par MARC SCHMITT
françois cavanna
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Trait d'humour
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Revue de presse BD (346)
Caricature signée Sanaga pour "Zélium" qui illustre que la bande dessinée est un art séquentiel avec des wagons de 1re, 2e et 3e classe.
+ Les bons résultats des ventes masquent le dépérissement de la bande dessinée "franco-belge" ; son manque d'inventivité est flagrant si l'on considère qu'elle est devenue un "marché de la nostalgie", reposant surtout sur la réédition de vieilles bandes. Les canards continuent de courir encore après qu'on leur a coupé la tête.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la bande dessinée "entre au musée" au moment même où elle se meurt.
Face aux revendications de leurs employés, victimes de méthodes de "dumping social", la défense des éditeurs n'est-elle pas de dire, comme Vincent Montagne leur représentant dans "Les Echos" (4 février) : - Nous n'y pouvons rien car nous sommes des incapables. De fait lorsqu'on organise la surproduction qui finit par vous mettre sur la paille, "incapable" est un doux euphémisme.
Cette faillite de la bande dessinée belge aurait réjoui François Cavanna, qui fustigeait (avec Cabu) l'infantilisation du public et des auteurs par la bande dessinée.
On aurait tort de prendre la politique pour un remède à cette infantilisation : l'adéquation entre la démocratie libérale américaine et la culture des super-héros indique que la politique elle-même est devenue une forme de divertissement, que le jeu politique s'est substitué à l'action politique.
On reproche à tort à Donald Trump d'être un guignol, à Barack Obama avant lui d'avoir fait le contraire de ce qu'il avait promis (la paix) ; ils n'ont fait que se plier avec une aisance particulière au jeu politique, interpréter le rôle de super-héros exigé d'eux. E. Macron fait de même.
+ "Benalla & Moi", par Ariane Chemin, François Krug et Julien Solé est une BD "politique" qui, comme la politique actuelle, n'a pas grand intérêt.
Alexandre Benalla est à Emmanuel Macron ce que le capitaine Haddock est à Tintin. D'abord parce qu'il met un peu de piment dans le scénario ; ensuite parce qu'il y a du paternalisme de la part de Benalla vis-à-vis de son protégé à la houppe.
Contrairement aux débordements du capitaine Haddock qui indiquent un tempérament masochiste, les incartades d'A. Benalla sont plus sadiques ; quoi qu'il en soit ces débordements font le sel du personnage qui font contraste avec E. Macron, trop poli et trop bien manucuré pour faire un héros de BD crédible.
La vie est trop courte pour lire des BD politiques.
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Reiser****
La biographie de Jean-Marc Reiser par Jean-Marc Parisis (1995) retrace à l'aide de différents documents (interviews dans la presse écrite et audiovisuelle, témoignages de proches, films...) la carrière du génial dessinateur de presse Reiser, emporté à 42 ans par un cancer (1983).
La carrière de Reiser, racontée par Parisis, rappelle combien "Hara-Kiri" pèse lourd dans le bilan artistique de l'après-guerre; on peut se demander si ce n'est pas la dernière manifestation d'art populaire en France ? Il est significatif qu'un certain nombre d'intellectuels s'efforcent d'en minimiser la portée, lorsque l'histoire de "Charlie-Hebdo" est évoquée à la télé.
Il est une manière de contrôler ou de subjuguer le peuple par le biais de l'art -les critiques de la culture totalitaire utilisent le terme de "culture de masse" pour désigner ce phénomène - "Hara-Kiri" se distingue de toute une production artistique infantilisante, et n'est "bête et méchant" que par dérision. L'oeuvre de Reiser fait penser pour cette raison à celle de Louis-Ferdinand Céline, cité à plusieurs reprises par Parisis, qui propose ici une comparaison "éclairante", entre deux auteurs populaires d'avant-garde.
Plus personne n'écrit en effet de la même manière depuis Céline (pas même ceux qui le détestent) ; de la même façon on peut dire que la presse satirique française est encore marquée par Reiser (à l'exception du "Canard enchaîné", peut-être, et encore) ; qui est Luz, si ce n'est un dessinateur avec les idées de "boy-scout" de Hergé, imitant la "ligne crade" de Reiser ?
Le parcours de Reiser est pour cette raison plus intéressant que celui de Cabu, second "phare" de la caricature d'après-guerre, dont le style plus classique est aussi plus intemporel. Reiser est indissociable de "Hara-Kiri", ce qui est moins le cas de Cabu.
Sans Cavanna et le Pr Choron, Reiser aurait fini chef de secteur chez "Nicolas", le célèbre marchand de pinard qui publia quelques dessins de Jean-Marc Reiser dans sa gazette interne, avant qu'il ne devienne LE Reiser, adulé par la "grande presse" après avoir accouché à "Hara-Kiri" d'un style si personnel. A l'instar de Wolinski, Reiser mesurait l'importance de sa rencontre avec François Cavanna et le Pr Choron. Ce duo incita Reiser à expulser ce qui lui pesait très lourdement sur l'estomac.
C'est ici encore le point commun entre Reiser et Céline : le besoin impérieux de se débarrasser du tas d'immondices que la société leur a fait avaler de force, alors qu'ils étaient encore des gosses, à la fois extra-lucides et sans défense. Ces deux damnés précoces, miraculeusement revenus de l'enfer, ne sont guère effrayés par la mort (cela explique leur audace artistique) : tôt, ils ont appris que vivre n'est pas forcément une chance.
On peut faire à Parisis le grief de s'attarder excessivement sur l'enfance de Reiser, néanmoins ce préambule permet sûrement de comprendre comment et pourquoi l'art de Reiser est un cri de rage, modulé afin de se transformer en quelque chose de plus fort.
Unique rejeton d'une femme de ménage lorraine, de père inconnu, Reiser a enquêté sur sa véritable identité, en quoi sa mère ne l'a guère aidé, désireuse au contraire d'effacer cet épisode génital. Reiser a-t-il pour père biologique un soldat allemand ? Cela expliquerait les réticences de sa mère à fournir une explication plausible. Une fois le destin "forcé" par Reiser, grâce à "Hara-Kiri", cette énigme biologique perdra de son importance; de même, le dessinateur a perdu sa mère en triomphant de sa condition sociale, un mur d'incompréhension s'élevant peu à peu entre la mère et le fils, longtemps ficelés ensemble par la nécessité.
- Episode "castrateur", celui où la mère de Reiser lui interdit de prolonger des études. Reiser élaborera ainsi ultérieurement une forme d'expression, au moins aussi littéraire que plastique, indépendamment de la BD en même temps qu'elle est de la BD à l'état pur ou brut, afin de compenser son handicap scolaire et rhétorique. De fait le style est secondaire chez les meilleurs artistes. L'affirmation de son individualisme a été facilitée par Cavanna et Choron, eux-mêmes exemplaires d'une détermination rarissime de la part d'hommes du peuple, que les institutions républicaines se font fort d'encadrer de tous les côtés (l'armée, la police & l'école), avec l'efficacité redoutable d'une mère abusive.
"Hara-Kiri" est une histoire de pauvres, et Parisis fait bien de souligner cette particularité, car les pauvres n'ont en principe pas le droit de devenir artistes : la société l'interdit, de haut en bas. On doit bien faire ici la différence entre la prostitution et l'art, pas toujours évidente à l'heure où le marché fait l'art et les artistes ; lorsque Cavanna a compris que "Hara-Kiri" était devenu assimilable, après des années de publication, à du matériel pornographique, il a su qu'il s'était fait baiser - petit à petit le beau, le merveilleux journal "Hara-Kiri" est devenu "un journal de beaufs", selon le terme choisi par Cavanna pour remuer le couteau dans la plaie.
La récupération politicienne de "Mai 68" passe aussi par là, par la réduction de "Mai 68" à une "révolution sexuelle". Les chapitres sur l'emploi de Reiser par la "grande presse", sa limitation au mobile sexuel, sont aussi intéressants. L'attitude de Reiser sur ce plan est ambiguë. Se serait-il transformé en vieux satyre égrillard comme son pote Wolinski si le cancer n'avait pas tranché le fil avant ?
Plutôt athée, et même assez anticlérical, Reiser n'en était pas moins "croyant". Non pas en une quelconque utopie politique ou sociale, contre laquelle Parisis nous explique que la pauvreté de son milieu d'origine l'avait vacciné. Les convictions écologistes de Reiser, où il investit beaucoup de temps et d'énergie, en particulier la foi dans le salut de l'humanité grâce à l'énergie solaire, s'expliquent sans doute parce que l'écologie, du temps de Reiser, n'était pas encore organisée en religion, avec ses curés puritains et leur moraline éco-responsable. A quoi bon sauver la planète si c'est pour s'y faire chier comme un jour d'élection au suffrage universel ?
Reiser fut aussi séduit un temps par la théologie catholico-évolutionniste alors en vogue de Pierre Teilhard de Chardin, mais restée aussi marginale que la foi dans l'énergie solaire pour tous.
Plus étonnant de la part de ce polygame poursuivi par les femmes, on apprend que Reiser a eu foi dans... l'amour ; plusieurs années durant, il a poursuivi de ses assiduités une hôtesse de l'air qui le battait froid et n'accepta guère plus que son amitié. Mais il s'agit là plutôt d'une religion "en creux", hypothétique, incarnée par la femme hors d'atteinte, une religion de celles qui satisfont l'aspiration à la pureté des personnes trop lucides pour rêver à une société idéale et voter con.
L'athéisme de Reiser était donc éloigné du fanatisme nationaliste athée, qui au XXe siècle a fait d'immenses ravages, et qui est à peu près incompatible avec la satire.
Reiser, par Jean-Marc Parisis, éd. Grasset, 1995.
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Revue de presse BD (226)
+ "50 Watts" se veut la ressource en ligne la plus riche du monde dans le domaine de l'illustration et des illustrateurs. Ce site répertorie en effet de très nombreux illustrateurs, comme par exemple, ci-dessus le tchèque Joseph Lada (1887-1957), "artiste national" tchèque, connu pour avoir illustré "Le Brave Soldat Chveïk" (Jaroslav Hasek), héros presque aussi populaire en Tchéquie que Tintin en Belgique.
+ En marge du "Trophée Presse-Citron" 2017 du meilleur dessinateur de presse, l'Equipe interdisciplinaire de recherche sur l'image satirique (Eiris) organise dans la bibliothèque Mitterrand un colloque consacré à "Hara-Kiri" (mercredi 15 mars, de 9h30 à 16h30). Au nombre des intervenants : Martine Mauvieux (Bnf), Virginie Vernay (ex-collaboratrice de Cavanna), MRic (caricaturiste), Alexandre Devaux (spécialiste de Topor).
François Cavanna et Georget Bernier (alias Pr Choron) étaient tous deux issus de milieux très modestes, ce qui explique en grande partie la singularité de "Hara-Kiri", puis "Charlie-Hebdo", ainsi que son audace subversive (les pauvres n'ont pas grand-chose à perdre).
Après sa faillite en 1982, "Charlie-Hebdo" sera refondé en 1992 dans un esprit assez différent ; il suffit de lire le dernier essai de Philippe Val, son ancien directeur ("Cachez cette identité..."), pour le comprendre.
(Ci-contre caricature de Choron et Cavanna par le dessinateur Schvartz.)
+ Lu dans le dernier "Siné-Mensuel" (mars) : "Le mouvement anarcho-punk, bien sûr, a souvent été récupéré par les cafards techno-industriels." Noël Godin alias l'Entarteur [des stars du néant].
+ L'équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, candidat de la "France insoumise", a eu l'idée de proposer un programme politique sous la forme d'une bande-dessinée. L'optimisme du propos et des dessins (signés Mélaka et Olivier Tonneau) nous emmène loin du dessin de presse satirique. Quelques remarques sur cette BD :
- F. Hollande est moqué dans ce programme pour avoir déclaré : "Mon ennemi, c'est la finance !" Mais J.-L. Mélenchon ne fait-il pas la même déclaration, tout aussi tonitruante ?
- On remarque que le communisme, faute sans doute de prolétaires, est enterré par le programme de J.-L. Mélenchon au profit d'un écologisme plus à la mode ; il faut dire que les militants de la "France insoumise" n'ont guère les moyens d'un coup de force révolutionnaire, plus probable en Chine ou en Inde, où le mot "prolétariat" a encore un sens.
- Très peu marxiste l'argument avancé dans ce programme selon lequel l'Etat pourrait offrir une protection contre les dérives du capitalisme ; d'abord parce qu'il n'y a pas de "bon capitalisme" selon K. Marx, ensuite parce que Marx fait la démonstration que l'Etat moderne et les banques capitalistes sont solidaires.
On peut lire Marx comme un auteur satirique, tant la culture contemporaine repose sur l'idéologie et la fiction.
+ En préambule de l'interview de Riad Sattouf à "ParisWorldwide" (mars-avril 2017), ce magazine bilingue (franco-anglais) gratuit distribué dans les aéroports d'Orly et Roissy rappelle que R. Sattouf a vendu un million de ses deux premiers "L'Arabe du Futur" et qu'il est traduit en 18 langues. R. Sattouf a accompli l'ambition sociale de son père, en grande partie aux dépens de ce dernier.
"ParisWorldwide" souligne le paradoxe que "L'Arabe du Futur" n'est pas traduit en arabe :
- Parce que le marché du livre, dans la langue arabe, est encore peu développé. (...) On a reçu des propositions, mais les éditeurs intéressés ne voulaient s'engager que sur le premier volume et ne publier la suite que si ça marchait. Mais de mon point de vue, il était hors de question que les gens de ma famille, qui parlent arabe et qui seraient susceptibles de le lire, ne puissent avoir accès qu'au premier volet. (...) Je proposerai la traduction des cinq volumes d'un coup, quand ce sera terminé.
+ Grâce aux efforts d'une sorte de syndicat des auteurs de BD, la précarité d'une partie des auteurs de BD a été portée à la connaissance du grand public par le biais de quelques articles parus dans la presse nationale. Sur mille auteurs de BD environ, un tiers vit au-dessous du seuil de pauvreté, et un tiers seulement perçoit des revenus confortables.
Le succès rencontré par la souscription de la blogueuse-BD Laurel est donc d'autant plus remarquable. En quelques minutes seulement, cette dessinatrice a récolté les 10.000 euros réclamés sur la plateforme de financement participatif "Ulule" pour financer la publication de son album.
Même si elle n'en est pas à son coup d'essai -Laurel avait récolté 300.000 euros pour financer son premier album de la même façon-, la dessinatrice s'est dite estomaquée. Sa BD raconte l'histoire vraie d'un couple exilé en Californie, parti se frotter au rêve américain. Cela prouve que l'on n'est jamais si bien promu que par soi-même.
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Revue de presse BD (43)
(par Didier Comès - autoportrait ?)
+ Les étals des kiosques à journaux viennent de s'enrichir d'un nouveau mag de BD, baptisé sobrement M-BD. L'originalité de ce titre est d'être interactif, puisque les abonnés pourront peser sur le contenu du magazine, en votant en ligne pour les séries proposées. On est loin de l'idée défendue par François Cavanna, cofondateur du mal-pensant "Hara-Kiri", prônant qu'un journal doit déplaire à au moins un quart de ses lecteurs pour être digne de ce nom.
+ Annoncé depuis belle lurette, le webzine Pr Cyclope vient enfin de sortir. Il s'appuie sur les dernières technologies de pointe, ainsi qu'"Arte" et "Télérama", qui en proposent gratuitement -je n'ose pas dire quelques "bonnes feuilles", alors disons quelques bonnes trames de pixels. Le webzine d'info "Toutenbd" explique que "Pr Cyclope" vise un public "ado-adulte" (sic). C'était donc ça ! Les compagnons d'Ulysse étaient des "adulescents". Je propose ce slogan publicitaire : "Pr Cyclope, le webzine qui va vous dévorer tout cru !"
+ 23.500 euros ont été recueillis à ce jour au profit du projet de magazine de BD-reportage, la "Revue dessinée". Il vous reste un peu moins de deux mois si vous voulez/pouvez vous associer à cette volonté de sortir le journalisme de reportage de l'ornière où les grandes chaînes de télé l'ont poussé, par la bande-dessinée. Sur le site Ulule.com, plateforme de crowdfunding (financement populaire), et non de "crowfunding" comme j'ai pu lire quelque part.
+ Peu de temps après le scénariste Maurice Rosy, le dessinateur Didier Comès (de son vrai nom Dieter Herman) a rejoint le monde du silence. Certains trouveront ma formule nécrologique ridicule; mais je fais observer que, vu la diversité des croyances religieuses aujourd'hui, l'exercice est devenu difficile pour le chroniqueur. Peut-être faudrait-il élire un dieu de la BD ? Le style de Comès était facilement reconnaissable, imité de la technique d'aplats noirs de Pratt, lui-même inspiré par les BD de propagande de Milton Caniff.
+ En attendant ma critique du dernier album des aventures de Philémon, par Fred (Le Train où vont les Choses), on peut lire celle de Christian Rosset pour du9.
+ Le dessin de la semaine est un graffiti (animé) de Banksy :
(Zombi - leloublan@gmx.fr)