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KRITIK - Page 9

  • Paris La Rouge*

    Catalogue par Rémi Kauffer (éd. Perrin) des personnages et mouvements révolutionnaires et terroristes quiwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,paris,rouge,rémi kauffer,perrin,le point,le figaro,lénine,marx,bakounine,pol pot,engels,terrorisme,révolution ont trouvé refuge au cours des derniers siècles dans la capitale française, à compter de Bakounine et Marx jusqu'aux "Irlandais de Vincennes" et aux djihadistes musulmans.

    "Catalogue" est ici volontairement péjoratif car l'ouvrage de R. Kauffer s'apparente à une énumération ; de colonne vertébrale on ne distingue pas. Le bouquin repose sur le constat de la quantité : quantité d'apôtres ou d'acteurs de la révolution, de Bakounine à Pol Pot en passant par Lénine, Blanqui, les Brigades rouges, etc., a fait escale à Paris, le plus souvent fuyant la police, profitant d'une relative tranquillité pour y échafauder leurs plans de révolution(s).

    Paris a été le théâtre de plusieurs soulèvements révolutionnaires : cela fut-il un motif pour des révolutionnaires en herbe de s'y réfugier, ainsi que le suggère R. Kauffer ? Peut-être indirectement, mais il ne faut pas sous-estimer des motifs plus pragmatiques, comme la position géographique centrale de Paris, plus facile d'accès que Londres.

    Le cas de Marx est significatif, car il se rendit avec sa famille en priorité où la police ne les traquait pas encore ; leur fuite s'achèvera à Londres, où Marx trouva le meilleur accueil (et la meilleure bibliothèque) ; du reste l'admiration de Marx pour les révolutions françaises est très mitigée.

    R. Kauffer rapporte que Lénine détestait Paris ("trou infect"), préférant de loin être exilé en Suisse.

    "Paris La Rouge" fourmille de détails sur le séjour à Paris de révolutionnaires souvent adeptes de la violence, dont l'auteur tente tant bien que mal (la place est comptée) de résumer les idéologies.

    Comme Rémi Kauffer collabore au "Figaro magazine" et au "Point", deux organes de presse en charge de la propagande de quelques industriels capitalistes français, rien d'étonnant à ce que son recueil soit plus idéologique qu'historique.

    Tout d'abord, en amalgamant des mouvements terroristes et révolutionnaires assez divers, R. Kauffer s'efforce de discréditer les uns à l'aide des autres. Ainsi la violence actuelle des djihadistes, qui choque de nombreux Français (bien plus que la violence des milliers d'accidents de la circulation imputables à l'industrie automobile), cette violence est faite pour raviver le souvenir des attentats révolutionnaires et anarchistes perpétrés au cours des siècles passés, non moins effrayants.

    Une telle rhétorique occulte ou dissimule autant que possible la violence et la privation de liberté contenue dans la notion "d'ordre public".

    En pointant la responsabilité de l'école républicaine actuelle et la suppression du service militaire (!?) dans le terrorisme contemporain, R. Kauffer suggère que les djihadistes sont des personnes mal éduquées ; de là à dire que le terrorisme est entièrement dépourvu de légitimité, il n'y a qu'un pas. Exit l'ingérence des Etats occidentaux dans la plupart des gouvernements du Tiers-Monde afin de favoriser l'exploitation de leurs ressources en main-d'oeuvre et richesses minières ou pétrolières... Pourtant on devine que l'islam, à l'instar du marxisme-léninisme ou la théologie de la Libération naguère, exprime avant tout le rejet de l'impérialisme occidental. La religion a souvent servi de prétexte et de cadre à la domination des élites au cours de l'histoire moderne, cependant il arrive aussi parfois qu'elle serve de prétexte au soulèvement populaire.

    L'ouvrage de Rémi Kauffer illustre aussi la fascination de la bourgeoisie pour les mouvements révolutionnaires, fascination d'ailleurs en partie réciproque. La violence révolutionnaire a souvent été à l'origine de bouleversements politiques et sociaux entérinés ensuite par la bourgeoisie, de sorte que les régimes bourgeois entretiennent une sorte d'imagerie pieuse de la Révolution et de la violence terroriste. La "démocratie" est un exemple d'idéal révolutionnaire, très éloigné des principes républicains, que la bourgeoisie a fini par adopter... pour mieux le vider de son sens révolutionnaire.

    De leur côté, les révolutionnaires s'efforcent bien entendu de prendre la plus grande distance avec l'ordre public et la culture bourgeoises, mais l'usage de la violence, en soi, n'a rien de révolutionnaire ou de neuf ; or la plupart des mouvements révolutionnaires ne parviennent pas à s'en détacher, revenant ainsi au régime d'oppression d'abord maudit. La révolution ne fait ainsi que rebattre les cartes, mais c'est le même jeu qui continue.

    Le motif de la science et de l'histoire, caractéristique de Marx et Engels, qui se proposent ainsi de triompher des élites bourgeoises sur le terrain de la pensée, a contribué sans doute à l'aura exceptionnelle de la révolution marxiste. Cependant, en se plaçant sur le terrain de l'histoire et des bouleversements politiques, Marx est conscient que la bourgeoisie et la violence révolutionnaire sont deux phénomènes indistincts. En prédisant l'autodestruction du capitalisme, prédiction à laquelle chaque nouvelle crise mondiale fait écho, Marx prête au capital une force révolutionnaire sans commune mesure avec le terrorisme proprement dit.

    Paris la Rouge, par Rémi Kauffer, éd. Perrin, 2016.

  • Albert Robida***

    - Quand les aérostats dirigeables de l'avenir nous permettront de naviguer dans l'atmosphère, on s'arrachera voswebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,albert robida,compiègne,catalogue,exposition,sandrine doré,chat noir,salis,jules verne,siège,paris,commune,caricature,pamphlet,notaire,giffard,michel thiébaut,gaston tissandier
     dessins et vous passerez prophète.
    Gaston Tissandier [à propos d'A. Robida]

    La notoriété d'Albert Robida (1848-1926) n'est pas si grande aujourd'hui que l'on s'arrache littéralement ses dessins, mais c'est bien l'aspect futuriste de l'oeuvre de cet illustrateur que la postérité a retenu.

    A l'occasion d'une exposition de son oeuvre dans sa ville natale de Compiègne (2009), parut un épais catalogue abondamment illustré traitant largement, chapitre après chapitre, de l'oeuvre protéiforme d'A. Robida. En effet, Robida n'illustra pas seulement des ouvrages de science ou de politique-fiction, teintés d'humour, mais il collabora aussi à de nombreux guides de voyage, fruits de périples à travers l'Europe et la France ; Robida illustra aussi toutes sortes d'ouvrages pour enfants et adultes ; il en écrivit même, maniant non seulement le pinceau mais aussi la plume. Robida refonda aussi le journal "La Caricature" qu'il dirigea pendant dix ans, rendant ainsi hommage à Daumier qui fut publié dans la première mouture de cet organe de presse.

    Ce n'est pas fini : Robida collabora aussi au célèbre cabaret du "Chat Noir" de R. Salis. Last but not least, il rédigea un Journal pendant le siège de Paris (1870), puis la proclamation de la Commune et la répression brutale de celle-ci, événements qu'il vécut avec assez de recul et d'impartialité pour que son témoignage (illustré de croquis), publié un siècle plus tard, constitue un document fiable pour les historiens.

    L'inconvénient de ce type de catalogue commémoratif est que, sous le coup de l'enthousiasme, il place tous les divers travaux sur le même plan. Il faut dire que Robida, non seulement en raison d'un tempérament enclin au labeur, mais aussi de la nécessité d'élever en banlieue parisienne une famille de sept enfants (sans être un "héritier"), multiplia sans relâche les collaborations avec les journaux et les éditeurs.

    Contentons-nous donc d'évoquer les illustrations "futuristes" de Robida, auxquelles on prête un caractère de prémonition, et son témoignage vivant et éclairant des événements tragiques qui assombrirent la fin du Second Empire, plongeant Paris et une partie de la France dans un climat de détresse et de violence difficile à imaginer aujourd'hui. Ce sont là les deux aspects les plus intéressants de cette prolifique carrière.

    Mais d'abord, quelques petites précisions biographiques... Albert Robida est donc Picard, avec des origines alsaciennes du côté de sa mère (Robida étant peut-être le nom d'une famille espagnole émigrée depuis longtemps en France) ; son père, artisan-menuisier juge Albert inapte à ce métier manuel (il était très myope), et le plaça chez un notaire où il occupa l'emploi de "saute-ruisseau" (commis).

    Comme il se morfondait dans l'office notarial, Robida se mit à dessiner un petit pamphlet, intitulé le "Manuel du parfait Notaire", dans lequel il brocardait la profession. Bien lui en pris, car s'il fut viré à cause de cet opuscule gentiment satirique, cela permit à cet autodidacte de se faire repérer et de démarrer sur les chapeaux de roue une carrière de dessinateur à Paris, alors que la presse illustrée et les journaux satiriques prospèrent et cherchent de nouveaux talents.

    Robida a 22 ans et sa carrière vient à peine de débuter quand, désireux de visiter l'Alsace et Strasbourg, il se heurte au cours de son voyage à la guerre et aux troupes allemandes qui vont infliger au Second Empire français la brutale et inattendue déculottée que l'on sait.

    Au cours de cette guerre, particulièrement éprouvante pour le Nord du pays et Paris, suivie de lawebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,albert robida,compiègne,catalogue,exposition,sandrine doré,chat noir,salis,jules verne,siège,paris,commune,caricature,pamphlet,notaire,giffard,michel thiébaut,gaston tissandier proclamation de la Commune et de sa répression, le comportement de Robida est singulier ; en effet, il se mue en reporter de guerre, sans la moindre accréditation officielle, avide de dessiner et rendre compte par écrit de ce qu'il voit et vit, sans l'obligation de propagande.

    Intégré dans la garde nationale, comme tout jeune homme de son âge, Robida se montre peu zélé à accomplir les tâches militaires particulièrement ennuyeuses qui lui sont assignées ; il déserte aussi souvent qu'il le peut son poste pour aller dessiner les fortifications de Paris, ou s'approcher discrètement des lignes ennemies. Au cours de la Commune, son comportement étrange, assimilable au réfractaire, lui vaudra encore d'échapper de justesse au peloton d'exécution.

    Politiquement, si les amis de Robida se situent plutôt dans les rangs des communards, l'idéal révolutionnaire ne le séduit pas, pour ne pas dire qu'il s'en méfie (il n'a pas été élevé dans un milieu d'ouvriers parisiens, mais par un artisan de province respectueux des lois civiles). Ajoutons ici que, même Karl Marx, prédisant la répression féroce par l'armée régulière versaillaise, s'efforcera de dissuader ses amis anarchistes de se soulever et d'aller ainsi au casse-pipe.

    Robida ne partageait pas non plus la haine des Prussiens, encouragée au cours du conflit par le gouvernement via la presse. Ce n'est que beaucoup plus tard, au cours de la Grande Guerre où il perdra un jeune fils, et deux autres seront grièvement blessés, que son sentiment "antiboche" naîtra, qu'il traduira en caricatures.

    Son témoignage vaut par le point de vue reculé de Robida, d'observateur par rapport aux événements tragiques, qui éveillent sa curiosité mais non son sentiment patriotique ou révolutionnaire. Trois chapitres distincts du catalogue sont dédiés à cette contribution de Robida, par le dessin et le commentaire quasi-quotidien à la chronique historique (par Philippe Brun, Jean Robida citant abondamment son aïeul, et Michel Thiébaut).

    Les fameuses illustrations futuristes et féériques de Robida ne sont pas sans lien avec cette guerre qui a marqué profondément cet auteur satirique, à l'instar de beaucoup d'autres avant ou après lui... Plusieurs chapitres fouillés analysent le portrait par cet illustrateur d'une société future ambiguë, cocasse et prêtant à sourire, mais hérissée d'antennes et saturée d'engins aux allures d'insectes mécaniques.

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    Le regard superficiel est d'abord celui des lecteurs contemporains de Robida, dont peu prirent au sérieux les prévisions d'usage d'armes bactériologiques, ou encore de déplacement du conflit armé de la terre ferme et les mers vers le ciel, envahi d'aéronefs militaires ; ni même "La Fin du cheval", titre d'un ouvrage illustré par R. (P. Giffard) ; sur le terrain social, Robida confère à l'émancipation de la femme la même ambiguïté ; tout en prédisant le changement de statut des femmes, il suggère que cela revient pour les femmes à imiter le sexe opposé dans ce qu'il a de plus bravache ou ridicule (plusieurs nations incorporeront de fait les femmes dans l'armée à la fin du XXe siècle "au nom de l'émancipation de la femme" (!)

    Le motif de la guerre n'est pas le seul parmi les illustrations produites par Robida, qui décrit aussi la vie quotidienne et les loisirs du futur vers le milieu du XXe siècle et conçoit par avance les spectacles télévisés; mais ce motif de la guerre, qu'il observa de près, est décisif. Celui-ci a pu constater la contribution du conflit armé au progrès technique, dont on tire en temps de paix un sentiment d'orgueil. Quel antidote plus radical que la guerre à cette religion du progrès, qui à la fin du XIXe siècle a presque remplacé toutes les autres ? Et les adeptes les plus sincères du progrès, ayant foi dans un Avenir et une Humanité meilleurs, sont sans doute les plus ébranlés par la guerre, comme les chrétiens les plus sincères auparavant furent les plus troublés par les guerres de religion meurtrières.

    Si Robida ne cherche pas à alerter son lectorat, plutôt bourgeois et parisien, sur le revers de la médaille du progrès, ses illustrations reflètent son scepticisme et se distinguent des romans où Jules Verne met en scène une version du progrès destinée à divertir les enfants.

    Robida a d'ailleurs illustré une version parodique des romans de Jules Verne, et la correspondance privée ne laisse aucun doute sur son aversion pour certaines manifestations de la "révolution technologique". Il ne tirait aucune fierté de son statut de prophète des miracles accomplis par l'industrie, affirmant qu'il ne s'agissait que de l'extrapolation de choses et faits observés.

    On ne peut s'empêcher de penser à ce propos aux prédictions, de plus longue portée encore puisqu'elles furent faites au début du XVIIe siècle, par le savant anglais Francis Bacon (1561-1626) ; celui-ci énonça en effet dans un ouvrage surprenant, "La Nouvelle Atlantide", les principes des grandes inventions de l'ère industrielle (avion, radio, frigidaire, mais aussi immortalité) ; cette fable futuriste illustre la démonstration par Bacon que le progrès technique n'est pas digne d'être considéré comme un véritable progrès ; il ne s'agit en effet, dans les grandes inventions, que d'observer et reproduire des solutions dont le schéma et dans la nature. Le progrès technique n'est qu'une question de temps et de travail.

    "De jadis à demain, voyages dans l'oeuvre d'Albert Robida", collectif sous la direction de Sandrine Doré, éd. association des musées Vivenel et de la figurine historique (Compiègne), 2009.

    - Ci-dessus, illustration de couverture de "La Guerre au XXe siècle" (consultable sur le site de la BNF) ; ce succès de librairie (1887) préfigure sur le mode comique le génie militaire destructeur mis en oeuvre au cours du XXe siècle.

    - Ci-dessus, croquis d'un abri militaire à Nogent, effectué pendant le siège de Paris.

     

  • Le Chant du Cygne (5)

    Petit feuilleton historique estival

    Un Kilo de Reinettes

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

    3 Août (1903) : (...) Puisque j'en suis à parler de M. Cézanne et que l'occasion rafraîchissante s'offre à moiwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,cézanne,rainettes,nature morte,journal,léon bloy,kimé de déclarer tout le mépris que m'inspirent sa conception de la figure humaine, et plus encore ceux qui se croient obligés de l'admirer, qu'il me soit accordé du moins de lui rendre cette justice : il a, je le veux bien, quand il peint des poires (mais pas celles de ses acquéreurs) ou des pommes ou des prunes ou des pots de grès ou des pots de chambre une santé d'oeil véritable, malgré l'effroyable patauderie de sa pesante technique.

    (...) Certaines natures mortes, par la fidélité très servile de leur rendu, font excuser la ridicule maladresse du technicien; mais ce qui est passable ou tolérable du moins dans l'interprétation d'un moutardier, d'un céleri ou d'une rave, d'une botte de radis ou d'asperges, ou d'un kilo de reinettes n'est absolument plus permis dès qu'il s'agit de la figure humaine, qui réclame, on en conviendra, une autre science et une autre psychologie.(...)

    - H. de Groux et Cézanne ont en commun de revendiquer l'héritage de Delacroix. Mais, tandis que Cézanne aborde la peinture en mathématicien ou en mécanicien (rôle crucial de la perspective), H. de Groux adopte plutôt une démarche de lettré.

    Cézanne prolonge la volonté de Delacroix de fusionner la peinture avec la musique, qui conduit à un système de représentation picturale plus codifié et uniforme (de Groux reproche à Cézanne de traiter la figure humaine sur le même plan qu'un pichet de terre cuite) ; le peintre belge, pour sa part, poursuit l'effort de Delacroix pour traiter de grands sujets dignes de l'esprit humain.

    Cézanne et de Groux, leur opposition de style, témoignent de la variété et de la complexité de l'art moderne.

     

  • Don Quichotte - Suite et fin****

    La vie est trop courte pour lire des romans (ou regarder des séries télé, ce qui revient au même)webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,don quichotte,sancho pança,cervantes,warum ! Les romanciers qui les écrivent, eux, fournissent l'excuse de devoir gagner leur croûte ; mais ce prétexte ne sert-il pas aussi à justifier les pires ignominies ?

    Tout au plus s'autorisera-t-on à lire "Don Quichotte", que de plus éminents critiques que moi qualifient de "roman des romans" ; car le Quichotte de Cervantès, tout en divertissant comme un roman, nous en fait visiter les coulisses et démystifie cette grande religion hyper-puissante (si vous n'avez pas observé des ados lisant "Harry Potter" ou quelque BD japonaise fabriquée à la hâte, vous n'avez pas idée de ce qu'est une grande secte hyper-puissante).

    Le roman des romans est donc une caricature de roman.

    Le "hic", c'est que le Quichotte fait 800 pages au bas mot. Il faut donc s'organiser pour en lire quelques pages chaque soir, en famille autour du feu - cela fera l'année. Quel psychanalyste osera me démentir si je dis que c'est un excellent stimulant pour la cervelle des enfants que de devoir se figurer (mentalement) tous les paysages décrits par Cervantès, qui servent de décors aux aventures de son héros, aussi cocasse qu'il est crétin (pour avoir lu trop de romans incitant à l'héroïsme et à "accomplir ses rêves", suivant la formule consacrée) ?

    Si vous n'avez ni famille ni cheminée, vous pouvez lire la version abrégée par Rob Davis et publiée par les eds. Warum en deux tomes séparés, cela ne vous prendra que quelques d'heures ; nous avions déjà félicité dans "Zébra" Rob Davis, à propos du premier tome, pour avoir su préserver et souligner le côté caricatural ou satirique de l'oeuvre.

    Rob Davis s'est efforcé de choisir les épisodes les plus significatifs, comme celui (tome II) où Don Quichotte et son écuyer Sancho Pança sont les victimes d'un duc et d'une duchesse malicieux, décidés à s'amuser aux dépends de ces deux idéalistes fanatiques par le moyen de plaisanteries cruelles. Qui manipule-t-on plus facilement, en effet, que les personnes idéalistes ? (l'idéal abstrait de Don Quichotte est représenté par une femme, Dulcinée, comme Homère a choisi Hélène pour incarner le mobile de la guerre ; l'idéal plus vulgaire de Sancho Pança est représenté par une île et la promesse d'en devenir proprio).

    Cervantès pouvait-il se douter que, quatre siècles plus tard, son ouvrage satirique dirigé contre ce fléau social que représente la lecture, serait toujours d'actualité ? Il l'est plus que jamais ; en effet, circonscrite du temps de Cervantès aux rejetons des familles aristocratiques, la lecture de romans romanesques a fait tache d'huile. La manie de rêver, peu à peu, a infiltré les couches populaires, jadis préservées par leur bon sens et leur pragmatisme.

    Et combien de héros modernes ne sont-ils pas "donquichottesques", c'est-à-dire à la fois admirables par le courage et l'obstination qu'ils mettent dans leurs entreprises, et méprisables en raison de l'inconsistance de leur but, qui en fait des personnes vaniteuses et folles ?

    Don Quichotte - Suite et fin (tome II) par Cervantès et Rob Davis, éds Warum, 2016.

  • Le Chant du Cygne (4)

    Petit feuilleton historique estival

    Au Rat Mort

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

    12 Mars 1892 : Promenade au Moulin Rouge avec Lautrec, Anquetin et Pacari. Nous allons souper ensemblewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,lautrec,moulin rouge,rat mort,pigalle,clichy,anquetin,pacari,pétomane,journal,léon bloy,kimé au "Rat Mort", place Pigalle.

    L'ignominie de cet endroit, du spectacle, des acteurs et des spectateurs des deux sexes n'a évidemment d'équivalent que son extraordinaire laideur.

    Lautrec est ici chez lui et connaît tout le monde ; nous sommes dans son véritable atelier et jamais, il faut le dire, la crapuleuse infamie de ce monde n'a trouvé un plus implacable interprète que ce dessinateur. Il est vrai qu'il en est tout à fait l'interprète enamouré quand même... de ces crapuleries.

    Je renonce à dire la bêtise et la laideur de tout ce qui m'est donné de contempler là et j'estime qu'il faut soi-même être descendu bien bas pour s'y complaire.

    Dieu sait pourtant que je ne suis pas puritain, mais la hideur et la stupidité, la bassesse et l'idiotie de tout ce que je vois ici ne me paraissent pas humainement supportables.

    Certes, il est puéril de s'étonner de trouver tant d'abjection dans un temple du vice et ce n'est pas du tout ce qui me surprend. Je suis uniquement écoeuré et stupéfait de la platitude, de l'insigne vulgarité des prétendus plaisirs que trouve ici l'élite de nos bambocheurs.

    On annonce divers virtuoses, notamment le "pétomane" (?!) - je me sauve.

    [- "Le Grand Café de la Place Pigalle" (angle de la rue Frochot) devait son surnom de "Rat Mort" à l'odeur pestilentielle qui émanait d'une fontaine, non loin, où les propriétaires de chiens venaient laver leurs bêtes, et autour de laquelle divers détritus malodorants s'amoncelaient.

    - Ci-contre, l'avenue de Clichy par Louis Anquetin, cité plus haut.]

     

     

  • Tocqueville***

    "Librement adapté de "Quinze jours dans le désert" d'Alexis de Tocqueville."webzine,gratuit,zébra,bd,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,tocqueville,kévin bazot,quinze jours dans le désert,indiens,amérique

    C'est honnête, un peu laborieux... instructif...

    Le Tocqueville de Kévin Bazot, c'est celui du Journal de voyage, plus concret, et l'on voit beaucoup (dans la BD) les deux voyageurs contempler in vivo la destruction des Indiens (qui crèvent alcoolo dans les rues sans un regard des passants).

    Le massacre des Indiens, ainsi que la cupidité des colons venus d'Europe fera douter Tocqueville de l'avènement de la démocratie en Amérique.

    Tocqueville - vers un Nouveau Monde, par Kévin Bazot, eds Casterman, 2016.

  • Moi, Assassin**

    Cette BD d'Antonio Altarriba et Keko a reçu le prix de la Critique ACBD en 2015. Peut-être parce qu'ellewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,antonio altarriba,keko,assassin,denoël graphic,sade tient un discours philosophique, ce qui n'est pas commun en BD ?

    Passons sur le dessin, assez insignifiant ; Keko mélange le trait avec des photographies, sans doute pour donner une plus grande impression de réalisme, mais il ne maîtrise pas bien cet effet.

    Keko campe un personnage de professeur de fac, assassin à ses heures perdues pour "l'amour de l'art" (celui de la transgression, assez en vogue). Ce personnage de professeur a les traits d'Antonio Altarriba, le scénariste, qui enseigne la littérature française à la fac du pays basque.

    Dans la BD, le prof enseigne l'histoire de l'art ; au travers d'un long monologue, cet assassin multirécidiviste s'efforce de convaincre le lecteur que l'assassinat, dès lors qu'on le pratique comme un art, n'est pas une activité condamnable ; en outre, plaide-t-il, la société repose sur le crime de sang, à l'échelle individuelle ou industrielle. Entre autres propos subversifs, le prof assassin propose que l'on qualifie les politiciens de "tueurs en série" ; car quand il leur arrive de tuer par procuration, afin de défendre les intérêts qu'ils représentent, ils le font méthodiquement en grand nombre ; comme les tueurs en série, les politiciens les plus sanguinaires (Napoléon, Kadhafi, etc.) ont d'ailleurs beaucoup d'admirateurs des deux sexes.

    Altarriba à travers son double de papier ne manque pas de rapprocher l'assassinat de la sexualité, autre ressort social majeur.

    Le propos est d'autant plus satirique que nous vivons dans une société moderne qui prétend reposer sur des valeurs "humanistes" comme la solidarité, la fraternité, voire l'amour -à l'opposé de l'assassinat. Il n'est cependant que d'observer le goût du public pour les crimes sanglants et le sang, à travers le cinéma, la littérature ou la presse, pour deviner que le discours humaniste n'est qu'un écran de fumée, suggère Altarriba.

    En exergue, Altarriba a placé une citation du marquis de Sade, qui s'efforça aussi à travers son oeuvre d'arracher à la société son masque de respectabilité.

    Mais Altarriba n'est pas un assassin ; du moins il n'est pas crédible dans ce rôle de prof assassin (les scènes qui illustrent les rivalités entre profs au sein de la fac sont beaucoup plus convaincantes). L'aspect de "BD à thèse", un peu pesante, prend le dessus en définitive.

    De plus, en refermant cette BD, on se dit qu'elle n'est pas si éloignée que ça des séries américaines putassières, à base d'hémoglobine et de tueurs en série, que Altarriba condamne à cause de leur vulgarité.

    "Moi, Assassin", par Antonio Altarriba et Keko, Denoël Graphic, 2015.