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KRITIK - Page 8

  • Loving Vincent***

    Ce dessin-animé à partir des toiles de Van Gogh, racontant la fin dramatique de l'artiste, est le projetwebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,caricature,van gogh,loving,dessin-animé,hugh welchman,dorota kobiela,théo,arles,shakespeare,villiers de l'isle-adam,artaud d'un couple anglo-polonais (Hugh Welchman & Dorota Kobiela), assistés par des centaines de peintre recrutés par petites annonces.

    Prouesse technique, sans doute, que d'assembler des milliers d'images peintes sur toile pour former un film, néanmoins l'art de Van Gogh est tout sauf une prouesse technique ; Van Gogh signe des toiles qui émeuvent par leur simplicité. Shakespeare fait cette remarque que la rose, poussée et épanouie au centre du jardin, une fois fanée ne soutient même pas la comparaison avec l'herbe folle du bord des routes ; Van Gogh est cette mauvaise herbe qui éclipse un art devenu académique - pure perspective de voyeur.

    Ce n'est d'ailleurs pas une performance d'animer les toiles de Van Gogh, car comme le confesse H. Welchman, "la peinture de Van Gogh remue".

    Pour le moins discutable sur le plan esthétique -parfois la lourdeur technique inhérente au cinéma se fait sentir-, "Loving Vincent" permet de s'approcher sans voyeurisme excessif du "suicidé de la société", tel que A. Artaud résume Van Gogh justement, contre la tentative de faire entrer le peintre dans un tableau clinique.

    Sautant de tableau en tableau, on suit les pérégrinations d'un jeune modèle de Van Gogh rencontré en Arles, que son père charge d'acheminer une lettre de Vincent à Théo, peu après la mort du peintre des suites d'une blessure par balle. Cela commence minable, comme une enquête de police ; qui plus est, les circonstances de la mort du peintre, présumé suicidé, sont troubles, et les histoires crapuleuses la société aime ça, pour ne pas dire qu'elle l'adore.

    On comprend mieux grâce à cet enchaînement de petites mailles biographiques que l'art de Van Gogh forme un tout, dont on ne peut isoler telle ou telle toile. Vincent est pratiquement indissociable de son frère. Sa peinture est aussi étroitement liée à une quête d'infini, dévoilée par l'abondante correspondance ; Van Gogh est plus "chercheur" qu'artiste. Elle est aussi indissociable de l'insensé pari d'un pur autodidacte, venu à la peinture à l'âge de... 28 ans, et dont le temps est compté.

    Difficile de ne pas croire au destin, après la cruelle ironie de la "gloire posthume" infligée à Van Gogh, ce faisceau de lumière sale, qui contraste de façon saisissante avec la quête de pureté de Vincent.

    On pense ici à la fable conçue par Villiers de l'Isle-Adam, du cygne étranglé par un bourgeois à la nuit tombée, afin d'en recueillir le dernier chant mélodieux.

    La Passion Van Gogh ("Loving Vincent"), par Dorota Kobiela & Hugh Welchman (Good Deed Entertainment) 2017 (à partir du 18 oct. en salles).

     

     

     

  • D'une Apocalypse à l'autre****

    Réédition augmentée et révisée d'un bouquin de Lionel Richard (1976) traitant de la production intellectuelle etwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,lionel richard,apocalypse,aden,expressionnisme,anarchisme,die brücke,aktion,der sturm,rosa luxembourg,karl liebknecht,nouveau testament,blochevik,hegel,nietzsche,marx,lénine,hitler artistique allemande de la fin du XIXe siècle à la fin des années 1930.

    L'auteur fait la lumière sur cette période de foisonnement intellectuel et artistique méconnue de ce côté-ci du Rhin, période qui précède immédiatement l'accession au pouvoir de Hitler et du parti nazi.

    Plusieurs chapitres détaillés et illustrés par les couvertures illustrées des nombreux journaux qui soutinrent cette effervescence sont précédés de la thèse suivante : l'apocalypse chrétienne hante la culture allemande, profondément marquée par la Réforme protestante et son imagerie, associée à l'émancipation culturelle de la population allemande. L'apocalypse est la toile de fond de la révolution artistique, politique et culturelle que connaît l'Allemagne au tournant du siècle (nation alors en forte expansion démographique et économique).

    "La religion et les luttes religieuses ayant profondément pénétré toute l'histoire de l'Allemagne et sa vie politique depuis la Réforme, la littérature et la peinture allemandes ont été envahies de références à l'Apocalypse, sur la base de son évocation dans le texte chrétien du Nouveau Testament."

    Aux lecteurs français, Lionel Richard rappelle le double aspect de la prophétie chrétienne, catastrophique d'une part, mais aussi réconfortante d'autre part, car synonyme d'avènement d'une ère nouvelle pour les "justes".

    La violence des événements politiques, économiques et militaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècles donnent aussi consistance aux yeux des élites culturelles allemandes à l'idée de catastrophe ultime et d'effondrement d'un monde dominé par Satan.

    L'auteur délaisse le plus souvent cette thèse pour mieux s'attacher à l'évolution des différents mouvements qui s'enchevêtrent au cours de cette période, plus connus sous le terme générique d'"expressionnisme", étiquette à laquelle il est difficile de donner un sens précis autre que la revendication d'une rupture avec le passé culturel bourgeois de l'Allemagne (sur le plan esthétique, l'expressionnisme est particulièrement équivoque).

    Proche de cet "expressionnisme" se situent divers courants alternatifs comme le dadaïsme, "die Brücke" (le "Pont"), et les gazettes sur lesquelles ces courants de pensée s'appuyaient ("Der Sturm", "Aktion"...). L'auteur rappelle néanmoins au fil des chapitres l'usage d'un vocabulaire nettement connoté par les acteurs de cette tentative de révolution culturelle, qui se caractérise aussi par la fusion de l'art et de la politique. Il cite ainsi Rosa Luxembourg, parlant de "chemin de Golgotha de la classe prolétarienne" ; ou encore Karl Liebknecht : ceux des prolétaires qui sont encore endormis finiront par s'éveiller comme "sous les trompettes du Jugement dernier". Pour Ehrenstein, Jésus-Christ est "le premier des bolcheviks".

    Une parenthèse à propos de cette thèse d'une culture révolutionnaire allemande para-chrétienne ou para-apocalyptique ; cette thèse sort renforcée de la lecture de Hegel ou Marx, par lesquels les intellectuels allemands demeurent influencés à la fin du XIXe siècle. En effet, selon Hegel, le mouvement de l'Histoire est chrétien ; la révolution française de 1789 traduit un progrès de l'esprit du christianisme dans le monde et la société occidentale ; sur le sujet du christianisme, K. Marx est plus ambigu, mais sa prose a souvent les accents millénaristes que l'on retrouve ultérieurement chez Rosa Luxembourg ou Karl Liebknecht. En outre Marx voit dans la culture républicaine le prolongement du cléricalisme catholique, les instituteurs prenant la relève des curés afin d'inculquer au peuple la soumission à l'Etat (Marx a décrit la France comme la moins révolutionnaire des nations européennes).

    La philosophie réactionnaire de Nietzsche, qui exprime la haine de l'anarchie et du communisme a contrario, confirme aussi cette thèse. En effet Nietzsche est animé par une germanophobie viscérale, car il considère les Allemands comme un peuple marqué par le christianisme (notamment les milieux prolétariens ou anarchistes). L'exécration peu discrète de Nietzsche du peuple allemand empêchera Hitler de lui ériger une statue, bien qu'il partageait le voeu de Nietzsche de restauration de l'ordre moral contre l'art moderne décadent, car "judéo-chrétien".

    Dernière confirmation, l'attitude française vis-à-vis du bouillonnement culturel allemand, à laquelle l'auteur consacre un chapitre entier. Cette attitude oscille entre l'indifférence et le mépris pour la production artistique et littéraire allemande, perçue comme régionaliste et très inférieure à l'art français. Hier plus encore qu'aujourd'hui, les élites françaises étaient indifférentes au reste du monde, ainsi qu'à l'Histoire, qui se confondrait presque du point de vue français avec la notion de patrimoine.

    On mesure ici à quel point l'idéologie européenne, essentiellement allemande, colle mal avec la mentalité française autarcique, même si la défaite française de 1940, suivie de la domination culturelle des Etats-Unis (nation germanique), pèse depuis dans le sens inverse.

    Cependant on ne peut considérer cette révolution culturelle allemande comme l'illustration ou le produit de l'apocalypse chrétienne ; le lien n'est pas moins lâche ici qu'il s'avère entre la récupération du Nouveau testament par les élites catholiques (monarchie de droit divin/providentialisme/hégélianisme) ou, plus récemment, par la "théologie de la Libération" des révolutionnaires américains. Il reste que la référence au texte chrétien semble incontournable, que l'on se situe du côté des élites dominantes en place, ou bien que l'on veuille révolutionner l'ordre social.

    L'essai explore d'autres aspects intéressants, tel le rapport du mouvement révolutionnaire allemand avec son voisin russe communiste. Le mouvement allemand est plus "anarchiste", c'est-à-dire plus idéaliste et moins tourné vers la conquête du pouvoir que la révolution bolchevique. Pour certains intellectuels et activistes politiques allemands influents, il ne peut être remédié à la violence par une autre violence ; ils préfèrent en appeler à la force de l'Esprit (aux contours assez vagues). De leur côté les bolcheviks, Lénine en tête, ont ironisé sur la pusillanimité des mouvements révolutionnaires allemands, leur impuissance à évincer la démocratie libérale. Hitler, lui, ne reculera pas devant l'usage de la violence pour s'imposer.

    Par ailleurs l'intellectualisme de la révolution culturelle allemande, qui expose trente-six nuances d'anarchisme et de socialisme, est cause d'une césure avec le prolétariat, là où les partis nazi et soviétique usèrent de mots d'ordres démagogiques pour susciter l'adhésion massive.

    Le déclin de cette révolution culturelle est de surcroît analysé ; Lionel Richard dissuade de voir dans la gravissime crise économique que traverse l'Allemagne après la guerre la seule cause d'essoufflement de ce mouvement, mais il pointe aussi l'embourgeoisement des milieux anarchistes, évolution qui évoque le destin du mouvement (plus limité) de "Mai 68" en France, dont les figures emblématiques représentent désormais, non plus la contestation mais le conformisme.

    Le bouillonnement intellectuel de l'Allemagne de la première moitié du siècle fait aussi ressortir la platitude de la production contemporaine, allemande ou occidentale en général, une contre-culture complètement anémiée. L'idéal de la construction européenne apparaît comme principalement économique, c'est-à-dire mercantile. La vie intellectuelle et artistique se retrouve presque dans l'état de léthargie qui précéda, en Allemagne, la révolte contre les institutions bourgeoises.

    D'une Apocalypse à l'autre, par Lionel Richard, ed. Aden, 2014.

  • Chantier interdit au public***

    Le soupçon qui pèse sur la presse de manquer d'indépendance stimule la production de reportages en BDwebzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,critique,claire braud,casterman,btp,sociorama,politiquement correct,esclavage,exploitation,antiracisme ; nous avions fait ici l'éloge de "La Banlieue du 20h" (Casterman), qui explore les coulisses peu reluisantes de la fabrique de l'info sur un sujet dont l'enjeu politique est majeur... incitant à s'interroger sur le rôle du mensonge dans la démocratie moderne.

    Dans la même collection, Sociorama, Claire Braud met son dessin expressif (c'est une qualité requise pour faire du bon reportage-BD) au service d'une enquête sur les conditions de travail dans les bâtiments et travaux publics (BTP). Le terme d'esclavage ne paraît pas ici excessif pour résumer dans quelles conditions les ouvriers noirs et arabes sont triés et dirigés sur les chantiers en France.

    Le travail dans les champs de coton de Louisiane était peut-être plus pénible encore ? ou dans les mines de Mittal actuellement en Ukraine ? sur les chaînes de fabrication des gadgets électroniques destinés aux clients occidentaux en Chine ? On peut toujours établir des nuances et des degrés dans l'esclavage - il y en a. De même il est difficile de situer la limite de l'abus, dans une société où l'éloge du travail et du sacrifice sont quasi-systématiques -de sorte que l'abnégation est parfois volontaire ; certains salariés se tuent à l'ouvrage de leur propre chef.

    On peut déduire de cette enquête de terrain que l'antiracisme en vigueur est surtout une façon de se donner bonne conscience. Le reportage montre que les précautions de langage antiracistes ont cours aussi sur les chantiers, où on ne parle pas de "nègres" ou de "bicots", mais plus gentiment de "boubous" et "d'Arabes" - autrement dit le fait de l'exploitation réelle s'accommode parfaitement de la contrainte du "politiquement correct".

    Le métier de contremaître aujourd'hui n'est sans doute pas une chose aisée , en effet, outre l'aptitude à conduire les travaux et diriger les travailleurs avec la brutalité que les matériaux et les délais imposent, il faut être capable de transgresser la norme tout en feignant de la respecter. Ainsi les Africains sont appréciés sur les chantiers en raison de leur docilité (certaines races sont plus dociles que d'autres, suivant une nomenclature tacite), de leur résistance physique et de leur discipline, mais aussi de leur réticence à appliquer des normes de sécurité trop complexes, qui ont pour effet de retarder les chantiers et de faire perdre de l'argent aux cartels du BTP.

    La BD de Claire Braud est sans doute utile à la veille du chantier pharaonique des Jeux olympiques à Paris, promu à l'aide de tout le savoir-faire "politiquement correct" requis (l'exhibition assez indécente de personnes handicapées, sachant combien pèse la frénésie concurrentielle dans le bilan des accidents du travail et de la route).

    Chantier interdit au public, par Claire Braud, ed. Casterman, 2017.

  • Le Chant du Cygne (9)

    Petit feuilleton historique estival (dernier épisode)

    Cubistes et cônistes

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total dans l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

    1911 ? : Passons maintenant à cette exposition des cubistes qui obtient l'inéluctable succès de fou rire webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,journal,léon bloy,kimé,cubisme,cônisme,égyptiens,obélisque,phallus,fernand léger,salon,automne,1911auquel elle ne semblait même pas avoir prétendu, et les admirations farouches et convaincues jusqu'au désespoir, que nous fûmes les premiers à lui accorder.

    On a beaucoup écrit sur leur compte, mais ni leurs railleurs ni leurs défenseurs ne semblent avoir pénétré la véritable signification de cette manifestation picturale.

    En tout cas, aucun ne s'est rendu compte du véritable degré de maturité de ces prétendus novateurs.

    Pour ce qui est de la signification, je suis au regret de ne pouvoir rien dire sur ce sujet, plût à Dieu que j'eusse même pu en pénétrer la moitié du quart. S'il faut être astronome pour parler d'astronomie, on peut parler du ciel sans être astronome !

    Quant au reste, je pourrai peut-être donner à messieurs les cubistes eux-mêmes, sur leurs devanciers ou leurs ancêtres, certains renseignements qu'ils ignorent probablement...

    On s'accorde généralement parmi les orientalistes et les égyptologues explicateurs de symboles pour considérer la forme architecturale "obélisque" comme symbolisant le même principe que les "lingams" hindous et les "phallus" grecs. On admettra dans ce cas chez les Egyptiens une volonté d'interprétation cubiste indéniable ; car jusqu'à ce jour, rien ne semble avoir démontré chez les Egyptiens une conformation anatomique différent aussi sensiblement de la nôtre.

    Je me permets de passer ce tuyau à messieurs les cubistes en toute loyauté et d'annoncer aux fanatiques du Nouveau, et par conséquent des "cubistes", qu'ils ont fait une simple erreur et qu'ils ne saluent en réalité que les derniers rejetons décadents et atrophiés (combien) de la grande race des tailleurs de pierre symbolistes de la très vieille Egypte.

    - Puissance de diffusion du cubisme.

    - Puissance de pénétration du cônisme.

    - Comme avec Cézanne, H. de Groux fait preuve d'ironie avec les "cubistes", qu'il découvrit sans doute au Salon d'Automne de 1911.

    Rêvant d'une modernité plus spirituelle, H. de Groux s'agace des recherches purement formelles des suiveurs de Cézanne, et considère ce dernier comme un petit maître monté en épingle par quelques marchands.

    - Ci-dessus "Les Nus dans la Forêt" de Fernand Léger, exposé au Salon d'Automne de 1911 où cette peinture fit "sensation".

  • Les Chemins de Fortune***

    Le titre original : "Histoire générale des plus fameux pyrates" dit mieux que le titrewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,daniel defoe,pyrates,michel le bris,caraïbes,barbe noire,djihadiste,utopiste,mai 68 donné à la nouvelle édition (et traduction) récente l'intention de l'auteur d'édifier ses lecteurs par un ouvrage sérieux : "Je ne doute point que l'on ne soit curieux d'apprendre l'origine et les progrès de ces hommes désespérés, qui ont été la terreur de tous les négociants du monde."

    "Robinson Crusoé", grâce à qui tout le monde connaît Daniel Defoe, est aussi largement inspiré de faits réels et n'a pas pour seul but de divertir.

    A travers le récit de l'existence mouvementée de quelques fameux pirates (et piratesses !), D. Defoe veut donner de la piraterie une idée générale en faisant la part de la légende ; il suggère même quelques idées pour endiguer le fléau. On a du mal à se représenter aujourd'hui la menace que les pirates firent planer sur l'entreprise coloniale et le commerce international.

    Le Breton Michel Le Bris (fondateur du festival "Etonnants voyageurs" à St-Malo) s'est fendu d'une longue préface dithyrambique ; il clame que les récits sont authentiques, ce qui n'est pas sûr étant donné que Daniel Defoe a écrit quelques récits de voyage présentés comme "authentiques", alors qu'ils ne l'étaient pas (mais des romans bien documentés). Selon M. Le Bris, des travaux historiques récents corroborent les récits de Defoe. De fait, si Defoe décrit une organisation criminelle mieux organisée qu'on ne pourrait penser, il semble sincèrement vouloir dissiper les légendes et y mettre une vérité documentée à la place.

    Certains épisodes paraissent parfois "trop beau pour être vrais", telles ces deux femmes pirates, entraînées depuis l'enfance à porter des vêtements masculins, dont les destins finissent par se croiser à bord d'un bateau pirate où elles font carrière en masquant leur sexe : l'une tombe amoureuse de l'autre, qui pour repousser ses avances doit se dévoiler, et la romance tombe à l'eau. Cela dit il y eut quelques (rares) cas de femmes enrôlées comme des hommes dans l'armée et qui parvinrent à tromper leurs compagnons d'arme assez longtemps. Et puis ne dit-on pas que la réalité dépasse la fiction ?

    La suite du propos de Michel Le Bris est moins convaincante ; elle s'articule en deux temps. Celui-ci prétend d'abord que l'on peut reconnaître dans la piraterie un embryon d'utopie sociale, de contre-société, évoquant même à l'occasion le souvenir de Mai 68. Mais D. Defoe décrit des hommes qui, le plus souvent trahissent, violent, tuent, revendent les esclaves nègres des navires qu'ils pillent, maltraitent à l'occasion les populations indigènes côtières... Hiérarchie et discipline ne sont certes pas aussi stricts à bord des navires pirates qu'ils peuvent l'être dans la marine de guerre britannique, espagnole ou française... mais comment en serait-il autrement ? On ne voit pas bien quelle sorte d'utopistes pourrait apprécier cette comparaison ?

    Quant aux causes de la piraterie, D. Defoe se montre, si ce n'est indulgent, du moins nuancé ; il n'impute pas le développement de la piraterie au seul satanisme violent d'équipages de marins révoltés, mais souligne que les conditions de vie infernales des marins, non seulement en mer, mais une fois rendus à terre, le plus souvent sans emploi ni argent, faisaient de la piraterie une tentation très forte ; beaucoup de marins y voyaient une possibilité d'améliorer leur sort, et pour quelques-uns ce fut le cas.

    Moins convaincant encore l'argument de M. Le Bris selon lequel D. Defoe ferait l'apologie discrète de la piraterie à travers son "histoire générale". Le Bris écrit : - Et il en va de même de son attitude face à la piraterie, où semblent se mêler horreur et fascination, comme s'il avait trouvé chez ces sombres brutes tel écho secret à une part obscure de lui-même. A ce compte là, on pourrait en dire autant sur ceux qui se penchent et se repenchent sur les tueurs en série ou les massacres des nazis. D. Defoe décrit sans doute le courage physique et l'aspect terrifiant du capitaine Teach, alias "Barbe-Noire", comme extraordinaires, mais non fascinants ; en matière de sensationnalisme, on a fait beaucoup mieux depuis.

    L'actualité récente incite à une autre comparaison : celle des pirates avec les "djihadistes" de l'Etat islamique. On note quelques points communs : comme les pirates, les djihadistes ont parfois appris leur métier dans le rang d'armées régulières. Entre les pirates et la marine de guerre, il y a l'échelon des corsaires, "pirates accrédités" en temps de guerre entre deux grandes puissances ; or on sait que certains groupes terroristes sont parfois armés par des Etats puissants.

    Il y a eu, à l'époque des pirates, un "romantisme pirate", qui pouvait fasciner certains marins, comme aujourd'hui le "djihad" peut paraître une aventure à de jeunes hommes et femmes. Il y a peut-être surtout en commun cet Etat islamique, refuge ou "base arrière" pour tous les djihadistes, comme les pirates tentèrent d'organiser une base arrière dans les Caraïbes ; dès lors qu'ils semblèrent une menace sérieuse contre leurs intérêts, toutes les grandes nations coloniales se liguèrent contre cet Etat-pirate.

    "Les Chemins de Fortune ou Histoire générale des plus fameux pyrates" (2 tomes), par D. Defoe, éd. Libretto, 2009.

     

     

     

  • Le Chant du Cygne (8)

    Petit feuilleton historique estival

    La grande aventure

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total dans l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

    23 janvier 1899 : C'est une idée qui semble de plus en plus se répandre parmi les jeunes artistes les mieuxwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,journal,léon bloy,kimé,delacroix,wagner,christianisme,villiers de l'isle-adam doués de notre génération, que la préoccupation contemporaine, même dans ce qui en constitue plus ou moins l'élite, est absolument étrangère à l'Art. C'est peut-être après tout une vue assez superficielle et au demeurant assez vaine. Il n'y aurait plus qu'un artiste obscur et passionné de son art sur la terre que l'art demeurerait avec son prestige immortel, aussi bien que le Christianisme serait inébranlable et intact s'il n'y avait plus qu'un chrétien fidèle aux enseignements du sermon sur la Montagne et aux Sacrements de l'Eglise.

    Et puis n'y a-t-il pas le prodigieux exemple, l'événement vraiment phénoménal dans l'histoire de l'art que sont Richard Wagner et son oeuvre formidable ?... C'est en effet, comme l'a dit Villiers [de l'Isle-Adam], la Légende moderne.

    Et, en somme, n'est-ce pas rassurant, en définitive, pour ceux qui voudraient encore tenter la grande aventure ?

    - Le plus moderne chez Henry de Groux est ce rapprochement, qui ne va pas de soi, entre l'art et l'aventure. Un autre trait significatif est le parallèle que ce peintre trace entre l'art et la foi. Loin de se tenir à distance l'un de l'autre, l'art et la foi se télescopèrent chez de Groux tout au long de son existence ; on peut même rattacher les épisodes de "folie" qui ont émaillé sa vie à cet effort pour être fidèle à deux idéaux contradictoires, qui provoqua plusieurs fois le déchirement intérieur. De Groux ne parvient pas complètement à être un homme de foi, de même qu'il est un artiste inachevé.

    Ce n'est pas un hasard si, à la suite de Delacroix, de Groux fait grand cas de la musique, le plus mystique des arts.

    - Buste de Richard Wagner par de Groux, qui peignit aussi plusieurs portraits à l'huile et au pastel de ce compositeur dont la musique le bouleversait.

  • Le Chant du Cygne (7)

    Petit feuilleton historique estival

    Sur Ravachol et les anarchistes

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

    23 Avril 1892 : Conversation sur Ravachol et les anarchistes qui "continuent". Illusion grave de leurwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,ravachol,anarchiste,libertaire,bourgeois,flavio costantini,illustration,journal,léon bloy,kimé prestige.

    En présence de la parfaite exécrabilité du monde bourgeois, il est évident que leurs théories sont faites pour séduire, et même qu'elles séduisent, mais je dois avouer que tous les croyants de ces "temps nouveaux" qu'il m'a été donné d'observer d'un peu près, la plupart de ces farouches libertaires sans Dieu ni maître autre que leur orgueil de brute et leur surmuflisme n'étaient que des pleutres et de plus ou moins transcendants voyous.

    Passe encore pour les dynamiteurs russes qui sautent avec leurs victimes. Ceux-là ont du moins de la crânerie et l'échange qu'ils font de leurs peaux contre celles des autres est relativement équitable. Ils font figure de justiciers.

    Mais que penser de ces drôles qui se sauvent dès qu'ils ont placé au petit bonheur une boîte à sardines sous une porte cochère, laquelle en éclatant ne tue jamais que ceux qu'ils ne voulaient pas viser...

    - Des innocents ?

    - Il n'y a pas d'innocent, me disait l'un d'eux !

    Dans tous les cas, c'est le "saint" du jour.

    - "Bien qu'Henry de Groux soit un inclassable, sa pensée s'inscrit manifestement dans le courant de subversion qui, de Baudelaire à Huysmans en passant par Villiers de l'Isle-Adam, se caractérise par la remise en cause de la société bourgeoise et de ses valeurs, comme, à l'opposé, des idéologies sociales du XIXe siècle.", précise Th. Schlesser dans sa préface au Journal de de Groux.

    - H. de Groux n'est pas issu d'une famille aristocratique (son père était artiste-peintre), mais l'aristocratie (qu'il rapproche de l'art) est la voie qu'il choisit pour échapper à la vie et aux conventions bourgeoises.

    - Illustration ci-dessus représentant l'arrestation de Ravachol (par Flavio Costantini).