Après avoir dit tout le bien que je pensais du premier tome des aventures de Pablo Picasso, par Birmant et Oubrerie, je me suis abstenu de faire la critique du second tome, moins léger. On retrouve dans le troisième tome le ton de l’esquisse légère pour brosser le portrait du peintre qu’il est convenu de considérer comme le Michel-Ange des temps modernes, et qui ambitionna, de fait, d’atteindre le sommet de l'art.
Plus intellectuel que Picasso, Delacroix mentionne dans son «Journal» que, contrairement à la musique, qui exige des œuvres les plus parfaitement composées, l’esquisse vaut souvent mieux en peinture que le produit fini destiné à satisfaire le commanditaire…
Ma comparaison est ici avec des biographies pesantes, pleines de références et qui se veulent exhaustives, mais tombent dans les détails superflus, voire souvent le piège de l’hagiographie en ce qui concerne Picasso, afin d’en faire une gloire nationale.
L’habileté du scénario de Julie Birmant consiste à mettre les personnages « secondaires » en avant, et à décentrer au maximum sa biographie de Pablo, ce qui permet de gommer l’image d’Epinal du « monstre sacré », et de rendre l’artiste plus humain. D’ailleurs l’œuvre d’un artiste qui vise la gloire comme Picasso, ne s’élabore pas exclusivement en son âme et conscience. Il tient compte de ses contemporains, ou au moins de son entourage proche, surtout lorsqu’il est composé d’artistes comme Max Jacob et Apollinaire, ou d’amateurs d’art comme Gertrude Stein, que l’on voit traiter Picasso comme son poulain. Les caractères sont bien traités, d’une manière caricaturale mais sans excès, suivant une méthode qui permet d’en saisir le caractère. Max Jacob dans le premier tome, étonné et séduit par tant de primitive virilité chez son ami Pablo ; Matisse fait office de contrepoint dans le dernier, tant son tempérament policé diffère de celui du brutal Espagnol. Le scénario fait bien d’insister sur la virilité, voire le machisme de Picasso, dont l’art n’a pas toujours l’heur, en effet, de plaire aux femmes, a contrario de Gertrude Stein, dont la BD de Picasso nous dit qu’il a voulu la portraiturer comme une pierre. Je fais référence ici à la biographie d’une autre Américaine, qui s’est appliquée à démolir la statue de Picasso, pour la seule raison de cette virilité débordante (Arianna Stassinopoulos-Huffington). Au demeurant, on peut se demander si le seul lien véritable entre Picasso et le parti communiste ouvrier n’est pas, précisément, cette virilité, vu l’indifférence manifestée par Picasso pour l’idéologie ou la politique ? (la mentalité de Picasso est très éloignée de la dévaluation de l'idée de "génie artistique" par K. Marx).
Pour le défaut de ce «biopic», et bien que le dessin de Clément Oubrerie soit assez enlevé, je mentionnerais la colorisation des planches, estimant le noir et blanc à la fois mieux adapté à la BD en général, et à l’art d’un peintre assez sculptural.
La biographie de Birmant et Oubrerie permet de suppléer autant que possible à l’enseignement de l’histoire de la peinture, presque parfaitement sinistré en France, ou recouvert du leitmotiv de l’art numérique, qui dissimule mal son objectif de promotion des gadgets technologiques. Des esprits moins ronchon que le mien diront que cela permet au moins de préserver l’art du manque de saveur des matières enseignées à l’école… et ils auront sans doute raison.
Pablo-Matisse (T.3), J. Birmant & C. Oubrerie, Dargaud, 2013.
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