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KRITIK - Page 18

  • Mai 68***

    Il y a quelques mois de cela, je tombe sur le billet d'un blogueur dont le titre m'interpelle ; un titre en formewebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,mai 68,daniel cohn-bendit,cavanna,cabu,michel lafon,charlie-hebdo de slogan : "Pour un Mai 68 de droite !". Mon étonnement ne dure pas ; en effet cet éditorialiste amateur n'a guère de mal à démontrer que le pouvoir étant désormais "de gauche", la contestation du pouvoir et de l'autorité peuvent se réclamer de la "droite". Raisonnement que l'on trouvera un peu "binaire", sans doute, mais le clivage "droite-gauche" est précisément mécanique.

    N'était-ce pas simpliste de se dire "gauchiste", en "Mai 68", pour s'opposer à un pouvoir gaulliste "droitier" ? Comme le pouvoir est binaire, la contestation du pouvoir se devrait d'éviter de l'être.

    En outre je comprends ce que veut dire "réactionnaire", car plusieurs philosophes ou essayistes ont tracé clairement les contours de la réaction à la culture moderne, dont F. Nietzsche le plus radical d'entre eux, mais je ne comprends pas ce que veut dire "la droite", en quoi de Gaulle était "de droite", lui, un type aussi moderne ?

    Dans "Mai 68", collection d'affiches, de slogans, de caricatures contestataires publiés au cours et autour de Mai 68 (chez Michel Lafon), Daniel Cohn-Bendit définit sa révolution avortée de la façon la plus neutre comme "l'explosion de l'envie de vivre radicalement autrement". Histoire d'être un peu mutin, j'ai envie d'ajouter ici que cette définition est si neutre qu'elle pourrait s'appliquer aujourd'hui à un jeune djihadiste qui prendrait le djihad pour une aventure... C'est bien ce qu'est la guerre : une aventure sexuelle impliquant les deux sexes (contrairement à un stéréotype répandu qui fait porter la responsabilité du poids de la violence sur les seuls hommes). Quand le marteau frappe l'enclume, le manche y est aussi pour quelque chose.

    François Cavanna, pour sa part, est plus critique que D. Cohn-Bendit ; en effet le fondateur de "Hara-Kiri" écrit : "Ivresse des slogans. Se saouler de mots. De formules bien troussées qui dispensent de penser. Besoin d'idoles. Le Che en portraits géants. Mao. Castro ; ça tournait mal. (...) Quand j'ai vu rappliquer les médecines "parallèles", le petit livre rouge, le bouddhisme zen, le vaudou, quand j'ai vu cette écume de merde, au nom de la liberté, submerger l'essentiel, j'ai senti qu'on se faisait avoir."

    Si Cavanna était conscient du détournement de Mai 68 à des fins politiques et publicitaires, il faisait néanmoins le rapprochement entre Mai 68 et "Hara-Kiri", son journal, assez indéfinissable politiquement lui aussi, peut-être la dernière tentative en France d'imprimer quelque chose qui ne soit pas de la propagande politique ? En ce sens, "Hara-Kiri" faisait plus penser à la presse d'avant-guerre, plus populaire et réservée à l'égard du pouvoir politique, et faisant preuve d'un anticléricalisme englobant l'institution républicaine.

    On trouve la même observation de la part de Cabu d'un "Hara-Kiri" annonciateur de l'esprit de "Mai 68", puis seul dépositaire véritable du combat contre la "société de consommation" : "C'était comme si Hara-Kiri était soudain descendu dans la rue, écrivait Cabu. D'accord : tout ça peut paraître un peu prétentieux ! Disons que soudain, de plus en plus de gens se montraient sensibles à nos idées. Beaucoup plus qu'aujourd'hui."

    La thèse soutenue par des essayistes comme E. Zemmour ou A. Glucksmann de l'influence réelle du mouvement de Mai 68 sur la société française, est ici, au passage, contestée. 

    D'inspiration communiste, on ne trouve pas dans ces témoignages croisés, ni d'invocation de la laïcité ou des valeurs républicaines, bien sûr, puisque le mouvement de "Mai 68" était parfaitement illégal. On note cependant que Marianne apparaît ici ou là, une Marianne toujours vierge en dépit des centaines d'hectolitres de sang, non seulement d'aristocrates, mais aussi de prolétaires, d'Allemands, de Juifs, d'Africains, répandus par les armées de la République - Marianne plus SS qu'un CRS, mais immaculée conception laïque.

    C'était Siné, d'entre tous ces témoins et acteurs plus ou moins conscients, le plus politisé en "Mai 68", ayant foi dans le renversement de la bourgeoisie par la révolution. Plusieurs fois il a témoigné de cette naïveté, tout en exprimant le regret qu'elle l'ait entraîné à célébrer trop vite la dictature castriste.

    Que l'on ait pu prendre - "au nom de "Charlie" et de la loi" -, des mesures policières répressives, en particulier dans les collèges où ces mesures sont parfaitement injustes et inutiles, ce retournement ubuesque en dit long sur ce qui a subsisté de "Mai 68" au plan politique et social : probablement moins encore que le reliquat, somme toute modeste, que Cabu et Wolinski mentionnent.

    On ne peut s'empêcher de voir un signe du destin dans l'assassinat d'ex-rebelles de Mai 68, assez largement désabusés, par des djihadistes, c'est-à-dire des révolutionnaires d'un genre nouveau, dont les élites redoutent qu'ils fascinent et réveillent la jeunesse endormie, à coup de drogues plus ou moins légales.

    "Mai 68", Michel Lafon, 2008. 

     Quelques exemples d'images, dont il suffirait de changer un petit détail pour qu'elles collent parfaitement à l'actualité.

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    Dessin de Siné, où on pourrait remplacer la croix lorraine.

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    Dessin de Reiser, le plus désabusé de tous.

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    Affiche d'inspiration marxiste, adjoignant aux forces de l'ordre bourgeois le savoir bourgeois.

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    Les chars et les ouvriers ont été "délocalisés" en Chine ou en Inde, et sont désormais commandés à distance par les élites occidentales.

     

  • Bienvenue à Boboland****

    Cet album a déjà quelques années, mais il est toujours d'actualité. En effet, on utilise même l'expressionwebzine,bd,fanzine,zébra,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,bienvenue à boboland,bobo,dupuy,berberian,fluide glacial "boboïser" dorénavant, pour dire que "Paris se boboïse de plus en plus". Le récent mouvement "Tous Charlie" a en outre remis les bobos en avant, car ce type de manifestation est typique de la "culture bobo", qui s'exprime souvent par des slogans plus ou moins ingénieux, inscrits sur des tee-shirts.

    Désormais démodé, le portrait d'Ernesto Che Guevara imprimé sur un tee-shirt fut longtemps un code vestimentaire bobo. Peu importait que Che Guevara fût un terroriste, il était "cool". Ben Laden est venu ensuite gâcher la fête : le guérillero ne fait plus rêver.

    Si chacun sait que "bobo" vient de la contraction de "bourgeois-bohême", tout le monde n'est pas d'accord sur la signification du terme. Pour certains, pas besoin de revenus confortables pour être un bobo ; pour d'autres, au contraire, le fait d'avoir des revenus confortables explique et justifie toute la culture "bobo".

    Pour simplifier, disons que les bobos sont les électeurs de François Hollande. Le thème traité par Dupuy & Berberian dans "Bienvenue à Boboland" (eds. "Fluide Glacial") n'est donc pas aussi anodin qu'il y paraît. La culture bobo en dit long sur la manière d'exercer le pouvoir aujourd'hui en Occident, sans avoir l'air d'y toucher ni d'être impliqué dans la violence inhérente à l'exercice du pouvoir.

    Les deux compères Dupuy et Berberian maîtrisent leur sujet aussi bien que Claire Brétécher, qui les précéda dans le domaine de la satire des moeurs de la "gauche caviar" (comme dit l'essayiste Eric Zemmour, bête noire des bobos).

    On sait gré à Dupuy et Berberian de passer par le biais de la satire, plutôt que celui de la sociologie, pour brosser le portrait d'une élite culturelle qui donna à la moraline sa tonalité chic et parisienne (y a-t-il des bobos en dehors de Paris ?). On est tenté de parler au passé, car la crise économique semble avoir rebattu les cartes idéologiques. Signe des temps, les représentants de la bobocratie sont de plus en plus rares à s'assumer comme tels. Il faut dire qu'avec son - Je n'aime pas l'argent !, le candidat François Hollande a probablement usé le peu de crédit que la gauche "bobo" avait encore auprès de catégories sociales moins favorisées.

    C. Bretécher a expliqué que son appartenance à la bourgeoisie de gauche et un certain cynisme personnel (au sens philosophique du terme) étaient la clef de ses planches satiriques publiées dans le "Nouvel Obs". Je ne connais pas la recette de Dupuy & Berberian, mais leur satire sonne assez juste ; en effet elle est assez mordante pour ne pas être complaisante - le narcissisme des bobos est nettement souligné, par-delà l'amour de l'humanité sans distinction de classes ni de races... sans tomber pour autant dans le pamphlet, qui a souvent tendance à atténuer la satire.

    Bienvenue à Boboland, Dupuy & Berberian, eds Fluide Glacial, 2008.

  • Groom*

    Les éditions Dupuis, éditrices de l'hebdomadaire "Spirou", ont publié le 7 janvier "Groom", un hors-série pourwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,groom,spirou,magazine,dupuis,propagande,charlie-hebdo,mai 68,complotisme les ados traitant de l'actualité en 2015.

    6,90 euros ça les vaut bien, si l'on tient compte du nombre de pages (100), de la qualité du papier (glacé), et de l'habileté des dessinateurs. Il s'agit ici d'un "ballon d'essai" ; on sent bien que Dupuis surfe sur une actualité dense, et l'attentat contre "Charlie-Hebdo" qui a beaucoup fait parler du dessin de presse, non loin de la bande-dessinée (bon nombre de dessinateurs de presse sont aussi auteurs de BD).

    Cependant sur le plan éditorial, ce premier numéro est très décevant, comme on pouvait s'y attendre. Un petit rappel s'impose : "Charlie-Hebdo" est proche de l'esprit frondeur de "Mai 68", qu'il précéda (ainsi que Cabu le soulignait fort justement), et qu'il a perpétué avant de faire faillite, faute de lecteurs, en 1982. La prise du pouvoir par la gauche en France explique sans doute assez largement cette faillite : la réputation d'hebdomadaire subversif de "Hara Kiri" ou "Charlie-Hebdo" s'est émoussée à partir du moment où la culture dominante a repris certains slogans "libertaires" ; du "sexe sans entraves", on est vite passé à la "capote obligatoire" et à la sexualité sous assistance thérapeutique psychiatrique ; Daniel Cohn-Bendit, icône du mouvement de "Mai 68", officie désormais dans une radio capitaliste BCBG qui passe son temps à expliquer que, si le capitalisme tousse aujourd'hui, c'est pour mieux courir demain le marathon.

    Dupuis et "Spirou" incarnent en revanche le conformisme belge, une propagande à destination des jeunes garçons de bonnes familles comme "Tintin".

    Le besoin de propagande n'a malheureusement pas diminué par rapport aux années 60, mais seulement la couleur de la propagande. Et c'est ce que Dupuis a produit avec "Groom" : un magazine lisse et politiquement correct à l'instar du mouvement "Tous Charlie !", tout juste assaisonné de quelques pointes d'humour ici ou là. Pas facile pour un illustrateur d'illustrer une tribune édifiante de Jean-Louis Bianco ; on croyait cet ancien secrétaire général de l'Elysée enterré avec Mitterrand (comme dans l'Antiquité les serviteurs de pharaon avec leur maître), en réalité il préside un très (trop) sérieux "Observatoire de la laïcité".

    L'actualité 2015 est assez largement traitée, dans toute sa diversité, puisque cela va de la montée des eaux en Belgique jusqu'à l'embargo de l'Iran, en passant par le scandale de la Fifa et les toutous de la reine Elisabeth II. Mais c'est une maladresse que cette manière d'exhaustivité ; le tout, avec l'actu et l'information, qui se présentent de façon chaotique et peu hiérarchisée, est de ne pas se laisser submerger pas leurs flots, surtout pour des ados mal armés. C'est la force du "complotisme", justement, moqué dans plusieurs strips publiés dans "Groom", de proposer une lecture univoque de l'actualité aux ados, une explication d'ensemble à, disons, l'agitation du monde - qui a de quoi troubler l'esprit.

    Traiter de façon sérieuse du ou des complotismes -ce qui n'exclut pas l'humour-, aurait pu par exemple être un angle éditorial ; au lieu de ça, on a une sorte de fourre-tout, illustré avec brio, mais qui ne met pas ou peu en oeuvre la force principale du dessin, l'humour.

    On ne redemande pas de ce "Groom"-là (et les ados à qui j'ai prêté mon exemplaire non plus).

    Zombi

     

     

  • Star Wars

    J.J. Abrams, 2015

    Je ne suis pas fan de "Star Wars", mais je suis allé voir le film au cinéma, en 3D s’il-vous-plaît. Le film durewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,cinéma,star wars,disney largement 2 heures et aurait sans doute gagné à être élagué pour être plus dynamique.

    Le scénario (?) est assez simplet : un ex-méchant déserte de l’armée des Stormtroopers (John Boyega, sympa) et fait équipe avec une jolie nana (Daisy Ridley, jolie) pour échapper à des méchants. Ils courent, ils pilotent, ils transpirent... d’ailleurs ils ne changent pas souvent de vêtements, la culotte de la demoiselle doit pas sentir la rose. Les effets spéciaux sont tellement réussis qu’on ne les voit pas, c’est bluffant, grisant.

    Il y a de l’humour, gentil, ça donne un inattendu et bienvenu petit côté parodique au film. On a l’impression que le réalisateur a eu envie de se la jouer "Y a-t-il un pilote dans l’avion ?" (Jim Abrahams, David Zucker et Jerry Zucker, 1980) ou "Hot Shots" (Jim Abrahams, 1991), mais ce n’était pas prévu dans le contrat.

    Les deux rôles principaux sont tenus par un noir et une femme ; le cahier des charges était non négociable. On sent que le film est fait pour plaire au plus grand nombre, c’est sans doute ça la "magie Disney". Du coup, l’ensemble est plutôt gentil, même le méchant (Adam Driver, bof) ne fait pas très peur. Les scénaristes ont ressorti quelques vieilleries (R2D2, le faucon millénium, Harrison Ford…), c’est là où on voit leur manque d’inspiration, genre "c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes". Celle-là manque vraiment de sel.

    LB

  • Un + une, de C. Lelouch

    Ma mauvaise foi me pousse à parler d’un film que je n’ai pas vu et que je n’irai pas voir. Claude Lelouch estwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,claude lelouch,cinéma,un + une,elsa zylberstein,jean dujardin,caricature,navet devenu cinéaste sur un malentendu, avec Un homme et une femme (1966). Il a ensuite réalisé quelques films encore regardables malgré les années, mais dont il ne resterait sans doute pas grand-chose sans les acteurs : Annie Girardot dans Un homme qui me plaît (1969), Lino Ventura dans La bonne année (1973), par exemple. On peut considérer ces films comme des accidents de parcours dans la longue et inégale carrière de Claude Lelouch. Pas plus que son précédent film où la grande Sandrine Bonnaire s’était laissée embarquer, le bouseux Salaud on t’aime (2014), le nouveau film de Lelouch ne laissera de souvenir impérissable.

    Déjà, un film avec Elsa Zylberstein, ça n’augure rien de bon. Cette nana est l’archétype de la Parisienne godiche. On sait qu’elle est actrice mais pouvez-vous me citer un seul de ses films ? Moi non. Jean Dujardin avait sans doute envie de visiter l’Inde entre deux tournages, ce qui peut expliquer sa présence dans ce film. A moins qu’il ne manque sérieusement de pif pour choisir ses films, en témoigne sa constance à aligner les nanars : Cash (Eric Bernard, 2008), Le bruit des glaçons (Bertrand Blier, 2009)…

    webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,claude lelouch,cinéma,un + une,elsa zylberstein,jean dujardin,caricature,navetLe problème de Jean Dujardin, acteur que par ailleurs j’aime beaucoup, c’est sa crédibilité dans des rôles sérieux. Dans La French (Cédric Jimenez, 2014), film assez ridicule, on a l’impression de voir Hubert Bonisseur de la Bath son personnage-fétiche (OSS 117, Michel Hazanavicius).

    Les images aperçues sur la bande annonce – mon professionnalisme m’impose au minimum cette corvée - laissent entrevoir tout l’artifice d’un film complètement à côté de la plaque, des costumes au jeu des acteurs, en passant par les dialogues et la réalisation, si tant est qu’il y en ait une.

    Ne perdez pas votre temps avec ce cinéma ringard, il y a tellement mieux à faire. Claude, fais nous plaisir, range ta caméra et va pêcher la truite.

    LB

  • Les Cahiers japonais***

    Igort est un des rares auteurs européens de BD (natif de Cagliari en Sardaigne) à avoir travaillé comme mangaka (dessinateur dewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,igort,les cahiers japonais,futuropolis,mangaka,manga mangas) au Japon pendant plus de dix ans, se pliant aux exigences des éditeurs nippons, réputées strictes.

    Dans "Les Cahiers japonais" (Futuropolis, octobre 2015), Igort revient sur cette période de sa vie, et se sert de ce prétexte pour proposer au lecteur un "voyage dans l'Empire des signes" qui le fascina, et présenter différents aspects de la culture nippone, encore méconnue en Europe.

    L'auteur de cette critique, qui n'éprouve aucune fascination pour la culture japonaise, mais bien au contraire de la répulsion, n'était peut-être pas le mieux placé pour parler de cet album ? En effet l'individu ne compte pas ou peu au Japon, aussi la culture japonaise se trouve-t-elle en adéquation avec la culture moderne totalitaire, où l'individu renonce le plus souvent à exister par lui-même, tant la pression de grandes structures contraignantes est forte, de l'administration d'Etat à la société de consommation, en passant par la médecine psychiatrique et les infrastructures technologiques, la culture de masse.

    On est loin de la culture de vie italienne, louée par Nietzsche au siècle dernier comme le remède à une culture moderne macabre ; c'est sans doute la sereine résignation des Japonais qui trouve un écho de plus en plus large dans la France vieillissante.

    Heureusement le paysage japonais que dessine Igort est assez contrasté, et son dessin élégant fait plutôt référence aux vieilles estampes japonaises qu'à la graphie stéréotypée des mangas d'aujourd'hui. Sur les méthodes des éditeurs de mangas, la curiosité des amateurs de ce genre (ultra-commercial) se trouvera satisfaite, puisque Igort parvint à pénétrer ce milieu assez fermé. La digression sur Hokusai plaira aux amateurs de cet artiste humble et persévérant.

    L'auteur dévoile en outre que le système ancien des castes perdure au Japon, derrière un voile d'hypocrisie sociale.

    La variété des sujets abordés sauve de l'ennui le lecteur pour qui le Japon n'évoque que calme, luxe et volupté, et soumission au temps.

    Les Cahiers japonais - Un voyage dans l'Empire des signes, Igort, Futuropolis, 2015.

  • L'Île Louvre***

    En partenariat avec le Louvre, les éds. Futuropolis publient des BD qui font pénétrer à l'intérieur de cewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,louvre,florent chavouet,futuropolis,étienne davodeau,le chien qui louche gigantesque musée comme par une petite porte dérobée. Passant par une intrigue, mi-comique, mi-romanesque, E. Davodeau s'acquitta de la commande avec brio, produisant sans doute là son meilleur album - "Le Chien qui louche" (2013) ; il y avait de l'impertinence dans le regard posé par Davodeau sur cette sorte de "saint des saints" de l'art français qu'est le musée du Louvre.

    L'album de Florent Chavouet est dans la lignée du "Chien qui louche" : bien qu'agréée par le Louvre, la BD ne ménage pas la religion de l'art, en principe démocratique puisqu'il s'agit d'initier monsieur Tout-le-monde aux arcanes de l'art. La description du Louvre par Florent Chavouet n'est pas loin de suggérer plutôt un parc d'attraction pour une clientèle un peu plus snob que celle qui fréquente les fêtes foraines.

    L'idée de représenter le Louvre comme une île est bonne ; elle permet de souligner que le règlement du Louvre, ses rituels, sa fonction, son personnel, en font une enclave. - A quoi sert le Louvre ? Cette question que l'on ne se pose pas souvent fait que cette île est en outre nimbée d'un brouillard de mystère. A quoi servent les choses qui ne servent à rien ? Pouvoir pénétrer dans un ancien palais royal comme dans un moulin, est-ce une preuve que la démocratie existe ? Etc. Les rêves sont aussi comme des îles.

    F. Chavouet se mêle aux visiteurs, propose une succession de sketchs le plus souvent désopilants, à base d'anecdotes vécues. Il semble que le personnel assigné à la surveillance du public soit souvent accusé de glander aux frais du contribuable, et Chavouet de dessiner malicieusement les gardiens dans des poses de statues vivantes.

    On s'amusera des questions et commentaires plus saugrenus les uns que les autres que l'auteur a collectionnés. La nudité, fréquente dans l'art classique, est bien sûr cause de bons mots plus ou moins spirituels. Ainsi ces deux quinquas (homos ?) commentant le portrait d'une femme à la poitrine largement dénudée : "Il gère bien la lumière."

    Comme le musée est un véritable dédale de salles et de styles, mais aussi d'ascenseurs et d'escaliers, l'auteur souligne le côté "chasse au trésor" ; une visiteuse : - C'est dingue, c'est le musée de l'escalier ici ou quoi ?"

    Un album léger, comme un après-midi au Louvre.

    "L'Île Louvre", par Florent Chavouet, éds. Futuropolis, novembre 2015.