La Semaine de Zombi. Mardi.
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La Semaine de Zombi. Mardi.
Caricature par WANER
Déclinaison de l'acronyme SDF par Le Borgne en une trentaine d'épisodes humoristiques publiés d'abord dans l'hebdo "Fluide Glacial".
Le dessin de Reiser a beaucoup été imité, pour le meilleur et pour le pire. Le Borgne prolonge aussi l'esprit satirique de Reiser, abordant le problème de la misère à Paris sans tomber dans l'apitoiement sentimental.
L'ambiguïté du principe de "solidarité sociale" est résumée dans les paroles de l'hymne des "Restos du coeur" : "Quand je pense à toi, je pense à moi." Cette ambiguïté explique la relative tolérance des Parisiens vis-à-vis des SDF qui hantent les rues et le métro, plus nombreux depuis le "krach" capitaliste de 2008: le cadre dynamique en pleine ascension d'une carrière abrupte est conscient qu'il pourrait dévisser ; pas sûr d'ailleurs que l'on soit aussi tolérant dans des villes plus puritaines et féministes, car le SDF éructe parfois de façon inquiétante, et siffle même parfois les filles pour tuer le temps.
Or Le Borgne montre bien le SDF tel qu'il est : à la fois très loin et très proche du citoyen lambda "bien inséré socialement". Démocrite (IVe siècle av. J.-C.) rapprochait la misère de la trop grande richesse, en montrant que cette dernière n'est pas moins "un état de nécessité" ; autrement dit : un état d'insatisfaction permanent impropre à la jouissance.
Chacun voit assez bien que la misère du SDF est la rançon de l'esprit de compétition économique. On le reconnaît d'autant mieux que cette misère, qui a considérablement diminué dans la partie occidentale du monde au cours des derniers siècles, persiste de façon résiduelle dans les pays dits "développés". Elle persiste donc évidemment comme un "dommage collatéral".
Certains béni-oui-oui s'étonnent que l'immense richesse amassée par l'Occident ne soit pas divisée en parts égales: - comment l'esprit de compétition illimité pourrait-il aboutir à l'abolition de la cupidité d'où vient son impulsion ?
Béni-oui-oui, cette BD de Leborgne ne l'est pas ; mais peut-être seulement un peu dépassée, car on voit se multiplier dans Paris une nouvelle espèce de SDF, venus du tiers-monde pour participer aux jeux olympiques du profit, où tous les coups sont permis.
Si Doux Foyer, par Leborgne, Ed. Fluide-Glacial, 2010.
dessin par WANER
Extraits de la revue de presse publiée dans l'hebdo Zébra.
+ Pour la troisième année consécutive, le fanzine Zébra (version papier n°8 - couverture par Nabaloum Boureima/Burkina-Faso) participe au concours de fanzine organisé par le festival d'Angoulême. Trente fanzines composent une sélection internationale : produits en France et Belgique, bien sûr, mais aussi en Allemagne, Autriche, Brésil, Croatie, Egypte ("Tok-Tok magazine", ci-dessus), Etats-Unis, Italie, Taïwan et Ukraine. Si l'on note une baisse du nombre de participants par rapport à l'année dernière (15 titres de moins), il faut néanmoins souligner le courage des jurés qui ont eu un mois pour apprendre le croate, le taïwanais et l'ukrainien, et autres langues réputées ardues.
+ Quelques jours à peine après la grande célébration de la liberté d'expression, associée à "Charlie-Hebdo", de nombreux journalistes sont montés au créneau pour souligner la nécessité de poser des limites à cette liberté, au demeurant toute théorique. Quelques semaines avant la gigantesque manif "Tous Charlie", le 24 décembre, est entré en vigueur un décret permettant une surveillance accrue par les services de police, l'armée et le fisc, des informations privées transitant par les réseaux téléphoniques et l'internet. La principale protection contre les abus est indirecte et réside dans le coût de la surveillance.
Assez peu conscient du problème, semble-t-il, feu le "rédac-chef" de "Charlie-Hebdo", Charb, avait lui-même déclaré que la liberté d'expression est presque parfaite en France, en se fondant sur la permission de brocarder ou critiquer l'armée et la police sans pratiquement de limite. Mais c'est sans compter la publicité abondante faite aux services de police et à l'armée par la télévision et le cinéma, propagande en comparaison de laquelle la satire de "Charlie-Hebdo" ne pèse pas bien lourd.
+ La dessinatrice Tanxxx ("Aaaargh !", "CQFD") se fait l'avocate sur son blog d'un jeune lycéen nantais inculpé pour "apologie du terrorisme". Il aurait publié sur Facebook un dessin ironique à l'occasion de la tuerie de "Charlie-Hebdo". Les magistrats ont estimé que publier sur Facebook est un mode d'expression public. A l'exception d'un ou deux blogueurs ayant proféré des injures "ad hominem", très peu de blogueurs avaient été condamnés avant ce précédent. En ce qui me concerne, bien des séries télévisées ou des jeux vidéos en vente libre me semblent relever de l'apologie du terrorisme, voire de la torture, mais je ne suis pas magistrat.
Dans sa note du 17 janvier, Tanxxx ajoute en outre : "La marche de dimanche n'aurait pas été récupérable à ce point si Charlie était resté Charlie. Des textes parlent de la Une du journal pour la mort de de Gaulle pour défendre le journal : ce Charlie là est mort depuis des lustres.(...)" Elle souligne par ailleurs longuement que le débat dans les médias qui a suivi l'attentat sur la liberté de la presse et autres thèmes convenus n'est pas un débat mais une cacophonie.
+ Parmi les ralliements dont "Charlie-Hebdo" se serait sans doute passé, celui du libéral-bougon Alain Finkielkraut, fraîchement - si je puis m'exprimer ainsi -, entré à l'Académie française. Celui-ci ne s'est pas contenté d'un mot de solidarité, mais a rendu un vibrant hommage à "Charlie-Hebdo" et l'esprit français d'autodérision dont cet hebdomadaire était, selon lui, exemplaire.
+ Le festival d'Angoulême avait honoré de son grand prix il y a deux ans le dessinateur de presse néerlandais Willem, un des rares survivants de... bref. Certains fondamentalistes de la BD (la passion implique le fanatisme, et vice-versa) avaient alors reproché à Willem de ne pas obéir assez aux codes et contraintes du genre. Willem s'était cependant acquitté avec maestria de la tâche qui incombe à l'heureux élu de dessiner l'affiche du festival suivant. Mais le dessin de presse et la BD sont historiquement étroitement liés, et d'autres reprocheront au contraire aux organisateurs du festival de ne pas avoir honoré Cabu de son vivant, plutôt que tel... (ce passage a été autocensuré). Le "Grand Duduche" est en effet une excellente BD, dans l'esprit soixante-huitard, qui se moque gentiment mais avec efficacité de l'école républicaine. Qui sait, si l'on s'ennuyait moins à l'école, il en sortirait peut-être moins de terroristes ?
L'édition du festival 2015, qui se tient ce week-end, rendra hommage à Cabu et ses disciples (Charb a avoué que sa vocation lui vient de Cabu) à titre posthume. La ville d'Angoulême tient là l'occasion de faire oublier son récent "couac" en matière de communication (à l'instar de nombreuses municipalités, celle d'Angoulême avait fait installer des pare-SDF aussi originaux qu'indiscrets, qui firent plus scandale que l'urinoir de Duchamp). Si l'on ajoute à ça le plan Vigipirate renforcé et la grogne des dessinateurs de BD sous-payés (qui ont prévu un débrayage des dédicaces), il y a fort à parier que le prochain FIBD sera bouillant.
+ Le dessinateur Riss, dernier "pilier" de "Charlie" vivant, prendra la direction de "Charlie-Hebdo" ; il est apparu à sa sortie d'hôpital un peu dépassé par le phénomène "Tous Charlie" (on le serait à moins), en même temps qu'assez lucide sur les difficultés qui l'attendent, la question du financement étant secondaire pour un titre comme "Charlie-Hebdo", contrairement aux autres titres. Outre le tirage exceptionnel qui devrait dépasser les sept millions d'exemplaires, "Charlie-Hebdo" est passé de 2.000 abonnés à 120.000. Riss est conscient que seule une bonne dose d'imagination permettra à son hebdo de ressusciter (comme le phénix, non pas comme Jésus). Il y a tout de même un gag dans les déclarations de Riss, c'est sa demande d'audit à la Cour des comptes ; d'abord Riss ne semble pas avoir remarqué le caractère parfaitement somptuaire de cette cour (vu le déficit abyssal de la France) ; ensuite on se demande ce que le nouveau patron de "Charlie" craint de découvrir dans les millions d'euros de dons reçus : un chèque de Liliane Bettencourt ? Du Qatar ?
+ Le dernier numéro de l'hebdomadaire "Fluide-Glacial" (n°464), avec son titre burlesque : "Le péril jaune : et si c'était déjà trop tard", a mécontenté les autorités chinoises (quelques extraits en ligne) qui ont manifesté leur désapprobation. Le rédacteur en chef de la publication, Yan Lindingre, tout en invoquant l'humour, a justifié le choix du thème par l'indifférence des organisateurs du festival d'Angoulême à l'égard de "Fluide-Glacial", qui fête ses 40 ans cette année et auraient voulu marquer le coup ; mais les organisateurs étaient trop occupés à recevoir une délégation chinoise. Une BD racontant l'irruption de guerriers chinois armés de kalachnikovs dans la rédaction de "Fluide-Glacial" serait purement fortuite. Le thème n'est pas beaucoup moins risqué que les caricatures du prophète, car la France entretient avec la Chine des relations pour le moins ambiguës, sur fond de monothéisme du dieu Pognon.