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Mâle occidental contemporain***

J’entame la lecture de cette BD avec un préjugé défavorable, sachant les prêchi-prêcha démagogiqueswebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,mâle occidental contemporain,critique,françois bégaudeau,clément oubrerie,agacinski,féminisme,prostitution,dsk,bertrand cantat,philippe val,delcourt,bcbg de François Bégaudeau. L’humour ne fait pas bon ménage avec le «politiquement correct»: comment F. Bégaudeau, associé à C. Oubrerie pour le dessin, se sort-il de ce qui se présente comme une satire ? Qui plus est sur le sujet du couple et des amours modernes, à propos desquels, finalement, rien de bien neuf n’a été écrit depuis Charles Fourier, dont la critique des mœurs amoureuses bourgeoises est à la fois pleine de sagacité et d’ironie. Pour mémoire, tandis que Marx tire la preuve de l’esclavagisme des régimes bourgeois libéraux de l’étude approfondie du monde du travail et son organisation, Fourier, lui, aborde la question de l’esclavage moderne à travers le régime matrimonial instauré par le code civil.

Cette correspondance entre le travail et la sexualité est d’ailleurs décisive : c’est pourquoi les idéologues libéraux, de droite ou de gauche (S. Agacinski), tentent de la faire oublier à l'aide d'une casuistique spécieuse (afin de préserver du travail une image idéalisée). C’est toute la différence entre le féminisme des magazines féminins branchés, prompts à donner des leçons de morale, en même temps qu’ils engrangent les dividendes de la publication de photos de gonzesses à peine pubères dans des postures suggestives - et le féminisme de Fourier.

Verbaliser les clientts des prostituées ? Pourquoi ne pas condamner d’abord les maisons de « haute couture » sadique, qui traitent des jeunes femmes mineures comme du bétail ? - Elles sont d’accord ? - Leurs parents ont signé une décharge ? Ah bon, effectivement si le masochisme fait partie des aspirations légitimes d'un individu, dans ce cas il n’y a plus rien à dire ni à faire contre l’esclavage.

La BD de Bégaudeau a bien un rapport indirect avec la prostitution, puisque il aborde le sujet de la frustration sexuelle de l’homme moderne, particulièrement quand il vote ou milite à gauche et que ses principes le privent de rapports sexuels tarifés, ou de s'adonner au tourisme sexuel, à l'instar de Michel Houellebecq.

Le titre de l’album, en effet, est ambigu ; par «mâle occidental contemporain», Bégaudeau entend, en fait, le type du «trentenaire de gauche», parisien ou vivant dans une grande métropole, loin d’être majoritaire en France, y compris dans le milieu de la BD. (...)

C’est ce type-là que Bégaudeau et Oubrerie croquent surtout, à travers le personnage de Thomas, coincé entre son désir de prédateur sexuel naturel ou primaire, son idéal féministe de gauche secondaire, et des femmes de gauche plus «intellectuelles» ou avides d’indépendance. L’humour est sauf pour cette raison que Bégaudeau et Oubrerie pratiquent en l'occurrence l’autodérision, et que leur satire ne dépasse guère le milieu restreint dont ils sont eux-mêmes représentatifs, et qu’ils dépeignent de façon plutôt cocasse comme un milieu où les caractéristiques sexuelles sont inversées, la femme étant désormais «active», et l’homme sentimental, passif, ou particulièrement maladroit dans la quête du partenaire sexuel idéal, suivant des méthodes archaïques «imitées de la nature».

 N’y a-t-il pas là une tactique de la part de Bégaudeau et Oubrerie pour draguer le public féminin, en lui donnant le beau rôle, d’une façon à peine moins subtile que celles dont ils soulignent le ridicule ? Pas exactement, car l’album est relativement impertinent vis-à-vis du sexe dit « beau ». Quand il suggère, par exemple, que les femmes de droite sont moins froides que les militantes de gauche. L’ex-militant de gauche Philippe Val témoigna dans une chansonnette de son cru de son fantasme pour les femmes de droite «bcbg», d’une manière qui jetait sur son féminisme officiel un éclairage un peu trouble.

De surcroît, on n’est pas loin de se demander, à la lecture du «mâle occidental contemporain», si le féminisme peut être sincère de la part d’un homme ? De ce point de vue-là, la BD de Bégaudeau et Oubrerie ne fait que confirmer les doutes, nés récemment, des affaires Bertrand Cantat ou DSK ; on peut penser que le féminisme masculin sincère est rare, et qu’il reflète dans ce cas bien plutôt une forme de piété filiale exacerbée qu’autre chose ; on retrouve surtout ce féminisme chez des hommes qui vouent un véritable culte à leur mère ; ça n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes sexuels, et il s’agit plus d’un sentiment narcissique que d’un véritable altruisme.

 Plutôt divertissant, le propos du "Mâle occidental contemporain" est malheureusement trop superficiel. Le problème de «l’inversion des valeurs», que Nietzsche accuse les élites occidentales judéo-chrétiennes d’opérer, aurait pu être creusé ici, puisque la BD ironise sur le constat d’un tel phénomène au niveau sexuel ou biologique. De même la transmission des valeurs morales dites judéo-chrétiennes - féministes en l’occurrence -, à travers les siècles et en dépit des métamorphoses économiques et techniques, par exemple par Simone de Beauvoir, est un sujet qui mériterait d’être traité plus en profondeur, et pourquoi pas sur le mode humoristique ?

Mâle occidental contemporain, Clément Oubrerie et François Bégaudeau, Delcourt, 2013.

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