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  • Reiser****

    La biographie de Jean-Marc Reiser par Jean-Marc Parisis (1995) retrace à l'aide de différents documentswebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,biographie,jean-marc reiser,jean-marc parisis,hara-kiri,françois cavanna,grasset (interviews dans la presse écrite et audiovisuelle, témoignages de proches, films...) la carrière du génial dessinateur de presse Reiser, emporté à 42 ans par un cancer (1983).

    La carrière de Reiser, racontée par Parisis, rappelle combien "Hara-Kiri" pèse lourd dans le bilan artistique de l'après-guerre; on peut se demander si ce n'est pas la dernière manifestation d'art populaire en France ? Il est significatif qu'un certain nombre d'intellectuels s'efforcent d'en minimiser la portée, lorsque l'histoire de "Charlie-Hebdo" est évoquée à la télé.

    Il est une manière de contrôler ou de subjuguer le peuple par le biais de l'art -les critiques de la culture totalitaire utilisent le terme de "culture de masse" pour désigner ce phénomène - "Hara-Kiri" se distingue de toute une production artistique infantilisante, et n'est "bête et méchant" que par dérision. L'oeuvre de Reiser fait penser pour cette raison à celle de Louis-Ferdinand Céline, cité à plusieurs reprises par Parisis, qui propose ici une comparaison "éclairante", entre deux auteurs populaires d'avant-garde.

    Plus personne n'écrit en effet de la même manière depuis Céline (pas même ceux qui le détestent) ; de la même façon on peut dire que la presse satirique française est encore marquée par Reiser (à l'exception du "Canard enchaîné", peut-être, et encore) ; qui est Luz, si ce n'est un dessinateur avec les idées de "boy-scout" de Hergé, imitant la "ligne crade" de Reiser ?

    Le parcours de Reiser est pour cette raison plus intéressant que celui de Cabu, second "phare" de la caricature d'après-guerre, dont le style plus classique est aussi plus intemporel. Reiser est indissociable de "Hara-Kiri", ce qui est moins le cas de Cabu.

    Sans Cavanna et le Pr Choron, Reiser aurait fini chef de secteur chez "Nicolas", le célèbre marchand de pinard qui publia quelques dessins de Jean-Marc Reiser dans sa gazette interne, avant qu'il ne devienne LE Reiser, adulé par la "grande presse" après avoir accouché à "Hara-Kiri" d'un style si personnel. A l'instar de Wolinski, Reiser mesurait l'importance de sa rencontre avec François Cavanna et le Pr Choron. Ce duo incita Reiser à expulser ce qui lui pesait très lourdement sur l'estomac.

    C'est ici encore le point commun entre Reiser et Céline : le besoin impérieux de se débarrasser du tas d'immondices que la société leur a fait avaler de force, alors qu'ils étaient encore des gosses, à la fois extra-lucides et sans défense. Ces deux damnés précoces, miraculeusement revenus de l'enfer, ne sont guère effrayés par la mort (cela explique leur audace artistique) : tôt, ils ont appris que vivre n'est pas forcément une chance.

    On peut faire à Parisis le grief de s'attarder excessivement sur l'enfance de Reiser, néanmoins ce préambule permet sûrement de comprendre comment et pourquoi l'art de Reiser est un cri de rage, modulé afin de se transformer en quelque chose de plus fort.

    Unique rejeton d'une femme de ménage lorraine, de père inconnu, Reiser a enquêté sur sa véritable identité, en quoi sa mère ne l'a guère aidé, désireuse au contraire d'effacer cet épisode génital. Reiser a-t-il pour père biologique un soldat allemand ? Cela expliquerait les réticences de sa mère à fournir une explication plausible. Une fois le destin "forcé" par Reiser, grâce à "Hara-Kiri", cette énigme biologique perdra de son importance; de même, le dessinateur a perdu sa mère en triomphant de sa condition sociale, un mur d'incompréhension s'élevant peu à peu entre la mère et le fils, longtemps ficelés ensemble par la nécessité.

    - Episode "castrateur", celui où la mère de Reiser lui interdit de prolonger des études. Reiser élaborera ainsi ultérieurement une forme d'expression, au moins aussi littéraire que plastique, indépendamment de la BD en même temps qu'elle est de la BD à l'état pur ou brut, afin de compenser son handicap scolaire et rhétorique. De fait le style est secondaire chez les meilleurs artistes. L'affirmation de son individualisme a été facilitée par Cavanna et Choron, eux-mêmes exemplaires d'une détermination rarissime de la part d'hommes du peuple, que les institutions républicaines se font fort d'encadrer de tous les côtés (l'armée, la police & l'école), avec l'efficacité redoutable d'une mère abusive.

    "Hara-Kiri" est une histoire de pauvres, et Parisis fait bien de souligner cette particularité, car les pauvres n'ont en principe pas le droit de devenir artistes : la société l'interdit, de haut en bas. On doit bien faire ici la différence entre la prostitution et l'art, pas toujours évidente à l'heure où le marché fait l'art et les artistes ; lorsque Cavanna a compris que "Hara-Kiri" était devenu assimilable, après des années de publication, à du matériel pornographique, il a su qu'il s'était fait baiser - petit à petit le beau, le merveilleux journal "Hara-Kiri" est devenu "un journal de beaufs", selon le terme choisi par Cavanna pour remuer le couteau dans la plaie.

    La récupération politicienne de "Mai 68" passe aussi par là, par la réduction de "Mai 68" à une "révolution sexuelle". Les chapitres sur l'emploi de Reiser par la "grande presse", sa limitation au mobile sexuel, sont aussi intéressants. L'attitude de Reiser sur ce plan est ambiguë. Se serait-il transformé en vieux satyre égrillard comme son pote Wolinski si le cancer n'avait pas tranché le fil avant ?

    Plutôt athée, et même assez anticlérical, Reiser n'en était pas moins "croyant". Non pas en une quelconque utopie politique ou sociale, contre laquelle Parisis nous explique que la pauvreté de son milieu d'origine l'avait vacciné. Les convictions écologistes de Reiser, où il investit beaucoup de temps et d'énergie, en particulier la foi dans le salut de l'humanité grâce à l'énergie solaire, s'expliquent sans doute parce que l'écologie, du temps de Reiser, n'était pas encore organisée en religion, avec ses curés puritains et leur moraline éco-responsable. A quoi bon sauver la planète si c'est pour s'y faire chier comme un jour d'élection au suffrage universel ?

    Reiser fut aussi séduit un temps par la théologie catholico-évolutionniste alors en vogue de Pierre Teilhard de Chardin, mais restée aussi marginale que la foi dans l'énergie solaire pour tous.

    Plus étonnant de la part de ce polygame poursuivi par les femmes, on apprend que Reiser a eu foi dans... l'amour ; plusieurs années durant, il a poursuivi de ses assiduités une hôtesse de l'air qui le battait froid et n'accepta guère plus que son amitié. Mais il s'agit là plutôt d'une religion "en creux", hypothétique, incarnée par la femme hors d'atteinte, une religion de celles qui satisfont l'aspiration à la pureté des personnes trop lucides pour rêver à une société idéale et voter con.

    L'athéisme de Reiser était donc éloigné du fanatisme nationaliste athée, qui au XXe siècle a fait d'immenses ravages, et qui est à peu près incompatible avec la satire.

    Reiser, par Jean-Marc Parisis, éd. Grasset, 1995.

  • Cachez cette identité...

    ...que je ne saurais voir.

    Les éditoriaux des journaux sont comme les sermons des curés : ils ne méritent pas d'être imprimés et devraientwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,philippe val,essai,identité,grasset,judéo-grec,charlie-hebdo,zemmour,moïse,veau d'or,karl marx,nietzsche rester du domaine de la culture orale. Philippe Val vient de passer outre cette réserve en publiant chez Grasset un très long édito, sur le thème de l'identité - l'identité de gauche, il va sans dire, pour faire pièce au discours identitaire de droite façon E. Zemmour ou un autre idéologue du même rayon.

    Mais, que la tarte à la crème identitaire soit de gauche ou de droite, c'est la même mousse inconsistante; moins xénophobe en apparence, le discours identitaire de gauche conduit au même résultat : les migrants se noient dans la Méditerranée et la colère des populations colonisées par des cartels industriels enfle.

    On se souvient peut-être que P. Val est passé du style léger du chansonnier à la mine grave de l'éditorialiste alors qu'il dirigeait "Charlie-Hebdo", publication satirique qu'il a maintenue à flot pendant dix ans ; aujourd'hui qu'il n'est plus directeur, ni patron de rien du tout, ainsi qu'il le souligne avec un brin d'amertume, P. Val a le temps d'allonger ses sermons.*

    Cerise sur le gâteau du discours identitaire, de gauche comme de droite, notre éditorialiste en fait des tonnes à ce propos, l'idée que la culture occidentale contemporaine est "judéo-grecque" (P. Val n'ose pas dire "judéo-chrétienne", de peur d'être confondu avec E. Zemmour).

    On est un peu éberlué par la persistance de ce gros bobard, déjà taillé en pièces plusieurs fois par des essayistes un peu moins improvisés que Ph. Val : non seulement Karl Marx, mais aussi Nietzsche, ou encore Léopardi, pour n'en citer que trois.

    - Marx insiste sur le VEAU D'OR, devant lequel l'Occident moderne se prosterne AU CONTRAIRE des Juifs et de Moïse. S'il y a une religion incompatible avec le discours identitaire ou nationaliste, c'est bien le judaïsme.

    Quand Philippe Val marie deux notions opposées et inconciliables -l'identité et l'universalisme juif-, Marx met utilement à jour que le capitalisme altère définitivement la culture identitaire traditionnelle ; autrement dit, le déracinement moderne est un enracinement dans l'argent, qui modèle la société autrement. Quelle culture nationaliste moderne n'est pas modelée par l'argent ? L'axe sur lequel la société globalisée tourne n'est-il pas l'argent ? La valeur mystique de celui-ci n'a fait que croître au détriment de sa valeur pratique d'agent d'échange.

    - Passant par l'étude de l'art et de la littérature, Nietzsche et Léopardi aboutissent aussi à la conclusion que l'art et la littérature modernes ont pris une direction tout à fait originale (jugée funeste par Nietzsche).

    "L'heure est grave", nous dit aussi Philippe Val, et cette déclaration suffit à trahir le mobile élitiste de cet auteur et de son essai, car chaque heure est sans doute plus grave pour quiconque ne bénéficie pas des privilèges réservés aux Occidentaux.

    "Cachez cette identité que je ne saurais voir", éd. Grasset, 2017. 

     

  • Sonnets de Shakespeare*

    Nouvelle traduction de Jacques Darras*

     

                  « La vraie manière d’écrire est d’écrire comme on traduit. Quand on traduit un texte écritwebzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,sonnets,critique,shakespeare,jacques darras,traduction,simone weil,politiquement incorrect,grasset,françois-victor hugo,musique,musicalité,delacroix dans une langue étrangère, on ne cherche pas à y ajouter, on met au contraire un scrupule religieux à ne rien à ajouter. »

    Simone Weil (la philosophe politiquement incorrecte) vante ainsi la probité du traducteur. Mais un proverbe latin incite a contrario à se méfier du traducteur comme d’un traître, et il y a fort à parier que S. Weil prête sa volonté de fidélité et sa probité à toute la corporation des traducteurs, avec une générosité un peu naïve.

    Les problèmes que fait surgir la traduction d’un poète ordinaire, où les partisans du style et ceux de la critique s’opposent, ces problèmes deviennent si épineux s’agissant de Shakespeare qu’on ferait aussi bien, par mesure de précaution, de s’abstenir de traduire Shakespeare. Mais c’est impossible, puisque la vocation des éditeurs français est de vendre du Shakespeare dans la langue de Molière.

    Le mystère enveloppant l’œuvre de Shakespeare justifie une nouvelle traduction à chaque génération ou presque. Ces dernières années, elles se sont multipliées. La dernière version proposée par Jacques Darras doit être la troisième ou la quatrième au cours du dernier demi-siècle.

    « Les 154 sonnets de William Shakespeare n’ont cessé, depuis quatre siècles, d’ensorceler les lecteurs et de passionner la critique, à la fois par leur beauté, expression suprême de l’art poétique élisabethain, et par leur mystère. »

    Ce nouveau projet éditorial est ainsi introduit par l’éditeur en quatrième de couverture. Faisons d’emblée la remarque que les temps modernes ont promu une conception de la beauté la plus subjective qui soit, si bien qu’il y a désormais autant de sortes de beauté que d’interprètes ou de traducteurs.

    L’intention esthétique de Shakespeare, celle de procurer une émotion de cet ordre, n’est  pas prouvée ; il y a même de très nombreux indices dans le théâtre de Shakespeare, avertissant que l’idéal esthétique n’est pas un idéal shakespearien, voire qu’il n’y a rien d’idéal dans Shakespeare, compte tenu des déboires ou des catastrophes encourus par les personnages animés d’une tel idéal esthétique, moral, politique, religieux, ou encore érotique. En témoigne dans ces sonnets ce que le poète dit des roses, qui ne valent pas les mauvaises herbes, dès lors que le temps a fait son œuvre. Métaphore applicable à l’art : le plus brillant aujourd'hui passe vite pour la vanité d’une époque donnée le lendemain. D’autres sonnets encore témoignent de ce que l’art de Shakespeare n’est pas indexé sur le temps, ni même la nature.

    Ces observations sont assez dissuasives, ainsi que des lecteurs peu attentifs l’ont fait auparavant (notamment Stendhal), de rapprocher Shakespeare de l’espèce des poètes romantiques. (...)

     

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