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Les Ménines****

La bande-dessinée « Les Ménines » paraît en parallèle de l’exposition « Velasquez » qui se tient auwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,les ménines,vélasquez,futuropolis,santiago garcia,javier olivares,habsbourg,antonio vallejo,picasso,goya,dali,josé ribera,rubens,titien,flaminia triumfi,vénus au miroir,les ménines Grand Palais jusqu’au 23 août 2015.

C’est un excellent complément qui permet de bien comprendre l’itinéraire assez peu connu de Vélasquez sans tomber dans l’anecdotique. Le scénario de Santiago Garcia parvient à conjuguer rythme, vérité historique et sauts à travers le temps, tout en proposant une réflexion sur le rôle du peintre et la trace qu’il laisse.

Le « peintre des peintres » (dixit Manet quelques siècles plus tard), naît en 1599  et trace son sillon, conscient de son talent et indépendant des modèles traditionnels de l’époque. Il deviendra le grand maître espagnol de la peinture baroque, éclipsant tous ses concurrents. Aujourd’hui on compte à peine une centaine d’œuvres de sa main pour plus de 40 ans de carrière.

On y voit sa formation à Séville auprès de Pacheco, peintre local et futur beau-père. Sont vantés son sens du volume, proche de la sculpture et sa capacité à rendre le réel et les matières. Des bodegons (natures mortes) aux portraits, il parvient, tel Apelle*, à faire croire à ses contemporains qu’ils se trouvent dans la même pièce que les modèles de ses tableaux. Ces qualités lui valent les faveurs de la monarchie.

Grâce à l’entremise du puissant premier ministre, le comte-duc d’Olivares, compatriote sévillan, il endosse diverses charges protocolaires et parvient à réaliser son rêve, devenir chevalier de l’ordre de Saint-Jacques, la plus prestigieuse distinction en Espagne.

Se tisse donc dans la BD le lien qui l’unit peu à peu à Philippe IV, arrière petit-fils de Charles Quint, grand héritier de la dynastie des Habsbourg. Le médium permet cela : raconter, au fil des pages, une intimité. Elle n’est pas des moindres puisque le peintre, au service du roi durant 40 ans, devient son confident.

On peut voir chez le dessinateur Javier Olivares un sens de la synthèse et une volonté de traduire l’empreinte psychologique de chaque protagoniste, en écho à Vélasquez. 

En Effet, Diego Velasquez, comme certains maîtres italiens, Titien ou Tintoret, est à la recherche de la vérité dans les visages, obsession qui va traverser toute son œuvre. C’est particulièrement remarquable dans l’exposition du Grand Palais. Se rejoue sous nos yeux l’aventure du Siècle d’Or en compagnie des Habsbourg et des puissants de ce monde. Ils sont là parmi nous. Au-delà d’une exceptionnelle capacité d’observation, Vélasquez ne réalise ni esquisse ni dessin préparatoire. Il peint rapidement, directement sur la toile.

La BD raconte avec entrain la rencontre avec Rubens. Elle montre bien l’influence qui se joue malgré leur manière et personnalité très différentes. C’est Rubens qui a montré Titien à Velasquez dans les collections royales. C’est également lui qui le pousse  à aller en Italie.

Il visite Venise, Naples, Ferrare et surtout Rome et éclaire sa palette au contact des grands maîtres de la Renaissance italienne. Il s’intéresse également aux nouveautés baroques, des fresques de Lanfranco aux Carrache.

C’est d’ailleurs lors d’une exposition d’artistes contemporains que l’artiste rencontre Flaminia Triunfi, jeune peintre et probablement modèle de son tableau énigmatique, « La Vénus au miroir ». La BD relate l’aventure du peintre avec cette jeune femme, dont il eût un fils, et tente de percer le mystère - on n’a pas trace de correspondance ni de journal.

Le dessin de la bande dessinée est au service de l’histoire et les effets de couleur permettent de passer d’une époque à une autre.

Ainsi Goya, Dali, Picasso entre autres, apparaissent dans de courtes scénettes qui évoquent leur relation au maitre, et plus particulièrement à son œuvre la plus célèbre, « Les Ménines ».

Ces interludes colorés ponctuent la biographie du peintre et permettent de bien mettre en perspective la portée historique et artistique du maître espagnol. Francis Bacon est le grand absent de la BD, bien qu’il n’ait pas interprété « Les Ménines » mais « Le pape Innocent X », autre célèbre tableau de Vélasquez.

Les jeux sur les noirs et les ocres font écho à l’austérité de la peinture espagnole. La scène où Vélasquez se rend au chevet du peintre ténébriste espagnol José de Ribera à Naples, est proche de la gravure expressionniste allemande de « Die Brücke ».

A 56 ans, Vélasquez peint son chef-d’œuvre, et revendique plus que jamais ce qui l’a rendu célèbre. Ce n’est pas une peinture d’histoire (genre le plus noble à l’époque) mais un portrait royal et collectif, « Les Ménines », du nom des servantes qui entourent l’infante Marguerite au centre du tableau.

Dans le dernier chapitre, Antonio Vallejo, le dramaturge espagnol imagine la réponse de Vélasquez à la question de l’authenticité d’une œuvre d’art : - Mais bien sûr que ce n’est pas authentique, Monsieur, c’est un miroir.

La clé du mystère des « Ménines » est peut-être là. La famille royale, ou ce qu’il en reste, nous fixe intensément.

Quand Vélasquez peint ce tableau, l’Espagne et la dynastie des Habsbourg sont en pleine décadence, et lui n’a plus que quelques années à vivre.  Il immortalise le Siècle d’Or espagnol, mais il s’immortalise également puisqu’il apparaît ostensiblement dans le tableau devant le roi.

La pleine page où Vélasquez siège, concentré devant l’assemblée de peintres (Goya, Picasso, Dali (…) et les auteurs de BD au dernier plan) est d’une grande puissance graphique et semble résoudre définitivement l’énigme. Ils nous regardent tous dans la même concentration, chaque peintre tentant de convoquer à nouveau cet instant d’éternité.

AD

*Apelle, fameux peintre de l'Antiquité (IVe s. av. J.-C.), était réputé pour peindre "plus vrai que nature".  

"Les Ménines", Santiago Garcia & Javier Olivares, éds Futuropolis, 2015.

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