Il s’agit ici de la réédition chez Futuropolis-Gallimard d’un bouquin de Daniel Pennac, illustré par Manu Larcenet.
La crise économique m’a presque rendu végétarien, ce qui est peut-être la meilleure solution pour vivre plus vieux que l’économie capitaliste, assez comparable à une boulimie de viande. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle je ne suis pas aussi enthousiaste que la plupart des critiques à propos de ce gros bouquin.
Pennac part en gros de l’idée, qui a pu être défendue comme une véritable religion par certain savant médecin français de renom, que nous sommes entièrement déterminés par nos organes et notre corps. Des êtres de chair en combustion, point à la ligne. L’âme ne serait qu’une façon de donner du style à notre corps, de le «customiser» comme disent et font aujourd’hui beaucoup (la moindre sous -préfecture possède aujourd’hui son artisan-tatoueur), et de sympathiser avec autrui pour l’amener à différents types de rapports.
Les médecins, les chirurgiens surtout, et les gastro-entérologues aussi, qui plongent les mains dans le cambouis humain toute la journée, sont souvent athées pour la raison que leur besogne les convainc que l’âme finit par faire «pschiitt». Cela rehausse énormément la valeur culturelle d’une entrecôte ou d’un ris de veau (où va ma préférence). Dans le même sens, beaucoup d’hommes perdent, avec l’usage de leur organe préféré, le goût de la vie. Je pourrais citer quelques écrivains très prisés des femmes dans ce cas ; mais j’ai un meilleur exemple : celui d’un écrivain britannique porté sur la bonne chère qui, condamné au dentier par l’âge, commença dès lors de trouver le temps long : il ne pouvait plus manger que de la soupe. Peut-être le supplément d’âme des femmes leur permet-elle de vivre au-delà de l’espérance que procure le corps ? Et, dans ce cas, l’athéisme n’est pas une bonne thérapie.
Le corps exprime tout, et D. Pennac le fait donc parler des diverses émotions qu’il peut ressentir, et qui se ramènent toutes au plaisir et à la douleur, au partage desquels la société est consacrée, d’une façon aussi inégalitaire que les corps peuvent l’être entre eux, suivant le hasard ou la condition. L’égalitarisme est certainement un animisme, qui défie la biologie.
La prose de D. Pennac est assez poétique, voire même humoristique, ce qui nous sort un tantinet du déterminisme, car c’est une chose assez inexplicable que l’humour, du point de vue de la médecine. Surtout l’humour de Molière. Je ne parle pas de l’humour qui réconforte, comme un verre de pinard.
C’est l’excès d’anthropologie qui me dérange un peu chez Pennac et Larcenet. D’ailleurs il est difficile de déguster leur pavé, autrement que par petits morceaux.
Dans le même genre, convaincu de la bouillie humaine et du retour à la terre définitif de celle-ci, je conseille plutôt le poète Lucrèce. S’il n’y croit pas, Lucrèce est persuadé de l’utilité de l’âme et de la religion dans le peuple, pour des raisons de stabilité politique. A quoi bon vivre si on se sent frustré, ce qui est généralement le ressenti de l’homme du peuple qui besogne toute la journée, à se faire mal ? D’où l’utilité de croire et de faire croire dans les mondes parallèles. Même agréable, la rêverie traduit toujours une frustration du corps. Donc Lucrèce, plutôt que dans la chair humaine, va chercher dans les grands corps constitués de la mère nature -rivières, forêts, montagnes, météorites, astres- le motif d’une poésie plus pure et quasiment ultime.
Pour ce qui est du style de Larcenet, je ne l’apprécie guère. Je le trouve trop chiadé à mon goût, un peu comme ces femmes ou ces hommes qui, si je peux laisser parler mon corps, mettent trop de maquillage. Le dessin de Michel-Ange, à tout prendre, me semble mieux adapté au discours de Pennac, néanmoins la foi de Michel-Ange dans les hautes sphères. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’âme ou la personnalité, en effet, dans l’art de Michel-Ange, guère apprécié pour cette raison des dévôts, qui décidèrent vite de le rhabiller, tant sa vitalité corporelle paraissait indécentes aux champions de la mort lente ou de la vie vertueuse.
Maintenant je dois m’arrêter là, puisqu’il paraît que les grandes douleurs sont muettes, et que seuls les petits plaisirs sont bavards.
(Zombi - leloublan@hotmail.com)
Journal d’un corps, D. Pennac et M. Larcenet, Futuropolis-Gallimard, 2013.