+ Le Pr Choron est à la presse française ce que la flibuste fut à la marine royale britannique.
Son rôle à la manoeuvre du bateau pirate "Charlie-Hebdo" est souvent minoré.
Georges Bernier alias "Pr Choron" est surtout connu pour avoir hissé le pavillon noir, sous la forme d'une retentissante "Une" de "Hara-Kiri" ("Drame à Colombey..."), visant moins, selon son auteur, un général de Gaulle hors de service qu'une presse française cire-pompe et rasoir. Mais son rôle ne se limite pas à ce pavé dans la mare...
Lors d'une conférence donnée sur "Hara-Kiri", l'érudit Y. Frémion a comparé Charles Philippon (fondateur de la "Caricature" et du "Charivari" au XIXe siècle) à Cavanna & Choron réunis, soulignant que Cavanna et Choron forment une paire indissociable ; cependant la comparaison masque un contexte beaucoup moins favorable que la monarchie de Juillet à la publication de journaux indépendants satiriques.
Or c'est là que le Pr Choron intervient, rendant possible ce qui était institutionnellement et politiquement impossible, grâce à un tempérament hors du commun.
Les mémoires de Choron, "Vous me croirez si vous voulez", réédités sous la houlette de J.-M. Gourio et augmentés de quelques références utiles et photos, sont émaillés de révélations et d'anecdotes truculentes. On apprend ainsi que Cavanna obtenait de la publicité pour son journal sur "Europe 1" grâce à ses relations dans la franc-maçonnerie ; ou bien encore que le Pr Choron renfloua les caisses de "Charlie-Hebdo" en louant ses services sexuels à une vieille rombière fortunée en manque de chair fraîche (le scandale qui a secoué "Le Monde" il y a quelques années illustre que les journalistes peuvent pousser la putasserie encore plus loin, sans même se désaper).
Mais ces mémoires ne sont pas seulement pittoresques. On pénètre grâce à leur auteur dans les coulisses de la presse et des médias. Les tentatives infructueuses du Pr Choron pour financer son journal subversif par la publicité sont à la fois cocasses et révélatrices des procédés de censure actuels.
Les histoires de piraterie se terminent mal en général ; on note que le Pr Choron estimait avoir échoué dans son entreprise de déstabilisation de la presse conformiste ; le prétexte de la pornographie fut utilisé à la fois pour réduire "Charlie-Hebdo" au silence et minimiser sa portée subversive.
On peut se demander où le fils d'un couple de gardes-barrière, orphelin de père, a trouvé l'énergie -et surtout l'audace- nécessaires pour défier les élites politiques sur leur propre terrain ? Choron donne un début de réponse en commençant son récit : il explique qu'il se voyait mal mourir à petit feu sans faire de vagues, suivant le destin assigné aux personnes d'extraction modeste qu'il côtoyait dans son village de la Marne.
Un bouquin à lire par tous ceux qui, de gauche ou de droite, gobent le slogan de "la France, pays de la liberté d'expression" (sur lequel les caricaturistes étrangers ne manquent pas d'ironiser).
+ La bibliothèque du Musée Pompidou exposera bientôt Riad Sattouf et son oeuvre (14 novembre-11 mars) ; depuis le succès inattendu de "L'Arabe du Futur", publié par un éditeur inconnu (Allary), le bédéaste d'origine syrienne est devenu l'un des auteurs de BD les plus en vue, régulièrement invité sur les plateaux de télé afin de raconter son histoire, ce qu'il sait très bien faire.
Bien qu'inattendu, le succès de Sattouf dont les ouvrages précédents n'avaient rencontré qu'un succès d'estime, est compréhensible ; sur un sujet -le monde arabo-musulman-, où les points de vue avisés sont rares et noyés dans la propagande de soi-disant experts, R. Sattouf fournit un éclairage plus cru et sans doute moins naïf qu'il n'a l'air.
De cette façon R. Sattouf évite aussi le nombrilisme de certains auteurs de "romans graphiques", nombrilisme peu propice au succès populaire.
Expliquer que la République française fut le modèle quasi-officiel des dictateurs arabes au sein desquelles il grandit est sans doute plus subversif que relayer les caricatures islamophobes d'un journal nationaliste danois.
On aimerait bien connaître l'opinion de R. Sattouf sur le destin funeste de ces dictatures arabes, anéanties par la République française qu'elles admiraient ?