Je sais, je suis pas mal en retard pour parler de cette BD de Guy Delisle. J'avais trois bonnes raisons de ne pas le faire avant : d'abord j'ai lu la précédente chronique sur la Corée du Nord il y a quelques années, et elle m'avait rasé ; ensuite, "Chroniques de Jérusalem" est un volume assez épais ; tertio, je devais d'abord me débarrasser de l'agent du Mossad qui me collait au train.
Blague à part, le fait que cet album continue de caracoler en tête des ventes d'albums a fini par me décider. Je ne ferai pas de commentaire sur le dessin de Delisle ; sur un sujet aussi grave que Jérusalem et les territoires occupés/pas occupés, ce serait inutile, comme de reprocher à un reporter qui filme des bombardements de ne pas faire de beaux travellings ou des ralentis bouleversants.
Maintenant, essayons de nous situer dans le "no man's land" de la critique, dernier territoire sans drapeau, de ne pas faire de commentaire qui paraisse trop "pro" (ni pro-palestinien, ni pro-israélien). Il est évident que ce bouquin devait provoquer des réactions d'hostilité parmi les sympathisants de la cause israélienne, et son auteur devait bien s'en douter.
G. Delisle suit sa femme en mission humanitaire en Israël, et garde leurs enfants pendant que sa femme va au turbin. Ce statut de conjoint d'une employée d'une ONG (dont G. Delisle montre qu'il lui a causé pas mal de problèmes lors de ses déplacements en avion pour se rendre à des congrès de BD, rendant la police des frontières plus méfiante que nature), entame quelque peu la crédibilité du reportage. Dans les pays sur le pied de guerre ou carrément en guerre, et pas seulement en Israël, les ONG sont souvent regardées comme des officines de renseignement ou de propagande occidentales, à l'instar des grandes chaînes de télé étrangères. Dans la vie, bien sûr G. Delisle fait ce qu'il veut, mais en tant que lecteur ça me gêne qu'il voyage dans les valises de sa femme. Est-ce que ce fait ne provoque pas automatiquement des réactions d'irritation de certains Juifs nationalistes ?
Le mieux serait qu'un auteur de BD israélien vienne faire une chronique de la France pour constater, par exemple, s'il n'y aurait pas aussi un mur périphérique, entre le Paris "bobo" et la banlieue parisienne ? Dans quelle mesure les Français sont prêts à partager leur territoire ?
J'aime mieux, dans ces "Chroniques de Jérusalem", l'idée rendue par G. Delisle d'un téléscopage dans Jérusalem des principales religions du monde, en même temps que ça semble le lieu le moins spirituel du monde, d'où dieu serait complètement absent. Cette idée a surtout de quoi offusquer dieu, et comme G. Delisle, bien que baptisé dans la religion catholique, est incroyant, eh bien personne ne se sent visé...
Cette BD vient aussi renforcer une impression assez désagréable, et c'est sa principale qualité à mes yeux : l'impression que, plus on est informé, moins en sait sur ce qui se passe au-delà de nos frontières. Rien ne remplace l'expérience, ce n'est pas nouveau, mais ce qui l'est plus, c'est de trimballer avec soi, en plus de ses bagages, des tas de préjugés ou de clichés. "Chroniques de Jérusalem" envoie un message similaire à celui de "Passage afghan", de l'Américain Ted Rall, exprimé de façon plus brutale par celui-ci, à savoir que l'opinion publique occidentale est maintenue dans l'ignorance des événements tragiques qui se déroulent aux quatre coins du monde.
Z.