Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

KRITIK - Page 17

  • Prud'hon***

    Le musée Condé à Chantilly expose jusqu'au 26 juin son fonds de dessins de Pierre-Paul Prud'hon (1758-1823). A cettewebzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,pierre-paul prud'hon,sylvain laveissière,stendhal,baudelaire,delacroix,duc d'aumale,chantilly,faton occasion les éditions Faton publient un catalogue raisonné des dessins de la collection exceptionnelle (26 dessins) constituée par le duc d'Aumale, fameux mécène descendant des Condé et fils du roi Louis-Philippe.

    Ce catalogue, plutôt technique, nous renseigne sur la manière dont fut constituée la collection de Prud'hon pour le compte du duc, ainsi que sur les travaux d'entretien minutieux de dessins particulièrement fragiles - la religion de l'art a ses reliques, elle aussi.

    Cette collection a beaucoup contribué à la gloire posthume de Prud'hon, artiste discret en comparaison de personnalités saillantes comme Jacques-Louis David ou Théodore Géricault.

    Les effets de lumière crayeux de Prud'hon confèrent à ses dessins un aspect d'outre-tombe, qui a sans doute pas mal contribué à entretenir la réputation de pionnier du romantisme de l'artiste bourguignon (natif de Cluny). Sylvain Laveissière, spécialiste de Prud'hon, mentionne surtout les critiques élogieuses de Delacroix, Baudelaire, Stendhal, comme motif principal pour classer Prud'hon parmi les romantiques; étiquette fragile, démentie par l'admiration de Prud'hon lui-même pour l'art de Léonard de Vinci. La tendance de Stendhal était d'ailleurs à revendiquer "romantique" tout ce qui lui plaisait, jusqu'au théâtre de Shakespeare, en un temps où "romantique" voulait dire "neuf".

    L'art de Prud'hon ramène à la question plus sérieuse de l'influence de l'Antiquité sur l'art moderne, voire plus largement la civilisation (question controversée : rupture ou continuité?) que ce catalogue raisonné n'aborde pas directement. Cette question est pourtant l'un des enjeux de l'art moderne, motivant le mécénat ou "l'investissement culturel" comme on dit aujourd'hui.

    Laugel, négociateur pour le compte du duc d'Aumale, pour consoler son maître de l'importante dépense qu'il venait de faire, lui écrivit : "(...) Prud'hon est Prud'hon - je crois que c'est un des maîtres de notre époque qui peuvent le mieux braver l'avenir." On comprend ici que c'est un mélange d'intérêt pour l'art et de placement financier plus trivial qui préside au destin de l'art. Le duc n'avait pour l'art de Prud'hon qu'un intérêt limité.

    - La collection de Chantilly est faite d'un mélange d'académies d'hommes et de femmes, plus ou moinswebzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,pierre-paul prud'hon,sylvain laveissière,stendhal,baudelaire,delacroix,duc d'aumale,chantilly,faton achevées, illustrant la maîtrise du dessinateur ; d'esquisses préparatoires pour des tableaux sur des thèmes mythologiques ou allégoriques antiques ; ou encore de sujets plus érotiques. Ne figure malheureusement pas dans la collection de Chantilly le saisissant portrait de la maîtresse de Prud'hon, Constance Mayer (ci-contre, le portrait conservé au Louvre) ; celle-ci fit carrière de peintre dans l'ombre de son amant, son statut ambigu l'empêchant d'accéder à la notoriété.

    Pierre-Paul Prud'hon, Les Carnets de Chantilly, Faton, 2016.

     

  • Rimbaud, l'Explorateur maudit***

    D'Arthur Rimbaud nous connaissons tous au moins un poème, le plus souvent appris par coeur au collège ; etwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,arthur rimbaud,explorateur,maudit,philippe thiraut,thomas verguet,glénat,carjat cette photographie par Carjat du jeune poète génial, devenu le symbole de l'adolescence ; ainsi que quelques bribes de sa biographie ; la relation tumultueuse avec Paul Verlaine, en particulier, est célèbre, avec ses coups de revolver tirés par Verlaine pour y mettre un point final, presque un cliché.

    Certains en savent un peu plus : que Rimbaud a renoncé brusquement et définitivement à la poésie avant de s'expatrier, de voyager un peu partout, en Europe d'abord, puis au-delà de la Méditerranée. « L'air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront. » ("Une Saison en Enfer"). La fin pitoyable d'Arthur Rimbaud dans un hôpital marseillais, torturé par la maladie, implorant par courrier sa mère de lui expédier des bas de contention pour soulager ses varices, est également connue grâce aux éditions scolaires abrégées qui reproduisent parfois ces lettres, très prosaïques mais néanmoins émouvantes.

    "Rimbaud, l'Explorateur maudit", par Philippe Thiraut (scénario) et Thomas Verguet (dessin), publié par Glénat, met en scène un pan moins connu de la brève existence du poète : ses séjours et périples en Afrique, entre 1883 et 1890 environ, motivés par l'appât du gain et l'attrait de l'aventure. L.-F. Céline, qui a quelques points communs avec Rimbaud (l'origine sociale modeste, le goût de la littérature, celui de l'aventure), proposait cette explication au dégoût soudain du jeune poète pour la poésie : il y voyait la volonté d'un jeune garçon d'expérimenter enfin des choses concrètes, de sortir de l'adolescence et ses rêves théoriques. Rimbaud a en effet envisagé cet exil aventureux en Afrique comme un but plus sérieux que les poèmes que le public a retenus. Il ne pouvait pas savoir que cette expédition se solderait par un échec, suivi de la mort.

    Si la mise en couleur de cet album est insipide et fait presque mal aux yeux, en revanche le choix est assez judicieux d'un dessinateur plutôt "académique" pour illustrer ce séjour cauchemardesque de Rimbaud en Afrique. En effet le scénariste a décidé de situer l'épopée de Rimbaud entre rêve et réalité ; on ne distingue pas toujours clairement si ce sont les fantasmes de Rimbaud ou la réalité de ses expéditions qui est décrite ; on pourrait se plaindre d'une telle incertitude, cependant Rimbaud a bel et bien vécu toute sa vie une sorte de rêve éveillé, parfois heureux, souvent cauchemardesque, teinté de mysticisme.

    Le poète se voulait "moderne", à la suite de son maître Baudelaire ; or l'art moderne fait la part belle au rêve. Si Rimbaud a voulu "passer à autre chose", effectuer sa mue de l'adolescence à l'âge adulte, s'il a effectué des comptes-rendus d'exploration et des relevés topographiques publiés par la société de géographie française, il est probable que sa seconde vie reste marquée par l'idéalisme.

    De plus cette BD contribue à défaire la légende dorée d'Arthur Rimbaud, en le montrant comme la plupart des colons français, cherchant à s'enrichir sur le dos de l'Afrique, d'une façon qu'il serait hypocrite de condamner aujourd'hui puisqu'elle persiste bien au-delà de la période de colonisation officielle, de façon plus discrète.

    Rimbaud, l'Explorateur maudit, par Philippe Thiraut et Thomas Verguet, Glénat, 2016.

     

  • Renaud : la dernière tournée ?

    Maintenant qu’à peu près tout le monde a fait son article ou son commentaire sur le dernier album dewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,renaud, Renaud, que puis-je ajouter à ce déluge de louanges ?

    « J’ai embrassé un flic », la chanson qui ouvre cet album, m’a rappelé qu’il y a plus de 20 ans un autre Renaud chantait « La ballade de Willy Brouillard ». Mais c’était au siècle dernier. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts de l’Isle-sur-la-Sorgue et, de l’eau, Renaud en a mis beaucoup dans son pastis. « Willy Brouillard » figure sur l’album « A la Belle de Mai » (1994), son dernier bon disque en studio. Le suivant était plutôt réussi aussi, mais ce n’était qu’un album de reprises (« Renaud chante Brassens », 1996).

    La tournée 1995-1996 a donné lieu à un très beau disque, bien représentatif du travail et du talent de Renaud (« Paris/Provinces aller-retour »). Pas aussi décoiffant que l’enregistrement public « Un Olympia pour moi tout seul » (1982), sans doute mon préféré.

    Ce nouvel album est assez lisse, mais pour un gars qui vient de sortir de 20 ans de coma, c’est inespéré.

    Côté dessin, certaines chansons ont notamment fait l’objet d’un recueil BD, « La bande à Renaud » (1986), avant que le titre ne serve pour un disque de reprises bien craignos. Marc Large a illustré le bouquin "Renaud des Gavroches". Ah oui, et Renaud a vendu une partie de sa collec de bédés pour payer une maison à sa fille qui s’est séparée de son mec.

    NB : si vous avez envie de lire des critiques subjectives, bien écrites, de disques bons ou mauvais, je vous invite à lire la prose de ClashDoherty sur son blog.

    L’Enigmatique LB

  • Literary Life***

    Les libraires doivent rire jaune en lisant la satire du milieu littéraire anglais par Posy Simmonds ; enwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,posy simmonds,literary life,denoël graphic,bretécher effet "Literary Life", BD traduite de l'anglais et publiée par Denoël Graphic (2014) est transposable au milieu littéraire français, à quelques détails près.

    Posy Simmonds crève la baudruche de la culture en peignant un tableau peu flatteur de l'homme de lettres moderne (la femme de lettres n'est pas épargnée non plus).

    On ne peut s'empêcher de penser à Claire Bretécher en lisant les planches de Posy Simmonds, dessinatrice au "Guardian Review" outre-manche depuis des lustres, dans lequel ses tranches de "vie littéraire" sont parues. Si Bretécher a croqué le milieu "bobo" d'une façon aussi réaliste, c'est -à l'en croire-, parce qu'elle l'éprouva de l'intérieur ; de même on a l'impression que Posy Simmonds (de cinq ans la cadette de Claire Bretécher), sait bien de quoi elle parle quand elle parle de librairies, de salons du livre, de dédicaces, d'éditeurs, de critique littéraire... Il est plus juste de parler d'ironie que de satire, pour qualifier la démarche de P. Simmonds ; son cynisme et sa franchise l'inclinent à ne pas embellir la réalité.

    Sans doute certains gags sont un peu "attendus" ; ce n'est pas la première fois que le milieu littéraire est la cible de sarcasmes ; souligner le narcissisme de l'écrivain, son désir de plaire et de se rassurer, ce n'est pas un scoop.

    Cependant Posy Simmonds se rattrape en proposant des angles variés, qui permettent de cerner le métier; le métier, tout est dans ce mot car le ridicule de l'homme de lettres moderne tient largement à ce qu'il est devenu un "professionnel", l'écriture un travail, et les librairies des étals de plus en plus banals. Du décalage entre la littérature, qui peut sembler parfois une échappatoire à la condition humaine, et le carriérisme de l'homme de lettres moderne, Posy Simmonds extrait la plupart des situations comiques. On pourrait traduire cette évolution autrement : on a affaire aujourd'hui à une littérature produite d'abord par des éditeurs, assisté par des écrivains. Le rapport des prérogatives s'est peu à peu inversé. Cette évolution est particulièrement visible dans le domaine de la bande-dessinée où les recettes technico-commerciales se sont vites imposées sur des méthodes plus artisanales.

    - Entre autres observations pertinentes, P. Simmonds suggère l'effet délétère de la psychanalyse sur la critique littéraire. Cet effet avait d'ailleurs été anticipé par le journaliste et critique viennois Karl Kraus, contemporain de Freud et auteur d'aphorismes cinglants à l'encontre de son compatriote et de la psychanalyse (Freud s'est notamment ridiculisé en tentant de réduire les personnages de Shakespeare à des symptômes).

    P. Simmonds illustre aussi le complexe d'infériorité grandissant de l'écrivain vis-à-vis du cinéma et de la télévision ; au point que les plus serviles se rêvent scénaristes de cinéma, c'est-à-dire au service d'un art beaucoup plus rémunérateur, mais presque entièrement fait de contraintes. Indirectement, P. Simmonds pointe du doigt le rôle que joue la culture afin d'emprisonner l'homme moderne dans la fiction.

    Literary life - scènes de la vie littéraire ; Posy Simmonds, Denoël Graphic, 2014.

     

  • Paris, Travel Book L. Vuitton

    Non, Paris n’est pas grise, comme nous le prouve cette balade « sous acide » de Brecht Evens à travers lawebzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,critique,kritik,brecht evens,paris,travel book,louis vuitton,chéri samba,jiro tanagushi,lorenzo mattoti,trocadéro,passage des Panoramas,souk,aquarelle,gouache,fauve,vlaminck,severini,otto dix,balthus capitale ; son recueil d’images s’intègre dans la série de « Travel Books »  commandée par Louis Vuitton à divers artistes. Ainsi le peintre congolais Chéri Samba a déjà peint la capitale française.

    Des auteurs de bande-dessinée ont participé, dont le mangaka Jiro Tanagushi qui propose son regard sur Venise, et l’Italien Lorenzo Mattoti, sur le Vietnam ; toujours des artistes étrangers à la ville, même si le jeune auteur flamand Brecht Evens est installé à Paris depuis 2013.

    Les lecteurs Français découvrent Brecht Evens en 2011 quand, à 25 ans, il reçoit le prix de l’audace au festival d’Angoulême pour « Les Noceurs », projet de fin d’études (école supérieure des arts Saint-Luc de Gand).

    Paris s’anime sous le pinceau de l’auteur en une centaine de pages représentant ses monuments emblématiques, mais aussi la vie quotidienne dans les passages parisiens, aux terrasses des bistrots, dans les parcs urbains, sur les bords de Seine…

    Brecht Evens croque aussi les Parisiens sous toutes les coutures, avec un sens de la narration venant de la bande-dessinée. Du sportif à la parisienne branchée, en passant par les flâneurs, les prostituées ou les touristes, la vie trépidante est décrite par chapitre, d’arrondissement en arrondissement.

    webzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,critique,kritik,brecht evens,paris,travel book,louis vuitton,chéri samba,jiro tanagushi,lorenzo mattoti,trocadéro,passage des Panoramas,souk,aquarelle,gouache,fauve,vlaminck,severini,otto dix,balthusLes Parisiens reconnaîtront-ils Paris ? Le Flamand propose parfois une vision très personnelle ; ainsi le Passage des Panoramas ressemble à un souk marocain, et la sévérité du Trocadéro ou la quadrichromie austère de Beaubourg disparaissent sous un nuage coloré.

    Les couleurs chatoyantes, les tonalités froides ou chaudes toujours harmonieuses parsèment le recueil. Les accords colorés osés de Brecht Evens évoquent la peinture fauve. On retrouve cette fascination pour la couleur des peintres du Nord, Vlaminck, Matisse, voire Van Gogh.

    Mais il utilise les moyens de l’illustration car, dans son pays, on ne dénigre pas la bande-dessinée et l’illustration.

    L’aquarelle est principalement utilisée, en jouant des accidents heureux, des superpositions et des transparences permises par cette technique. D’autres techniques s’y ajoutent, comme la gouache qui donne un aspect plus dense et  crayeux, l’encre ou le feutre qui offre des respirations dans des images très souvent saturées en couleur.

    Les compositions audacieuses, les perspectives tronquées, évoquent les compositions architecturales futuristes de Severini ou de l’Allemand Otto Dix ; et là, un clin d'oeil au peintre français Balthus. 

    L’intention novatrice de l’artiste, qui fait fusionner peinture, illustration et bande-dessinée, rend sa démarche fascinante et donne envie de tourner les pages une à une.

    (Aurélie Dekeyser)

    « Paris », Travel Book par Brecht Evens, Louis Vuitton, 2016, 45 euros (vendu dans les boutiques Louis Vuitton, sur le site officiel et dans une sélection de librairies).

    webzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,critique,kritik,brecht evens,paris,travel book,louis vuitton,chéri samba,jiro tanagushi,lorenzo mattoti,trocadéro,passage des Panoramas,souk,aquarelle,gouache,fauve,vlaminck,severini,otto dix,balthus

    Le cimetière du Père Lachaise, par Brecht Evens.

    webzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,critique,kritik,brecht evens,paris,travel book,louis vuitton,chéri samba,jiro tanagushi,lorenzo mattoti,trocadéro,passage des Panoramas,souk,aquarelle,gouache,fauve,vlaminck,severini,otto dix,balthus

    Vue nocturne de Paris, par Brecht Evens.

  • Mitterrand Requiem*

    C'est la couverture de cet album qui m'a surpris et poussé à le lire. Une deuxième BD
    webzine,bd,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,mitterrand,requiem,seth,dieu,égyptiensur Mitterrand en quelques mois, ça commence à faire beaucoup ! D'autant plus que F. Mitterrand est une personnalité sans grand relief - je ne nie pas que cet édile fut "un homme de valeur", mais il a régné sur la France et les Français à une époque sans grand intérêt sur le plan politique. Sans doute l'homme était-il assez cultivé pour s'en apercevoir. La pointe d'amertume et de mépris dans le ton de F. Mitterrand à la fin de son règne, que les meilleurs caricaturistes ont su saisir, trahissait sans doute cette désillusion.

    Cause de ma surprise surtout, la représentation sur la couverture du dieu égyptien Seth, particulièrement sinistre, à côté de l'ancien chef de l'Etat ; elle suggère le mobile satanique de celui-ci... du moins selon le vocabulaire "judéo-chrétien", car pour les Juifs l'Egypte symbolise la volonté satanique ; de façon plus neutre, on peut parler de "paganisme" ou de "néo-paganisme".

    Et ce n'est pas seulement une suggestion puisque l'auteur, Joël Callède, en introduction à sa BD, relie explicitement le régime des valeurs laïques français à la philosophie naturelle de l'Egypte antique, qu'il n'hésite pas à qualifier de "spiritualité".

    Autant le dire tout de suite, "Mitterrand Requiem" est un livre pieux, et pour cette raison complètement creux. Le phénomène de ferveur religieuse laïque n'est pas si étonnant ni rare. Une anecdote personnelle pour l'illustrer : comme je visitai un ami hospitalisé - ce devait être vers la fin du premier mandat de François Mitterrand, je tombai en arrêt sur le poster de François Mitterrand que le voisin de chambre de mon copain avait épinglé au-dessus de son lit ; cette image pieuse était manifestement censée lui procurer réconfort et protection. Le type était dans la force de l'âge, contrairement à moi, ce qui m'avait fait légèrement sursauter.

    La superstition est une chose, y compris chez certains qui se disent "laïcs" et se font fort de la combattre chez autrui, mais c'est une chose bien différente d'affirmer la proximité de François Mitterrand avec la religion égyptienne antique, son célèbre système zodiacal. D'une manière générale, les politiciens se tiennent éloignés des questions spirituelles, philosophiques ou scientifiques ; à tel point que l'on peut se demander si la volonté d'échapper au questionnement spirituel ou métaphysique n'entre pas en ligne de compte dans la vocation politique.

    On sait que Mitterrand a grandi dans un milieu conservateur, qu'il a été sous l'influence des idées réactionnaires de Charles Maurras et de l'Action française ; le régime de Vichy pour lequel F. Mitterrand éprouvait de la sympathie, à l'instar du régime nazi, a joué la carte du symbolisme néo-païen, mais de façon superficielle et sporadique. Par ailleurs Mitterrand avait des goûts modernes, sans quoi il n'aurait probablement pas pu évoluer dans les hautes sphères politiques, manier la rhétorique en vigueur dans ce milieu. Voyager en Egypte, éprouver de la fascination pour les pyramides et la culture égyptienne multimillénaire ne signifie pas que l'on y adhère, ni même qu'on la comprend.

    Plus abusif encore le rapprochement entre la laïcité et la culture égyptienne antique ; la culture moderne occidentale est le produit d'influences très variées. On ne peut pas exclure une forme de néo-paganisme (nécessairement "réac"), mais de très nombreux principes laïcs traduisent aussi l'influence du "judéo-christianisme", à mille lieues de la philosophie égyptienne, et pas des moindres : l'égalité, le féminisme, la démocratie.

    Une question plus intéressante se pose, que ce type de littérature pieuse élude malheureusement en proposant une vision largement fantasmée de Mitterrand, qui frise parfois le ridicule ; la nature composite de la culture occidentale moderne, disons pour partie "païenne", pour partie "judéo-chrétienne", est-elle une force ou bien au contraire une faiblesse ? La culture occidentale est-elle faite pour s'imposer au monde entier, en vertu de sa plasticité, ou bien condamnée à se déliter petit à petit en raison de son incohérence ? 

    Mitterrand Requiem, Joël Callède, Le Lombard, 2016.

     

     

  • Don Quichotte****

    L'adaptation en BD de "Don Quichotte" par l'Anglais Rob Davis est d'abord remarquable webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,don quichotte,cervantès,rob davis,vraoum,dulcinée du tobosco,louis viardoten raison de sa fidélité à cet ouvrage satirique précurseur, qualifié parfois de "roman des romans".

    Don Quichotte n'est pas fait pour inspirer la sympathie au lecteur, pas plus que le Don Juan de Molière ; le personnage créé par Cervantès (1547-1616) est mû par des valeurs aristocratiques démodées au XVIIe siècle. Sancho Pança et Sganarelle sont des caricatures de domestiques, prêts à suivre leurs maîtres jusqu'en enfer, contre une somme d'argent ou une promesse d'enrichissement (Don Quichotte a promis à Sancho Pança qu'il sera roi d'une île) ; ces personnages sont nos contemporains !

    Cervantès brocarde allègrement la culture aristocratique médiévale, en particulier son idéalisme. C'est l'idéalisme qui pousse Don Quichotte à aller au-devant des embûches, à provoquer des catastrophes dont il est la première victime.

    Cervantès souligne que la Dulcinée du Toboso, cette femme qui aiguillonne l'idéal de don Quichotte, est un pur fantasme, une matrone à laquelle l'hidalgo prête les qualités physiques et morales d'une princesse. Don Quichotte est une caricature, et son aveuglement amoureux excède par conséquent la bêtise amoureuse ordinaire.

    Louis Viardot, traducteur et commentateur du "Quichotte", parle de "la délicate satire du goût dépravé pour les romans de chevalerie". "On raconte que le duc don Alonzo Lopez de Zuniga y Sotomayor, ajoute Viardot, en apprenant que l'objet du Don Quichotte était une raillerie, crut sa dignité compromise, et refusa la dédicace."

    Aujourd'hui les super-héros de bande dessinée ont repris le flambeau du don-quichottisme et la critique de Cervantès est toujours d'actualité. Les super-héros veulent sauver le monde, mais ne font qu'entretenir la passivité de leurs nombreux lecteurs et exciter leur goût pour le divertissement.

    Et la galanterie forcenée du Quichotte ? L. Viardot l'explique ainsi : "(...) Les femmes, dont les moeurs publiques ne défendaient pas encore la faiblesse, sont le principal objet de la généreuse protection du chevalier errant ; le christianisme a donné naissance à la galanterie, ce nouvel amour inconnu de l'Antiquité, en mêlant aux plaisirs sensuels les respects et la foi d'une espèce de culte religieux." Encore faut-il préciser ici ce que l'on comprend mieux en lisant le "Roméo & Juliette" de Shakespeare : en fait de "christianisme", il s'agit de la transposition dans la culture aristocratique du christianisme.

    Le style de dessin nerveux de Rob Davis sert son adaptation. On exagère en général la difficulté qu'il y a à lire l'ouvrage de Cervantès, rebutant par le volume. La longueur du texte est, certes, assez rédhibitoire (de 800 à plus de 1000 pages selon les éditions), mais le "Quichotte" peut se lire par petits morceaux, ou dans une édition abrégée. Il reste que la version de Rob Davis, synthétique (2 vol.), permet d'autant mieux d'apprécier l'humour de Cervantès et l'esprit satirique du roman.

    On ne regrette que la mise en couleurs superflue, avec des tons pastels "éteints" ; le noir et blanc auraient mieux convenu.

    Don Quichotte, par Cervantès et Rob Davis, éd. Warum, 2015.