par MARC SCHMITT
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par MARC SCHMITT
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- Au programme cette semaine : 1. Alphonse Allais de Honfleur à Montmartre ; 2. Mort aux antivax par Bruno Blum ; 3. Les insoumis vus par Eric Salch ; 4. Caricature par Zombi et tOad.
"Renaissance" par tOad - www.unsitesurinternet.fr
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- Au programme cette semaine : 1-Morten Morland, la Chine et Boris Johnson ; 2-Plantu et la liberté de la presse ; 3-Napoléon pris au piège ; 4-La poésie imbibée d'Alphonse Allais....
Une de "The Spectator" par Morten Morland (8 mai).
Strip vertical signé F'murrr.
+ Nous avons appris cette semaine la disparition de Richard Peyzaret, alias F'murrr, âgé de 72 ans. La série "Le Génie des Alpages", chef-d'oeuvre d'humour loufoque mettant en scène un berger et son troupeau, avait fait la célébrité de ce bédéaste.
"Fabriquer un nom complètement débile, ressemblant à une onomatopée et l'imposer au public, ça me plaisait."
Craignant que son humour ne déroute les lecteurs de "Pilote" où le "Génie" débuta sa carrière, Goscinny avait tendance à censurer F'murr, qui put s'épanouir après le départ de celui-ci.
F'murr était sans doute l'un des auteurs qui avait le plus de recul sur son métier, dont il avait pressenti le déclin (occulté par le succès commercial) ; en mars 1978, il déclarait au fanzine "Schtroumpf" (n°17*) : - Les dessinateurs de bandes dessinées sont dans une position très équivoque : d'un côté nous sommes considérés comme des artistes, de l'autre comme des employés et finalement, nous n'avons que les désavantages des uns et des autres (...).
- Attention, ajoutait F'murr, de ne pas faire de la BD un produit de consommation.
Dans cette vieille interview par Jean Léturgie, F'murr fait exactement le contraire des intellectuels payés pour déblatérer sur la BD puisqu'il évoque dans un style direct un sujet qu'il connaît.
(*: nous tenons à la disposition de qui en fera la demande à zebralefanzine@gmail.com l'entretien du perspicace F'murr avec J. Léturgie publié dans "Schtroumpf")
+ A propos d'humour absurde, j'ai noté la référence de Mandryka à Alphonse Allais dans le n° spécial de "dBD" (mars 2017) consacré à Gotlib, où Mandryka s'efforce de préciser le sens du travail de feu son confrère. Cela permet de rebondir sur la notion d'humour absurde, qui n'est pas "monolithique".
Ainsi Alphonse Allais ne cultive pas l'absurdité ; cet auteur anarchiste s'emploie à souligner de façon comique que l'Etat moderne républicain et ses principales institutions -armée, police, université-, sont absurdes, et risibles pour cette raison. Allais est, par conséquent, un auteur sérieux dans la lignée de Rabelais ou Cervantès. Très différents sont des auteurs tels qu'Apollinaire, Ionesco, voire Beckett, qui cultivent l'absurdité comme un motif poétique, non dans un but subversif.
Avec pertinence A. Allais rapproche le consentement à l'absurdité de l'existence moderne du sentiment religieux, ce qui fait d'A. Allais un précurseur de Guy Debord et sa "société du spectacle" ; la culture moderne repose en effet de plus en plus sur des spectacles absurdes (la compétition sportive moderne est un exemple parmi d'autres) ; la science elle-même devient un spectacle absurde.
Caricature de Magali Le Dissez où elle défie le maire de sa commune.
+ F. Forcadell attire l'attention sur son blog sur un cas récent de censure d'une caricaturiste dans la presse régionale ("Le Berry républicain"). D'autres cas similaires ont été rapportés sur internet ces dernières années ; et il y a sans doute pas mal d'autocensure de la part de dessinateurs moins naïfs que Magali Le Dissez.
Il a même pu arriver qu'un parti politique achète un caricaturiste lors d'une campagne électorale locale afin de s'assurer du soutien de ses dessins.
A l'échelle nationale, les plaintes sont plus rares. E. Macron au cours de sa campagne répondit à la question d'un journaliste qui l'interrogeait sur sa perception des caricatures : - Les caricatures font partie du jeu. Cela n'empêcha pas le candidat Macron d'accuser ultérieurement un dessinateur engagé au service de François Fillon d'antisémitisme ; il est vrai que ce dessinateur était le porte-parole d'un parti politique, non un dessinateur satirique (l'accusation d'antisémitisme à tout bout de champ risque surtout de porter tort aux Juifs en définitive). En politique, tous les coups sont permis, y compris les plus bas ; dans le domaine de la satire, seuls les coups intelligents sont permis.
Le rôle actuel du "Canard enchaîné" dans la vie politique française, dont il est un rouage, illustre parfaitement dans quelles limites la satire politique est enfermée. Le "Canard" ne fait pas que mettre les politiciens sur la sellette ; il rend aussi le service d'animer une vie politique cadenassée par la Constitution, qui sans cela serait bien terne.
+ Comme c'est le cinquantième anniversaire de "Mai 68", il n'est pas inutile de mentionner deux remarques de Karl Marx, qui observa et/ou étudia de près des révolutions plus importantes.
La première remarque est que la République française est le mieux protégé de tous les régimes contre une révolution. La raison invoquée par Marx est une cause persistante, à savoir la pléthore de fonctionnaires entretenus par l'Etat, qui tacitement en répandent le culte "laïc".
La fréquente invocation des "philosophes des Lumières" (pas ou peu révolutionnaires) a tendance à faire oublier que les institutions actuelles de la France remontent au XIXe, siècle d'autoritarisme et de censure bien plus que de liberté d'expression. Les élites politiques françaises ont tiré les leçons de la Révolution de 1789, devenue "légende dorée".
- Deuxième remarque de Marx, qui est une prophétie accomplie, celle que la "gauche" trahira l'idéal socialiste et la confiance du peuple plus efficacement que la "droite" (Marx sous-entend que la droite est trop bête pour accomplir cette opération de mystification du peuple).
A propos de "Mai 68", on peut constater que la propagande de gauche a interprété ce mouvement insurrectionnel comme une victoire sur le plan de la politique et des moeurs, tandis que les acteurs du mouvement eux-mêmes (Cavanna et ses caricaturistes, par ex.) ont exprimé le sentiment d'une défaite.
+ Dans son blog, "Ma Vie de Réac", Morgan Navarro égratigne certains idéaux "de gauche". Il se moque ainsi dans un strip de "l'écriture inclusive", tentative d'éradiquer certaines inégalités entre les sexes par le biais de l'enseignement de l'orthographe et de la grammaire à l'école.
Cet auteur de BD explique d'ailleurs qu'il n'est pas vraiment "réac" (sous-entendu : il fait de la provocation). De fait, l'humoriste anar Alphonse Allais ironisait déjà au XIXe siècle à propos de cette volonté de militantes féministes de rendre la langue française "plus égale" ("Une défaite du féminisme").
Croire que le langage peut contribuer à transformer la réalité est sans doute une idée très féminine. Le décalage du langage avec la réalité est tel que le "féminisme", contrairement à ce que le mot semble indiquer, ne recueille même pas l'adhésion d'une majorité de femmes, mais seulement d'une petite -soi-disant- élite d'entre elles.
+ La bédéaste contestataire Tanx trouve dans le propos de Morgan Navarro l'occasion de monter sur ses grands chevaux et vitupérer les "réacs de gauche" : "Aujourd’hui on aurait beaucoup de mal à dire si un dessin est publié dans "Charlie" ou dans "Minute".
La dessinatrice tient à préciser que le "Hara-Kiri" de Choron et Cavanna ne trouve pas grâce à ses yeux ; et elle refusa naguère une proposition de collaboration de Siné, en le traitant de "phallocrate".
Il faudra donc lire ou relire les vieux numéros de "Hara-Kiri" pour vérifier si, oui ou non, comme nous le disons et répétons dans cette revue de presse, "Hara-Kiri" était nettement plus subversif que "Charlie-Hebdo" ne l'est aujourd'hui.
+ Le magazine "L'Incorrect" publiera-t-il les strips de Morgan Navarro ? Ce nouveau magazine, surfant sur les succès d'Eric Zemmour et Donald Trump, prétend tenir un discours incorrect "de droite". Quel auteur satirique peut sérieusement se dire "de droite" ou "de gauche", sans devenir à son tour une cible de choix pour la satire ?
Charles Beigbeder (frère du romancier à succès), principal actionnaire de ce nouveau titre, a fait carrière dans la banque. Or la principale fonction du "politiquement correct" est de servir de masque bienveillant aux élites libérales : trente années de gouvernement de gauche en sont la meilleure preuve.
Quant au rédacteur en chef de cet organe, Jacques de Guillebon, c'est un "catholique anarchiste" (sic), qui confond apparemment "paradoxe" et "incorrection".
En somme l'incorrection de droite est du niveau des "Grosses têtes" de Philippe Bouvard, et "L'Incorrect" n'est qu'un épisode supplémentaire du bras-de-fer idéologique sans intérêt que se livrent les partis de gauche et de droite.
Ce magazine publie très peu de dessins, et semble plutôt chercher à démontrer que la gauche n'a pas le monopole des digressions sociologiques.
+ Banale affaire de harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma (l'histoire du cinéma est celle d'un harcèlement sexuel ininterrompu), l'affaire Harvey Weinstein illustre l'ampleur du brouhaha médiatique, c'est-à-dire d'un flot continu d'informations déversées sur nos têtes, quasiment en temps réel et suivant une hiérarchie hasardeuse. Le caricaturiste britannique Banx (ci-contre) illustre la capacité du système à digérer cette faille et s'en renforcer, à la manière d'un cyclone.
+ L'Association "Cartooning for Peace" (Plantu) et le fabriquant de papiers Clairefontaine organisent un concours de dessin de presse (ouvert aux 11-25 ans). La formulation du thème a tendance à exclure l'ironie et assigner au dessin de presse le rôle de promotion d'une société idéale.
La prétention à instaurer une paix mondiale n'est-elle pas le point commun de tous les régimes totalitaires ?
+ Revue de presse tout en images cette semaine, à commencer par une caricature de Bobika (ci-dessus), dont le webzine "Zébra" publiera de temps en temps un dessin original. Bobika publie aussi dans "Siné-Mensuel" du mois de mai.
+ On peut se fendre comme Bernard-Henri Lévy dans "Le Point" d'une longue chronique pour raconter la campagne présidentielle dans ses moindres détails, ou bien la résumer en un seul dessin comme l'Enigmatique LB (qui expose ses caricatures en ce moment à Lyon avec quelques confrères).
+ Le dessinateur et peintre satirique Xavier Bureau, alias "Burlingue", peint régulièrement dans son petit atelier parisien de petites gouaches très vives, comme celle-ci. De temps en temps il expose son travail à Paris ; en temps ordinaire, on peut en avoir un aperçu sur son site internet.
+ Daniel Dugne, sur le site "Caricatures & Caricature" reproduit plusieurs caricatures du célèbre ténor italien Caruso (1873-1921), qui prenait son violon d'Ingres très au sérieux, déplorant de n'être pas invité au dîner offert par Mark Twain à une brochette de caricaturistes : - Peut-être Mark Twain ne me connaît-il que comme ténor ? fit Caruso (le chanteur s'était formé aux Beaux-Arts de Naples).
+ "Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, des cafés tapageurs aux lustres éclatants..." : non seulement les vers de Rimbaud, mais quelques contes cocasses d'Alphonse Allais ont immortalisé les cafés parisiens, où se réfugiait autrefois la bohème des artistes.
On peut se désennuyer des débats et slogans politiques en se plongeant dans la somme que Gérard-Georges Lemaire consacre au phénomène des cafés littéraires (éds de la Différence, 2016) ; le bouquin, abondamment illustré, ne se limite pas à Paris mais explore les principales capitales européennes. Ci-dessus, le caricaturiste tchèque Antonin Pelc a représenté l'écrivain Hasek au café "Union".
+ La BNF a mis en ligne sur son site Gallica plusieurs hebdos satiriques, comme "Le Chat Noir" ou "L'Assiette au Beurre", souvenirs du temps (pas si lointain) où la presse populaire existait encore ; le dessin ci-dessus signé Grandjouan est tiré de "L'Assiette au Beurre" du 13 janvier 1906.
+ Le musée Peynet de la caricature à Antibes expose jusqu'au 10 septembre prochain 140 dessins de Bosc, maître défunt de l'humour noir.
Les Détours du Chemin, Souvenirs, notes et croquis
Le temps paraît lointain où Paris était animé par la bohème des artistes : poètes, peintres, caricaturistes, acteurs... Henri Rivière (1864-1951), "petit maître" dont les paysages traduits en estampes japonisantes eurent du succès autrefois, raconte cette époque qu'il a bien connue. Le ton modeste de Rivière, sa bonhomie, font oublier tout ce que l'art moderne doit à la bohème d'avant la Grande Guerre.
Notre mémorialiste est quand même conscient de cette effervescence artistique qui, en préambule, invite ses lecteurs à lire en priorité le chapitre concernant le "Chat Noir". En effet Rivière a voulu conserver intact le souvenir de cette aventure artistique originale à laquelle il participa activement.
La formule du "Chat Noir", inventée par Rodolphe Salis, fut beaucoup imitée (y compris à l'étranger), et de ce fait pas mal galvaudée. Rivière insiste sur deux points originaux : il s'agit au départ pour Salis d'ouvrir une maison destinée à servir de repaire aux artistes, non pas exclusivement, mais prioritairement ; Salis les connaît bien, ayant lui-même (vaguement) entamé une carrière de peintre. La clientèle ordinaire, où l'on compte parfois des personnalités politiques de premier plan, se divertit des divertissements que les membres du "Chat Noir" imaginent entre eux. H. Rivière, son apprentissage artistique à peine achevé, trouvera lui-même à s'employer au "Chat Noir" - au journal d'abord, avant de concevoir un théâtre d'ombres chinoises, techniquement sophistiqué, qui sera l'une des principales attractions du cabaret de Salis, qui devra déménager deux fois pour s'agrandir.
H. Rivière précise d'ailleurs que l'entreprise était peu lucrative, permettant aux artistes de vivre, point à la ligne. La recette commerciale ne fut guère appliquée par Salis ; celui-ci songea bien à des tournées en province qui auraient sans doute augmenté les recettes, mais il mourut assez soudainement, et le "Chat Noir" avec lui.
On croise bien sûr les piliers du "Chat Noir", qui contribuèrent à la renommée et au succès du cabaret ou de la gazette illustrée : Salis, Alphonse Allais, Willette, Somm, Léon Bloy, Charles Cros, Caran d'Ache... mais aussi Renoir, Signac, Auguste Rodin, Degas, Clemenceau, que Rivière fréquenta de plus ou moins près. On croise ces gloires nationales dans des chapitres consacrés à la Bretagne, que Rivière peignit beaucoup à la suite de Signac - aux collectionneurs d'art japonais, qui contribuèrent à initier certains artistes parisiens à l'art nippon, - à l'art de la Renaissance qui impressionna beaucoup Rivière lors d'un voyage (tardif) à Rome.
Par goût du paysage et de la peinture sur le motif, H. Rivière fut un peintre impressionniste, à la suite des quelques noms plus célèbres que le sien, gravés au fronton de cette école antiacadémique. Mais, à l'heure où Rivière les imita, les impressionnistes ne représentaient plus l'avant-garde mais le passé, dont les artistes voulant faire preuve d'originalité se détournaient déjà. La fraîcheur de Rivière est dans le ton de son témoignage, largement illustré de documents d'époque (dessins, aquarelles, portraits, photographie...). On entre ainsi grâce à Rivière dans l'histoire de l'art moderne, non comme dans un musée, mais comme dans une maison familière à celui qui nous la fait visiter.
Henri Rivière, Les Détours du Chemin, Souvenirs, notes et croquis, éd. Equinoxe, 2004.