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14-18

  • Revue de presse BD (292)

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    + "J'ai choisi de dessiner le premier jour de la bataille de la Somme, car c'est à partir de ce moment-là que l'homme du peuple a cessé de se bercer d'illusions quant à la véritable nature de la guerre moderne..." Joe Sacco commente ainsi la fresque gigantesque qu'il a dessinée pour commémorer la bataille de la Somme (1916).

    Joe Sacco emploie ici le mot juste : illusions.

    La culture moderne est en effet une grande pourvoyeuse d'illusions ; lorsque "l'homme du peuple" est ramené à la réalité par les premiers éclats d'obus, il est trop tard.

    Autrement dit, l'homme du peuple devrait se méfier de la "culture" autant qu'il faut se méfier du vin.

    Les indices sont nombreux du rôle morphinique assigné par les élites culturelles à la culture moderne, dans tous les domaines. L'actualité fournit deux exemples : le premier ce sont les trente-six nuances de roman national qui se télescopent chaque fois qu'une grande cérémonie de commémoration est organisée. Chaque parti politique en profite pour entretenir sa petite ou grande illusion.

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    (Humain, trop humain ? : dans le premier épisode des aventures de l'incroyable Spider-Man (1963), celui-ci négocie avec les "Quatre Fantastiques" son salaire d'embauche comme un banal cadre commercial - déçu par l'offre de ses confrères, Spider-Man renonce à les aider.)

    + La culture de masse, qui trahit le plus nettement la vocation stupéfiante de la culture moderne, vient de perdre un de ses plus grands génies en la personne de Stan Lee, qui relança dans les années 60 l'industrie américaine du "comics" en passe d'être démodée par le cinéma.

    Le personnage de "Spider Man", création de Stan Lee, est sans doute le plus fascinant. Son super-pouvoir décrit parfaitement le rôle joué par les intellectuels dans le piège culturel. On n'attrape pas les gosses avec du vinaigre : les producteurs de cinéma le savent très bien, et c'est ce qui donne à la culture de masse son goût sucré un peu écoeurant.

    Quant aux intellectuels, leur rôle consiste à étouffer la critique pour étendre le piège. D'où la démarche inepte qui consiste à ériger la BD en "art". Quand bien même les "comics" constituent un matériel de propagande nationaliste grossier, les intellectuels les comparent à la mythologie grecque, qui n'a pas cette vocation nationaliste.

    A travers la culture de masse on peut voir que le "populisme" n'est autre chose que l'effort (extrêmement coûteux) accompli par les élites pour maintenir le peuple au niveau de l'intelligence artificielle.

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    (Portrait de S. Freud par Dali)

    + On a souvent rapproché S. Freud et l'art d'analyser les rêves avec les artistes surréalistes. Il semble que ce soit un malentendu et un contresens si l'on en croit l'article de Natacha Nataf dans le magazine "Beaux-Arts" (novembre), qui rapporte les préventions du médecin allemand vis-à-vis d'un art teinté de folie.

    Pour preuve ce bon mot du père de la psychanalyse, rapporté par Dali au cours d'une rencontre qu'il avait sollicitée : - Dans les tableaux classiques, je cherche le subconscient, dans les oeuvres surréalistes, je cherche ce qui est conscient.

    [Quand deux rapaces se rencontrent, de quoi parlent-ils ? De charogne-art !]

  • Henry de Groux - Journal***

    Les trompettes de la renommée sont parfois bien mal embouchées... Pourquoi Van Gogh, Cézanne, Gauguin,webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,henry de groux,journal,inha,kimé,léon bloy,delacroix,géricault,baudelaire,beethoven,14-18,soldat,catholique sont-ils célébrés dans le monde entier, tandis que Henry de Groux (1866-1930) demeure inconnu ou presque ? Il y a pourtant dans l'oeuvre et l'existence chaotique du peintre bruxellois tous les ingrédients pour fasciner le public...

    A l'instar de Nietzsche, de Groux serait-il trop sulfureux pour notre époque ? C'est peut-être une explication... Plus sûrement, la complexité assumée de de Groux, le caractère inclassable de son oeuvre, déroutent les fabricants d'étiquettes que l'on appose sous les tableaux pour permettre au public et aux étudiants de les digérer plus facilement. L'étiquette "symboliste", qu'on colle parfois à de Groux, ne souligne qu'un aspect de sa peinture.

    Le volumineux Journal que de Groux a laissé derrière lui dévoile une personnalité aux nombreuses facettes. Doublement attiré par la rédemption, d'une part, et par Satan d'autre part (le dieu des artistes), on pourrait qualifier ce peintre épris d'imagination de "baudelairien".

    Ce travail opiniâtre de consignation des faits intimes, sentiments, cauchemars, observations critiques, laissait son auteur lui-même sceptique quant à sa valeur. Dans le meilleur des cas, celui-ci y voit le témoignage sincère, le tableau de la tempête intérieure qui agite l'artiste moderne ; sans doute est-ce la meilleure raison de lire de Groux, tant il est vrai que l'art moderne -les musées sont trompeurs à cet égard- a comme les icebergs une importante partie immergée, dissimulée à la vue du simple spectateur.

    La confrontation avec Van Gogh est particulièrement éclairante ; de Groux a émis un jugement très sévère sur la peinture de son confrère, sans mépriser pour autant l'homme comme il méprisait franchement Cézanne ou Apollinaire, qu'il accuse de divers trucages artistiques. De Groux se fit même virer de son groupe d'artistes (les XX), pour avoir refusé d'être exposé en même temps que Van Gogh.

    "De toutes les peintures que j'ai pu voir du peintre hollandais, têtes ou paysages, je ne m'en rappelle pas une qui brillât par des qualités vraiment picturales que l'on pût sincèrement estimer remarquables. Elles ne se signalent que par la même facture exaspérée et maladroite. Un seul morceau représentant des harengs sur un plat de faïence ou de grès, m'a séduit par une chaleur de ton et une certaine verve de facture vraiment assez heureuse, assez rare dans sa production. C'est tout.", note de Groux dans son Journal en 1893.

    De Groux voyait dans le travail de Van Gogh l'oeuvre d'un aliéné, et non d'un artiste en pleine possession de ses moyens ; cependant, de Groux fut interné lui aussi dans un hôpital psychiatrique à Florence, après avoir effrayé sa maîtresse ; il s'en évadera dans des conditions rocambolesques. De Groux consigne d'ailleurs dans son Journal une insomnie aggravée, causée par des cauchemars violents qu'il redoute d'affronter. Mais surtout, de Groux fut assailli comme Van Gogh par des considérations d'ordre métaphysique, interférant dans son existence. Si Van Gogh est maladroit, et touchant par cette maladresse, on ne peut pas dire que de Groux soit très habile non plus.

    La foi n'est pas héréditaire chez de Groux comme elle est chez Van Gogh (fils et petit-fils de pasteur) ; elle s'incarne dans un ami très proche, Léon Bloy (compagnon d'infortune, par qui il fut hébergé et qu'il hébergea quand ils furent, chacun leur tour, dans le besoin), polémiste catholique et anarchiste (!?) ("L'argent est le sang des pauvres.").

    En même temps qu'il est attaché à son ami Bloy, impressionné par sa foi intransigeante, qui tranche à ses yeux singulièrement avec le mode de vie bourgeois, de Groux demeure athée en secret, pour éviter d'être sermonné par son ami. Il confie dans son Journal qu'il se sent proche des peintres Delacroix ou Ingres qui, bien qu'ils honorèrent de nombreuses commandes religieuses, restèrent athées ou "rationalistes". Du catholicisme, de Groux n'admire que les ouvrages d'art, dont son ami Bloy se méfie au contraire.

    Une rupture durable interviendra entre les deux amis, dont l'affaire Dreyfus, et Zola en particulier, sont le facteur déclencheur. Tandis que de Groux ira jusqu'à défendre Zola physiquement, Bloy vitupère au contraire le défenseur du capitaine Dreyfus, l'accusant d'être un imposteur, un bourgeois retranché dans une villa cossue (sous-entendu : un faux messie). De Groux finira par rompre avec Bloy, effrayé de surcroît par l'épouse danoise du polémiste.

    De Groux sacrifia sa carrière à une incessante remise en question, tant spirituelle qu'artistique, ôwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,henry de groux,journal,inha,kimé,léon bloy,delacroix,géricault,baudelaire,beethoven,14-18,soldat,catholique combien éprouvante. En cela, de Groux est bien plus moderne que bien des modernes. Alors qu'il est déjà avancé en âge et dans la maîtrise de son art, sans doute mû par son enthousiasme pour les compositeurs modernes, Wagner en tout premier lieu, de Groux croit déceler en lui une vocation impossible de compositeur. Cette "découverte" le bouleverse.

    Les éditeurs et commentateurs de ce Journal en ont facilité la lecture en classant les notes de de Groux par thèmes (l'art, la vie, l'époque...) et en proposant un index des noms propres.

    Leur commentaire fait parfois croire que de Groux avait des goûts "classiques", ce qui est inexact. De Groux admire Géricault, et surtout Delacroix ; or ce dernier n'a rien d'un peintre "classique" ; son Journal indique au contraire que l'oeuvre de Delacroix contient toutes les clefs de l'art moderne, la volonté de fusion avec la musique tout d'abord. C'est d'ailleurs peut-être sur ce point que la connivence entre de Groux et Bloy s'établit ; et si le fanatisme catholique de Bloy et le fanatisme artistique de de Groux, dont l'absolu est musical, n'étaient que deux facettes d'une même religion.

    Le reproche adressé par de Groux à un certain nombre de ses contemporains n'est pas d'être trop modernes, mais de n'être pas assez "artistes", ce qui est bien différent. La conception de l'art de de Groux, à l'instar de celle de Baudelaire ou Nietzsche, implique une profonde aversion pour la démocratie.

    *Ci-dessus, portrait de Beethoven par H. de Groux.

    Henry de Groux (1866-1930) - Journal, éds Kimé/Institut national d'histoire de l'art, 2007.

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    Soldats de 14-18 équipés de masques à gaz, dessinés sur le vif par de Groux.

  • Le Mythe du Sauveur américain***

    Dominique Lormier bat en brèche dans son petit essai la légende du "sauveur américain". Alors quewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,mythe,sauveur,américain,dominique lormier,imposture,historique,14-18,bataille,marne,wikipédia,histoire,pierre de taillac l'intervention des forces armées américaines lors des récents conflits mondiaux est présentée comme décisive, l'auteur du "Mythe du Sauveur américain" affirme que le rôle des Etats-Unis est largement surestimé, et va jusqu'à parler "d'imposture historique" ; en ce qui concerne la 2nde guerre mondiale, l'auteur se borne à quelques indications ; sa démonstration rigoureuse porte sur la "Grande guerre" de 1914-18.

    Alors même qu'il est passé sous silence ou presque, le rôle de l'armée italienne fut plus important qui, en triomphant de l'Autriche-Hongrie, alliée de l'Allemagne, fit franchir au conflit une étape décisive vers la capitulation des troupes du Kaiser.

    "Le site Wikipédia, écrit D. Lormier, qui est aujourd'hui le site le plus consulté par les lycéens et les étudiants en histoire, verse dans la propagande américaine la plus délirante. On peut notamment y lire : "L'arrivée de l'American Expeditionnary Force sur le terrain fut l'une des clés de la victoire de la Triple-Entente." On y apprend notamment que l'Amérique a mobilisé environ 4 millions d'hommes, mais il convient de relativiser ce chiffre lorsque l'on sait que le nombre de soldats américains réellement présents en France ne dépasse pas 1.800.000 hommes, dont seulement 400.000 seront réellement engagés en première ligne. Sur ces 400.000 soldats, seulement 200.000 ont l'expérience du combat en 1918 !"

    Chapitre 1 : L'armée britannique est sauvée à deux reprises sans l'aide américaine ; chapitre 2 : L'armée française remporte quasiment seule la seconde bataille de la Marne ; chapitre 3 : Les combats limités de l'armée américaine ; chapitre 4 : l'apport capital et méconnu de l'armée italienne... une fois la démonstration faite en quatre brefs chapitres étayés sur des chiffres (le bilan des pertes américaines, comparé à celui des autres alliés de la France, par exemple), D. Lormier se penche en guise de conclusion sur la fabrication de cette légende. Il mentionne notamment le rôle joué par la presse illustrée et les dessinateurs de presse au service de la propagande du "sauveur américain". 

    La légende se nourrit de divers éléments, dont une propagande franco-américaine où le dessin a sa part, webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,mythe,sauveur,américain,dominique lormier,imposture,historique,14-18,bataille,marne,wikipédia,histoire,pierre de taillacprécédant ou relayant la propagande cinématographique. Moins nombreuses que les britanniques et peu aguerries en comparaison des armées européennes, les troupes américaines étaient soutenues par une logistique importante et impressionnante. L'entrée en guerre des Etats-Unis a donc eu un fort impact psychologique et a marqué une partie de la population civile française, de façon disproportionnée au regard de l'action concrète de ces troupes, dont l'auteur ne conteste pas la bravoure mais l'efficacité. L'arrivée en France du général américain Pershing fit ainsi l'objet d'une véritable mise en scène par les autorités françaises, désireuses de galvaniser les Français à la veille de batailles probablement décisives.

    Au long de son essai, D. Lormier souligne l'intelligence stratégique du général P. Pétain, plus économe en vies humaines que ses confrères. Cet élément permet de comprendre l'aura de Pétain en 1940, et le soutien assez large dont bénéficia l'ancien chef de guerre dans la population française.

    La sobriété de l'argumentaire de D. Lormier est une qualité, qui rend sa démonstration plus percutante ; mais c'est aussi une limite. En effet, avec tous ces bilans chiffrés et ces dates, cités par l'auteur à l'appui de sa thèse, on se situe plus près de la démonstration mathématique que de l'essai historique ; ce rapport circonstancié fait presque oublier l'horreur du carnage perpétré par les deux nations rivales. Certes, ce n'est pas le but de cette étude, cependant peut-on étudier les guerres modernes sans s'interroger sur leur férocité et les moyens humains extraordinaires mis au service de cette férocité ?

    D'autre part, il aurait été souhaitable que l'auteur, plutôt que d'employer le terme assez vague de "mythe", emploie celui de "propagande" ou de "roman national" ; ces deux expressions disent mieux la nature politique du mensonge ou de l'imposture historique. Quel meilleur thème que la guerre pour parler du roman national, dont le principal but est de mobiliser, en temps de guerre comme en temps de paix ?

    (Une signée Becan représentant en août 1918 un cow-boy frappant le Kaiser d'un "coup de poing américain".)

    Le Mythe du Sauveur américain (1917-1918) - Essai sur une imposture historique, par Dominique Lormier, éds Pierre de Taillac, février 2017.

  • Strip Lola

    Le strip hebdo de Lola, (par Aurélie Dekeyser)

    Contribution au projet "Mise à feu 14-18" de l'artiste Catherine Videlaine.

     

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  • Revue de presse BD (127)

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     Larges extraits de la revue de presse de la semaine pour ceux qui préfèrent les bons vieux liens traditionnels au webzine hebdo -mieux illustré- que nous publions chaque jeudi. Prochaine revue de presse le jeudi 11 déc.

    + Dans le dernier "Fecocorico" (octobre-novembre), organe bimestriel de la Feco-France (association de dessinateurs de presse) disponible en ligne, les amateurs de dessin de presse peuvent découvrir les coulisses du métier et le compte-rendus des festivals les plus récents. Sur le thème du "retour de Sarkozy", ce n° rajeunira en outre de quelques années les anciens adeptes du TSS ("tout sauf Sarkozy").

    Mention spéciale à l'article consacré à l'expo Bosc au musée Tomi Ungerer, ainsi qu'à un papier très fouillé (illustré de plusieurs exemples), sur l'importance des fables de La Fontaine, source d'inspiration récurrente pour les dessinateurs de presse français. "Le mérite de la fable est double : elle suscite le rire en même temps qu'elle donne une leçon de prudence." L'auteur de l'article (JMB) suggère que cette définition du fabuliste Phèdre peut s'appliquer à l'art de la caricature aussi. Comment ne pas approuver cette ligne de conduite ? D'autant plus que, par les temps qui courent, la politique a pris l'habitude de promettre bien plus qu'elle ne peut tenir, faisant ainsi courir à ceux qui s'y fient un risque accru.

    Quelques mots cependant pour récuser le mauvais procès fait aux caricaturistes qui, travaillant gratuitement, contribueraient ainsi à aggraver les menaces qui pèsent sur le métier de caricaturiste. Ce procès ressemble au reproche fait parfois aux jeunes auteurs de blogs-BD par des professionnels de la BD, d'accepter des pactes léonins. C'est une façon de nier que le marasme de la presse française est d'abord imputable à ceux, rédacteurs en chef et "sponsors", qui l'ont faite telle qu'elle est. En ce qui concerne le dessin de presse et la caricature, la politisation excessive de la presse a dangereusement rapproché la caricature de la propagande politique, assez loin du motif évoqué plus haut de faire rire et d'inciter à la prudence.

    + Fils et petit-fils d'officiers, Gustave Blanchot alias Gus Bofa (1883-1968) fut guéri de cet atavisme en prenant part au conflit mondial de 14-18 comme simple fantassin, y écopant de sévères blessures. Deux expos, l'une à Reims, l'autre à Paris (mairie du XVIIe) évoquent l'art teinté de cynisme ou de désespoir de Bofa. Sur certains points, Bofa diffère de Céline, non moins décillé par la guerre. En effet les sarcasmes de Bofa à l'endroit des médecins qui trouvent dans les champs de bataille un terrain propice à leurs expériences mi-sadiques, mi-scientifiques, font plutôt penser à Cendrars, également sévère avec cette corporation. A L.-F. Céline il fut permis, en raison de son passé militaire glorieux, d'étudier la médecine ; la correspondance de l'écrivain montre qu'il a foi dans la médecine, ce qui est une marque de positivisme.

    L'éditeur Cornélius a publié un recueil des dessins de Bofa visant les "toubibs", dont cette interview d'E. Pollaud-Dulian au magazine BD "Casemate" (!) rend compte.

    + Si ce n'est "immense", comme l'écrit "En Vue", le magazine des bibliothèques de Paris, à propos de l'écrivain Georges Simenon, mais du moins prolifique, le père du commissaire Maigret a été illustré par Loustal, dessinateur chevronné. Certains critiques n'hésitent plus à dégainer le superlatif comme dans certains polars trop musclés on défouraille à qui mieux mieux ; tandis que chez Simenon, au contraire, vice et crime sont tout ce qu'il y a de plus banals, comme la poussière sur les meubles ou les taches sur les vêtements. La bibliothèque des littératures policières (Bilipo, Paris Ve) propose une exposition de 70 dessins couleur et n&b de Loustal autour de Simenon (-28 février 2015) pour permettre de mieux connaître ces deux auteurs dont le rapprochement n'est pas évident.

    + Beaucoup de bruit pour rien autour de l'Américain Chris Ware qui publie un album de bd-gigogne, une sorte de joujou pour intellos façon Rubik's Cube, s'attirant ainsi les éloges de quelques snobs, fascinés de longue date par les ouvrages de rhétorique pure.

    Le blog-BD du "Monde", "Les Petits Miquets"a récemment interviewé Chris Ware. Celui-ci avoue plier son existence à une forme de déterminisme abstrait. Il exprime ce déterminisme dans un art qui procède d'une sorte de construction froide et millimétrée, vaguement ludique. C. Ware ne semble pas vouloir se révolter contre ce déterminisme, mais au contraire s'enfermer dans ces cases et cette rhétorique sécurisantes bien qu'ennuyeux. Pas d'humour non plus chez Chris Ware, comme dans les films de Jacques Tati, dont l'ironie s'exerce au détriment de l'architecture moderne, créant une brèche dans le système de représentation officiel de la réalité. Pas d'humour, sauf peut-être quand C. Ware conclut que son livre-jouet, lui, au moins, n'a pas besoin de piles pour marcher.

    + Le site belge Actuabd propose une interview de Jean-Luc Fromental, éditeur chez Denoël-Graphic, de Robert Crumb notamment, ou encore Alison Bechdel et Posy Simmonds (Gemma Bovery). Chargé il y a quelques années de créer un label BD au sein d'une maison d'édition ignorant jusqu'ici ce genre, cet éditeur évoque l'intrusion de la bande-dessinée comme une forme de genre littéraire nouveau dans des maisons d'édition généralistes. L'interviewé utilise une expression pour décrire la concurrence accrue des romans graphiques, il dit que la bande-dessinée est en train de "poldériser" le roman. Si l'interview nous fait visiter l'arrière-cuisine éditoriale, en revanche il ne creuse pas le phénomène. S'agit-il d'un phénomène de mode ? La vogue du roman graphique est-elle due aux difficultés croissantes des lecteurs à se concentrer sur une littérature plus ardue ? La formation au dessin de certains auteurs de romans graphiques leur permet-elle de voir et décrire les choses d'une façon alternative ?

    + Bien décidés à manifester leur mécontentement lors de la 42e édition du Festival d'Angoulême, les auteurs de BD mécontents d'une augmentation de leurs cotisations-retraite jugée excessive ont détourné l'affiche du festival (signée Bill Watterson), rebaptisé festival de la bande décimée.

  • Caricature 11-Novembre

    Le Journal de Suzette Zombi. Mardi : un journaliste affirmant que "François Hollande a le cuir épais et qu'il ne démissionnera jamais" m'a donné l'idée de ce dessin.

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  • Mathurin soldat****

    Le centenaire de la déclaration de la guerre de 14-18 a donné lieu à une rafale d’albums de BD sur cewebzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,mathurin soldat,maadiar,mathurin méheut,louis-ferdinand céline,lamballe,tardi,grande guerre,14-18,commémoration,blog-bd,van gogh,pélimantin thème, dont les éditeurs de sont emparé. Certains diront que ça valait quand même mieux qu’une nouvelle guerre mondiale pour fêter l’événement.

    Au milieu des célébrations, quelques couacs, dont le refus de J. Tardi de collaborer avec la mission du centenaire : «J'entendais déjà se prononcer des discours officiels bon teint qui allaient sublimer le magnifique sacrifice des soldats alors qu'on les a pris pour du bétail à l'époque. Je ne me voyais pas participer à cette mascarade.»

      Ce n’est pas facile d’être républicain et pacifiste en même temps ; ce n’est pas facile non plus, quand on évoque la « Grande guerre » comme Maadiar dans « Mathurin soldat », de passer derrière L.-F. Céline et son « Voyage ». Comment parler du crime de sang légal quand on n’a pas soi-même fréquenté ces ténèbres, dont il est difficile de revenir ? Désormais, dans le langage froid de la médecine moderne, on parle de « stress post-traumatique » ; et les frappes sont « chirurgicales » - autrement dit la science a pour vocation de dissimuler la bestialité.

      Quelques planches diffusées sur son blog-BD m’ont donné envie de lire la suite des aventures très vraisemblables,  très pitoyables et donc très humaines du soldat Mathurin et ses potes de tranchée. Heureusement, car je n’avais même pas compris que Maadiar fait revivre Mathurin Méheut, artiste-peintre breton monté au front. Si j’avais eu la bobine de Méheut en tête, je l’aurais reconnu car Maadiar l’a bien caricaturé. Dès le début de l’album, on le comprend, car la déclaration de guerre surprit Méheut au Japon, où il avait accompagné un savant naturaliste pour illustrer ses travaux.

      C’est astucieux de la part de Maadiar, lui-même artiste, de passer par le truchement du regard d’un peintre pour raconter la guerre. Il y a une quinzaine d’années, une exposition fut organisée à Rennes des croquis effectués par M. Méheut sur le front. Méheut était particulièrement doué pour le dessin sur le vif, et ses meilleurs croquis font penser à Van Gogh, quoi que la notoriété du Breton soit loin d’être aussi grande (à peu près inconnu en dehors de la Bretagne, il a un petit musée dans la ville de Lamballe). Dans la BD de Maadiar, on voit la femme de Méheut distribuer ses lettres illustrées autour d’elle, jusqu’à attirer l’attention de l’édile local, en mal de distractions patriotiques pour ses électeurs. Maadiar met cette phrase (apocryphe ?) dans la bouche de Méheut : « Une femme qui reçoit cinq lettres par semaine ne peut pas quitter son mari. »

      Nul effort pour tenter de rendre la guerre esthétique dans cet album, comme c’est le cas dans 99% des cas au cinéma. Du moins ce n’est pas une esthétique guerrière que celle de Maadiar, qui a plutôt essayé de restituer celle de Méheut. La BD est fidèle aux témoignages qui soulignent l’absence d’héroïsme de la guerre moderne, dans laquelle le simple soldat est le jouet du hasard (Félix Vallotton insiste sur l’aspect  « mathématique » de la guerre de 14-18 - guerre de polytechniciens irresponsables mais pas coupables) et le trouffion n’a pas plus de prise sur les événements qu’un politicien n’a de prise aujourd’hui sur la concurrence économique et ses conséquences.

      Aux jeunes engagés en quête d’aventure (le jeune Céline), la guerre moderne offre donc le contraire de ce que les sergents-recruteurs promettent – passivité, attente, contrainte accrue ; elle exige plus de masochisme que de sadisme. Comme elle s’étire en longueur, la guerre devient un turbin presque ordinaire, une routine, et les conversations entre soudards ressemblent à des conversations entre collègues de travail sur un chantier (où le casque et les masques sont de rigueur aussi). Les guerres romantiques appartiennent au passé, et la poésie est désormais au niveau de l’algèbre. Cela, Maadiar l’a bien rendu dans sa BD, en le soulignant par quelques cases ironiques ici ou là.

     Mathurin soldat – Un crayon dans le canon, par Maadiar, éds. du Pélimantin, 2014.