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KRITIK - Page 38

  • A la manière de...

    Nouveau malheur de Sophie

    (pastiche par Paul Reboux)

    Mirza


    La petite Sophie se laissait souvent emporter par la colère. C’est un vilain défaut que sa maman s’efforçait de corriger.
    Un jour Mme de Réan l’appela et lui désigna une chienne levrette, dont les yeux brillaient du plus beau noir, et dont les pattes étaient minces comme du verre filé.

    MADAME DE RÉAN

    « Sophie ! Le postillon de la diligence vient d’apporter une caisse à ton adresse. Voilà ce qu’elle contenait. C’est un présent que ton parrain t’envoie de Paris. Vois, la jolie levrette !

    SOPHIE, sautant de joie.

    C’est pour moi ? Quel bonheur !

    MADAME DE RÉAN

    Tu la soigneras bien ?

    SOPHIE, serrant la levrette dans ses bras.

    Elle sera la plus heureuse des petites chiennes !
    Viens, mon bijou, mon trésor, que je t’embrasse !

    MADAME DE RÉAN

    Voyons mon enfant, ne la baise pas ainsi qu’une personne, mais de la façon qui convient pour une levrette.

    SOPHIE

    Comment faire, Maman ?

    MADAME DE RÉAN

    Il suffit de flatter cette petite bête de la main en l’appelant par son nom.

    SOPHIE

    Et quel est-il ?

    MADAME DE RÉAN

    Elle répond au nom de Mirza.»


    Sophie, toute joyeuse, emmena Mirza. Elle lui prépara un lit formé d’un panier garni de coussins. Elle demanda même à sa bonne de coudre pour la levrette un paletot de drap bleu ciel, bordé de grenat, du plus charmant effet.
    Quand Paul, venu pour goûter avec sa cousine Sophie, vit Mirza, il se réjouit d’autant plus que sa maman, Mme d’Aubert, avait reçu en cadeau un petit chien de même race, nommé Patapon.

    MADAME DE RÉAN

    « À merveille ! Au printemps prochain, Mirza et Patapon pourront avoir ensemble des petits que vous élèverez, mes enfants.

    SOPHIE

    Bravo ! Quelle bonne idée !

    PAUL, taquin.

    Tu seras grand-mère, Sophie.

    SOPHIE, vexée.

    Et pourquoi donc ?

    PAUL, avec esprit.

    Puisque ta fille aura des enfants !

    SOPHIE, lui tirant les cheveux.

    Tu es un méchant ! Va-t’en ! Je ne t’aime plus du tout !

    MADAME DE RÉAN, sévèrement

    Sophie ! Je vous défends de parler ainsi à votre cousin. Si vous êtes aussi susceptible, je confisquerai Mirza et ne vous la rendrai que dans sept ans !

    SOPHIE

    Pardonnez-moi, maman, je ne le ferai plus.

    MADAME DE RÉAN

    C’est bon. J’enregistre ta promesse. Et maintenant allez jouer, et soyez sages. »


    Sophie et Paul, conduisant Mirza en laisse, se mirent à courir autour de la pelouse.
    Bientôt le bruit d’une calèche qui arrivait attira leur attention. C’était Camille et Madeleine que Mme de Fleurville amenait en visite.
    Tandis que cette dernière allait rejoindre Mme de Réan qui brodait des pantoufles sur la terrasse du château, les enfants demeurèrent ensemble. Ils s’aperçurent alors que Mirza avait disparu.

    SOPHIE, pleurant.

    « Ah, mon Dieu ! Elle est perdue !

    PAUL

    Ne te désole pas, ma bonne Sophie ! Je la retrouverai, dussé-je sauter pour cela dans les épines. »


    Camille et Madeleine partirent vers les serres, Paul s’en alla du côté des écuries, et Sophie du côté de la ferme, en appelant tous quatre à tue-tête : « Mirza ! Mirza ! »

    SOPHIE

    « Camille ! Madeleine ! La voilà ! Venez la voir ! Elle est avec Rustaud, le chien de la ferme.

    CAMILLE, accourant.

    Oh ! Comme elle est jolie !

    MADELEINE

    Dis-moi, Sophie, tu n’as pas peur que Rustaud lui fasse du mal ? Regarde…

    SOPHIE

    Pourquoi donc ? Ils jouent au cheval. Ce doit être leur façon de s’amuser entre chiens.

    CAMILLE

    Elle n’a pas l’air heureuse. Vois comme ses oreilles sont en arrière !

    MADELEINE

    Ce gros Rustaud s’appuie sur cette petite bête de tout son poids. Je t’assure, Sophie, qu’il va la fatiguer.

    SOPHIE

    Mais non. Je te dis qu’ils jouent. (À Paul, qui apparaît au loin.) Paul ! Paul ! Viens donc vite ! C’est très joli ! Viens voir !

    PAUL, accourant.

    Hou ! Hou ! Vilain chien ! Va-t’en !

    SOPHIE

    Pourquoi parles-tu ainsi à ce bon Rustaud ?

    PAUL

    Tu ne comprends donc pas ? Il va la rendre mère de bâtards !»


    Sophie était moins savante qu son cousin en histoire naturelle. Mais ce vilain mot de «bâtards» la mit hors d’elle. Elle ramassa une badine et se mit à frapper très fort sur le dos du pauvre Rustaud. Les deux animaux tentèrent de se séparer. Mais une involontaire fidélité les maintenait associés sous les coups.
    Les mamans accoururent et, de loin, virent Sophie s’escrimant à poursuivre Rustaud, enfin libéré. Indignée par la cruauté de Sophie, Mme de Réan lui tira fortement l’oreille et l’obligea à lâcher la baguette. Puis elle demanda, d’un air sévère :
    - Pourquoi martyrisiez-vous ainsi le chien de la fermière, Mademoiselle ?

    SOPHIE, rougissant.

    Mais non, maman, je ne le martyrisais pas !

    MADAME DE RÉAN

    Je vous ai déjà défendu de répondre :
    «Non» aux grandes personnes.

    SOPHIE, les larmes aux yeux.

    Je ne faisais rien…

    MADAME DE RÉAN

    Vous êtes une petite menteuse ! Je vais vous mettre au pain sec et à l’eau !

    PAUL

    Ne la punissez pas, Madame. Vous n’avez pas vu sans doute que Rustaud et Mirza…

    SOPHIE, pleurant

    Hi ! Hi ! Mirza va avoir des bâtards ! Paul l’a dit !

    MADAME DE RÉAN

    Ah ! Je comprends !… Mais n’importe… Sachez, Mademoiselle, qu’il ne faut jamais être méchante ni avec les pauvres ni avec les animaux privés de discernement. C’est le Bon Dieu qui a fait la Nature. Respectons l’œuvre du créateur.»


    La petite troupe reprit alors le chemin du château, tandis que Sophie se promettait d’être désormais douce et indulgente.
    Nous allons voir comment elle tint parole…

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    (Ill. par Gotlib des "Malheurs de Sophie")

  • L'Hydrie*****

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    L'hydrie est un grand vase grec orné de figures mythologiques. En principe destinée à recevoir de l'eau, une hydrie sert de dénouement à l'intrigue de la BD muette de Nicolas Presl, située dans la Grèce antique.

    Cet ancien tailleur de pierre reconnaît sa dette vis-à-vis de Picasso, dont les amateurs savent qu'il s'est lui-même inspiré de l'art grec pour la déformation de ses figures (qui permettent d'exhiber plus sur une surface plane, vase ou tableau, que l'angle de vue ne permet de voir). 

    Mon intérêt pour la mythologie et les peintures de vases, le sens exceptionnel de la forme des artistes qui les incisaient, peut faire soupçonner une critique partiale. Mais le propos de "L'Hydrie" de Nicolas Presl n'est pas vraiment homérique ou tragique ; il serait plutôt romain, presque "existentialiste" : l'amour, la guerre, le coït, l'avortement, la religion, la famille, la trahison, la gloire, sont mis en scène dans cette BD - toutes les passions en quoi l'homme reflète la nature et ses rythmes apparemment immuables, d'où viennent plaisir et douleur. A la limite, on pourrait presque traduire la BD de Presl comme un pamphlet contre la culture, c'est-à-dire contre le discours par lequel l'homme parvient à se convaincre qu'il a, au cours des millénaires, évolué "en bien".

    Ou encore c'est un éloge de la nature, en comparaison de laquelle l'homme paraît un bien pâle imitateur, encore plus grotesque quand il aime s'attribuer le premier rôle dans la conduite du monde, le coït, la religion, la guerre, l'art, etc.

    (Ed. Atrabile, 2011, 230 p.)

    - Aparté : sur la manière des éds. Atrabile de publier ce genre de bouquin, je m'interroge : pourquoi 230 p. N&B à 22 euros, quand "L'Hydrie" aurait pu être ramenée à trois fois moins de pages, et son prix divisé par deux ? ça donne l'impression d'une BD produite pour les bibliothèques municipales...

     

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  • Reiser à Pilote

    A vrai dire, j'ai été un peu déçu par l'album "Reiser-Les années Pilote" (Glénat, 2011), préfacé par Jean-Marc Parisis (la relève de Philippe Sollers ?). Mais bon, je ne résiste pas à un petit Reiser "spécial Noël" extrait de cet album...

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  • L'Exilé du Kalevala***

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    Ville Ranta a le mérite des peintres impressionnistes, celui de nous faire ressentir le paysage ou le climat qu'il peint. Ici l'action se situe en Finlande, sous une bonne couche de neige, au milieu des forêts et du froid, là où personne en principe ne choisira de vivre, à moins d'un dégoût profond de la société et des hommes.

    Les vieux routiers de la BD on coutume de dire qu'elle est plus une affaire de récit que de dessin. Ville Ranta fait exception à la règle : son dessin, entre le croquis sur le vif et la manière expressive de Roald Dahl, est la meilleure part de son art, adapté aux sujets païens.

    Quant à l'intrigue, elle est secondaire. Ranta brode autour de la bio d'Elias Lönnrot (1802-1884), médecin de campagne et poète. Celui-ci est connu pour avoir compilé la culture populaire de son pays dans le chant unique du Kalevala, la rendant plus accessible, suivant une mode en vigueur au XIXe s. dans presque tous les pays, mais en réalité il ne se passe pas grand-chose d'autre que l'éternel retour des amours ancillaires, des corvées d'abattage du bois et des cuites monumentales. Les authentiques paysans peuvent s'abstenir de lire cette BD, qui ne leur apprendra rien ; les zombies dans le gaz et la tiédeur des villes apprécieront le dépaysement.

    "L'exilé du Kalevala", par Ville Ranta, 2010, éds. ça et là
     
    Z.
     
    - J'en profite pour donner l'adresse du blog de Ville Ranta
  • Une Scène dans l'Ombre***

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    Correspondant de l'AFP à Rennes au début des années 90, Nicolas Auffray y découvre le microcosme des fanzines de BD bretons et leurs auteurs.

    D'abord surpris, comme le gamin qui découvre en soulevant un gros galet à la plage une myriade de petites bestioles -puis fasciné, ainsi qu'il l'avoue sans ambages : "Comment peut-on faire quotidiennement de la bande-dessinée depuis une quinzaine d'années sans en gagner sa vie ?" -N. Auffray vient de publier "Une Scène dans l'ombre", livre-enquête sur le milieu "underground" des "fanzineux" rennais (éds. Goater).

    Plus "underground", tu meurs ! Pour un peu on taxerait "L'Association" de parisianisme, en comparaison. J'exagère à peine : en effet, le sort des fanzines rennais est lié à la dèche assumée de leurs auteurs (tandis que le succès médiatique de Marjane Satrapi a propulsé "l'Association"). N. Auffray fait bien le distinguo, et souligne l'indépendance, pour ne pas dire l'entêtement de ces jeunes Bretons à rester les seuls maîtres à bord de leurs frêles publications.

    Les scrupules de N. Auffray sont à la fois la qualité et le défaut de son ouvrage. D'abord le scrupule consiste dans le grand respect des protagonistes de cette aventure, qu'on devine presque tous écorchés-vifs, et fabriquant des fanzines comme une seconde peau, pour se donner une raison sociale moins floue que celle qui leur a été commise d'office. Sans doute ce scrupule s'imposait pour obtenir un bouquin, non pas voyeuriste, mais suffisamment précis pour être palpitant (bien que je déteste les choses existentielles, dont il est beaucoup question dans ce livre et ces fanzines, je n'ai pas eu de mal à le lire).

    L'enquêteur ne laisse aucun aspect sous silence et leur consacre à chacun un chapitre : du rôle de la fac d'art plastique (Rennes est un des plus gros campus de France), jusqu'à l'échec du festival "Périscopages", tentative d'organiser à Rennes un festival de BD indépendante, en passant par l'appui de la librairie "Alphagraph" et son fanzine hébergé "Chez Jérôme Comix" ; sans oublier le patronage de Laure Del Pino et Olivier Josso, plus ou moins décrits comme les Bonnie & Clyde de la BD underground.

    En revanche, N. Auffray, ne répond pas, ou peu, à la question assez lancinante qu'il pose au début : pourquoi ? A quoi bon une telle dépense d'énergie, pour un rapport aussi faible, assortie d'une volonté aussi farouche d'indépendance ? Ceux qui, comme moi, préfèrent les réponses aux questions, resteront sur leur faim.

    Zombi


  • Caran d'Ache au Chat noir (2)

    Un strip de Caran d'Ache où je n'ai eu qu'à ajouter les bulles pour en faire une BD moderne. Le dernier phylactère est de Caran d'Ache lui-même.

     

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  • Caran d'Ache au Chat noir

    Je donne ici quelques "chutes" d'une prochaine chronique dédiée à l'influence du "Chat noir" sur la bande-dessinée (à paraître dans le prochain Zébra). Je précise : une chronique un peu plus longue que d'habitude, mais abondamment illustrée.

    - Après Henry Somm et Adolphe Willette la semaine dernière, disons quelques mots d'Emmanuel Poiré, dit "Caran d'Ache" (pseudo inspiré du mot russe pour dire "crayon"). Parmi les collaborateurs du "Chat Noir", c'est celui dont le style se rapproche le plus de la BD franco-belge moderne.

    Caran d'Ache (1858-1909) est plus souvent imité que cité en référence, eu égard à son antidreyfusisme, opinion qu'il partagea avec le caricaturiste Forain ou le peintre Degas, et beaucoup d'autres dans le milieu anarchiste ou libertaire de l'époque ("La Libre Parole") (j'ajoute, à l'attention des moralistes, qui ne sont souvent que des tartufes, qu'il est plus facile de faire le procès posthume de Caran d'Ache, que d'écrire l'histoire véritable de cette époque). Le dessin le plus fameux de Caran d'Ache est justement un dessin humoristique consacré à l'affaire Dreyfus, que l'on peut regarder sans crainte d'aller brûler en enfer.

    Comme on peut voir ci-dessous, il ne manque pas grand-chose pour parler de "bande-dessinée" :

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