Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

KRITIK - Page 40

  • Passage afghan*****

                Dans le poste de télé, la guerre est bien souvent décrite comme l’affrontement entre les forces du mal et celles du bien, à la manière du fameux jeu vidéo «Call of Duty», qui abolit la frontière entre la tragédie et le divertissement.

                    - Et si j’allais voir de plus près ce qui se passe vraiment ? : qui n’a jamais éprouvé cet élan de curiosité, fanzine,zébra,bd,ted rall,critique,passage afghan,afghanistan,matt groning,taliban,reporter,joe sacco,boite a bulles,coree du norddepuis son canapé ?

                    Le dessinateur de presse américain Ted Rall est passé à l’acte, lui : il s’est rendu en Afghanistan, après avoir balayé l’inquiétude de ses proches (et la sienne) par un : - Si les Afghans sont capables de vivre toute l’année dans cet enfer, je dois bien pouvoir tenir trois semaines !

                    Et il en est  revenu avec un reportage, «Passage Afghan» («To Afghanistan & back»), dédoublé ou redoublé, puisque le témoignage de T. Rall est à moitié sous la forme d’un compte-rendu, l’autre partie en BD, dans un style inspiré par Matt Gröning. Sur le fond, le témoignage de Ted Rall glace le sang. Qui ne croit pas à l’enfer sera désillusionné.

                 Le pire, à lire, n’est pas le constat (prévisible) de T. Rall, que les soldats, sous des uniformes différents, font tous le même métier, et que ce n’est pas celui d’enfant de chœur. Bien plus inquiétante s’avère la stratégie de la guerre moderne, décrite par le dessinateur-reporter, qui incorpore les caméras et la presse, tout l’arsenal médiatique, sous prétexte d’information.

                    « On m'interroge souvent sur les mécanismes de censure des médias aux Etats-Unis ou plus précisément sur l'autocensure. Je pense qu'il ne s'agit pas tant d'un problème de mensonges délibérés - encore que cela puisse se produire - que d'un principe d'omission permettant aux médias de conserver leurs relations avec des politiciens et décideurs importants considérés comme des sources potentielles d'information. (...) »

                    Le moins qu’on puisse dire, c’est que Ted Rall ne prend pas de gants, moins encore que son confrère Joe Sacco, pour critiquer les grands médias audiovisuels occidentaux et leurs « mensonges par omission », dont il fournit quelques exemples précis, à propos du Vénézuela ou de la Corée du Nord.

     

    « Passage afghan », Ted Rall, La Boîte à Bulles, 2004.

    (Critique parue dans Zébra n°3)

  • De Caran d'Ache à Morris

    -E. Pollaud-Dulian, sur le blog "Illustrissimo", compare les dessins de Caran d'Ache, Gus Bofa et Maurice de Bévère (autrement dit "Morris") ; c'est notamment le cas en ce qui concerne les premiers albums de "Lucky Luke", avant que le dessin de Morris ne devienne plus nerveux et moins rond. Le caricaturiste Caran d'Ache (antidreyfysard comme Degas et Forain) a inspiré de nombreux illustrateurs.

    -D'ailleurs on peut relever que les premiers épisodes de "Lucky Luke" empruntent aux récits de voyage de Mark Twain autour du Mississipi (l'intrigue des "Rivaux de Painful Gulch" semble ainsi tirée d'une anecdote racontée par M. Twain sur la guerre aussi farouche qu'inepte que se livrent deux familles de fermiers, et présentée par l'écrivain comme authentique).

    fanzine,bd,zébra,emmanuel pollaud-dulian,morris,lucky luke,mark twain,maurice de bevere,illustrissimo,caran d'ache,antidreyfusard,gus bofa

    Caricature par Caran d'Ache.

    fanzine,bd,zébra,emmanuel pollaud-dulian,morris,lucky luke,mark twain,maurice de bevere,illustrissimo,caran d'ache,antidreyfusard,gus bofa

    Dessin de Gus Bofa

    fanzine,bd,zébra,emmanuel pollaud-dulian,morris,lucky luke,mark twain,maurice de bevere,illustrissimo,caran d'ache,antidreyfusard,gus bofa

    Couverture de "Lucky Luke" par Morris.

  • L'Histoire de Sayo***

              J’ai crains d’abord que le dessin tiré au cordeau de Yoshiko Watanabé, professeur de manga en Italie, ne m’empêche d’entrer dans ce petit roman historique en BD… Et puis non, je me suis laissé prendre quand même par l’atmosphère inquiétante de cette espèce de «thriller» historique, tiré d’un témoignage authentique par le scénariste Giovanni Masi.
    fanzine,bd,zébra,critique,histoire de sayo,mandchourie,yoshiko watanabe,manga,chine,giovanni masi,nikkeijin,dargaud

                    Nous est narrée l’histoire d’une famille d’immigrants japonais en Chine, qui se retrouve dans une position délicate à la fin de la seconde guerre mondiale, quand l’envahisseur japonais est vaincu. Cette famille composée surtout de femmes et d’enfants en bas-âge se retrouve isolée dans une Mandchourie devenue hostile ; Sayo, l’héroïne du récit, est même sur le point d’accoucher. Le retour au pays de ces Japonais déchus (nikkeijin) s’avère aussi nécessaire que périlleux. A tous ces dangers s’ajoute l’incertitude quant au sort du mari de Sayo, engagé dans l’armée nippone et probablement prisonnier des Chinois.

                    Le mélange est réussi entre une intrigue dont le ressort est surtout psychologique (comment une jeune femme habituée à une vie paisible et aisée va-t-elle se sortir du pétrin dans lequel elle se retrouve subitement plongée), et l’éclairage d’un épisode méconnu de l’histoire, voire honteux, les récits des vainqueurs offrant peu de place à la compassion pour le sort de leurs anciens ennemis. Le dessin japonais de cet album contribue en définitive à accroître le dépaysement du lecteur français.

     L’Histoire de Sayo, par Yoshiko Watanabé et Giovanni Masi, Dargaud , 2011, 19 euros.

    (Critique parue dans Zébra 3)

  • Biographie Bofa

    Les admirateurs de Gus Bofa attendent avec impatience la parution d'une biographie par Emmanuel Pollaud-Dulian en 2013 (éd. Cornélius)... abondamment illustrée ! Petit clin-d'oeil en attendant, un dessin de Bofa, extrait de "Zoo", d'après Horace Vernet (1935, éd. Mornay - (c) Marie-Hélène Grosos).

    fanzine,zébra,bd,illustration,zoo,horace vernet,gus bofa,emmanuel pollaud-dulian,biographie,cornélius,mornay

    (Plus d'infos sur http://www.gusbofa.com)

     

  • Gus Bofa****

    fanzine,bd,zébra,critique,bande-dessinée,illustration,gus bofa,olivier josso,emmanuel pollaud-dulian,blutch,picasso,acharnistes

    - Gus Bofa (1883-1969) fut un illustrateur singulier. Dans les quelques chapitres succincts de l’hagiographie qu’il consacre à Bofa, E. Pollaud-Dulian explique comment Bofa s’illustre d’abord lui-même avant d’illustrer les ouvrages d’autrui ; autrement dit, comment Bofa introduit la quête existentialiste dans une discipline, l’illustration, jusque-là plus artisanale.

    - Pollaud-Dulian étaye son propos de citations assez nombreuses pour ne laisser aucun doute sur le questionnement de B. : « Il est assez difficile de se connaître, de s’identifier à soi-même, de se distinguer, non seulement des autres hommes, mais du type Homme, de se trouver aux mesures inédites, qui conviennent à la fois à votre individu et à l’idée que vous voulez en avoir. La définition : « Gus Bofa grand dolichocéphale blond, dessinateur, ayant le goût de l’humour, de la fantaisie et du paradoxe », ne peut aucunement satisfaire l’idée que j’ai de moi, à moins d’en redéfinir chaque terme en fonction de moi. »

    - Naturellement la nouvelle vague d’auteurs de bandes-dessinées (et ici je ne peux pas m’empêcher de penser en particulier au travail d’Olivier Josso) ne pouvait manquer de voir en Gus Bofa un précurseur, puisque cette nouvelle vague adopte une démarche similaire ; elle se démarque en effet de la bande-dessinée franco-belge, auparavant faite pour divertir les enfants. O. Josso, comme son confrère Blutch, conserve d’ailleurs assez d’humilité (et de prudence) pour reconnaître et discerner dans le travail de Morris, Franquin, voire Hergé, une tendance à déborder déjà le cadre des histoires un peu mièvres qui leur étaient commandées. Cette démarche coïncidente a contribué à la redécouverte de Bofa, tombé déjà dans l’oubli à la fin de sa vie.

    -     - Mais, qu’est-ce que le « style » de l’auteur, si ce n’est justement son empreinte ou le reflet de sa personnalité, rétorquera un esprit plus pragmatique ? Par conséquent la démarche existentialiste est pour ainsi dire automatique. Une telle objection fait paraître Bofa plus novateur encore, car celui-ci définit lui-même le cadre abstrait de son art, et ne se contente pas d'appliquer une recette ou un remède éprouvé, ce qui reviendrait à lécher ses plaies devant tout le monde. Bofa n'a pas seulement  risqué sa vie au cours de la Grande guerre, où il a récolté une vilaine blessure, mais il a pris en outre des risques dans son art.

    -        - Pollaud-Dulian situe donc exactement Bofa à l’avant-garde, à l’égal des meilleurs artistes de son temps. A l’approche de la mort, son propos est très noir et son mépris de la culture de vie béate de ses contemporains accru. Bofa n’a pas vaincu les silhouettes qu’il dessinait, fantomatiques, ni lui-même comme un membre de cette armée d’ombres tremblotant au-dessus de la terre. Néanmoins il n’a pas triché dans son art ; c'est le minimum pour dépasser la simple contribution au jeu social, panneau où les imbéciles se jettent, perdant toute chance d’être aimés sincèrement hors le contexte qui les a élevés au grade de chevalier de quelque légion d’artistes absurde.

     - L’hagiographie d’E. Pollaud-Dulian se limite environ à cette présentation, assez irréprochable. Sa seule maladresse est de répéter le poncif de l’art dit « engagé », faussement opposé à un art qui ne le serait pas. En effet, l’engouement de tel ou tel poète pour Staline, Hitler, Pétain, Napoléon, etc., non seulement est révélateur d’une compétence de sergent-recruteur plutôt que d’artiste, mais il cache mal un mobile qui n'est pas moins personnel de la part de l'artiste "engagé" ; l'arrière-plan d’utopie sociale, non loin du fantasme, semble même indiquer une supplément de narcissisme chez beaucoup de poètes ou de philosophes soi-disant engagés (...).

    "Gus Bofa", par E. Pollaud-Dulian, éds. acharnistes, www.editions-acharnistes.com, 2008.

    NB : Autoportrait de G. Bofa

    Critique à paraître dans Zébra n°3

  • Gringos Locos*

    fanzine,zébra,bd,gringos locos,yann schwartz,chaland,jijé,critique,franquin,morris,gaston lagaffe,lucky luke

    Parti à l'aventure sur la côte ouest des Etats-Unis à la fin des années 50, le trio Jijé-Franquin-Morris est mythique pour les amateurs de BD franco-belge. Bien sûr les deux derniers sont connus pour avoir inventé Gaston Lagaffe et Lucky-Luke ; Joseph Gillain alias Jijé, moins connu, fut leur mentor ; beaucoup plus éclectique que ses disciples, il n'a peut-être pas connu pour cette raison un aussi grand succès ("Jerry Spring", "Blondin et Cirage", "Valhardi", sont -entre autres séries- de sa plume.)

    "Gringos Locos", par Schwartz et Yann, tente de raconter en BD les aventures réelles de ces personnages réels, bien qu'imprégnés de fiction, comme on peut l'imaginer. Les 35.000 exemplaires de l'album publié par Dupuis ont bien failli ne pas sortir de l'imprimerie. Les héritiers de Jijé et Franquin ont tenté de s'y opposer, jugeant le propos plus proche de la caricature que du portrait, voire carrément désobligeant ; Jijé est, par exemple, décrit dans l'album comme un "chef de clan surexcité, grossier et cul plus que béni".

    Finalement dans les rayons des libraires, "Gringos Locos" ne décevra pas que ces héritiers. Pour d'autres raisons que ce portrait de Jijé, relativement fidèle et qui souligne le paradoxe du personnage, à la fois truculent et dévôt catholique Wallon. En effet le style de Yann, impeccablement imité de Chaland, n'est pas directement en cause, mais il incite à la comparaison avec ce dernier. Or l'humour de Chaland était plus fin ; celui-ci avait trouvé une manière cocasse de souligner le grain de folie de la BD belge à ses débuts, et de faire deviner ses raisons, dont le mélange de morale puritaine désuète avec une technique artistique très moderne. Parue dans "Métal hurlant" n°64 (1981), "La vie exemplaire de Jijé" par Chaland est d'ailleurs consultable sur la toile.

    Zébra

    - "Gringos Locos", mai 2012, éd. Dupuis, 15,50 euros.

    - Sur l'illustration de couv., le trio est caricaturé dans cet ordre : Morris, Jijé, Franquin.


     

  • Pablo (T.1 Max Jacob)***

    (Critique parue dans Zébra n°2)

               L’exercice de la biographie en bande-dessinée est un des plus difficiles. On compte à ce jour peu de réussites. Parfois citées en exemple, les biographies du Belge Joseph Gillain, quoi que fort bien dessinées, ont le défaut de n’être que des hagiographies. Ainsi dans son récit de la vie du fondateur du mouvement scout, le général britannique Baden-Powell (ouvrage de commande), J. Gillain, alias Jijé, omit-il de mentionner l’invention des camps de concentration de prisonniers civils par l’état-major britannique, dont Baden-Powell faisait partie, lors de la guerre coloniale des Boers en Afrique du Sud (opposant les Britanniques aux colons hollandais) (1899-1902).

     

                L’Américain Edouard Sorel est un cas beaucoup plus rare, qui n’a pas hésité dans ses « Vies Littéraires » dessinées (trad. française Denoël Graphic, 2006) à lever le voile sur quelques icônes des arts et lettres modernes, habituellement drapées des plus hautes vertus par les autorités culturelles (Tolstoï, Proust, Jung, Sartre, Brecht, notamment)… avec la conséquence qu’on imagine de faire scandale dans le Landerneau des lettres new yorkais (E. Sorel prouve au passage que les Yankees ne sont pas tous aussi politiquement corrects que l’on dit généralement en France).

                La bio. de Picasso, par J. Birmant et C. Oubrerie, se situe à peu près entre les deux, l’hagiographie selon Gillain, et le réalisme de Sorel. Plus près sans doute de ce dernier, y compris pour le dessin, assez agréablement relâché.pablo,picasso,birmant,clément oubrerie,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,biographie,fanzine,edward sorel,jijé,joseph gillain

                Picasso ne suscite le plus souvent que des réactions d’idolâtrie débile, ou au contraire des insultes gratuites (sans arguments), comme ce fut le cas récemment de la part du romancier M. Houellebecq dans son dernier « best-seller ». Seulement esquissé, le portrait de Picasso est, dans cette bande-dessinée, plus équilibré.

                Heureusement le milieu artistique n’est pas épargné : peintres, modèles, marchands et collectionneurs, réunis comme larrons en foire. Je regrette l’insistance sur la romance de Pablo avec Fernande Olivier et ses préliminaires. Plus pittoresques sont en effet les aventures du groupe de peintres dont Picasso faisait partie. Max Jacob, notamment, n’est pas raté ! Toute l’innocente dévotion que le poète breton vouait au style hyper-viril de Pablo est même poussée jusqu’à la caricature, ce qui vaut encore mieux que l’hagiographie ou les bons sentiments.

               
    pablo,picasso,birmant,clément oubrerie,fanzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,biographie,fanzine,edward sorel,jijé,joseph gillainComme l’Education nationale s’avoue elle-même impuissante à enseigner les rudiments de l’histoire de l’art, cette bande-dessinée pourra pallier cette lacune et servir d’introduction à Picasso. Quelques scènes salaces ne troubleront pas nos « chères têtes blondes », vu la banalisation par la télévision des scènes de cabaret et danseuses à demi-nues, depuis que Picasso et son pote Casagemas débarquèrent à Paris, en 1900, n'en croyant pas leurs yeux de l'audace des danseuses de « French-Cancan ».           
                                                                                                                                                                                                                                                                                                              Zébra

    (Julie Birmant & Clément Oubrerie, Dargaud, mars 2012, 17 euros)