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futuropolis - Page 3

  • Kongo***

    Kongo relate l’aventure coloniale de Jozef Korzeniowski, plus connu sous le nom de plume de Joseph webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,kongo,tom tirabosco,christian perrissin,futuropolis,joseph conrad,korzeniowski,zaïre,afrique,kinshasa,congo,belge,léopold,bruxelles,anvers,pizarro,cortez,cameroun,mississippi,mark twain,céline,éthiopie,voyage,civilisation,colonieConrad, au Congo fraîchement acquis par le roi Léopold de Belgique. Cette expérience fut pour Conrad l’occasion d’une cruelle désillusion, puisque parti pratiquement « la fleur au fusil » se mettre au service, comme pilotin, d’une compagnie spécialisée dans le trafic officieux du commerce de l’ivoire d’éléphant, ce marin rentrera bientôt épuisé physiquement et moralement. Ayant pas mal bourlingué auparavant à travers le monde, et traversé plusieurs océans, Conrad ne s’attendait pas un à un tel choc.

    Dans une lettre adressée à un ami (le scénariste fournit quelques pages de précisions à la fin de la BD), Conrad fait cette description : « Léopold est leur Pizarro et Thys leur Cortez. Ils recrutent leurs « lanciers » sur les trottoirs de Bruxelles et d’Anvers, parmi les souteneurs, les sous-off, les maquereaux, les petites frappes et les ratés de tout bord ! »

    Les conditions très dures de la vie coloniale en Afrique en limitent l’accès à des sortes d’aventuriers sans foi ni loi, décidés à tirer le plus grand parti, dans le minimum de temps, des comptoirs qu’ils ouvrent sur les berges du fleuve Zaïre, desservis par des barges à aube du même type que ceux conduits par Mark Twain sur le fleuve Mississippi. Plus gravement encore que la « sélection naturelle » des hommes opérée par ce type de conquête, l’improvisation complète et la négligence des commanditaires sautera aux yeux de Conrad, qui la blâmera ultérieurement au premier chef. Le chiffre de six millions d’indigènes sacrifiés à cette cause lucrative, en une vingtaine d’années, est avancé, c’est-à-dire environ l’équivalent de la population de la Belgique à cette époque. En termes de rendement, le caoutchouc allait devenir quelques années après le départ de Conrad, une source bien plus grande que les défenses d’éléphant.

    L’intrigue montre bien comment les écailles, petit à petit, tombent des yeux de Conrad, à mesure qu’il se rapproche du cœur de l’activité du comptoir de Kinshasa. Le futur écrivain avait beau être, en ce temps, fort éloigné des précautions de langage en usage quand on évoque la colonisation aujourd’hui, encore moins du militantisme antiraciste, il n’en regardait pas moins la colonisation de l’Afrique par l’homme blanc comme une mission civilisatrice et noble. De ce piédestal romantique, la réalité le fit chuter brutalement. C’est donc surtout le rapport de Conrad à ses semblables qui s’est trouvé bouleversé, par conséquent à lui-même.

    Evidemment on ne peut s’empêcher de penser au « Voyage » de Céline, dont la noirceur emprunte aussi à sa propre tentative d’implantation au Cameroun ; ou encore au diabolique roman d’humour noir de l’écrivain britannique E. Waugh, « Magie noire », situé lui aussi en Afrique (Ethiopie), bien qu’à une période ultérieure ; ces ouvrages écrits d’une plume trempée dans le vitriol font paraître l’anthropologie une discipline annexe de l’anthropophagie.

     

    Kongo, Tom Tirabosco et Christian Perrissin, Futuropolis, mars 2013.

  • Tsunami***

    Et le coin de paradis pour touristes occidentaux friqués s’est changé d’un seul coup en enfer…webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,tsunami,pendanx,piatzszek,amélie nothomb,futuropolis,candide,pangloss,lisbonne,sumatra,indonésie,pandore

    Tout le monde ou presque a vu cette grosse déferlante, dans l’objectif tremblant d’un caméraman amateur, foncer tranquillement, sûre d’elle, en direction de vacanciers en mode «pause», avant de les ratatiner.

    Le récit, que l’on peut supposer véridique, commence ici avec l’arrivée d’un jeune Français en Indonésie, au Nord de Sumatra, sur les traces de sa sœur, disparue depuis plusieurs années. Celle-ci n’a pas péri dans la catastrophe naturelle, mais elle n’est pas rentrée après son engagement comme médecin dans la mission de secourisme envoyée sur les lieux, et a cessé de donner de ses nouvelles. Plutôt indolent, le jeune enquêteur souhaite soulager sa mère, qui « ne vit plus », du poids de cette absence.

    Les catastrophes naturelles, on le sait, provoquent la réflexion. On se souvient de Candide, secouant le prunier de la logique de Pangloss, du stoïque « meilleur des mondes possibles », à cause du tremblement de terre de Lisbonne.

    La quête du bonheur incite bon nombre de représentants de l’espèce humaine à rester en vie, y compris ceux, plutôt tordus, qui pensent que plus on souffre, meilleurs on est, et qui en appellent souvent à un jugement de l'au-delà ; dans le même temps, nous sommes presque tous aussi conscients de la fragilité de ce graal, qui évoque le bonheur.

    La romancière Amélie Nothomb témoigne : «J’ai tout pour être heureuse, et je le suis ; cependant mon bonheur est altéré par la crainte que mon bonheur ne dure pas.» Et l’on peut retourner ce sentiment comme un gant, car au plus profond du malheur ou de la souffrance, ce qui l’allège sans doute, c’est l’espoir d’un moindre malheur ou d’une jouissance future. Le vieux mythe de Pandore a ainsi bien résumé le problème de la condition humaine, avec cette histoire de vase piégé, rempli de catastrophes et en même temps plein d'espoir, qui fait oublier l’instant la catastrophe, la souffrance, la cruauté, et le hasard inique... l'instant d'après.

    Il y a dans la nature, omniprésentes, une idée du paradis à rechercher, et une idée de l’enfer à fuir. Pratiquement toute fiction ne fait que décliner ce diptyque naturel, y compris les paradis artificiels où la jeunesse dorée aime s’enfoncer, parfois même avant d’avoir commencé de vivre. Le séjour des morts lui-même n’est, dans nombre de religions abstraites, que mirage prolongeant la nature, dont quelques poètes ou quelques sages seulement savent, l’ayant déduit de l’observation des choses de la nature, qu’il n’est que rêve.

    «Tsunami» de Pendanx et Piatzszek, illustre ce mobile psychologique parfaitement, d'où cette BD baigne dans une ambiance mi-amère, mi-paisible. On le sait grâce aux poètes romantiques, la mort évoque tout autant qu’un atoll paradisiaque le calme, le luxe et la volupté.

    Il me semble qu’on n’est pas loin ici d’un hymne à la drogue, cette religion personnelle, qui remplace dans les pays modernes les grandes religions déchues que sont le catholicisme ou le communisme ; c’est-à-dire une ode au soulagement de la souffrance par l’anesthésie, la souffrance qui paraît inique, psychologiquement, bien plus que la mort.

     Tsunami, par Pendanx et Piatzszek, Futuropolis, nov. 2013

  • Le Chien qui Louche****

    Un site internet dédié à Etienne Davodeau résume bien la principale qualité de son travail : «Ses webzine,bd,fanzine,zébra,bande-dessinée,critique,kritik,étienne davodeau,chien qui louche,ignorants,vin,musée,louvre,futuropolisalbums sont de ceux qu’on ne lâche pas parce qu’on veut toujours savoir «ce qui se passe après la page qu’on est en train de lire». En effet, en dépit d’un projet didactique a priori rébarbatif, je m’étais laissé entraîner jusqu’au bout de «Les Ignorants», pénultième opus de Davodeau chez Futuropolis, dans lequel l’auteur traçait une parallèle original entre la viticulture et la bande-dessinée.

    Cet effet d’entraînement tient à trois qualités : d’abord une façon de conter au rythme égal d’un marcheur sachant où il va, et quels sont ses moyens, quand beaucoup s’égarent à vouloir imiter le cinéma ou d’autres techniques ; cette qualité musicale est sans doute celle du scénariste-dessinateur en un seul homme. Secundo, Davodeau est plutôt bon observateur des comportements et des tics de ses contemporains ; on a souvent affaire à des ouvrages conceptuels, manquant de recul, puisque le concept n’est autre que le préjugé moderne. Les auteurs dont la personnalité est trop envahissante ne sont pas très crédibles, quand il s'agit de faire le portrait d'autrui, et ils ont rarement le sens de l’humour. Davodeau n’en manque pas, surtout dans «Le Chien qui louche», nouvelle déroutante et bien menée, située dans ce saint des saints de la Culture qu’est le Louvre.

    Chacune des qualités évoquées plus haut se trouve perfectionnée dans cet album, ce qui le rend plus probant que «Les Ignorants», qui manquait un peu de culot. A propos des «Ignorants», un pote m’avait fait remarquer, plutôt dubitatif, que c’était le premier bouquin dédié au vin qu'il lisait, exempt de "cuite mémorable". Cela dit les pays où l’on boit à la manière suicidaire sont justement ceux où l’on ne produit pas de vin : Russie, Etats-Unis, Bretagne, etc.

    Je ne dirai pas plus de l’intrigue de «Le Chien qui louche» que son cadre et son héros post-moderne, vigile au Louvre ; la nouvelle est un genre littéraire qui ne se résume guère. Disons plutôt que cette BD, indirectement, soulève un problème : à quoi rime tout ce cirque ? Est-ce le populo qui est abruti de déambuler ainsi à travers le palais du Louvre, en quête de sensations mal définies, ou bien ce sont les autorités culturelles compétentes qui sont inaptes à dispenser la bonne parole de la culture ? Est-ce qu’il ne vaudrait mieux pas carrément brûler tout ce fatras d’art antique & solennel, qui intimide, ou bien ne semble passionner sincèrement qu’une petite élite fétichiste ?

    Dans la BD de Davodeau, c’est une famille de ploucs qui semble être la seule à trouver un sens à peu près net à ce trésor hétéroclite sous haute surveillance, à savoir celui de faire la promotion, autant que possible, du génie humain.

    Le Chien qui Louche, Etienne Davodeau, Futuropolis, oct. 2013.

  • Revue de presse BD (67)

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    + Grâce à ce dessin ("Canard Enchaîné" du 11 sept.), qui a déclenché l'ire des autorités japonaises soucieuses d'attirer quelques athlètes aux prochains J.O., Cabu sera peut-être aussi connu qu'Alain Delon ou les Galeries Lafayette au pays du soleil levant. "Tokyo n'aime pas l'humour français", peut-on lire dans la presse française pour commenter cet incident diplomatique ; ça tombe bien, la France n'apprécie guère quant à elle le masochisme des Japonais ou des compétiteurs olympiques. D'ailleurs, puisque le débat sur la prostitution est à la mode, on peut se demander si le sport de haut niveau n'est pas assimilable à la prostitution, compte tenu du jeune âge où les sportifs sont enrôlés, et des méthodes coercitives employées parfois par leurs propres parents (ce qui constitue une circonstance aggravante) ; en tel cas, il faut le regard exercé du dessinateur pour voir la ressemblance entre un maquereau et un entraîneur sportif.

    + C'est une fantasia de nouveaux magazines de BD en ce mois de septembre; commençons par "L'Association" qui a décidé de relancer la revue "Lapin" ; ce n'était pas à proprement parler une revue, mais plutôt une sorte de "book" périodique présentant de nouveaux auteurs, formule que les blogs ou les agrégateurs de blogs BD ont pratiquement rendue obsolète. "Lapin" s'appelle désormais "Mon Lapin", sans doute pour créer un climat d'intimité avec le lecteur. Le premier n° a pour thème le festival d'Angoulême, et le rédac' chef en est François Ayroles.

    + Mentionnons en outre le lancement par Lewis Trondheim et Yannick Lejeune d'un nouveau trimestriel (éds Delcourt), "Papier", où paraîtront notamment des planches du collectif unipersonnel le Cil-Vert et de Jérôme Anfré.

    + Le bimestriel satirique "Zélium", qui s'était heurté aux coûts faramineux de la distribution en kiosque pour des publications non subventionnées, reparaît. Il sera cette fois-ci vendu à la criée.

    + Enfin, nous avons déjà parlé dans Zébra de la Revue dessinée, dont le premier n° vient de paraître. A l'initiative de Franck Bourgeron, ce magazine veut relever le défi consistant à redonner du sens à l'information, devenue depuis longtemps une sorte de réconfort intellectuel, de même que le café et le croissant servis avec.

    + Le blog "Bayday Leaks" propose des dépêches aussi fraîches que sulfureuses sur les coulisses de la BD ; il vient compenser utilement le sérieux de cette revue de presse. Quelques exemples :

    - "France 3 est sur les rangs pour adapter tout le nouveau catalogue de Futuropolis pour ses téléfilms du samedi soir."

    - "Après Sfar, après Sattouf, Christophe Blain voit son Quai d'Orsay adapté au cinéma. Mathieu Sapin cherche un plan de web-série."

    - "Pilules Bleues" de Frédérik Peeters ressort avec 10 pages de plus. Sans doute les effets de la trithérapie..."

    - "Lassé qu'on lui reproche de raconter toujours les mêmes choses en BD, Joann Sfar les raconte désormais en roman."

    + Le flirt de Didier Pasamonik, éminent tintinologue belge (Actuabd/Zoo) avec la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, entamé à l'occasion du dernier festival d'Angoulême, n'en finit pas. La nomination d'un obscur aparatchik par la ministre ("Médiateur du livre"), en est cette fois-ci le prétexte. Affirmer le bénéfice de la loi Lang sur le prix unique du livre pour les libraires, revient à faire passer une loi poujadiste inefficace pour un progrès culturel. L'intellectualisme et la culture de masse sont les deux mamelles du totalitarisme selon Orwell : on ne voit pas en quoi les ministres de la culture successifs ont fait obstacle à ces fléaux.

    + Le dessin de la semaine est un croquis de collégiens par Placid, qui excelle à représenter les affres de l'adolescence :

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  • Cher Régis Debray***

    Après avoir fait dialoguer un vigneron et un auteur de BD («Les Ignorants», 2011), les éditions webzine,gratuit,bd,zébra,fanzine,critique,kritik,cher régis debray,alexandre franc,futuropolis,philosophe,terrain,alain finkielkraut,che guevara,bhl,malraux,simone weil,sartre,tintin,hergé,picaros,san theodoros,astérix,tournesol,lénine,christ,kafka,académie françaiseFuturopolis font cette fois-ci dialoguer un philosophe et un auteur de BD dans «Cher Régis Debray». La façon dont cet éditeur procède est étonnante – comme qui dirait selon un plan d’urbanisation (on rase le village des Schtroumpfs, et on trace des perspectives plus sérieuses à la place).

    Moins méprisant que son collègue Alain Finkielkraut à l’égard de la BD, Régis Debray a donc accepté de jouer le jeu d’une correspondance avec Alexandre Franc, jeune auteur dans le style «ligne claire».

    A priori cette initiative ne paraît pas aussi excitante que le projet de Tintin de remettre Al Capone entre les mains de la police de Chicago. Cependant, Régis Debray fait partie des philosophes post-modernes «de terrain», comme BHL, Malraux, Simone Weil ou Sartre ; on a vu Régis Debray en compagnie de Che Guevara, ce qui ne compte pas pour rien dans l’admiration qu’Alexandre Franc lui voue. Régis Debray allie l’intrépidité de Tintin aux facultés du Pr Tournesol… sans oublier les moustaches d’Astérix, note malicieusement A. Franc. Le parallèle avec Tintin s’impose puisque Hergé déclara s’être inspiré de la rencontre entre Debray et le «Che» pour son album «Tintin et les Picaros» (situé au San Théodoros, république imaginaire d’Amérique latine en proie au coup d’Etat permanent).

    Malgré les apparences, cette correspondance ne sort pas du registre de l’aventure. Une fois adultes, que devient l’aspiration à l’héroïsme de gosses baignés dans le culte de héros de papier, capables de supplanter l’exemple d’un père trop prosaïque ? Le philosophe post-moderne de terrain n’est-il qu’un avatar de Tintin ou de Corto Maltese ? A quoi bon exalter autant l’héroïsme, si c’est pour finir dans la peau d’un bobo, à torcher des marmots dans un pavillon de banlieue sécurisée ? Questions posées directement ou en filigrane par Alexandre Franc.

    A cette question sous-jacente de l’héroïsme, qu’il ne veut pas assumer, Régis Debray se dérobe grâce à des formules spirituelles. Il faut dire à sa décharge que la République française est sans doute le régime le plus contradictoire et perturbateur de la notion d’héroïsme que la France a jamais connu ; elle assume ses « philosophes des Lumières », mais pas la Terreur et les massacres ; ses valeurs laïques, mais par leur usage à des fins de conquête coloniale ; son corps enseignant, mais pas la soumission aux règles de la compétition commerciale, etc. (Au domicile du philosophe, on aperçoit d’ailleurs un buste de Lénine et un portrait de… Kafka !) Le « patriotisme de gauche » ressemble beaucoup à l’ancien culte de l’Eglise romaine, absoute de ses crimes comme par enchantement. Debray est le philosophe-apôtre qui a vu le Christ-Che Guevara vivant.

    Tout l’intérêt du bouquin, derrière l’amabilité un peu outrée d’Alexandre Franc, tient dans la prise de bec entre le philosophe et l’artiste post-modernes. Ainsi Régis Debray tente de résister à sa transformation en personnage de bande-dessinée ; d’autant plus qu’on lui fait une tête de chat, sans doute l’animal le moins franc et héroïque. Il réplique en soulignant le côté macabre, de «mise en boîte» de la BD ; c’est d’ailleurs la dernière tendance architecturale en général, pas spécialement celle de la BD ou d’A. Franc.

    Cependant l’auteur de BD, sur son terrain, a le dessus : on imagine Debray comme on imaginerait Tintin, chauve et mélancolique (Debray a rasé sa moustache), rangé des voitures et briguant une place à l’Académie française.

    En refermant ce bouquin, je ne donne pas cher du philosophe post-moderne en comparaison de Tintin.

    Cher Régis Debray, par Alexandre Franc, Futuropolis, sept. 2013.

  • Journal d'un Corps**

    Il s’agit ici de la réédition chez Futuropolis-Gallimard d’un bouquin de Daniel Pennac, illustré par Manuwebzine,bd,gratuit,zébra,bande-dessinée,fanzine,critique,kritik,journal,corps,manu larcenet,daniel pennac,gallimard,futuropolis,médecine,lucrèce,michel-ange Larcenet.

    La crise économique m’a presque rendu végétarien, ce qui est peut-être la meilleure solution pour vivre plus vieux que l’économie capitaliste, assez comparable à une boulimie de viande. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle je ne suis pas aussi enthousiaste que la plupart des critiques à propos de ce gros bouquin.

    Pennac part en gros de l’idée, qui a pu être défendue comme une véritable religion par certain savant médecin français de renom, que nous sommes entièrement déterminés par nos organes et notre corps. Des êtres de chair en combustion, point à la ligne. L’âme ne serait qu’une façon de donner du style à notre corps, de le «customiser» comme disent et font aujourd’hui beaucoup (la moindre sous -préfecture possède aujourd’hui son artisan-tatoueur), et de sympathiser avec autrui pour l’amener à différents types de rapports.

    Les médecins, les chirurgiens surtout, et les gastro-entérologues aussi, qui plongent les mains dans le cambouis humain toute la journée, sont souvent athées pour la raison que leur besogne les convainc que l’âme finit par faire «pschiitt». Cela rehausse énormément la valeur culturelle d’une entrecôte ou d’un ris de veau (où va ma préférence). Dans le même sens, beaucoup d’hommes perdent, avec l’usage de leur organe préféré, le goût de la vie. Je pourrais citer quelques écrivains très prisés des femmes dans ce cas ; mais j’ai un meilleur exemple : celui d’un écrivain britannique porté sur la bonne chère qui, condamné au dentier par l’âge, commença dès lors de trouver le temps long : il ne pouvait plus manger que de la soupe. Peut-être le supplément d’âme des femmes leur permet-elle de vivre au-delà de l’espérance que procure le corps ? Et, dans ce cas, l’athéisme n’est pas une bonne thérapie.

    Le corps exprime tout, et D. Pennac le fait donc parler des diverses émotions qu’il peut ressentir, et qui se ramènent toutes au plaisir et à la douleur, au partage desquels la société est consacrée, d’une façon aussi inégalitaire que les corps peuvent l’être entre eux, suivant le hasard ou la condition. L’égalitarisme est certainement un animisme, qui défie la biologie.

    La prose de D. Pennac est assez poétique, voire même humoristique, ce qui nous sort un tantinet du déterminisme, car c’est une chose assez inexplicable que l’humour, du point de vue de la médecine. Surtout l’humour de Molière. Je ne parle pas de l’humour qui réconforte, comme un verre de pinard.

    C’est l’excès d’anthropologie qui me dérange un peu chez Pennac et Larcenet. D’ailleurs il est difficile de déguster leur pavé, autrement que par petits morceaux.

    Dans le même genre, convaincu de la bouillie humaine et du retour à la terre définitif de celle-ci, je conseille plutôt le poète Lucrèce. S’il n’y croit pas, Lucrèce est persuadé de l’utilité de l’âme et de la religion dans le peuple, pour des raisons de stabilité politique. A quoi bon vivre si on se sent frustré, ce qui est généralement le ressenti de l’homme du peuple qui besogne toute la journée, à se faire mal ? D’où l’utilité de croire et de faire croire dans les mondes parallèles. Même agréable, la rêverie traduit toujours une frustration du corps. Donc Lucrèce, plutôt que dans la chair humaine, va chercher dans les grands corps constitués de la mère nature -rivières, forêts, montagnes, météorites, astres- le motif d’une poésie plus pure et quasiment ultime.

    Pour ce qui est du style de Larcenet, je ne l’apprécie guère. Je le trouve trop chiadé à mon goût, un peu comme ces femmes ou ces hommes qui, si je peux laisser parler mon corps, mettent trop de maquillage. Le dessin de Michel-Ange, à tout prendre, me semble mieux adapté au discours de Pennac, néanmoins la foi de Michel-Ange dans les hautes sphères. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’âme ou la personnalité, en effet, dans l’art de Michel-Ange, guère apprécié pour cette raison des dévôts, qui décidèrent vite de le rhabiller, tant sa vitalité corporelle paraissait indécentes aux champions de la mort lente ou de la vie vertueuse.

    Maintenant je dois m’arrêter là, puisqu’il paraît que les grandes douleurs sont muettes, et que seuls les petits plaisirs sont bavards.

    (Zombi - leloublan@hotmail.com)

    Journal d’un corps, D. Pennac et M. Larcenet, Futuropolis-Gallimard, 2013.