifier la remise en cause des valeurs républicaines par ces artistes, au lendemain de la guerre de 1870 et à la veille de la Grande guerre industrielle et nationaliste.

    Selon Raphaëlle Martin-Pigalle, la topographie particulière de Montmartre prédestinait cette colline à accueillir un mélange d'artistes, de fêtards et de "marginaux", ou plutôt de "bohêmes" comme on disait alors.

    L'inventivité et la variété de spectacles, dont le seul but n'était pas pas de divertir, est détaillée dans ce catalogue;  du théâtre d'ombre d'Henri Rivière à la gazette artistique (Le Chat Noir), en passant par le cirque ou l'Ubu d'Alfred Jarry, satire restée fameuse de la raison politique.

    "Enfin, la jeune génération fin de siècle se passionna pour des médiums jusque-là négligés, comme la gravure, les affiches, les illustrations de presse et l'édition. Ainsi, des artistes tels qu'Henri de Toulouse-Lautrec, Jacques Villon et certains Nabis, comme Pierre Bonnard ou Henri-Gabriel Ibels, se mirent à illustrer livres et journaux satiriques populaires.

    A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, ces artistes "des journaux" apportèrent de notables contributions à l'art d'avant-garde parisien."

    Phillip Dennis Cate se contente de cette allusion, mais les révolutions artistiques sont toujours étroitement liées à l'imprimerie et la presse depuis leur invention, car ces moyens de publication échappent plus facilement au contrôle des institutions.

    Ed. Skira, Flammarion

    Zombi (leloublan@gmx.fr)