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KRITIK - Page 6

  • Dans la combi de T. Pesquet*

    Marion Montaigne a fait à Thomas Pesquet la bobine d'un parfait crétin. Et pour cause ! Cet ancien pilote dewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,thomas pesquet,marion montaigne,dargaud,tintin,lune,sciences et vie,critique,kritik ligne qui rêvait d'exploits astronautiques depuis l'enfance s'est porté volontaire pour servir de cobaye à l'industrie aérospatiale et être "envoyé dans l'espace".

    La BD décrit en détail les conséquences néfastes pour l'organisme d'un séjour en apesanteur, qui se résument à un vieillissement accéléré. A cela s'ajoutent des tests psychiques et physiques souvent humiliants, que le cobaye français passe avec succès... et un masochisme inébranlable.

    On n'est pas forcé de trouver ces expérimentations amusantes : elles sont le corollaire d'expériences plus cruelles encore menées sur des animaux.

    Si l'on souhaite dissuader ses gamins de faire don de leur corps à la "science" -en réalité l'industrie-, on peut leur faire lire "Dans la combi de Pesquet" ; en dévoilant l'envers du décors, son auteur nous montre un Th. Pesquet plus proche du "geek" que de l'aventurier. "Tintin sur la Lune" était sûrement plus persuasif.

    M. Montaigne ne dissimule pas ou mal le côté ennuyeux du job de cosmonaute ; elle tire à la ligne : il lui faut plus de dix pages pour donner un aperçu des tests psychotechniques subis par les candidats à la mise en orbite. Franchement, qui peut bien s'intéresser à l'angle de sortie du tube de la pâte à dentifrice en état d'apesanteur ?

    Que la passion maniaque de Marion Montaigne pour les gadgets technologiques fasse l'objet d'une publication en feuilleton dans "Sciences & Vie Junior", passe encore, mais un gros album de près de cent pages, c'est un peu dur à digérer !

    - Coïncidence amusante, le fameux homonyme de Marion Montaigne s'est employé dans ses "Essais" à démontrer l'inutilité de la science ; or "Dans la combi de Pesquet" aboutit à peu près au même résultat, de dégoûter le lecteur de la science...

    Dans la combi de Th. Pesquet, par Marion Montaigne, éd. Dargaud, 2017.

  • Merdre****

    Jarry, le père d'Ubuwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,merdre,alfred jarry,daniel casanave,rodolphe,ubu,casterman

    On retrouve avec plaisir le dessin nerveux et vif de Daniel Casanave dans ce récit de la vie excentrique d'Alfred Jarry. Le scénariste, Rodolphe, nous gratifie de nombreux traits d'esprit et plaisanteries empruntés à Jarry.

    Le père d'Ubu lutte en permanence pour ne pas céder à l'ennui d'une vie bourgeoise; cela semble la principale direction de son art, parfois déroutant (dont les "surréalistes" se revendiquèrent ultérieurement).

    A 24 ans, l'excentricité de Jarry est assez célèbre dans tout Paris pour qu'on le promène de salon en salon, espérant de sa part quelque nouvelle excentricité mémorable et divertissante. Jarry joue volontiers ce rôle de clown: il contribue ainsi à la renommée d'Ubu.

    Jarry n'en est pas moins vraiment inadapté à quelque carrière que ce soit, même l'enseignement où sa scolarité brillante aurait pu le conduire. D'ailleurs le personnage d'Ubu s'inspire d'un professeur de physique au lycée de Rennes, pratiquement incapable d'autre chose que triturer des équations absconses, mais de surcroît entièrement dépourvu d'humour, contrairement à quelques-uns de ses élèves, qui commencent d'ébaucher une figure ubuesque.

    Jarry devine qu'il tient là un personnage qui fera date. Et pour cause : en remplaçant la raison d'Etat, la folie d'Etat nous plonge tous plus ou moins dans la merdre (cette merde raffinée pour être consommable).

    Il passera donc du temps à améliorer Ubu -tout le temps qu'il ne passe pas à tirer au revolver, pédaler comme un forcené à travers la campagne, ou boire comme un trou, pour citer ses principales passions.

    La première représentation de la pièce, qui fit scandale en heurtant le bon goût et la plupart des critiques, ne le découragea pas.

    A juste titre Rodolphe fait de Jarry un précurseur de "Hara-Kiri" et des blagues du Pr Choron. Jarry comme Choron fut de ces individus qui suscitent la réprobation, mais aussi parfois l'étonnement voire l'admiration du troupeau.

    Merdre - Jarry, le père d'Ubu, par Daniel Casanave et Rodolphe, éd. Casterman, 2017.

  • Parlez-moi de vos petits tracas

    Contre les petits tracas de la vie quotidienne, Marie-France Ochsenbein mobilise les ressources de la poésiewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,petits tracas,marie-france ochsenbein,poésie,humour,gps et de l'humour.

    Clefs ou lunettes égarées, PQ au bout du rouleau, mode d'emploi débile, fou rire déplacé, mèche rebelle, lapsus gênant... tous ces accrocs dans la routine, qui ont le don d'agacer notre espèce perfectionniste, sont autant de situations que l'auteur poétise.

    Cette matière humaine triviale est transformée en poèmes légers, mais aussi plus moraux quelques fois ("Le mensonge passe à l'action").

    Certaines pièces brocardant les innovations technologiques ont un parfum d'absurdité plus marqué, qui font penser à la poésie de Jacques Tati ; en effet toutes ces innovations censées simplifier la vie et diminuer les tracas, souvent la compliquent et les augmentent... Extrait :

    A 100 mètres : vous êtes arrivés

    Prouesse technologique d'aujourd'hui

    Sensé nous faciliter la vie

    En nous évitant tout contretemps

    Jour et nuit, à chaque instant.

    Comme tout progrès, c'est fascinant,

    Tout est plus facile maintenant,

    Le GPS capte ce fameux signal

    Et commence alors un périple peu banal.

    A chacun son point de vue,

    Les jeux sont faits, rien ne va plus.

    L'accord est loin d'être parfait,

    La machine garde en partie ses secrets.

    Les débuts sont plutôt prometteurs

    Sa voix suave charme le conducteur.

    Mais soudain elle annonce insensible

    Le fameux "faites demi-tour dès que possible".

    Panique, incompréhension générale

    Comment se sortir de cette issue fatale

    Le ton monte, mais rien n'y fait

    La dame intransigeante ne se tait.

    Alors la grande usine de la réflexion

    Se réveille et entre en action,

    Retour aux bonnes vieilles méthodes

    Reprenons les bons vieux codes.

    Au bout de mille contradictions,

    De doutes et multiples déviations,

    Le pilote se sortira finalement indemne

    De ce très technique et épineux dilemme.

     "Parlez-moi de vos petits tracas", par M.-F. Ochsenbein, ed. Premédit, 2018.

  • Micaël : Entrée, plat, dessert****

    Excellent assortiment de gags, répartis en "Entrée, plat, dessert". Ils composent un nouvelle anthologie dewebzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,micaël,cahiers dessinés,siné-mensuel,frédéric schiffter,moraliste,chamfort dessins de Micaël, dessinateur franco-argentin, publiée par les "Cahier dessinés". Les dessins de Micaël paraissent aussi régulièrement dans plusieurs titres de presse, dont "Siné-Mensuel".

    Préfacier du bouquin, Frédéric Schiffter range Micaël parmi les moralistes ; il le compare en particulier à Chamfort (1740-1794), auteur de maximes désillusionnantes souvent teintées d'humour ("La seule chose qui retient Dieu de nous envoyer un autre déluge, c'est que le premier n'a servi à rien.", ou encore : "Il y a beaucoup plus de gens à vouloir être aimés que de gens à vouloir aimer.")

    Le trait géométrique de Micaël est adéquat pour peindre une époque soumise au calcul. Micaël parvient à la concision, là où un romancier réputé comme M. Houellebecq échoue.

    L'absurdité de la condition humaine donne du grain à moudre aux moralistes. L'économie capitaliste, que sa dimension fantasmatique rend particulièrement ridicule, l'art moderne (cinéma, télévision, "performances artistiques"...), ou encore le tourisme, constituent les thèmes de prédilection abordés par Micaël. De fait, le divertissement à quoi ils se résument est bien une forme d'anesthésie de la pensée, de remède au malaise de la condition humaine.

    Micaël a sans doute raison de ne pas aborder la politique de manière directe, contrairement à beaucoup de dessinateurs de presse ; la politique elle-même n'est plus désormais qu'un théâtre de marionnettes, dont la fonction est aussi de divertir -une sorte de spectacle démagogique coûteux mais nécessaire. La caricature d'hommes politiques fait désormais largement partie du "jeu politique" et a perdu sa force satirique.

    Il ne semble pas inutile de distinguer le bon moraliste du mauvais, autrement dit "misanthrope" (Houellebecq, Cioran) ; Molière nous montre que le misanthrope dissimule derrière le dédain du monde son amour de la société, à qui il reproche surtout de ne pas reconnaître son talent ; le misanthrope fait la paire avec le tartuffe, pour qui toute l'humanité est bonne... à cocufier.

    Micaël : Entrée, plat, dessert. par Micaël, ed. Les Cahiers Dessinés, 2017.

  • Cher François**

    Cette BD est un excellent choix de cadeau de Noël pour une admiratrice ou un admirateur de l'ex-présidentwebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,cher françois,louison,grazia,dessinatrice,presse François Hollande.

    Des biographies d'hommes ou de femmes politiques sont dessinées régulièrement par des caricaturistes : N. Sarkozy, M. Le Pen, F. Hollande, D. de Villepin, beaucoup y sont passés. Ces pamphlets opportunistes, qui constituent du "matériel de campagne électorale", n'ont le plus souvent que peu d'intérêt et galvaudent la satire.

    La dessinatrice de presse Louison ("Grazia") est un "snipper" enamourée de sa cible et ne le cache pas. Elle partage avec le président un sentimentalisme de gauche (presque désuet désormais) : peur de l'extrême-droite, de Donald Trump, féminisme, sympathie pour les pauvres qui souffrent dans le monde, "Tous Charlie"... la panoplie est complète.

    Louison a été autorisée à s'approcher du président lors de quelques cocktails, cérémonies et voyages, pendant un laps de temps suffisamment long pour connaître la gloire et le déclin de l'ex-suzerain.

    Non seulement cette dessinatrice partage les "valeurs de gauche" de François, mais avoue aussi son goût commun pour les petits fours et le champagne : elle est donc la moins prédisposée à, ne serait-ce que l'ironie.

    Paradoxalement la BD de Louison illustre assez bien le rôle dévolu au chef de l'Etat. C'est avant tout une mascotte : on le promène de droite à gauche et il doit savoir rester digne en toutes circonstances. En tant que mascotte accréditée, ou élue, il est fortement tributaire du caprice des Français et des médias qui l'ont choisi - sa marge d'action politique s'en trouve réduite.

    Ce qui a séduit les Français chez F. Hollande, c'est son apparente bonhomie et sérénité ; cette qualité a ensuite été perçue comme un défaut et a contribué à la désaffection des Français. Rien n'est plus injuste et fluctuant que le sentiment de la foule - c'est ce qui rend la démocratie aussi dangereuse quand elle vire à la démagogie.

    Cette aptitude relative de F. Hollande à surfer sur la vague des bonnes opinions, Louison la montre ou la suggère assez bien.

    Le président est bien sûr trop "pro" pour dévoiler le fond de sa pensée politique ou stratégique à une inconnue. Rarement il répond de façon nette, comme il fait quand la dessinatrice l'interroge sur Donald Trump, le président américain fraîchement élu :

    - Pensez-vous qu'il soit dangereux ?

    - Non, c'est un acteur.

    "Cher François", par Louison (préface de F. Hollande) éd. Marabulles, 2017.

  • Pères Indignes****

    Portrait satirique de la famille moderne -"nucléaire" comme disaient les sociologues naguère pour parlerwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,b-gnet,pères indignes,boite à bullles,satirique,south park du modèle familial s'imposant en Occident.

    Contrairement à Claire Brétécher qui décrivait la bourgeoisie parisienne dans le "Nouvel Observateur" ("Agrippine"), la famille de B-Gnet fait partie de la classe moyenne : un couple avec deux enfants en train de se séparer.

    Le début de divorce, qui contraint le père à quitter le domicile, puis le décès du père de celui-ci et ses obsèques, constituent les deux rebondissements de l'intrigue ; celle-ci est très rythmée, car découpée sous la forme de strips, chacun comportant une chute.

    B-Gnet ne nous épargne rien : ni la malice du fils, ni la niaiserie de la fille, ni la superficialité de la mère, ni l'alcoolisme du père, ni la lâcheté de l'oncle, ni la brutalité du grand-père, ni l'obsession sexuelle de la grand-mère... on est dans "Plus moche la vie", et les clichés sur la famille moderne modèle, entretenus par la télévision et la publicité, sont allègrement piétinés.

    On pense au dessin animé américain "South Park", portrait au vitriol d'une jeunesse américaine au bord de l'aliénation mentale (1997 - à voir impérativement en VO), mais le récit de B-Gnet est mieux découpé.

    Pères Indignes, par B-Gnet, éd. La Boîte-à-Bulles, 2014.

     

     

  • Voltaire amoureux**

    Nous avions aimé le "Pablo" de Clément Oubrerie (scénarisé par Julie Birmant) parce qu'il s'attache à retracerwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,clément oubrerie,voltaire,les arènes,julie birmant,pablo,picasso,descartes,pascal,malebranche,candide,leibnitz la carrière d'un homme, transformé pour le besoin de la cause communiste en "monstre sacré", et devenu ainsi inaccessible.

    On cerne mieux Picasso grâce à cette fresque en BD de la bohème parisienne où le talent de cet artiste se développa et atteignit son apogée.

    Voltaire n'est pas moins "monstrueux" a priori. Le philosophe en qui Marx voyait "le sommet de la pensée bourgeoise" (compliment qui recèle une critique) fait partie du panthéon des lettres françaises, avec tout ce que ça suppose d'adulation, de petits accommodements avec la vérité, voire de légende dorée.

    C'est déjà une gageure en soi de tenter de reconstituer une époque plus lointaine que le Paris de Picasso; pour ce faire, C. Oubrerie utilise son crayon comme un biographe conventionnel ne peut le faire. Néanmoins une époque ne se résume pas à des éléments de décors et au costume; encore faut-il en comprendre et en restituer l'esprit pour ne pas tomber dans le décors de "carton-pâte".

    Dans l'ensemble le résultat est assez vivant, mais souffre de la comparaison avec le précédent "Pablo", dont le scénario était mieux ficelé et les personnages secondaires plus étoffés.

    Oubrerie peint un écrivain arriviste, qui se persuade de son génie afin de mieux en persuader autrui - un écrivain dont la vivacité d'esprit et la facilité de répartie font mouche dans les salons. De cet esprit, Voltaire se sert pour séduire des femmes d'une condition supérieure à la sienne et les mobiliser au service de sa cause.

    Le chemin est donc illustré, qui conduisit Voltaire jusqu'à une gloire, si ce n'est aussi grande que celle d'Homère ou Shakespeare, du moins considérable.

    L'arrivisme littéraire est un mobile persistant aujourd'hui et Voltaire peut passer pour le précurseur de bon nombre d'intellectuels plus ou moins brillants après lui. Cependant, par-delà l'arrivisme et les saillies spirituelles, qu'est-ce qui distingue Voltaire des intellectuels d'aujourd'hui, dont le vedettariat est sans doute éphémère ? C'est le point le plus difficile à dessiner pour Oubrerie. Contrairement à Picasso, dont tout le monde a en mémoire les oeuvres les plus marquantes, Voltaire n'est pour beaucoup qu'un vague souvenir scolaire qui exige d'être rafraîchi si on ne veut pas demeurer au niveau de la fiction.

    La BD se risque sur le terrain de la pensée du philosophe; en particulier, dans ce premier tome, de sa pensée religieuse et de son anticléricalisme. Sujet ô combien difficile, car se mélangent chez Voltaire l'opportunisme (l'athéisme et le libertinage sont alors à la mode, notamment dans la noblesse) et les critiques plus sérieuses (des "Pensées" de Pascal ou de la théologie de Bossuet, Descartes, Malebranche...).

    Le premier tome de cette fresque est insuffisant pour souligner l'enjeu que représente cette nouvelle culture philosophique, dont Voltaire sut habilement se faire le principal ministre, et dont il demeura l'emblème au service des élites bourgeoises, avant d'être pris pour cible à son tour de la critique marxiste et, d'une manière générale, démodé par la philosophie allemande du XIXe siècle (pour de bonnes et de mauvaises raisons).

    Voltaire est également trop sceptique pour être vu comme le père d'un athéisme, souvent assimilable en France à une véritable secte imperméable à la critique. Cet athéisme "militant" s'avère un produit plus récent de l'ère technocratique, dont Voltaire n'a pas envisagé le terme.

    La meilleure compréhension de Voltaire est peut-être fournie par ses petites pièces satiriques, dont cet ambitieux ne faisait pas lui-même le plus grand cas, mais qui restent les plus lues. La satire est en effet un remède à l'optimisme inoculé par la religion ou l'idéologie (le providentialisme scientifique de Leibnitz-Pangloss dans "Candide") : elle détourne des illusions, mais ne constitue pas un aliment suffisant pour nourrir l'esprit. La bourgeoisie a pris du gras depuis le maigre Voltaire.

    Voltaire amoureux (tome I) par Clément Oubrerie, eds Les Arènes-BD, 2017.