par l'Enigmatique LB
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L'Anniversaire à Macron
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Revue de presse BD (275)
Dessin de Presse par Bobika ("Siné-Mensuel")
+ L'anniversaire de "Mai 68" ne déclenche pas seulement des railleries "à droite", chez les héritiers du "gaullisme", mais encore de la part de certains militants de gauche ulcérés par le libéralisme de Daniel Cohn-Bendit, figure du mouvement estudiantin qui cautionne aujourd'hui la politique d'E. Macron.
On peut dire que "Charlie-Hebdo" a connu la même évolution que Cohn-Bendit; sans l'attaque de sa rédaction au fusil d'assaut, qui lui a conféré un nouveau statut médiatique international, "Charlie-Hebdo" ne serait sans doute plus qu'une icône vieillie, le symbole d'une époque révolue.
Il convient aussi de mentionner l'ironie précoce de Reiser vis-à-vis de "Mai 68" ; le Pr Choron et Marcel Gotlib ("Fluide Glacial") le rejoignaient sur ce point, qui avaient en commun d'être issus de milieux très modestes et de n'avoir pas pu faire d'études supérieures. De leur point de vue, le militantisme politique était un luxe qu'ils ne pouvaient pas se permettre.
+ Quand on cite G. Orwell en 2018, on se fait traiter de militant de droite (sur les réseaux sociaux). C'est sans doute le pessimisme d'Orwell qui le fait passer pour un "essayiste de droite". On ne devrait pourtant pas s'étonner qu'un essayiste marxiste s'efforce de désillusionner ses lecteurs (ci-contre éd. française 1969 de "1984").
G. Orwell faisait observer combien le militantisme politique nuit à la satire, et par conséquent à la "liberté d'expression", slogan creux n'en déplaise aux auteurs de "Le Pouvoir de la Satire" (Dargaud, 2018), BD didactique à ranger au rayon des ouvrages pieux républicains.
Le plus agaçant dans cet ouvrage est la récupération au profit d'une thèse de caricaturistes qui ne sont pas ou peu "républicains", voire antirépublicains comme Gustave Jossot.
+ Le journaliste belge Didier Pasamonik a tenu à défendre la récente adaptation de Gaston Lagaffe au cinéma contre la "bigoterie" de ceux qui estiment l'oeuvre culte de Franquin trahie : "Gaston Lagaffe de PEF est un bon film, drôle, bien écrit, malin dans l’adaptation, respectueux mais pas béat, soucieux d’abord de bien caractériser les personnages et de les mettre dans des situations comiques cohérentes. Le jeu des acteurs en particulier est très réussi."
La fille de Franquin semble particulièrement visée par D. Pasamonik, qui compare la réception de ce film à la "Bataille d'Hernani" - pas moins.
Ce spécialiste de la BD doit pourtant savoir que l'humour de Gaston Lagaffe tient largement au rythme de ses gags, impossible à transposer au cinéma. Rarement nanard n'aura été défendu avec autant de conviction !
+ Emmanuel Macron, lors d'un voyage diplomatique, a gratifié la femme de son homologue australien d'un "delicious wife" sexuellement connoté ; ce lapsus a valu au chef de l'Etat d'être comparé à "Pépé le Putois" par la presse australienne. Il s'agit d'un personnage de "cartoon" américain ("Looney Tunes"), s'exprimant avec un fort accent français ou italien. Or Pépé le Putois se distingue par ses moeurs de harceleur sexuel.
Le "Daily Telegraph" de Sydney aurait-il osé s'en prendre ainsi à de Gaulle ?
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Revue de presse BD (272)
Strip vertical signé F'murrr.
+ Nous avons appris cette semaine la disparition de Richard Peyzaret, alias F'murrr, âgé de 72 ans. La série "Le Génie des Alpages", chef-d'oeuvre d'humour loufoque mettant en scène un berger et son troupeau, avait fait la célébrité de ce bédéaste.
"Fabriquer un nom complètement débile, ressemblant à une onomatopée et l'imposer au public, ça me plaisait."
Craignant que son humour ne déroute les lecteurs de "Pilote" où le "Génie" débuta sa carrière, Goscinny avait tendance à censurer F'murr, qui put s'épanouir après le départ de celui-ci.
F'murr était sans doute l'un des auteurs qui avait le plus de recul sur son métier, dont il avait pressenti le déclin (occulté par le succès commercial) ; en mars 1978, il déclarait au fanzine "Schtroumpf" (n°17*) : - Les dessinateurs de bandes dessinées sont dans une position très équivoque : d'un côté nous sommes considérés comme des artistes, de l'autre comme des employés et finalement, nous n'avons que les désavantages des uns et des autres (...).
- Attention, ajoutait F'murr, de ne pas faire de la BD un produit de consommation.
Dans cette vieille interview par Jean Léturgie, F'murr fait exactement le contraire des intellectuels payés pour déblatérer sur la BD puisqu'il évoque dans un style direct un sujet qu'il connaît.
(*: nous tenons à la disposition de qui en fera la demande à zebralefanzine@gmail.com l'entretien du perspicace F'murr avec J. Léturgie publié dans "Schtroumpf")
+ A propos d'humour absurde, j'ai noté la référence de Mandryka à Alphonse Allais dans le n° spécial de "dBD" (mars 2017) consacré à Gotlib, où Mandryka s'efforce de préciser le sens du travail de feu son confrère. Cela permet de rebondir sur la notion d'humour absurde, qui n'est pas "monolithique".
Ainsi Alphonse Allais ne cultive pas l'absurdité ; cet auteur anarchiste s'emploie à souligner de façon comique que l'Etat moderne républicain et ses principales institutions -armée, police, université-, sont absurdes, et risibles pour cette raison. Allais est, par conséquent, un auteur sérieux dans la lignée de Rabelais ou Cervantès. Très différents sont des auteurs tels qu'Apollinaire, Ionesco, voire Beckett, qui cultivent l'absurdité comme un motif poétique, non dans un but subversif.
Avec pertinence A. Allais rapproche le consentement à l'absurdité de l'existence moderne du sentiment religieux, ce qui fait d'A. Allais un précurseur de Guy Debord et sa "société du spectacle" ; la culture moderne repose en effet de plus en plus sur des spectacles absurdes (la compétition sportive moderne est un exemple parmi d'autres) ; la science elle-même devient un spectacle absurde.
Caricature de Magali Le Dissez où elle défie le maire de sa commune.
+ F. Forcadell attire l'attention sur son blog sur un cas récent de censure d'une caricaturiste dans la presse régionale ("Le Berry républicain"). D'autres cas similaires ont été rapportés sur internet ces dernières années ; et il y a sans doute pas mal d'autocensure de la part de dessinateurs moins naïfs que Magali Le Dissez.
Il a même pu arriver qu'un parti politique achète un caricaturiste lors d'une campagne électorale locale afin de s'assurer du soutien de ses dessins.
A l'échelle nationale, les plaintes sont plus rares. E. Macron au cours de sa campagne répondit à la question d'un journaliste qui l'interrogeait sur sa perception des caricatures : - Les caricatures font partie du jeu. Cela n'empêcha pas le candidat Macron d'accuser ultérieurement un dessinateur engagé au service de François Fillon d'antisémitisme ; il est vrai que ce dessinateur était le porte-parole d'un parti politique, non un dessinateur satirique (l'accusation d'antisémitisme à tout bout de champ risque surtout de porter tort aux Juifs en définitive). En politique, tous les coups sont permis, y compris les plus bas ; dans le domaine de la satire, seuls les coups intelligents sont permis.
Le rôle actuel du "Canard enchaîné" dans la vie politique française, dont il est un rouage, illustre parfaitement dans quelles limites la satire politique est enfermée. Le "Canard" ne fait pas que mettre les politiciens sur la sellette ; il rend aussi le service d'animer une vie politique cadenassée par la Constitution, qui sans cela serait bien terne.
+ Comme c'est le cinquantième anniversaire de "Mai 68", il n'est pas inutile de mentionner deux remarques de Karl Marx, qui observa et/ou étudia de près des révolutions plus importantes.
La première remarque est que la République française est le mieux protégé de tous les régimes contre une révolution. La raison invoquée par Marx est une cause persistante, à savoir la pléthore de fonctionnaires entretenus par l'Etat, qui tacitement en répandent le culte "laïc".
La fréquente invocation des "philosophes des Lumières" (pas ou peu révolutionnaires) a tendance à faire oublier que les institutions actuelles de la France remontent au XIXe, siècle d'autoritarisme et de censure bien plus que de liberté d'expression. Les élites politiques françaises ont tiré les leçons de la Révolution de 1789, devenue "légende dorée".
- Deuxième remarque de Marx, qui est une prophétie accomplie, celle que la "gauche" trahira l'idéal socialiste et la confiance du peuple plus efficacement que la "droite" (Marx sous-entend que la droite est trop bête pour accomplir cette opération de mystification du peuple).
A propos de "Mai 68", on peut constater que la propagande de gauche a interprété ce mouvement insurrectionnel comme une victoire sur le plan de la politique et des moeurs, tandis que les acteurs du mouvement eux-mêmes (Cavanna et ses caricaturistes, par ex.) ont exprimé le sentiment d'une défaite.
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Revue de presse BD (267)
"The Suffragette", organe de la WSPU (women social & political union) de Christabel Pankhurst illustre la variété des idéologies à l'arrière-plan du combat féministe.
+ Le féminisme est un vieil argument de promotion de l'idéologie libérale. L'économiste J. Schumpeter met ainsi au crédit du capitalisme et de l'industrialisation l'évolution du statut de la femme en Occident dans son fameux essai "Capitalisme, socialisme et démocratie" (1942) rédigé afin de faire pièce à l'idéologie socialiste-révolutionnaire en faisant valoir les mérites de l'organisation sociale capitaliste.
Le parti "whig" (libéral) anglais alla même plus loin puisque ses dirigeants reprochèrent aux suffragettes, actives pionnières de la cause féminine au début du XXe siècle, de freiner des lois favorables à l'émancipation des femmes en heurtant l'opinion publique par des manifestations illégales et violentes.
Rien d'étonnant, donc, à ce que le président Macron et la "suffragette" de service Marlène Schiappa brandissent l'étendard de la cause féministe et fassent de l'amélioration de la cause des femmes une "priorité gouvernementale". Plus surprenante en revanche la mise en place d'un collectif de plus de 250 caricaturistes, afin de plaider en faveur des "droits des femmes" à travers une exposition itinérante (association "Le Crayon"). Où est le mobile satirique d'une telle opération ?
Prendre l'affaire H. Weinstein pour l'événement déclencheur d'une "prise de conscience" relève d'une hypocrisie typiquement américaine puisque les moeurs dans le milieu du cinéma hollywoodien, où les actrices ont toujours plus ou moins été traitées comme des prostituées -ces moeurs sont connues du grand public depuis des lustres par des témoignages écrits.
Sous une forme qui n'est pas ou peu démarquée de la propagande libérale, la revendication féministe en termes de "droits" présente deux inconvénients majeurs : - d'abord elle contribue à blanchir un modèle social libéral hypocrite (où la femme fait office de panneau publicitaire) ; ce n'est pas tant le sort des fillettes africaines vendues aux touristes occidentaux, ni des centaines de milliers de prostituées en provenance des pays de l'Est, "importées" par les Etats-Unis, qui préoccupe les élites libérales, que le vernis humaniste que celles-ci peuvent ainsi appliquer à leur politique.
En outre le féminisme est ici entièrement assimilé à la revendication jalouse de "droits égaux à ceux des hommes" - formule abstraite et dépourvue de sens juridique positif. De cette façon le féminisme n'est plus qu'une manière parmi d'autres de vanter l'esprit de compétition nécessaire pour dissuader les citoyens d'une "grande démocratie libérale" de penser à autre chose qu'à la récompense qui les attend pour le fruit de leur travail.
Le combat des suffragettes pour l'obtention du droit de vote au Royaume-Uni a donné lieu à de nombreuses caricatures hostiles ou favorables à ce mouvement. Ci-dessous : "la suffragette qui faisait du jiu-jitsu" fait référence à la garde rapprochée d'une trentaine de femmes emmenée par Edith Garrud, chargée de veiller à la sécurité de la suffragette Emmeline Pankhurst. Cette petite milice n'avait pas froid au yeux puisqu'elle n'hésitait pas à affronter la police et se livra aussi à quelques actions terroristes.
+ La restitution promise par E. Macron de plusieurs milliers d'objets d'art et de culte au Bénin, fruits du pillage colonial, n'est-elle pas encore un leurre - une manière de détourner l'attention de la "Françafrique" ? Cette promesse fait suite à la réclamation du président béninois Patrice Talon, qui souhaite développer le tourisme dans son pays.
Faut-il tenir l'histoire de la décolonisation, telle qu'elle est enseignée à l'école, pour une "fake news" ? Rares sont les journaux qui osent aborder le sujet de la connivence entre les élites françaises et africaines, par-delà les grandes déclarations sur le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes".
Le journal satirique "Fakir" (février-mars 2018) a récemment osé briser l'omerta, mettant même le sujet à la Une et déployant dans Paris sur de grandes affiches publicitaires un dessin parodique signé Lardon.
Dessin de "Une" par Lardon d'après Hergé.
+ "Zélium", journal satirique fondé en 2011 par une équipe d'humoristes et de caricaturistes bénévoles parmi les meilleurs (Gab, Decressac, Rousso, Cambon...) lance une souscription afin de financer l'impression et la distribution de son n°10.
LB signe la Une de ce numéro sur le thème du travail. Tout les kiosquiers ne distribuent pas "Zélium" - souscrire est le meilleur moyen de se procurer ce numéro.
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Aux armes, citoyens !
La Semaine de Suzette Zombi. Mardi : Le meilleur argument de vente d'armes aux particuliers comme à des collectivités publiques, c'est la défense. Et la meilleure défense, c'est l'attaque.
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Revue de presse BD (261)
+ Le festival d'Angoulême expose "Alix", créé par Jacques Martin; à cette occasion "Libération" publie un portrait revisité du jeune héros gallo-romain, dont les aventures furent publiées dans "Tintin" afin de fournir à ce magazine un alibi culturel. Alix est transformé en jeune député macroniste, bobo et militant gay, marié à son faire-valoir (dessin de Shinzo Keigo).
Le temps semble loin où les intellectuels de gauche accusaient cette série d'entretenir la nostalgie typiquement réac (cf. Nietzsche) de l'empire romain. Le propre de l'idéologie est, comme le vent, de tourner.
+ Les spécialistes de la BD s'accordent à voir en Rodolphe Töpffer (1799-1846) un pionnier du genre. Manquent à Töpffer les bulles, employées presque systématiquement dans la BD aujourd'hui. La revue "L'Histoire" a déniché un placard publicitaire québécois, datant de la fin du XVIIIe siècle ; cette affiche en bande-dessinée était destinée à promouvoir la candidature à la députation de deux marchands d'origine écossaise.
Cet usage précoce de phylactères dans lesquels s'inscrivent dialogues ou descriptions est à rapprocher de l'usage similaire par les caricaturistes britanniques de l'époque, explique l'historien Christian Blais.
+ Beaucoup de bruit pour rien autour des "fake news" : le président E. Macron en personne, suivi de sa ministre de la Culture, ont annoncé qu'ils mettront en place des mesures légales pour lutter contre ces "fake-news". Mais la propagande n'a rien d'une nouveauté: la démagogie explique le recours systématique des partis politiques à la propagande, diffusée par la presse. Tous les titres, y compris ceux réputés les plus sérieux ("Le Monde"), ont publié des "fake news" au cours des dernières décennies. Rarement ces journaux ont fait ne serait-ce qu'amende honorable.
Georges Orwell ne fait pas pour rien du "Ministère de l'Information" l'un des centres névralgiques du pouvoir totalitaire dans "1984".
Le coup de génie politique de Donald Trump est d'avoir récupéré la méfiance de l'opinion publique américaine vis-à-vis des médias, dans un pays où le complotisme est devenu une contre-culture vivace, en réaction à la désinformation des médias.
+ Comme la bande-dessinée est une composante de la culture de masse, vecteur important de propagande, elle est directement concernée. Kamil Plejwaltzsky épingle dans le magazine publicitaire gratuit "Zoo" (n°64 - janvier 2018) "Le Voile noir" (Casterman), BD de Dodo et Cha ; il est reproché à cette BD de contribuer à la désinformation sur le récent conflit syrien :
"Dans la bande-dessinée de Dodo et Cha, la Russie et le gouvernement de Bashar-el-Assad en prennent aussi pour leur grade et sont accusés de bombarder aveuglément les populations civiles, perpétuant ainsi l'idée saugrenue d'une guerre propre. Même si on sait maintenant que les bombes lâchées sur les manifestants syriens au début du conflit provenaient de positions rebelles, la question de s'être fait une opinion trop vite à coup d'idéalisme et de reportages bâclés ne semble pas avoir traversé l'esprit de la scénariste."
+ "Je me fais un pieux devoir de n'avoir jamais lu Céline." Décidément ubuesque, la censure des "Pamphlets" de Louis-Ferdinand Céline ; en effet l'hebdomadaire "Le Point" a décidé de publier dans le cadre d'un "rendez-vous littéraire" (sic) les goûts du grand rabbin de France Haïm Korsia. Que penserait-on d'un athée qui se vanterait de n'avoir jamais lu la Bible ? Que c'est un imbécile pétri de préjugés.
Le grand rabbin avoue son dégoût également de la littérature de Proust (phrases trop longues). Il cite la bande-dessinée, en particulier "Buck Danny", série belge pompée sur la propagande américaine. Cette BD ouvertement raciste (nippophobe) permet de comprendre le mécanisme du racisme ; il n'est dans ce cas qu'un des aspects de la culture nationaliste.
Mais il y a longtemps que l'on ne fait plus seulement la guerre (d'où découlent les génocides) au nom de la xénophobie, mais aussi au nom de valeurs prétendument humanistes (liberté, fraternité, égalité) ou... de la paix (prétexte inventé par... saint Thomas d'Aquin au moyen-âge).
La série "Buck Danny" mettant en scène la guerre entre les Etats-Unis et le Japon dans l'océan Pacifique sont émaillés d'insultes racistes vis-à-vis des soldats japonais ("face de citron", "face de coing", de "lune", etc.)
+ "France 3" diffuse un long documentaire sur "Charlie-Hebdo", les caricatures de Mahomet et le massacre des dessinateurs : "Charlie-Hebdo, le rire en éclats" (Y. Riou & Ph. Pouchain).
Haché, mélangeant des témoignages récents et des images d'archives, invitant à s'exprimer des intellectuels sans lien direct avec "Charlie-Hebdo" ni la satire (Marcel Gauchet, Raphaël Enthoven, Jean-Noël Jeanneney...), plutôt qu'un documentaire, il s'agit de faire la démonstration que la France est la patrie de la liberté d'expression.
Loin de l'esprit critique défendu par les fondateurs de "Charlie-Hebdo", on est ici proche de la mythomanie républicaine. Parmi les rares voix discordantes invitées à témoigner, celle de l'avocat de la mosquée de Paris, Me Szpiner ; il n'a pas de mal à montrer le caractère démagogique du soutien à "Charlie-Hebdo" des principaux chefs de partis politiques, lors du procès intentée par la mosquée; ce soutien constitue l'une des étapes de la récupération de "Charlie-Hebdo".
Plusieurs intellectuels tentent dans ce documentaire d'établir une filiation entre "Charlie-Hebdo" et la philosophie des Lumières. En réalité le modèle politique de Voltaire était la monarchie constitutionnelle anglaise et les philosophes des Lumières contestaient le monopole du clergé catholique, alors encore puissant, non la religion d'une petite minorité dépourvue d'influence. L'islamophobie de Voltaire est anecdotique.
Les caricatures violentes dirigées contre la monarchie de Louis XVI, citées dans le documentaire comme les ancêtres des caricatures de "Charlie-Hebdo", n'ont pas grand-chose à voir avec les philosophes des Lumières, satiriques mais réformistes; ces caricatures furent un outil de propagande entre les mains d'un gouvernement républicain... terroriste.
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Revue de presse BD (260)
Dessin de presse de Fred Martin
+ La querelle entre féministes à propos du harcèlement sexuel a un retentissement international.
Dans les colonnes de "The New York Times" (13-14 janv.), Agnès Poirier explique aux lecteurs new-yorkais que Simone de Beauvoir elle-même n'adhérait pas au féminisme radical actif aux Etats-Unis, avec ses réunions interdites aux hommes. Le féminisme radical s'est implanté en France depuis une vingtaine d'années, ajoute A. Poirier, néanmoins toutes les femmes françaises, y compris lorsqu'elles se disent féministes, ne sont pas disposées à renoncer aux relations avec l'autre sexe, à quoi la judiciarisation des rapports amoureux conduit.
Paradoxalement la société occidentale capitaliste est la plus (officiellement) féministe en même temps qu'elle repose largement sur ce dérèglement des sens et du désir que l'on appelle "société de consommation", qui constitue un obstacle à la maîtrise de soi et l'éducation.
+ A l'occasion de la promotion de son premier roman, l'avocat (de "Charlie-Hebdo") et scénariste de BD Richard Malka a déclaré lors d'un "talk-show" télévisé (13/01) : - Je ne considère pas que la liberté d'expression est un absolu. Une déclaration étonnante puisque personne n'a jamais sérieusement prétendu le contraire. Les lois civiles et pénales françaises encadrent strictement la liberté d'expression, soumise au respect de "l'ordre public".
Propos mensonger, bien qu'il soit parfois enseigné à l'école, celui qui consiste à faire de la liberté d'expression le résultat d'un quelconque "progrès juridique"; les tribunaux ne sont pas les meilleurs garants d'une liberté d'expression qui, le plus souvent, se joue des lois. Il vaut mieux étudier, plutôt que le principe abstrait de la "liberté d'expression", les nouvelles méthodes de censure mises en place dans les sociétés modernes afin de suppléer l'impuissance de l'interdiction légale.
La télévision, qui joue le rôle de filtre, est un puissant moyen de censure dans la mesure où elle canalise l'expression et permet de mieux la contrôler.
+ L'affaire de la réédition des "Pamphlets" de L.-F. Céline illustre la difficulté de la censure moderne. Résultat de pressions gouvernementales exercées sur l'éditeur Gallimard, la censure fait en pratique une publicité extraordinaire à un auteur et des ouvrages que l'on peut aisément se procurer chez un bouquiniste.
Dans ces pamphlets (éd. 1937,38,41), Céline vilipende notamment les Juifs ("Bagatelles pour un Massacre"), qu'il soupçonnait de comploter pour pousser l'Europe à une nouvelle guerre.
Lors de leur première parution, les pamphlets ne firent pas tant scandale dans la presse ; l'outrance du propos, qui passe aujourd'hui pour une circonstance aggravante, était plutôt perçue comme une circonstance atténuante au début du XXe siècle.
On peut donc parler ici de bavure en matière de censure, qui prend désormais habituellement des formes plus subtiles.
+ Le caricaturiste Jul (ex-"Charlie-Hebdo") est parti en voyage officiel en Chine dans les bagages du président de la République. A son retour, le dessinateur s'est répandu en explications dans les médias. Contrairement au poète Aragon qui dressa un portrait idyllique de la dictature soviétique, contrairement aux peintres français invités par le Reich nazi en Allemagne pour contribuer au rapprochement entre les deux pays (1941), Jul ne tresse pas de lauriers au régime chinois.
Cependant on peut difficilement faire plus hypocrite que l'alibi des Droits de l'Homme, invoqué pour justifier la présence de ce bédéaste lors de cette excursion diplomatique.