Dessin tiré du carnet de croquis de Louise Asherson :
FANZINE ZEBRA BANDE-DESSINEE ET CARICATURE
-
Tête en bas
-
La Colonne****
La colonne de six-cent tirailleurs africains commandée par les capitaines Voulet et Chanoine s’enfonce en territoire tchadien, massacrant, tuant et pillant afin d’étendre le terrain de chasse de la France en Afrique (1899).
Dabitch et Dumontheuil (Futuropolis) ont choisi de relater en deux tomes cette expédition coloniale où le paroxysme de la bestialité fut atteint ; ce chapitre sanglant fut d’abord éclipsé par l’affaire Dreyfus, avant d’être couvert par l’omerta.
La colonne infernale, non seulement rasa un village tchadien de 10.000 âmes, violant et décapitant sur son passage, mais sa folie l’a en outre entraînée à sa propre perte et destruction : le manque de témoignages directs a obligé les auteurs, dans un souci d’exactitude, à changer les noms de Voulet et Chanoine en Boulet et Lemoine, non sans humour (en effet, comme le souligne le caricaturiste Gustave Jossot, l’alliance du sabre et du goupillon persiste sous le régime républicain ; la morale chrétienne ayant été fondue pour donner l’éthique républicaine, tel le métal d’une monnaie dévaluée pour frapper la nouvelle). Le vide historique permet au scénariste l’invention, dans un cadre politique et militaire dont les tenants et aboutissants sont connus.
L’Etat-major a été averti des exactions particulièrement violentes commises par la mission par un de ses officiers subalternes. Voulet et Chanoine avaient du crédit ; ils s’étaient illustrés auparavant dans la conquête du royaume Mossi (Ouagadougou) et du Niger ; et, quand l’ordre fut donné de mettre un terme à leur entreprise de conquistadors sanguinaires, combinant les méthodes de la guerre tribale et celles du combat occidental, pour engendrer le pire, il était trop tard.
Coïncidence ou pas, cet album paraît au moment où la France redéploie ses troupes en Afrique et envisage de les « projeter » (sic) en Syrie. Il n’est certes pas interdit de faire des parallèles entre l’aube du XXe siècle où se situe l’expédition relatée dans cette BD, et l’aube du XXIe siècle où nous sommes. L’histoire, bien qu’elle semble se répéter, ne vaut que pour les leçons qu’on peut en tirer à présent – sans quoi elle n’est que la recherche du temps perdu.
On peut penser que ce n’est pas un hasard si l’écrivain ivoirien Venance Konan, auteur de la préface de « La Colonne », cite Frantz Fanon : « L’Europe a fait ce qu’elle devait faire et somme toute elle l’a bien fait. Cessons de l’accuser mais disons-lui fermement qu’elle ne doit plus continuer à faire tant de bruit. Nous n’avons plus à la craindre, cessons de l’envier. Le tiers-monde est aujourd’hui en face de l’Europe comme une masse colossale dont le projet doit être d’essayer de résoudre les problèmes auxquels cette Europe n’a pas su apporter la solution. »
Les bons sentiments anticolonialistes n’ont en effet pas mis fin au droit d’ingérence occidental, qui fait flèche de tous bois, c’est-à-dire prend pour prétexte les diverses variations sur le thème de la civilisation (on trouve déjà chez saint Thomas d’Aquin au moyen âge une justification théologique de l’ingérence).
Le parallélisme est frappant entre l’ignorance de la population française métropolitaine au sujet d’opérations militaires menées en son nom, hier comme aujourd’hui. Le citoyen lambda, à qui on reproche souvent son indifférence vis-à-vis de la politique étrangère, en réalité n’est informé des faits que longtemps après qu’ils se sont déroulés, ce qui donne de la part des gouvernements ou des chefs d’Etat plénipotentiaires le sentiment qu’ils se comportent en somnambules ; à propos des questions coloniales ou de politique étrangère, la démocratie semble schizophrène, plus qu’en aucun autre domaine.
Or le scénario de Dabitch ne tombe pas dans le prêche moralisateur, permettant de se donner bonne conscience à peu de frais ; le piège tendu par certains ouvrages, d’une relecture du passé à l’aune des nécessités éthiques du moment, est évité. Ainsi le « bon noir » n’est pas opposé au « vilain blanc », selon la recette du dernier film, littéralement ordurier, de Q. Tarantino (Django Unchained). Le procédé est non seulement manichéen, mais il empêche autant que le préjugé raciste de s’interroger sur la nature humaine en général, et l’instinct de prédation particulier.
Quelques mots sur le dessin ; le style de N. Dumontheuil, pas très éloigné de celui de Franquin ou Morris, est particulièrement expressif. Ajoutée à cette expressivité, la colorisation dans des tons soutenus rend très bien l’aspect de violence militaire sadique de l’expédition, à la limite de la jouissance sexuelle. Cela tend presque à confirmer l’hypothèse de la syphilis, par laquelle Chanoine et Voulet, grands consommateurs de femmes, auraient été infectés, et qui n’aurait fait qu’accroître leur férocité.
La Colonne, par Dabitch et Dumontheuil, Futuropolis, 2013.
-
Humbug
Retrouvez chaque semaine un gag de W.Schinski traduit de l'allemand dans Zébra :
...W.Schinski publie aussi dans nos colonnes son premier webcomic (feuilleton-BD), un polar intitulé G-1759 (A suivre).
-
Revue de presse BD (67)
+ Grâce à ce dessin ("Canard Enchaîné" du 11 sept.), qui a déclenché l'ire des autorités japonaises soucieuses d'attirer quelques athlètes aux prochains J.O., Cabu sera peut-être aussi connu qu'Alain Delon ou les Galeries Lafayette au pays du soleil levant. "Tokyo n'aime pas l'humour français", peut-on lire dans la presse française pour commenter cet incident diplomatique ; ça tombe bien, la France n'apprécie guère quant à elle le masochisme des Japonais ou des compétiteurs olympiques. D'ailleurs, puisque le débat sur la prostitution est à la mode, on peut se demander si le sport de haut niveau n'est pas assimilable à la prostitution, compte tenu du jeune âge où les sportifs sont enrôlés, et des méthodes coercitives employées parfois par leurs propres parents (ce qui constitue une circonstance aggravante) ; en tel cas, il faut le regard exercé du dessinateur pour voir la ressemblance entre un maquereau et un entraîneur sportif.
+ C'est une fantasia de nouveaux magazines de BD en ce mois de septembre; commençons par "L'Association" qui a décidé de relancer la revue "Lapin" ; ce n'était pas à proprement parler une revue, mais plutôt une sorte de "book" périodique présentant de nouveaux auteurs, formule que les blogs ou les agrégateurs de blogs BD ont pratiquement rendue obsolète. "Lapin" s'appelle désormais "Mon Lapin", sans doute pour créer un climat d'intimité avec le lecteur. Le premier n° a pour thème le festival d'Angoulême, et le rédac' chef en est François Ayroles.
+ Mentionnons en outre le lancement par Lewis Trondheim et Yannick Lejeune d'un nouveau trimestriel (éds Delcourt), "Papier", où paraîtront notamment des planches du collectif unipersonnel le Cil-Vert et de Jérôme Anfré.
+ Le bimestriel satirique "Zélium", qui s'était heurté aux coûts faramineux de la distribution en kiosque pour des publications non subventionnées, reparaît. Il sera cette fois-ci vendu à la criée.
+ Enfin, nous avons déjà parlé dans Zébra de la Revue dessinée, dont le premier n° vient de paraître. A l'initiative de Franck Bourgeron, ce magazine veut relever le défi consistant à redonner du sens à l'information, devenue depuis longtemps une sorte de réconfort intellectuel, de même que le café et le croissant servis avec.
+ Le blog "Bayday Leaks" propose des dépêches aussi fraîches que sulfureuses sur les coulisses de la BD ; il vient compenser utilement le sérieux de cette revue de presse. Quelques exemples :
- "France 3 est sur les rangs pour adapter tout le nouveau catalogue de Futuropolis pour ses téléfilms du samedi soir."
- "Après Sfar, après Sattouf, Christophe Blain voit son Quai d'Orsay adapté au cinéma. Mathieu Sapin cherche un plan de web-série."
- "Pilules Bleues" de Frédérik Peeters ressort avec 10 pages de plus. Sans doute les effets de la trithérapie..."
- "Lassé qu'on lui reproche de raconter toujours les mêmes choses en BD, Joann Sfar les raconte désormais en roman."
+ Le flirt de Didier Pasamonik, éminent tintinologue belge (Actuabd/Zoo) avec la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, entamé à l'occasion du dernier festival d'Angoulême, n'en finit pas. La nomination d'un obscur aparatchik par la ministre ("Médiateur du livre"), en est cette fois-ci le prétexte. Affirmer le bénéfice de la loi Lang sur le prix unique du livre pour les libraires, revient à faire passer une loi poujadiste inefficace pour un progrès culturel. L'intellectualisme et la culture de masse sont les deux mamelles du totalitarisme selon Orwell : on ne voit pas en quoi les ministres de la culture successifs ont fait obstacle à ces fléaux.
+ Le dessin de la semaine est un croquis de collégiens par Placid, qui excelle à représenter les affres de l'adolescence :
-
Strip Lola
Le strip hebdomadaire de Lola dans Zébra (par Aurélie Dekeyser) + sélection des meilleurs strips de Lola 2012-2013 à lire via la plateforme de partage de fichiers Issuu.com (colonne de gauche du blog)...
-
Une Histoire d'Hommes*
Le dernier album de Zep, le père de Titeuf, vient d’être lancé à grand renfort de promotion. Il y a même une photo où on voit l’auteur, tenant sa BD d’une main, sauter en l’air en arborant un large sourire.
Il ne s’agit pas d’une suite aux aventures du célèbre bambin serial-peloteur d’instits, mais d’un roman graphique existentialiste en principe destiné à un public d’adultes. Cependant on devine que l’éditeur compte bien sur la notoriété de Titeuf pour fourguer cette «Histoire d’hommes», qui, pour être plus précis, est une intrigue sentimentale sur un thème proche de celui développé par la chanson de Patrick Bruel : «On s’était dit rendez-vous dans dix ans.» Qui peut bien être intéressé par ce genre d’intrigue psycho-sexuelle ? Surtout que les types ne sont même pas gays. Et que Zep ne parvient pas à transcender le sujet comme Patrick Bruel.
J’imagine que c’est difficile pour un éditeur de refuser à quelqu’un comme Zep de publier son album, même quand le truc est complètement raté, jusqu’à la colorisation, un genre de camaïeu cafardeux fait pour convaincre les lecteurs de Télérama ou les téléspectateurs d’Arte.
Avec Titeuf, on se situe plus dans le phénomène de société que véritablement dans la BD. J’ai ouï-dire que Zep a une nouvelle copine, et souvent les mecs font ça pour marquer le coup : ils dédient leur nouveau bouquin à leur nouvelle copine, quitte à changer un peu de style et à faire un «break» symbolique.
Du reste il est vrai, comme cela a déjà été dit, qu’il est difficile pour un auteur spécialisé dans la littérature pour enfants de persister pendant des lustres dans cette voie, à moins qu’il ne soit lui-même pédophile comme Lewis Carroll ou bon nombre d’auteurs qui écrivent spécialement pour les gosses, se sentant «en phase» avec eux.
Par conséquent Zep peut avoir de bonnes raisons de vouloir se débarrasser de Titeuf pour passer à autre chose, comme Hergé finit par en avoir sa claque de Tintin, ou Franquin de Spirou & Fantasio. On lui souhaite d’y arriver.
Une Histoire d'Hommes, Zep, rue de Sèvres.
-
Réduction de têtes
...littéraires (pour faire de la place dans ma bibliothèque).
Cette semaine, deux écrivains nyctalopes :
(La semaine prochaine : Saki et Evelyn Waugh.)
par Antistyle