La Semaine de Zombi. Mardi.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
La Semaine de Zombi. Mardi.
+ Un titre étonnant dans "L'Obs" dernièrement (11 avril) : "Les bobos n'existent pas", et continuer d'en parler nuit à la société. L'argumentaire est de Jean-Yves Authier, prof de sociologie (Lyon II); venant d'un sociologue, "nuire à la société" est le plus grave péché.
Etonnant car "Le Nouvel Observateur" a contribué à donner consistance au "bobo", à travers la série de Claire Bretécher, "Agrippine", portrait de la bourgeoisie parisienne par une auteure qui s'agrégea à ce milieu en épousant le prof de droit Guy Carcassonne.
Après avoir plaidé que le terme de "bobo" est confus (comme si la sociologie ne l'était pas), J.-Y. Authier plaide aussi pour la "gentrification". En réalité la satire des bobos permet de les caractériser assez précisément. On peut ajouter à la BD de Bretécher celle de Dupuy & Berbérian, "Bienvenue à Boboland" (2008), parue en feuilleton dans "Fluide-Glacial" (éd. espagnole ci-contre : 'Benvenido a Bobolandia').
D'une manière générale, la bourgeoisie est une catégorie ou une classe sociale difficile à définir (contrairement à l'aristocratie ou au prolétariat, par exemple), comme si elle contenait "le sens de l'Histoire". Cependant on peut préciser le sens de "bobo" comme une nouvelle mode bourgeoise, typiquement française ou parisienne. Ce n'est pas un hasard si le terme "bobo" a été inventé par un Américain, David Brooks, observateur étranger.
Un trait caractéristique des bobos consiste à se prosterner devant la Culture comme un catholique devant le Saint-Sacrement, attribuant ainsi à la culture un pouvoir quasi-miraculeux.
Femme par Philippe Dupuy de la main gauche ("Left").
+ Philippe Dupuy (co-auteur de "Boboland") est un dessinateur qui a perdu l'usage de sa main droite et réapprend à dessiner de la gauche. Il publie un recueil de ses dessins maladroits, "Left" ("L'Association"), commenté par le webzine Bodoï.
On ne saurait réduire le dessin à une question d'habileté manuelle, ni à l'application de règles de perspective. Un bon dessinateur dessine avant tout avec son esprit (comme dirait Baudelaire). Où Picasso se montre un dessinateur exceptionnel, c'est dans sa capacité à éliminer les détails pour se concentrer sur ce qui est signe de force vitale, tandis que les dessinateurs de seconde zone (Giraud-Moebius) en font des tonnes.
+ Le festival d'Angoulême et son partenaire la firme RAJA - "L'art d'emballer" (sic) ont passé commande d'affiches dans l'esprit et le style de "Mai 68" à quelques auteurs de BD : Gilles Rochier, Jeanne Puchol, Olivier Josso...
L'affiche ci-dessous signée Killoffer est sans doute la plus "anar" ; 50 ans plus tard, "Charlie-Hebdo" n'oserait plus publier un tel dessin.
par Naumasq
Cet album a déjà quelques années, mais il est toujours d'actualité. En effet, on utilise même l'expression "boboïser" dorénavant, pour dire que "Paris se boboïse de plus en plus". Le récent mouvement "Tous Charlie" a en outre remis les bobos en avant, car ce type de manifestation est typique de la "culture bobo", qui s'exprime souvent par des slogans plus ou moins ingénieux, inscrits sur des tee-shirts.
Désormais démodé, le portrait d'Ernesto Che Guevara imprimé sur un tee-shirt fut longtemps un code vestimentaire bobo. Peu importait que Che Guevara fût un terroriste, il était "cool". Ben Laden est venu ensuite gâcher la fête : le guérillero ne fait plus rêver.
Si chacun sait que "bobo" vient de la contraction de "bourgeois-bohême", tout le monde n'est pas d'accord sur la signification du terme. Pour certains, pas besoin de revenus confortables pour être un bobo ; pour d'autres, au contraire, le fait d'avoir des revenus confortables explique et justifie toute la culture "bobo".
Pour simplifier, disons que les bobos sont les électeurs de François Hollande. Le thème traité par Dupuy & Berberian dans "Bienvenue à Boboland" (eds. "Fluide Glacial") n'est donc pas aussi anodin qu'il y paraît. La culture bobo en dit long sur la manière d'exercer le pouvoir aujourd'hui en Occident, sans avoir l'air d'y toucher ni d'être impliqué dans la violence inhérente à l'exercice du pouvoir.
Les deux compères Dupuy et Berberian maîtrisent leur sujet aussi bien que Claire Brétécher, qui les précéda dans le domaine de la satire des moeurs de la "gauche caviar" (comme dit l'essayiste Eric Zemmour, bête noire des bobos).
On sait gré à Dupuy et Berberian de passer par le biais de la satire, plutôt que celui de la sociologie, pour brosser le portrait d'une élite culturelle qui donna à la moraline sa tonalité chic et parisienne (y a-t-il des bobos en dehors de Paris ?). On est tenté de parler au passé, car la crise économique semble avoir rebattu les cartes idéologiques. Signe des temps, les représentants de la bobocratie sont de plus en plus rares à s'assumer comme tels. Il faut dire qu'avec son - Je n'aime pas l'argent !, le candidat François Hollande a probablement usé le peu de crédit que la gauche "bobo" avait encore auprès de catégories sociales moins favorisées.
C. Bretécher a expliqué que son appartenance à la bourgeoisie de gauche et un certain cynisme personnel (au sens philosophique du terme) étaient la clef de ses planches satiriques publiées dans le "Nouvel Obs". Je ne connais pas la recette de Dupuy & Berberian, mais leur satire sonne assez juste ; en effet elle est assez mordante pour ne pas être complaisante - le narcissisme des bobos est nettement souligné, par-delà l'amour de l'humanité sans distinction de classes ni de races... sans tomber pour autant dans le pamphlet, qui a souvent tendance à atténuer la satire.
Bienvenue à Boboland, Dupuy & Berberian, eds Fluide Glacial, 2008.
Agrippine face à Claire Bretécher.
+ Rare femme à exercer ses talents dans le domaine de la BD, et plus encore de la BD humoristique, Claire Bretécher fait l'objet d'une grande exposition à la bibliothèque du musée d'art moderne Pompidou (jusqu'au 8 février). Brétécher, qui travailla notamment pour le compte de "Pilote", "Spirou" et "Le Nouvel Observateur" mérite plus le titre d'auteur satirique que celui de "sociologue", dont le pédantissime Roland Barthes l'affubla. On est bien placé au pays de Molière pour savoir à quel point la satire et la religion, rebaptisée "sociologie" dans les temps ultra-modernes, s'opposent. Si Molière avait été sociologue, se contentant de refléter son époque, il y a longtemps qu'il serait tombé dans l'oubli.
Interviewée récemment sur ses années passées à "Pilote", sous la direction de R. Goscinny, Claire Bretécher n'a pas hésité à dénigrer les rebelles de "Mai 68" qui poussèrent Goscinny à la démission, les traitant de fils à papa et de faux rebelles (Gotlib, Moebius, Druillet) (in : "La Révolution Pilote", Dargaud, 2015). On est tenté de lui donner raison, quand on voit le nombre de philosophes de plateaux télé, plus creux les uns que les autres, que "Mai 68" a engendré, dissimulant leurs comptes en banque derrière des options humanistes. Mais à travers cet affrontement entre générations, typiquement viril, se trouve quand même posée la question, plus intéressante, du duel entre la bande-dessinée, destinée aux enfants, et le dessin de presse, visant un public plus large, ou encore de la rivalité entre le "Pilote" de Goscinny et le "Charlie-Hebdo" de Cavanna.
"Le Figaro", quotidien du bourgeois qui s'assume, rend aussi hommage à Bretécher à travers un quiz de cinq questions sur sa carrière de dessinatrice.
+ Hasard ou calcul, l'attentat de la mi-novembre à Paris visait un quartier "bobo" de Paris ; c'est précisément la culture que Bretécher brocarde à travers le personnage d'Agrippine, adolescente élevée dans un milieu "humaniste"... mais néanmoins aisé. Les blogueuses-BD d'aujourd'hui sont un peu les petites soeurs d'Agrippine, et Pénélope Bagieu la plus célèbre a réagi aux attentats par un strip, sur le mode : "J'y pense et puis j'oublie."
+ En Iran, à Téhéran, le caricaturiste Hadi Heydari ("Persian Cartoon") a été arrêté à cause d'un dessin fait pour témoigner de sa solidarité avec les victimes des attentats de Paris ; il a probablement été interpellé par les services secrets de son pays. Faut-il le rappeler, l'Iran est en guerre froide avec les Etats-Unis et ses alliés, dont la France. En revanche, en Belgique, c'est l'humoriste Dieudonné Mbala-Mbala qui a été condamné à deux mois de prison ferme pour "antisémitisme". La sympathie de Dieudonné pour le régime iranien est connue.
Le contexte de l'état d'urgence ne fait qu'accroître la sévérité de la condamnation de cet humoriste ; le condamner en ces circonstances revient à le désigner comme complice des djihadistes. Quand Dieudonné avait fait l'objet de poursuites et de pressions fiscales de la part du gouvernement de Manuel Valls, rares furent ceux qui osèrent prendre publiquement sa défense au nom de la liberté d'expression (Jack Lang, Plantu). Même si c'est sans doute inéluctable, on peut regretter qu'autant de caricaturistes et d'esprits soi-disant libres se laissent entraîner dans le "choc des cultures", stratégie de radicalisation des deux camps.
+ Alors que le salon du livre pour la jeunesse de Montreuil s'apprête à ouvrir ses portes (2-7 décembre), le webzine culturel Actualitté en profite pour dénoncer la moindre rémunération des auteurs et illustrateurs de livres pour enfants. Néanmoins le prétendu "préjugé" contre la littérature de genre ou la littérature spécialisée s'explique très bien d'un point de vue critique et littéraire par la prétention des plus grands auteurs à produire une littérature universelle, et non pas seulement destinée à une catégorie de lecteurs. Hélas l'argument égalitaire dissimule bien souvent, qu'il soit conscient ou non, un mobile mercantile ; la spécialisation de la littérature est avant tout une question d'édition et de librairie, bien plus que d'art et de littérature. C'est sûrement ne rien comprendre à l'art et la littérature que de les envisager seulement sous l'angle de la production et du marché. La mise en avant de grands principes, dans le domaine de la culture, est un cache-misère. La littérature de genre se vend parfois très bien, et ses auteurs sont bien rémunérés. La Comtesse de Ségur fit ainsi fortune avec ses livres pour enfants ("Les Malheurs de Sophie", etc.), et son statut était tel qu'elle pouvait embaucher et virer les plus prestigieux illustrateurs de la place de Paris. Son éditeur avait déniché la poule aux oeufs d'or.
+ La médiathèque F. Sagan (Paris Xe) abrite (jusqu'au 31 janvier) une exposition sur le thème de l'illustration de livres pour enfants. L'illustrateur britannique Anthony Browne parlera dans ce cadre (4 déc. à 19 h) de son travail ; créateur du personnage de "Marcel" ("Willy" en anglais), A. Browne tire le principal de ses revenus de la vente de cartes de voeux, ce qui lui permet d'être plus exigeant quant aux autres publications.
Marcel par Anthony Browne.
Parodie de Michel Vaillant par B-Gnet pour un site web féministe.
+ Un nouveau collectif d'une trentaine d'auteurs de BD féministes s'est formé à l'initiative de Lisa Mandel ("Nini Patalo") pour lutter contre le sexisme dans la BD. Un blog détaille ses motivations et arguments, qui sont particulièrement confus.
Ce collectif fustige ainsi la promotion des auteurs féminins : "Publier des collections "féminines" est misogyne". Il n'y a là rien de misogyne, c'est du marketing. Ce collectif veut combattre les stéréotypes et les idées reçues sur les femmes ; d'abord, on peut se demander quelle culture ne repose pas sur des stéréotypes ? La société américaine féministe ? En outre plusieurs auteurs de ce collectif féministes ont publié des BD qui donnent de la femme une image au moins aussi stéréotypée que l'image que "Rahan" donne de l'homme. Le lecteur d'une bonne BD satirique se moque en effet du sexe de son auteur ; libre à ces femmes de faire de l'ombre à Cabu, Goscinny, Reiser, etc.
+ "Ma Vie de réac", par Morgan Navarro, est un blog qui raconte sous la forme de strips la vie d'un quadragénaire. "Réac" ne veut pas dire grand chose ici, car Morgan Navarro paraît plutôt appartenir à l'espèce des "bobos" qu'à celle des "réacs". Sur les "bobos", Claire Brétécher a déjà à peu près tout dit.
+ L'avocat de "Charlie-Hebdo" (et DSK) Richard Malka publie un livre pour défendre le droit d'auteur, menacé selon lui par les nouvelles techniques de diffusion numérique en ligne - livre intitulé "La gratuité, c'est le vol". Mais, sachant que la propriété est le fonds de commerce des avocats, il s'agit presque d'un plaidoyer "pro domo". Il n'est pas avéré que les éditeurs sont les meilleurs "protecteurs" des auteurs, contrairement à ce que le Syndicat national des éditeurs, commanditaire du bouquin, tente de faire croire. Mais, au fait, qui protège les lecteurs contre les éditeurs qui publient n'importe quoi ? "50 Millions de consommateurs" ?
+ Tout le gratin de la culture proteste contre la vandalisation du "Dirty corner" d'Anish Kapoor, artiste britannique d'origine indienne qui expose en ce moment à Versailles plusieurs "installations". Mais l'art contemporain ne consacre-t-il pas la profanation comme un art à part entière ?
"Dirty corner", surnommé "le vagin de la reine", a été recouvert de graffitis politiques royalistes un peu bizarres. On aurait pu imaginer une réaction hostile des Femen, étant donné le titre (anglais) de l'oeuvre ; à vrai dire il n'est guère surprenant qu'un con géant exerce sa fascination sur des fanatiques du sceptre.
Dessin de presse par Thibaut Soulcié.
Vu que cet album de Ruppert & Mulot est très conceptuel, je propose une critique qui l’est aussi : je vais reprendre la critique d’un autre critique et me contenter d’ajouter quelques commentaires (histoire de rappeler qu'avec l’art conceptuel, on est toujours à la limite de l’escroquerie).
Dans l’ensemble, donc, le rapport de Vedge sur BD-Sanctuary est plutôt bien vu, je cite : « Sur un dessin sensible et inspiré, les auteurs nous racontent une histoire d’amour difficile à l’heure où la communication électronique complexifie les rencontres et les échanges sincères [Il est clair que dans 9/10e des cas, un type pendu à son téléphone portable est un pervers manipulateur, et dans le 1/10e restant, c’est un représentant de commerce.]
Une relation s’initie [commence] entre deux êtres via un site web qui leur permet de jouir ensemble sans contrainte ni tabou. Pour passer de cette relation non engageante à une relation, l’homme, particulièrement, devra passer quelques tests avec succès et se redécouvrir.
C’est étonnant, détonnant, un peu fou parfois, bien dessiné ; mais l’ensemble est trop ampoulé et focalisé sur un microcosme bobo parisien pour que cette histoire ait valeur de symbole. » [Il n’y a pas que les échanges et les rencontres qui sont insincères, les critiques de bande-dessinée le sont parfois aussi à moitié seulement].
Quitte à mélanger concept et sexualité, autant faire du bricolage, aussi plein de métaphores salaces. A la manière dont les couples circulent dans les rayons du Castorama, on peut presque deviner leur mode d'emploi. D'ailleurs Ruppet et Mulot dessinent comme le type qui fait les meubles Ikéa, et je ne serais pas étonné que, d'ici à quelques années, ils deviennent les chefs de file de la bande-dessinée suédoise ou quelque chose comme ça.
La Technique du Périnée, Ruppert et Mulot, Aire libre, Dupuis, 2014.