+ "J'ai choisi de dessiner le premier jour de la bataille de la Somme, car c'est à partir de ce moment-là que l'homme du peuple a cessé de se bercer d'illusions quant à la véritable nature de la guerre moderne..." Joe Sacco commente ainsi la fresque gigantesque qu'il a dessinée pour commémorer la bataille de la Somme (1916).
Joe Sacco emploie ici le mot juste : illusions.
La culture moderne est en effet une grande pourvoyeuse d'illusions ; lorsque "l'homme du peuple" est ramené à la réalité par les premiers éclats d'obus, il est trop tard.
Autrement dit, l'homme du peuple devrait se méfier de la "culture" autant qu'il faut se méfier du vin.
Les indices sont nombreux du rôle morphinique assigné par les élites culturelles à la culture moderne, dans tous les domaines. L'actualité fournit deux exemples : le premier ce sont les trente-six nuances de roman national qui se télescopent chaque fois qu'une grande cérémonie de commémoration est organisée. Chaque parti politique en profite pour entretenir sa petite ou grande illusion.
(Humain, trop humain ? : dans le premier épisode des aventures de l'incroyable Spider-Man (1963), celui-ci négocie avec les "Quatre Fantastiques" son salaire d'embauche comme un banal cadre commercial - déçu par l'offre de ses confrères, Spider-Man renonce à les aider.)
+ La culture de masse, qui trahit le plus nettement la vocation stupéfiante de la culture moderne, vient de perdre un de ses plus grands génies en la personne de Stan Lee, qui relança dans les années 60 l'industrie américaine du "comics" en passe d'être démodée par le cinéma.
Le personnage de "Spider Man", création de Stan Lee, est sans doute le plus fascinant. Son super-pouvoir décrit parfaitement le rôle joué par les intellectuels dans le piège culturel. On n'attrape pas les gosses avec du vinaigre : les producteurs de cinéma le savent très bien, et c'est ce qui donne à la culture de masse son goût sucré un peu écoeurant.
Quant aux intellectuels, leur rôle consiste à étouffer la critique pour étendre le piège. D'où la démarche inepte qui consiste à ériger la BD en "art". Quand bien même les "comics" constituent un matériel de propagande nationaliste grossier, les intellectuels les comparent à la mythologie grecque, qui n'a pas cette vocation nationaliste.
A travers la culture de masse on peut voir que le "populisme" n'est autre chose que l'effort (extrêmement coûteux) accompli par les élites pour maintenir le peuple au niveau de l'intelligence artificielle.
(Portrait de S. Freud par Dali)
+ On a souvent rapproché S. Freud et l'art d'analyser les rêves avec les artistes surréalistes. Il semble que ce soit un malentendu et un contresens si l'on en croit l'article de Natacha Nataf dans le magazine "Beaux-Arts" (novembre), qui rapporte les préventions du médecin allemand vis-à-vis d'un art teinté de folie.
Pour preuve ce bon mot du père de la psychanalyse, rapporté par Dali au cours d'une rencontre qu'il avait sollicitée : - Dans les tableaux classiques, je cherche le subconscient, dans les oeuvres surréalistes, je cherche ce qui est conscient.
[Quand deux rapaces se rencontrent, de quoi parlent-ils ? De charogne-art !]
Commentaires
Tu crois pas que ton accusation des intellectuels est trop générale ?
Si tu commences à être aussi vigilante à propos des produits culturels que tu consommes que tu l'es à propos des produits industriels que tu ingurgites, tu vas vite vérifier ce que je te dis : les intellectuels jouent bien un rôle actif afin d'étouffer la critique et d'empêcher une "démarche culturelle constructive".
Tu vas te rendre compte peu à peu que la valeur de la culture contemporaine est celle d'un produit stupéfiant. Cela fait deux excellentes raisons de s'y opposer : 1/Le bonheur ; 2/La science.
H. Arendt écrivait au début des années 50 : "Il faut dire que les plus actifs promoteurs de la culture de masse ne sont pas ceux qui la produisent eux-mêmes, MAIS UNE SORTE PARTICULIERE D'INTELLECTUELS, souvent bien lus et bien informés, dont la fonction exclusive est d'organiser, diffuser et modifier des objets culturels en vue de persuader les masses qu'"Hamlet" peut être aussi divertissant que "My Fair Lady", et, pourquoi pas, tout aussi éducatif."
Je pourrais citer cinquante exemples précis de cette "sorte particulière d'intellectuels".