Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

KRITIK - Page 34

  • Et ça vous fait rire ?***

    Dans une époque cynique comme la nôtre (au point d'inventer des "soldats de la paix" (!), ce genre webzine,gratuit,bd,zébra,bande-dessinée,fanzine,zombi,critique,kritik,et ça vous fait rire,viking,humour,hugleikur,dagsson,d'humour devait arriver...

    Le critique du supermarché où je me suis arrêté une heure pour lire des BD à l'oeil, confesse au stylo bille sur un petit carton: "Je n'ai pas pu m'empêcher de rigoler !"

    C'est hyper-malin de confier la rédaction de ces petits cartons aux vendeurs pour leur donner de l'importance; souvent ce sont des bac+5 qui n'ont pas pu être profs, vu la compétition, et ça leur fait une sorte de compensation; c'est comme d'écrire un blog, mais avec plus de lecteurs ; ça marche aussi avec moi, les petits cartons ; je les lis tous, comme les livres d'or à la sortie des musées, guettant le vendeur qui écrira : "Cette BD de Joann Sfar est une grosse daube, ne l'achetez surtout pas !", avant de démissionner.

    Donc Hugleikur Dagsson prends les dix commandements systématiquement à contrepied (1. Devant la Femme te prosterneras ; 2. Adolf Hitler et les nazis tu conspueras une phrase sur deux ; 3. Les journalistes tu prendras pour des envoyés de dieu ; 4. Les pauvres Africains tu plaindras ; 5. La planète tu tenteras de sauver en triant tes déchets ; 6. Même homo, te marieras, etc., etc., je pourrais en écrire 100)

    "A la manière de "South Park", pour ceux qui connaissent ce dessin-animé yankee. Le dessin est aussi dépouillé d'artifice. Rien que pour ça, je dis : - merci Dagsson !... vu le nombre de BD dessinées au compas, à la règle et au rapporteur qui nous tombent sur le coin de la gueule en provenance des US.

    Hugleikur, manifestement, est Viking. Ceci explique sans doute cela. Chez les Vikings, ce sont les femmes qui commandent, traditionnellement, vu que les hommes ne sont jamais là. Donc ce genre d'humour, un peu "brut de décoffrage", ni plus ni moins subtil que le monde dans lequel nous vivons, est in-dis-pen-sa-ble, pour évacuer la pression. J'ai mis seulement trois *** : mais pour ceux qui ont une mère un peu plus pénible que les autres (grâce à dieu, la mienne était presque toujours alitée), ça en vaut cinq, ou une boîte de pilules, ou un gros pétard du Cap-Vert.

    Si pour vous les occasions de rire sont nombreuses, tant mieux pour vous. Moi j'aime mieux ne pas en laisser passer une. Surtout à l'oeil.

    Et ça vous fait rire ? Hugleikur Dagsson, éd. Sonatine, traduit du viking, format poche (si vous connaissez une personne suicidaire, vous pouvez toujours déposer ça à l'endroit où elle range sa corde), 2009 ; prix : trop cher.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

    webzine,gratuit,bd,zébra,bande-dessinée,fanzine,zombi,critique,kritik,et ça vous fait rire,viking,humour,hugleikur,dagsson,south park

     

  • Sidi Bouzid Kids - La Révolution tunisienne*

    Cet album publié chez Casterman (KSTR) raconte la récente révolution tunisienne… telle webzine,gratuit,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,sidi bouzid,casterman,kritik,révolution tunisienne,alex talamba,mohamed bouazizi,historien,shakespeare,marx,nietzsche,ben ali,facebook,twitter,facebook,alliot-marieque les Occidentaux aimeraient qu’elle se soit déroulée: une poignée de jeunes Tunisiens, épris de liberté et inspirés par les idéaux de la révolution française, renverse le tyran Ben Ali grâce à Facebook et Twitter. Pas besoin d’être abonné au «Monde diplomatique» pour deviner que ce récit est cousu de fil blanc, le décalque presque parfait des journaux télévisés servis par TF1 ou France 2.

    Sans être aussi réactionnaire ou conservateur que Nietzsche, ennemi de tout ce qui fait bouger la société, on peut affirmer que cette manière de raconter le processus révolutionnaire est la plus débile possible. Elle fait fi de l’histoire ; or l’histoire est le seul terrain où les tyrans ne dominent pas les peuples. L’historien doit toujours lutter contre la légende dorée. Shakespeare contre la légende médiévale arthurienne, Marx contre les contes pour enfants des Républiques libérales à base de grand architecte de l'univers, etc.

    En l’occurrence, la légende dorée en filigrane de cette BD est celle de la révolution bourgeoise et de la souveraineté populaire/droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

    L’idée que le régime bourgeois libéral constitue un progrès, dont nous, Occidentaux, bénéficions, tandis que le reste du monde demeure largement soumis à la tyrannie est une idéologie : - primo, contestée par bon nombre d’historiens ; - deuxio, d’une arrogance sous-jacente à l’entreprise colonialiste ou impérialiste depuis le XVIIe siècle, dont les émeutes contre Ben Ali, et le renversement de son gouvernement ne sont qu’un épisode sanglant parmi d’autres. Non pas une "avancée", mais une "secousse".

    La «souveraineté populaire», du moins dans son dispositif électoral moderne, est une invention occidentale, inculquée comme le catéchisme au reste du monde. C’est-à-dire que, comme certains athées arguent que dieu demeure obstinément invisible, on peut aussi bien en dire autant de la démocratie. En réalité, ne tarde-t-elle pas aussi à se montrer, ailleurs que dans les discours ronflants des politiciens, ou dans le désir inassouvi du peuple tunisien d’être libéré de son joug ? La formule englobe tous les eldorados et les edens truqués depuis que la religion existe : "la possibilité d'un île", dit untel.

    On constate que cette promesse de démocratie réelle consolide aussi bien l’ordre public tyrannique, qu’elle joue un rôle dans le déclenchement de la rébellion ou de la révolution.

    L’histoire nous enseigne en outre que c’est exactement le rôle que «dieu» a pu jouer sur le plan social auparavant – le plus souvent mis au service de l’ordre public, parfois brandi «a contrario» comme un argument révolutionnaire, y compris par certains artisans de la Révolutionnaires de 1789. De même, encore aujourd'hui, Allah et la révolution sont confondus dans les revendications de certains révolutionnaires musulmans. Ajouter "allah" est même sans doute une façon de dire pour les Maghrébins qu'ils ne copient pas l'Occident.

    L’idée de démocratie moderne n’a rien à voir avec Platon : elle est entièrement tributaire de la façon dont dieu a été défini par le clergé dans l’Occident moderne. Platon émet des hypothèses pour 200.000 Athéniens.

    La démocratie n’est donc qu’une version laïcisée ou populiste de dieu. «Populiste», dans la mesure où les élites des nations dites «démocratiques» agissent sciemment à l'écart, ou en dépit des principes égalitaires ou de fraternité requis.

    Bien qu’il ne perçoive pas tout le profit pour l’élite d’une telle métamorphose du dieu de l’ancien régime en démocratie, ou le caractère inévitable de cette métamorphose, Nietzsche a raison de ne voir dans ce processus qu’un simple désordre, et non un progrès. L’idée de progrès est martelée par la propagande libérale, à laquelle cet album de BD sur la révolution tunisienne contribue, sans que ses auteurs aient fait le moindre effort de synthèse, écrivant un récit aussi naïf que les images d'Epinal sur Jeanne d'Arc ou Napoléon.

    Michèle Alliot-Marie joue dans cette BD le rôle de la méchante Occidentale conservatrice, de mèche avec le tyran Ben Ali : ce procédé manichéen permet d’éviter de poser le problème dans les termes réels où il se pose, depuis le début de l’aventure coloniale : à savoir, non pas de l’intérêt privé de ladite Alliot-Marie, exécutante de basses-œuvres parmi tant d’autres, voire de Ben Ali, mais en termes d’intérêt pour la société civile française dans son ensemble, luttant pour le maintien de l’influence de la France en Afrique.

    Que font aujourd’hui les troupes françaises au Mali, mandatées par un gouvernement de gauche, si ce n’est rétablir l’ordre à la demande du gouvernement malien, répondant à une sollicitation que Mme Alliot-Marie n’a pas eu le temps de satisfaire en Tunisie ? Ce qu’il faut remarquer, puisque l’ingérence coloniale sous divers prétexte n’est pas un fait nouveau, c'est qu'elle obéit à une tactique extrêmement hasardeuse, la plus propice à installer le chaos et la zizanie, en lieu et place de la liberté rêvée ou promise. Un plan de pénétration-retrait. Ce que la BD rappelle quand même, c'est que l'intervention française, si elle avait eu lieu, sous une forme ou une autre, aurait été justifiée par la lutte contre le terrorisme par le régime de Ben Ali. Ainsi que la répression à l'aide de snipers qui fut brièvement mise en place. Le régime de Ben Ali est tombé pour des raisons économiques. As usual. Il est tombé très vite de n'avoir pas pris la mesure de son extrême faiblesse économique.

    Sans doute la meilleure raison de faire du reportage en BD est pour inverser ce type de discours simpliste, véhiculé par «Sidi Bouzid Kids», qui prend surtout ses lecteurs pour des "kids", répétant ce qu’on entend dans les journaux télévisés, et qui est conçu pour entraver le moins la digestion du téléspectateur.

    Deux ou trois dépêches recopiées des journaux en fin d’album, sont plus intéressantes que le scénario précédent, mis en image par Alex Tambala, dessinateur roumain, dont je ne nie pas l’habileté.

    Notamment l’une de ces dépêches suggère que le suicide de Mohamed Bouazizi, qui s’immola par le feu en décembre 2010 après avoir été giflé par une policière, pourrait n’être qu’une légende. C’est-à-dire l’immolation, avérée, mais la cause du suicide demeurant mystérieuse. Ce genre d’anecdote ou de détail, de même que la perversité de l’épouse de Ben Ali, sont montés en épingle pour deux raisons : d’abord parce que la propagande se nourrit de détails, et consiste à focaliser l’attention du public dessus, ensuite parce qu’il est flatteur et confortable pour l’homme de croire que tel ou tel peut peser par une action, isolée ou collective, sur le cours des événements : ce qui revient à une conception climatique ou phénoménologique de l’histoire, dépassée depuis des milliers d’années… au moins depuis Homère.

    Sidi Bouzid Kids, par Eric Borg et Alex Talamba, Casterman, 2012.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • En Silence***

    La critique doit non seulement s’efforcer de déceler l’esprit d’un bouquin s’il en a, mais elle doit aussi webzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,en silence,audrey spiry,kstr,kritik,zombi,rivière,sexe,torrent,vouivresavoir rester silencieuse devant un objet qui ne se prête pas à la critique. Pourquoi y a-t-il des critiques musicaux qui s’efforcent de démontrer que Wagner est supérieur à Vivaldi, ou vice-versa, quand les amateurs de musique disent qu’ils n’ont pas besoin de la critique ? Qu’ils aiment tel truc ou tel autre, parce que c’est leur bon plaisir. Point à la ligne. Critiquer la musique doit être une sorte de musique en soi, je suppose, celle de ceux qui ne savent pas jouer d’un instrument ou composer, ou qui n’ont pas de voix…

    Ce préambule pour m’excuser de faire quand même la critique d’une BD aussi impalpable. Une pure symphonie de couleurs. Il est bien vrai qu’en matière de couleurs, il est inutile de discuter: je suis incapable de dire qui d’autre que moi pourra être touché par cette BD d’Audrey Spiry, qui fait vibrer la corde érotique, d’une façon très féminine ? Disons qu’il faut peut-être, comme je le fais, situer la baignade dans le lit d’une rivière froide parmi les trois ou quatre plaisirs les plus élevés dans ce monde, et qui fait que dès que je passe à proximité d’une rivière, je ne peux pas m’empêcher de me jeter dedans, y compris si elle Vilaine.

    Une bande de touristes au fond d’une gorge profonde descend le cours d’un torrent, tantôt coquin, tantôt brusque, glouton, affolant. Voilà pour le scénario. Ajoutez quelques "flash-back", à cause du lien entre l'eau et la mémoire. Bien sûr tout est sexuel là-dedans. Zéro imagination de ma part.

    Ce qui est remarquable chez Audrey Spiry, c’est la manière dont l’érotisme occupe toute sa fiction, le point où elle parvient à faire pratiquement corps avec la rivière, la traduisant dans son dessin comme le personnage principal. D’habitude c’est le scénariste qui nous mène, pliant le dessin à sa volonté ; là, c’est la rivière, qui nous entraîne.

    Les rivières sont des dévoreuses d’hommes, comme l’esprit des rivières, qu’on nomme «vouivre», et qu’il vous est peut-être déjà arrivé de rencontrer, comme moi, dont il vaut mieux prendre l’avertissement très au sérieux. L’homme – je ne sais pas si les femmes aiment vraiment se baigner dans les rivières froides, sauf pour ensuite se réchauffer au coin du feu ? -, l’homme disais-je, qui va au bain, entre dans le lit d’une femme beaucoup plus puissante que lui, situation inédite, et dépucelage qui peut avoir des conséquences gravissimes si la rivière veut cet homme pour elle et pour elle seule.

    Se baigner dans la mer est plutôt dégueulasse, en comparaison. Pas seulement parce que de très gros poissons baisent dedans. Pour ma part, je laisse ça aux poètes oedipiens, fascinés par leur maman. Aux Italiens, qui voudraient que l’eau soit toujours à 37°C.

    NB : Il ne faut pas s'attendre à ce que je traite d'une BD de cul chaque semaine non plus. Là je l'ai fait, exceptionnellement, parce que c'était la journée de la femme.

     

    webzine,zébra,bd,bande-dessinée,critique,en silence,audrey spiry,kstr,kritik,zombi,rivière,sexe,torrent,vouivre

    En Silence, Audrey Spiry, KSTR, 2012.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • Ouvrier***

    (Mémoires sous l’Occupation, vol. 1)

    Je reprochais récemment au dernier album de Tardi d’après son père, cet antihéros, le mélange deswebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,ouvrier,occupation,bruno loth,jacques tardi,collaboration,louis-ferdinand céline,front populaire,guerre,résistance,bordeaux genres («Moi, René Tardi»). Il n’est pas interdit, comme Louis-Ferdinand Céline, de mêler le drame personnel à la peinture d’histoire, bien au contraire. Mais le drame, Céline l’a vécu, et le péché atroce qu’il a commis, de partir à la guerre la fleur au fusil, et tout ce qui s'ensuit à quoi la légalité n'enlève rien, il s’en accuse d’abord au premier chef ; ça permet à ses meilleurs romans de ne pas verser dans la morale édifiante, voire d’atteindre l’humour humble du cocu qui sait qu’il est cocu et s’en moque autant que possible (Les soldats sont des cocus qui reviennent avec des blessures plus profondes que les blessures d’amour).

    Le drame de Tardi Jr est seulement d’avoir eu un père, ancien prisonnier de guerre aigri et radoteur, s’accusant d’un péché bien différent: celui d’avoir connu la défaite.

    Céline est d’ailleurs un auteur pleinement populaire, et non populiste. Il n’accuse pas seulement les élites «judéo-maçonniques» et cléricales du péché de la Grande Guerre, mais aussi les prolos et les paysans, les employés de son rang, de se laisser conduire systématiquement au néant par le joueur de flûte –de préférer le bar-PMU à l’histoire.

    De populisme on ne trouve pas trace non plus, ou presque pas, dans la BD-témoignage de Bruno Loth d’après son père, et donc pas le «pathos» psychologique sur la relation père-fils. «Mon père avait entre 20 et 25 ans, c’est un témoin direct, et ses souvenirs d’homme ordinaire m’apparaissent aujourd’hui comme une véritable aventure.» C’est assez malin, plutôt que de s’inventer un drame, de tirer de celui, réel, vécu par son père, matière au récit. Mais l’auteur exagère un peu, car ce n’est pas exactement ici un récit d’aventure.

    Jacques Loth, illustré par son fils, nous narre les conditions de la collaboration forcée des ouvriers des chantiers navals de Bordeaux, ô combien stratégiques en temps de guerre. La résistance? Bien peu s’y risquent. Jeunes, sans famille, jugés inconséquents par leurs parents le plus souvent. Travail et nécessité de gagner sa croûte, bien que l’Allemagne porte ces valeurs au pinacle, font loi bien au-delà des frontières de ce pays, et notamment parmi les ouvriers qui, pour ainsi dire, n’en connaissent pas d’autres. La résistance est un luxe. On s’étonne de l’ampleur des représailles, après qu'un officier allemand a été abattu. Lorsqu’un de ses potes est fusillé, Jacques est stupéfait, lui qui est si doux, au point que sa fiancée le largue en cinq sec, si gentil qu’il ne ferait pas de mal à un Allemand. Tout l’intérêt de ce témoignage réside dans la douceur du personnage, selon moi, qui promène un regard étonné parmi ses contemporains plus vifs, occupés dans tous les sens du terme, et rend donc un témoignage moins militant ou moins passionné de cet épisode d’Occupation.

    Le défaut est, a contrario, d’une vision un peu idyllique du monde ouvrier, lisant des bandes-dessinées et partant jouer aux trappeurs l’été au bord de l’eau (au cours du Front populaire), tels des boy-scouts. Pour un peu on pourrait penser que, «si tous les ouvriers du monde se donnaient la main, ce serait la fête à l’humanité, etc., etc .»… suggestion qui aurait certainement fait ricaner Céline, comme les images d’Epinal stalinienne. On sent peu la dureté de la mécanique, imprimée le plus souvent sur l'ouvrier.

    De même on peut supposer que le jeune homme Céline, plutôt agité, s’il avait connu l’Occupation et non joué les héros en 14-18 précédemment, se serait lancé dans quelque coup de résistance saignant, contrairement au héros de la BD. Pourquoi ? Eh bien pour connaître l’aventure, pardi, celle que le destin dicte d’en-haut aux hommes, et contre laquelle ceux qui préfèrent cultiver leur jardin ou astiquer leur moto ne peuvent rien.

    Ouvrier, par Bruno Loth, éd. La Boîte à Bulles, 2012.

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • A la folie***

    Cet album de Sylvain Ricard et James n’est pas précisément une nouveauté, puisqu’il remonte à 2009. fanzine,bd,zébra,webzine,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,à la folie,étienne ricard,sylvain ricard,james,terreur graphique,hypocondrie,nietzsche,pascal bruckner,amour courtois,éthique,violence conjugale,amour,courtois

    Traitons de cet album en parallèle avec le dernier opus de Terreur graphique (Hypocondrie(s)), qui cause de la peur et de la maladie d'amour, d’une manière plus subtile que bien des philosophes modernes, puisqu'il introduit l’humour, puissant dissolvant de la morale.

    En effet, on ne plaisante pas avec le couple aujourd’hui, bien que ce soit une des plus grandes sources du ridicule humain. Le couple est devenu une religion cent fois plus contraignante que l’Eglise catholique romaine. Et, bien que cette institution nouvelle soit le produit dérivé du droit canonique de l'Eglise romaine, nul ne songe à s’en émanciper. La philosophie moderne vise le plus souvent la domestication de l’homme et l’encadrement de sa sexualité par l’Etat (comme la volonté de marier les gays l’indique).

    On peut dire que la révolution sexuelle des années 70, qui coïncide avec la désindustrialisation, a été faite par des hommes égoïstes, pour des hommes égoïstes, avant d’être récupérée immédiatement par les femmes, tirant la couverture à elles. Une chose est sûre, et doublement illustrée par l’album de Terreur graphique et celui de Sylvain Ricard & James : l’homme et la femme ont de la liberté sexuelle une conception différente. J’en veux pour preuve la morale de F. Nietzsche, qui comporte un aspect de «libération sexuelle» virile et misogyne. Ce n’est certainement pas un hasard si on donne de la morale de Nietzsche une traduction émasculée aujourd'hui, en particulier dans les milieux populaires. M. Onfray appelle ça "gauchir Nietzsche": cela revient à vider complètement Nietzsche de son sens pour en faire une peau de lapin, adaptée aux mœurs libérales modernes, c’est-à-dire à l'un des trucs que Nietzsche vomit le plus.

    Sylvain Ricard, comme Terreur graphique, souligne intelligemment le paradoxe du couple moderne, à savoir que c’est ce qui le provoque et le justifie qui le détruit. Exactement comme le couple traditionnel auparavant. Tout se transforme, rien ne change, au niveau du coït, et de toute la poésie mystique qui va avec.

    Quand Terreur graphique traite de la «maladie d’amour», et de la position de faiblesse qui est celle de l’homme amoureux au sein du couple, étreint par sa femme comme l'enfant par sa mère, ainsi que de la manière d’exorciser cette passion, Ricard et James, eux, évoquent le tableau clinique inverse du couple où la femme pâtit, du fait de la violence de son conjoint et de l'étalage de sa puissance physique.

    La situation de violence conjugale, a contrario de la maladie d’amour précédente, mobilise les autorités morales de ce pays, dont on peut déduire qu’elles agissent de façon désordonnée et inefficace (c’est la caractéristique des autorités morales), car la maladie d’amour n’est pas moins grave et explosive, bien que totalement négligée, voire excitée à travers la littérature la plus débile ou la circonstance atténuante du "crime passionnel". C’est typique de la société moderne de négliger la violence psychologique, de faire comme si elle n’existait pas, et de ponctuer d’un point d’interrogation hypocrite les tueries sur les campus américains. On n'a pas vu venir ces violences, précisément parce qu’elles signifient l’éclatement au grand jour d'une oppression occultée ; il n’y sera pas remédié, en raison de l’usage de cette violence psychologique pour faire régner l’ordre social.

    On pouvait craindre, sur le sujet de la violence conjugale, la moraline habituelle des grandes prêtresses du féminisme (parfois de sexe masculin), dont on apprend ensuite qu’elles écrivent des romans porno-chics pour payer leurs loyers (quand elles ne sont pas entretenues directement par leur père ou leur conjoint). "A la Folie" se situe sur un plan supérieur à celui de la morale ou de la religion ; le plan de l'observation.

    C’est une bonne idée de la part de Ricard, à la manière d’Esope, de peindre les protaganistes du couple qu’il décrit comme des animaux (des chiens). C’est l'inquiétude pour la cellule familiale qui explique que l'épouse retarde le moment de porter plainte pour coups, blessures et viols. Et tout l’amour pour son conjoint brutal se résume, de son point de vue, le seul valable, à lui trouver des excuses et lui pardonner facilement. Si elle ne lui trouvait pas d'excuses, cela impliquerait aussi qu’elle ne l’aime pas. Nul ne comprend que la femme battue aime son mari, alors que c'est pour elle une des preuves de son amour.

    Le cercle est parfait, comportant sa part de douleur et sa part de plaisir égales. En exergue, un poème d’Etienne Ricard : (…) Les coups à la volée/Ensemble font hurler/Nos désirs – A la volée/La gifle nuptiale/Frappe de son battoir/Le destin des amants. Le cercle est bel et bien érotique ou vital. Des couples plus chics ou plus âgés, afin de mieux se préserver, prennent parfois la voie de la simulation érotique sado-masochiste... mais cela revient au même, le rapport de force est conservé. Les adultes peuvent jouer au sexe, comme les enfants jouent à la guerre, avec le même sérieux.

    Si l’on redescend au niveau de la santé ou de la morale publique (que cette BD évite soigneusement d'aborder), on verra d’ailleurs qu’il n’y a rien de pire que l’enseignement de l’amour courtois, c’est-à-dire la croyance dans la possibilité d’un couple égalitaire ou d’un amour unisexe, satisfaisant la femme et l’homme de la même façon. C’est l’assurance de transformer les gosses qui gobent cette utopie en tyrans domestiques, ou bien en hypocondriaques, voire en pervers manipulateurs hypocrites, sans doute la pire espèce des trois, car celle qui impose la violence psychologique.

    Personne n'est innocent, pas même les femmes, pourrait-on conclure à la lecture de cet album. La folie sociale et ses débordements résultent d'une complicité entre l'homme et la femme : s'il y a un point où les sexes opposés s'accordent, c'est sur l'idée de s'affronter. Ce constat peut paraître banal : il ne l'est qu'à condition de reconnaître que toutes les utopies socialistes impliquent de nier cette évidence que l'homme et la femme sont nés pour s'entretuer, et non pour s'entraider comme les apôtres du mariage nous disent. Le mariage gay est beaucoup moins explosif... en même temps qu'il est totalement inutile sur le plan social, en principe. Cela permet de comprendre pourquoi, à défaut d'être parfaitement heureux dans l'antiquité, on n'y faisait pas tout pour être malheureux, comme dans le monde moderne, qui marche sur la tête.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

    "A la folie", Futuropolis, Sylvain Ricard et James, 2009.

  • Anthologie Animation

    Il y a quelques mois déjà que je veux faire ça; découvrir le chef-d'oeuvre de Lucrèce Andreae, il y a peu, me l'a rappelé; "ça", quoi ? Eh bien un petit "best-off" des courts métrages d'animation qu'on peut trouver sur la toile, souvent fabriqués par de jeunes diplômés d'écoles spécialisées dans ce domaine. Avec une mention spéciale pour des centres de formation français (Emca d'Angoulême), où est apparemment enseigné l'art de ne pas se laisser envahir par des considérations techniques (et c'est sans doute, ici, la première et la dernière fois que je fais l'éloge de l'enseignement français).

    Je mettrai cette anthologie à jour au fur et à mesure de mes découvertes.

    Un critique d'art anglais du milieu du XXe siècle a vu dans le dessin-animé "le seul art qui appartient en propre aux Etats-Unis d'Amérique"; j'en suis moi aussi convaincu, vu le lien très spécial de l'humour des meilleurs cartoons yankees avec les mathématiques modernes (dites "post-euclidiennes"); cet humour fait écho au rire d'Einstein. Je me souviens d'avoir déclenché l'hilarité dans un congrès de physiciens américains quand j'ai fait le rapprochement entre l'art des cartoons et celui des spéculations mathématiques "à la manière de Feynman"; il n'empêche que le comique de situation, déclencheur du rire dans les cartoons, est produit par des paradoxes identiques à ceux que la physique moderne prévoit. Bien que son but soit de soupçonner la physique quantique et non de l'élucider, le paradoxe du chat de Schrödinger pourrait être le sujet d'un dessin animé.

    Il faut s'arrêter aussi sur l'aspect industriel de cet art. C'est une petite révolution de pouvoir désormais, techniquement, produire en solo des dessins-animés qui exigeaient naguère le travail d'un studio entier, avec des coûts mille fois plus élevés. Souvenons-nous que c'est pour des raisons de coût que les studios américains ont dû interrompre dans les années cinquante la production de courts métrages, avant de sombrer peu à peu dans la guimauve des dessins-animé des studios Disney ou japonais. Comme en bande-dessinée, le format long est, dans le dessin-animé, synonyme de dilution et d'infantilisme - d'ailleurs principalement motivé par une double raison pédagogique et commerciale.

    Le cinéma d'animation, ou le cinéma en général, qui est l'art le moins individualiste, peut tout d'un coup le redevenir et perdre en partie, sait-on jamais, cet aspect "séquentiel" typique de tous les arts mécaniques, pour redevenir plus humain et moins ennuyeux.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

    Excitant !*****

    Conte africain*****

    Minimaliste, mais il fait le maximum*****

    Orwellien*****

    Terreur graphique****

    Héros****

    Kafkaïen****

    Artisanal***

    Le Massacre de la Saint-Valentin**


    Exercice de style**

    Chats huants**

    Loup à moustache**

    Pré-euclidien**



     

  • Le Roi des Mouches*

    Charles Bukowski (1920-94) excelle dans deux ou trois de ses meilleurs bouquins à peindre les Etats-Unis comme le culot de l’enfer, tout en introduisant dans cette peinture des touches burlesques. Je crois qu’on peut encore aujourd'hui, malgré l’enrichissement de cette nation depuis "Women" ou "Ham on rye", éprouver la dureté contondante de l’âme américaine, affleurant sous la grasse vaseline du pognon, lorsqu'on y séjourne.

    La mécanique hurle moins de douleur quand elle bien huilée, mais ça reste la mécanique, et les sorties de route, c’est pas ça qui manque, que ce soit cahin-caha ou à pleine tube.

    fanzine,bd,zébra,webzine,gratuit,bande-dessinée,zombi,critique,kritik,charles bukowski,henry miller,hemingway,bret easton ellis,david lynch,roi des mouches,mezzo,pirus,victor hubinon,buck danny,florence dupré-latour,halloween,parc des princes,xavier dupont de ligonès,ségur,malheurs de sophie


    L’humour vengeur fait la différence entre Bukowski et les esthéticiens putassiers de l’enfer, qu’il conspua utilement de son vivant: Henry Miller, et même Hemingway, pressentant sans doute des imitateurs à encore pires à venir. De l’enfer, comme du mur de Berlin, on peut très bien fourguer de petites parcelles au rayon "Culture". Il y aura toujours des clients pour ça. Et, en effet, Bret Easton Ellis ou David Lynch sont venus après, avec leurs gadgets rutilants porno-chics, qui donnent des frissons aux critiques de «Madame Figaro» ou «Voici».

    Peu d’artistes ayant vraiment séjourné en enfer en ont ramené des images plaisantes à l’œil. Plus souvent l’humour, sans doute la disposition d’esprit qui leur a permis de survivre. Or, seule cette expérience et cet humour nous intéressent ; non le trafic de mauvais sentiments du suppôt de Satan à sa maman. Les messes noires sont aussi chiantes que les blanches, dès lors qu’elles se répètent tous les samedis, et que curé débarque en hélicoptère au "Parc des Princes".

     C’est à peu près là que je situe les trois tomes signés Mezzo et Pirus, regroupés sous le titre générique: "Le Roi des Mouches", et situés dans l’Amérique profonde. Plus près de l’esthétique que de la sincérité. Et quelle esthétique: celle de Victor Hubinon, en plus raide, pour ceux qui connaissent «Buck Danny», série des années 60 destinée à inculquer aux petits Français ou Belges l’admiration des Etats-Unis. Le clicheton américain 100%. Même pas une boîte de nuit de province, aujourd’hui, qui voudrait encore de ce look ou ce design (à vérifier quand même). Un pot d’encre par page + la couleur par dessus le marché.

    Au départ, premier tome, on sent une volonté des auteurs de nous entraîner dans une sorte de virée entre mauvais garçons et mauvaises filles qui font des trucs cochons entre eux (qui n’en fait pas aujourd’hui, c’est presque devenu obligatoire), et ça va mal se terminer, vu qu’ils conduisent leur buick comme des garnements. Lourde insistance sur le climat d’inceste qui règne au sein des familles américaines. Un truc vu et revu. D’où l’exigence du lecteur.

    Deux ou trois personnages sont esquissés, qu’on est tenté de suivre ; mais non,  au fil des pages, les auteurs ne parviennent pas à donner de l’étoffe à leurs paumés; est-ce que ce n’est pas plus facile, pourtant, de donner du relief à un mauvais garçon qu’à un diplômé de Harvard ou un pilote de chasse («Buck Danny») ?

    Dernier tome: les auteurs ont renoncé à tout autre projet que celui de dessiner à la manière des auteurs de comics yankees.

     Ça peut paraître étrange, mais j’ai éprouvé plus de malaise à la lecture des "Malheurs de Sophie" qu’à celle de cette trilogie. Vous savez, l’histoire de la petite garce de Ségur, qui torture les animaux et pousse son cousin Paul au vice. Ils ne se tringlent pas encore entre eux à l’arrière des voitures, mais on sent que ça ne va pas tarder. Toute la perversité est dans le non-dit, le minimalisme japonisant des sévices mutuellement administrés. Ambiance Xavier Dupont de Ligonès, ou Florence Dupré-Latour, pour citer deux artistes qui savent, eux, ce que c’est de faire régner un climat malsain, sans le déguisement d’Halloween ou je ne sais quel millième groupe de «heavy metal» à boulons chromés.

    "Le Roi des Mouches", Mezzo et Pirus, éd. Drugstore, 2013.

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)