Le maître du "polar agricole" en BD*, Bruno Heitz, s'est amusé à introduire dans cet opus une page d'Histoire : la tentative d'assassinat du général de Gaulle au Petit-Clamart en banlieue parisienne (1962).
Cette bande dessinée nous ramène à l'époque où de Gaulle n'était pas encore le modèle politique qu'il est devenu aujourd'hui (par la grâce des médias), mais au contraire un chef d'Etat contesté et largement impopulaire pour différentes raisons.
Le personnage principal campé par Bruno Heitz, Jean-Paul, est une crapule de bas-étage qui ne se contente pas de vivre de son métier de mécanicien automobile mais préfère s'enrichir en participant à différentes magouilles : escroquerie à l'assurance, chantage... De là ce petit escroc va se retrouver embringué dans un complot politique qui le dépasse, par le biais d'un camarade de classe, Fabien, transposition du colonel Bastien-Thiry, maître d'oeuvre du projet d'assassinat baptisé "Opération Charlotte Corday" (en hommage à l'assassin de Marat).
Pour faire plaisir à une tante "communiste qui apprécie de Gaulle", le petit escroc va faire échouer le complot in extremis et se racheter ainsi une conduite - du moins aux yeux de sa tante.
On peut se demander s'il n'y a pas un peu d'ironie de la part de l'auteur à faire sauver de Gaulle par un petit malfrat, tandis que Bastien-Thiry était un bon père de famille, officier dans l'armée de l'air et diplômé de l'école polytechnique... A moins qu'il n'ait voulu suggérer que les assassinats politiques sont souvent commis par des "purs" ?
B. Heitz excelle comme pas deux dans la narration en BD, à la fois grâce à la clarté de son style et des dialogues crus et réalistes.
Le roman n'empiète pas trop sur la réalité des faits : le sang-froid des occupants de la DS mitraillée, qui échappèrent miraculeusement aux quatorze balles retrouvées dans la carrosserie, est fidèlement rapporté. Cela dit l'association de l'idéaliste Fabien/Bastien-Thiry et de Jean-Paul-la crapule n'est guère plausible. Le commando était composé exclusivement de soldats ou d'anciens soldats fanatiques proches de l'OAS, persuadés que de Gaulle faisait le jeu du communisme (?).
J'ai pas tué de Gaulle, mais ça a bien failli... par Bruno Heitz, éd. Gallimard, 2010.
*"Un privé à la cambrousse".