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KRITIK - Page 20

  • L'Île aux Femmes**

    La guerre des sexes n'en finit pas ; les cafés-théâtres sont pleins d'humoristes plus ou moins inspirés,webzine,zébra,gratuit,bd,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,ile aux femmes,glénat,zanzim,frédéric Leutelier,hubert,aristophane,lysistrata,riad sattouf,no sex in manhattan,bégaudeau,oubrerie,mâle occidental contemporain,humour qui exploitent à fond le filon des petites turpitudes et des grands espoirs déçus du couple.

    A vrai dire le sujet n'est pas tout à fait neuf, puisque le poète comique Aristophane, plusieurs siècles avant J.-C., faisait déjà rire son public avec une grève du sexe, décidée par les femmes pour faire cesser la guerre menée par leurs maris ("Lysistrata" (411), jouée pendant la guerre du Péloponnèse) - une variation sur le slogan : "Faites l'amour, pas la guerre !".

    La BD n'a pas manqué de s'emparer de ce thème porteur. Commandé par "Libération", Riad Sattouf publia il y a quelques années "No Sex in Manhattan", satire des moeurs sexuelles et amoureuses new-yorkaises, dans laquelle il souligne malignement la ressemblance entre les entretiens d'embauche et les rencards amoureux ("date"), au cours desquels de braves types américains s'évertuent à convaincre des jeunes femmes pleines d'ambition qu'ils constituent un bon placement. On comprend, en filigrane, que la compétition économique est une guerre comme une autre.

    Plus récemment, "Le Mâle Occidental contemporain" (Bégaudeau/Oubrerie) fut un succès de librairie. Les auteurs voulaient montrer le désarroi du jeune bobo parisien "en mal d'amour" (Aristophane est plus direct et ne fait pas usage d'euphémismes), confronté à de jeunes femmes averties sur la valeur des flatteries masculines et moins pressées que naguère de faire leur choix. L'album fit cependant grincer quelques dents, car il montre les jeunes femmes pétries de principes féministes sous un jour un peu... austère.

    "L'Île aux Femmes", engageant par son dessin vif et enlevé (Frédéric Leutelier alias Zanzim), sa mise en couleur itou, laisse présager dès la couverture une fable caustique. Céleste Bombard, un aviateur de la Grande Guerre, au passé de séducteur, fait accidentellement naufrage sur une île exclusivement peuplée de femmes, une sorte de tribu d'Amazones, mais non amputées et toutes plus girondes les unes que les autres. Hélas pour lui, sa déception est à la mesure de son érection quand il constate que ces femmes sont très remontées contre le sexe dit "fort", dont la seule contribution à la perpétuation de l'espèce est respectée une fois l'an. Et encore, ces femmes sévères ont pour coutume d'amputer une jambe de leur étalon afin d'adoucir ses ardeurs. Seule l'habileté de notre otage à cuisiner des petits plats français lui vaut un peu de mansuétude ; puis à réciter des histoires d'amour romantiques. Mais les amateurs (ou amatrices ?) d'humour misogyne en seront pour leur frais. Sans dévoiler la chute, on peut dire que le conte cocasse vire à la fable féministe. Céleste s'amende, et va s'intéresser aux femmes non plus seulement par appétit pour leurs formes et les promesses paradisiaques qu'elles recèlent, mais aussi pour leur âme.

    "L'Île aux Femmes" convaincra surtout les utopistes tenants de l'harmonie entre les sexes. Les autres s'en tiendront sans doute à Aristophane, plus réaliste.

    L'Île aux Femmes, Zanzim, Glénat 2015.

     

  • Le Caravage*

    Milo Manara compte pas mal d’admirateurs parmi les adolescents adeptes des pratiqueswebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,milo manara,le caravage,hugo pratt,giuseppe bergman,poussin,stendhal,ruskin,tintoret,rembrandt,picasso masturbatoires. Il a en effet bâti sa carrière sur son habileté à dessiner des femmes nues, sous toutes les coutures, dans des bandes-dessinées érotico-pornographiques sans cesse rééditées. Parfois Manara ajoute une pointe d’humour à son propos égrillard.. Avant M. Houellebecq, il a suggéré de façon ironique que le tourisme sexuel est la première motivation des Occidentaux qui voyagent dans les pays du tiers-monde, sous divers prétextes—l’aventure, une cause humanitaire, etc.  (cf. « Giuseppe Bergman »), se moquant au passage de son ami Hugo Pratt, globe-trotteur invétéré qui avait « une femme dans chaque port ».

    C’est une tâche bien différente que lui a confié Glénat, de mettre la vie du peintre et propagandiste catholique Caravage en scène, et le résultat est, il faut bien dire, un ratage complet.

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  • Les Ménines****

    La bande-dessinée « Les Ménines » paraît en parallèle de l’exposition « Velasquez » qui se tient auwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,les ménines,vélasquez,futuropolis,santiago garcia,javier olivares,habsbourg,antonio vallejo,picasso,goya,dali,josé ribera,rubens,titien,flaminia triumfi,vénus au miroir,les ménines Grand Palais jusqu’au 23 août 2015.

    C’est un excellent complément qui permet de bien comprendre l’itinéraire assez peu connu de Vélasquez sans tomber dans l’anecdotique. Le scénario de Santiago Garcia parvient à conjuguer rythme, vérité historique et sauts à travers le temps, tout en proposant une réflexion sur le rôle du peintre et la trace qu’il laisse.

    Le « peintre des peintres » (dixit Manet quelques siècles plus tard), naît en 1599  et trace son sillon, conscient de son talent et indépendant des modèles traditionnels de l’époque. Il deviendra le grand maître espagnol de la peinture baroque, éclipsant tous ses concurrents. Aujourd’hui on compte à peine une centaine d’œuvres de sa main pour plus de 40 ans de carrière.

    On y voit sa formation à Séville auprès de Pacheco, peintre local et futur beau-père. Sont vantés son sens du volume, proche de la sculpture et sa capacité à rendre le réel et les matières. Des bodegons (natures mortes) aux portraits, il parvient, tel Apelle*, à faire croire à ses contemporains qu’ils se trouvent dans la même pièce que les modèles de ses tableaux. Ces qualités lui valent les faveurs de la monarchie.

    Grâce à l’entremise du puissant premier ministre, le comte-duc d’Olivares, compatriote sévillan, il endosse diverses charges protocolaires et parvient à réaliser son rêve, devenir chevalier de l’ordre de Saint-Jacques, la plus prestigieuse distinction en Espagne.

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  • Sables noirs****

    Sous-titre : 20 semaines au Turkménistan. Le reportage en bande-dessinée est à la mode ; si la pressewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,troubs,sables noirs,turkménistan,turkménie,mer caspienne,futuropolis,reportage,bouygues française était plus libre, on pourrait peut-être même en lire plus dans les journaux, au lieu de BD un peu débiles comme « Blueberry » ou « Largo-Winch » ; en effet les photos ne se prêtent pas bien à la reproduction dans les pages de journaux, en raison du mauvais papier. Le dessin est plus net.

    Un autre obstacle est sans doute la rareté des dessinateurs capables de faire du reportage ; de ce point de vue aussi, Cabu était exceptionnel. La formule de « La Revue dessinée » n’est pas encore très convaincante, qui reprend le modèle des BD pour enfants, tirant vers la fiction et pas assez synthétique.

    L’album de Troubs est un peu entre les deux : il part du récit se son expédition en Turkménie pour y faire traduire et illustrer quelques poèmes de Prévert, mais on sent un effort pour prendre du recul et donner de ce pays une image aussi juste que possible. Ce petit Etat à l’Est de la mer Caspienne, anciennement partie de l’empire soviétique, et officiellement indépendant depuis 1991, est isolé à bien des titres : pas de touristes, et un régime qui n’encourage pas le tourisme ; interdiction de prendre des photographies, que de jeunes gens effectuant leur service militaire sont chargés de faire respecter ; en dessinant ce qu’il y voit, Troubs profite d’un vide juridique. Le législateur n’a pas estimé que le dessin représentait une menace.

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  • La Révolution Pilote**

    Muni d’une thèse - le magazine « Pilote » a révolutionné la BD – Eric Aeschimann est allé interviewerwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,révolution,éric aeschimann,nicoby,rené goscinny,pilote,dargaud,fred,claire brétécher,druillet,gotlib,mai 68 les « anciens combattants » du magazine dirigé par feu René Goscinny, escorté par Nicoby, dessinateur chargé d’illustrer ces rencontres, le plus souvent dans le cadre de l’atelier du dessinateur prié de convoquer ses souvenirs de l’époque.

    L’épisode de la rébellion contre Goscinny, qui sonna le glas de « Pilote » en vexant durablement son talentueux mais susceptible rédacteur en chef, est au centre de ces conversations. En effet, si Dargaud n’accepta pas la démission de Goscinny après une réunion où ses employés lui réclamèrent des changements dans ses méthodes de direction (la nomination d’un directeur artistique), celui-ci nourrit dès lors une rancune tenace à l’égard de ceux qui l’avaient accusé. Ainsi, pour cette raison, Goscinny refusa toujours de se rendre au festival d’Angoulême.

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  • Gavrilo Princip****

    ou "l'homme qui changea le siècle"webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,gavrilo princip,henrik rehr,anglais,futuropolis,françois-ferdinand,autriche,serbie,anarchiste,nationaliste,mystique,révolution,baudelaire

    Le récit que nous livre ici Henrik Rehr est d’une profonde noirceur, à l’image du dessein de Gabriel/Gavrilo Princip d’assassiner l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. L’auteur, scénariste et dessinateur, nous fait entrer dans le plan de Princip, sa maturation au fil des années.

    Comment et pourquoi Princip s’est forgé une conscience politique ; comment et pourquoi il a pu décider de passer à l’acte : ces étapes sont retracées à l’aide d’un dessin un peu terne, rehaussé de nuances de gris. Le scénario nous fait comprendre l’essentiel.

    Princip et ses complices terroristes, jeunes marginaux armés par la « Main noire », une organisation nationaliste secrète qui compte dans ses rangs quelques fonctionnaires bien placés, ont conçu leur action comme une véritable œuvre d’art, l’accomplissement d’un destin macabre. Ils y ont beaucoup réfléchi. L’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche n’est pas le fait d’un déséquilibré.

    Cet album, traduit de l’anglais et publié par Futuropolis en 2014, se veut un focus sur l’étincelle qui mit au feu à la poudrière des Balkans et entraîna cette Grande guerre centenaire, largement commémorée l’année dernière. Mais l’on est bien sûr tenté de faire le rapprochement avec des actes terroristes récents. L’étude psychologique de l’assassin Princip, assez fouillée, nous y incite.

    La suggestion de la couverture, sous forme de slogan tapageur : « Gavrilo Princip, l’homme qui changea le siècle », est démentie à l’intérieur même de l’ouvrage. H. Rehr, dessinateur et scénariste, fait dire à Princip : « Une seule personne ne peut pas faire tourner la roue de l’histoire. La guerre aurait eu lieu de toute manière. Moi… je n’ai fait qu’appuyer sur la détente. »

    On constate ici que Princip est animé par une idée religieuse typiquement moderne, selon laquelle la révolution populaire est un facteur de progrès, et cela, paradoxalement, alors même que les acteurs de la révolution n’agiraient que dans une demi-conscience des actes qu’ils accomplissent, et non en pleine conscience. Princip se sent en effet prédestiné à commettre un tel acte, et le sentiment de prédestination est caractéristique d’une conscience religieuse.

    Autrement dit, la foi dans le progrès politique et la révolution est un substitut à une autre forme de foi religieuse, plus traditionnelle. Princip et les quelques jeunes Serbes de Bosnie athées qui furent poussés par des comploteurs, intrigant à un niveau supérieur, croient à la fois dans la notion de patrie ou de terre sacrée serbe, d’ordre « mystique », et dans l’émancipation future du peuple et des classes populaires dont ils sont issus. Comme dirait Baudelaire, lui-même ancien révolutionnaire déçu par la révolution : « La Révolution, par le sacrifice, confirme la Superstition. »

    A son procès, Princip énonce : « Je suis un nationaliste yougoslave et je crois à l’unification de tous les Slaves du Sud, libérés du règne autrichien. J’ai tenté d’atteindre ce but par le biais du terrorisme. Je ne suis pas un criminel, car j’ai détruit le mal. Je pense que je suis bon. Cette idée est née en nous, et nous avons commis cet assassinat. Nous aimions notre pays. Nous aimions notre peuple ! Je n’ai rien d’autre à dire pour ma défense. »

    On voit bien que ces propos ne sont pas ceux d’un déséquilibré, en même temps qu’ils sont empreints de mysticisme.

    Comme certaines des valeurs mystiques athées de Princip ont encore cours en Occident aujourd’hui, on pourrait taxer cet BD d’apologie du terrorisme, si le but de cet ouvrage n’était pas de comprendre et décrire, sans porter de jugement de valeur sur le geste ou la tyrannie autrichienne.

    Comme on peut penser qu’il y a un type du soldat, commun à toutes les armées du monde, cette bande-dessinée dessine un portrait-type du terroriste, quelles que soient les raisons mises en avant, résolu au suicide pour un plus grand bien commun. Et, comme les gangsters fascinent plus que les policiers, les terroristes fascinent plus que les soldats enrôlés dans des armées régulières.

    Emprisonné tout au long de la guerre, Princip finira par mourir en 1918, décharné et affaibli. La tuberculose le rongeait déjà depuis longtemps. La défaite de l’empire austro-hongrois vaudra à Princip d’être réhabilité à Sarajevo.

    « Nos fantômes traverseront Vienne à pied et saccageront le palais : ils terrifieront les seigneurs. », aurait griffonné Princip sur le mur de sa cellule. De tels fantômes ne meurent pas tant que dure le terrorisme.

    Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle, Henrik Rehr, Futuropolis, 2014.

     

  • Vive Alain Le Saux !

    Faut-il attendre que les gens meurent pour que la presse leur consacre quelques lignes ?webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,illustrateur,hommage,alain le saux,papa,tomi ungerer,lb,portrait

    Alain Le Saux est bien vivant. Il est né en 1936, ce qui nous fait une belle jambe puisque le talent et l’esprit ne se mesurent pas au nombre des années. Voilà encore un homme discret et secret qu’on en verra pas sur des plateaux de télévision ou à la une d’un magazine culturel. Ne cherchez pas, Alain Le Saux n’a pas de blog ni de page Wikipédia. Ne vous laissez pas non plus abuser par des homonymes, parmi lesquels un poète breton, un vicaire épiscopal de Meaux... On ne trouve même pas de trace de la moindre exposition.

    C'est ça l’énervant : Alain Le Saux mériterait une belle rétrospective de toute son œuvre, alors qu’il y a tellement de tacherons à qui on déroule le tapis rouge, à l’exemple de ce dessinateur belge auteur de strips à base de sentences pseudo-philosophiques prononcées par un félin obèse.

    Alain Le Saux est surtout connu pour ses albums pour enfants (la série des « Papa ») mais c'est bien plus qu'un simple illustrateur de livres d'enfants. Ses dessins sont faits pour rendre les gosses intelligents et leur nettoyer le cerveau de toutes les saletés que la télé et leurs parents peuvent y déposer. Il y a une saine malice subversive dans ses dessins, qui stimulent la réflexion et l’imagination de l’enfant. Car contrairement à beaucoup d’adultes et de professionnels des médias, Alain Le Saux ne considère jamais les enfants comme des abrutis, futurs buveurs de Coca-Cola.

    webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,illustrateur,hommage,alain le saux,papa,tomi ungerer,lb,portraitA sa façon, et de manière involontaire, Alain Le Saux est un pédagogue et son discours peut être plus subtil et pertinent que celui de certains spécialistes de renom. Mais Alain Le Saux ne s’est jamais posé comme tel. Pourtant on étudie son œuvre à l’université, notamment dans le cadre de la formation des professeurs des écoles. Et ce qui est sûr, c’est que l’intéressé n’en a cure.

    Car Alain Le Saux, depuis toutes ces années, aurait pu acquérir la même notoriété et le même statut qu’un Tomi Ungerer, avec lequel il partage d’ailleurs une sorte de cousinage, que ce soit par le style, l’influence sur de jeunes illustrateurs ou la capacité à tenir le même cap toute sa vie.

    Tout simplement, il n’a pas envie qu'on parle de lui. Mais voilà, « Zébra » n’aime pas suivre les sentiers battus, ni encenser les auteurs qu’il est de bon ton d’encenser ou dont il faut parler parce qu’ils ont une actualité. D’où ce modeste hommage.

    Hommage et portraits de LB, illustrations en couleur extraites de «La Maîtresse n’aime pas» (Rivages) 

    + Bibliographie sélective (chez Rivages) :

    « Interdit, toléré », « Mon copain Max m'a dit qu'il comptait sur son papa pour faire ses devoirs de mathématiques », «Le Prof m'a dit que je devais absolument repasser mes leçons», «Papa m'a dit que son meilleur ami était un homme-grenouille».

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