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KRITIK - Page 10

  • Tocqueville***

    "Librement adapté de "Quinze jours dans le désert" d'Alexis de Tocqueville."webzine,gratuit,zébra,bd,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,tocqueville,kévin bazot,quinze jours dans le désert,indiens,amérique

    C'est honnête, un peu laborieux... instructif...

    Le Tocqueville de Kévin Bazot, c'est celui du Journal de voyage, plus concret, et l'on voit beaucoup (dans la BD) les deux voyageurs contempler in vivo la destruction des Indiens (qui crèvent alcoolo dans les rues sans un regard des passants).

    Le massacre des Indiens, ainsi que la cupidité des colons venus d'Europe fera douter Tocqueville de l'avènement de la démocratie en Amérique.

    Tocqueville - vers un Nouveau Monde, par Kévin Bazot, eds Casterman, 2016.

  • Moi, Assassin**

    Cette BD d'Antonio Altarriba et Keko a reçu le prix de la Critique ACBD en 2015. Peut-être parce qu'ellewebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,kritik,antonio altarriba,keko,assassin,denoël graphic,sade tient un discours philosophique, ce qui n'est pas commun en BD ?

    Passons sur le dessin, assez insignifiant ; Keko mélange le trait avec des photographies, sans doute pour donner une plus grande impression de réalisme, mais il ne maîtrise pas bien cet effet.

    Keko campe un personnage de professeur de fac, assassin à ses heures perdues pour "l'amour de l'art" (celui de la transgression, assez en vogue). Ce personnage de professeur a les traits d'Antonio Altarriba, le scénariste, qui enseigne la littérature française à la fac du pays basque.

    Dans la BD, le prof enseigne l'histoire de l'art ; au travers d'un long monologue, cet assassin multirécidiviste s'efforce de convaincre le lecteur que l'assassinat, dès lors qu'on le pratique comme un art, n'est pas une activité condamnable ; en outre, plaide-t-il, la société repose sur le crime de sang, à l'échelle individuelle ou industrielle. Entre autres propos subversifs, le prof assassin propose que l'on qualifie les politiciens de "tueurs en série" ; car quand il leur arrive de tuer par procuration, afin de défendre les intérêts qu'ils représentent, ils le font méthodiquement en grand nombre ; comme les tueurs en série, les politiciens les plus sanguinaires (Napoléon, Kadhafi, etc.) ont d'ailleurs beaucoup d'admirateurs des deux sexes.

    Altarriba à travers son double de papier ne manque pas de rapprocher l'assassinat de la sexualité, autre ressort social majeur.

    Le propos est d'autant plus satirique que nous vivons dans une société moderne qui prétend reposer sur des valeurs "humanistes" comme la solidarité, la fraternité, voire l'amour -à l'opposé de l'assassinat. Il n'est cependant que d'observer le goût du public pour les crimes sanglants et le sang, à travers le cinéma, la littérature ou la presse, pour deviner que le discours humaniste n'est qu'un écran de fumée, suggère Altarriba.

    En exergue, Altarriba a placé une citation du marquis de Sade, qui s'efforça aussi à travers son oeuvre d'arracher à la société son masque de respectabilité.

    Mais Altarriba n'est pas un assassin ; du moins il n'est pas crédible dans ce rôle de prof assassin (les scènes qui illustrent les rivalités entre profs au sein de la fac sont beaucoup plus convaincantes). L'aspect de "BD à thèse", un peu pesante, prend le dessus en définitive.

    De plus, en refermant cette BD, on se dit qu'elle n'est pas si éloignée que ça des séries américaines putassières, à base d'hémoglobine et de tueurs en série, que Altarriba condamne à cause de leur vulgarité.

    "Moi, Assassin", par Antonio Altarriba et Keko, Denoël Graphic, 2015.

  • Le Chant du Cygne (3)

    Petit feuilleton historique estival

    Résurrection de Grünewald

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :

    27 Septembre (1902) : Grünewald. N'est-ce pas un des phénomènes les plus singuliers d'éclipse devant la  webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,mathias grünewald,aschenbourg,isenheim,huysmans,holbein,dürer,lucas cranach,journal,léon bloy,kimépostérité et l'ascendant de gloires ambiantes, que l'histoire de ce Mathias Grünewald disparaissant de la vie artistique de son pays pendant environ deux siècles pour augmenter de l'appoint, d'ailleurs si hétéroclite, de son oeuvre, la gloire, si grande qu'elle fut déjà, de contemporains tels que Holbein, Lucas Cranach et Dürer ?

    N'est-ce pas un prodige tout à fait déconcertant qu'un génie aussi fort, aussi original et aussi voyant qu'était celui de Grünewald ait pu voir la presque totalité de son oeuvre changer graduellement et, tout à coup, formellement et totalement d'attribution pendant l'immense période de plusieurs générations et au point d'avoir failli en perdre, pour jamais peut-être, la paternité alors qu'elles n'avaient avec celles de ces devanciers que les quelques signes indéniables de l'origine teutonne commune bien que plus affirmés en elles, qu'en toutes autres.

    A jamais ? Non pourtant : l'originalité si criante, la différence essentielle de ces oeuvres avec celles de Dürer et d'Holbein par exemple, tôt ou tard, devait produire la protestation et la révélation définitive d'un Joris-Karl Huysmans, d'un Emile Verhaeren et restituer à ce séquestré jusqu'à son nom véritable si digne d'être illustre à côté des plus illustres.

    Mathias d'Aschaffenburg ou Mathias von Aschenburg devait, d'avatar en avatar nominaux, en revenir finalement à son nom primitif, désormais invariable de Mathias Grünewald, aujourd'hui si justement glorifié.

    [A peine une trentaine de dessins de Mathias Grünewald (1480-1528) ont été conservés, la plupart d'entre eux étant des études préparatoires. Ci-contre, une tête-qui-rit.

    Grünewald est passé à la postérité grâce au fameux retable d'Isenheim.

    - Ci-dessous : Trois soldats par le jeune A. Dürer (1489), et un faune dessiné par L. Cranach.]

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  • Le Chant du Cygne (2)

    Petit feuilleton historique estival

    Snobinette

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra non sans difficultés à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,henry de groux,félicien rops,pornokratès,journal,léon bloy,kimé

    22 Août (1902) : - Viens un peu voir, maman, comme Félicien Rops* a fait des progrès, profère une toute petite snobinette de quatorze ans, entraînant sa mère devant le "Pornokratès" exposé chez Le Barc de Bouteville.

    *"Pornokratès" (ci-contre), par le caricaturiste namurois Félicien Rops, où la pornographie est représentée comme une muse moderne, se laissant aveuglément guider par un porc.

    - Moins connu, mais encore de F. Rops, ce "Combat des sexes au temps de la préhistoire" (ci-après).

    - Rops, à certains égards, peut passer pour précurseur de l'humour bête et méchant de "Hara-Kiri" - par exemple quand il dessine un bourgeois sodomisant une truie, avec la légende suivante : "Ne faites pas aux truies ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît."

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  • Le Sacre de la Bande-dessinée

    Si ce numéro de l'épaisse revue "Le Débat" (mai-août 2017), intitulé "Le sacre de la bande-dessinée", prouve webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,le débat,gallimard,sacre,groensteen,dagen,mouchart,peeters,nathalie heinich,hergé,rémi brague,jean-luc marion,artificationbien une chose, c'est l'intellectualisme ambiant.

    Outre les thuriféraires professionnels habituels de la bande-dessinée que sont T. Groensteen, B. Mouchart ou B. Peeters, le sommaire de "Le Débat" regroupe en effet quelques universitaires polyvalents, tels que Rémi Brague ou Jean-Luc Marion, des chercheurs au CNRS, un ex-politicien (Hubert Védrine), des critiques d'art (Philippe Dagen, Fabrice Piault) - ainsi que quelques autres plumitifs, journalistes ou romanciers.

    D'emblée il saute aux yeux que, contrairement à Napoléon, les auteurs de BD ne sont pas assez fortiches pour se coiffer eux-mêmes de la couronne. En effet, Jacques Tardi est le seul auteur qui participe à cette cérémonie, et encore, c'est pour notifier son désintérêt : - ça m'indiffère totalement, même si, à mon avis, le but d'une bande-dessinée est d'être imprimée et lue dans un livre ou un journal et pas d'être exposée sur un mur. Présenter des planches comme des oeuvres d'art flatte peut-être certains auteurs en quête de reconnaissance, mais ça ne m'intéresse absolument pas.

    Comme Tardi est poli, il n'envisage que la flatterie, sans mentionner l'aspect mercantile, pourtant caractéristique de la production d'oeuvres d'art contemporaine, bien au-delà de la seule bande-dessinée. Quelle production se prête mieux à la spéculation financière que la production artistique ? Aucune, car la valeur de l'art aujourd'hui est on ne peut plus incertaine. En atteste le triplement récent des bénéfices sur le marché de l'art, au point que l'on peut parler (sans jeu de mots) de "bulle spéculative" dans ce domaine. Les artistes et leurs producteurs joueront-ils un rôle déclencheur dans la prochaine crise mondiale et ses dommages collatéraux (guerres civiles, famines, génocides, terrorisme) ?

    La spéculation est caractéristique -ô combien- du génie ultra-moderne. Il aurait ainsi convenu de se demander plus précisément, pour éviter des digressions oiseuses, si la BD est un art spéculatif, et dans quelle mesure ?

    Le débat, qui selon l'apparence constitue la raison sociale de cette revue, est hélas à peu près absent de ses pages, qui relatent de façon très séquentielle et narrative comment les auteurs de bande-dessinée sont devenus des gens respectables en dépit de leur inaptitude atavique à se vêtir convenablement et s'exprimer sans fautes d'orthographe.

    Pourquoi la bande-dessinée est-elle soudain en odeur de sainteté ? Est-ce dû à la disparition de toute forme d'esprit critique dans la société de consommation, ou bien à une autre raison ? On aurait pu se poser la question, laisser des avis divergents s'exprimer. Quelques réserves anciennes, ça et là, sont bien évoquées, mais c'est pour les qualifier aussitôt de "caduques". Comme la plus pertinente de ces critiques fait le lien entre la bande-dessinée (et le cinéma) et la "culture de masse", stigmatisant celle-ci comme un phénomène totalitaire, doit-on en déduire que la critique du totalitarisme est caduque ?

    On aurait pu aussi relever que la bande-dessinée à l'usage du jeune public ("Tintin") se prête particulièrement au jeu de "l'artification" de la BD, pour reprendre l'expression hideuse de la sociologue Nathalie Heinich (la laideur de son vocabulaire est le principal gage de sérieux de la sociologie). C'est probablement dû à la sophistication des moyens mis en oeuvre dans ce genre destiné aux enfants où l'ellipse n'est pas permise. Si la ligne de Hergé est "claire", c'est surtout du point de vue du récit, exempt de "second degré" ; celui-ci est caractéristique au contraire des ouvrages humoristiques, ou encore des fables mythologiques, tandis que les "aventures de Tintin" sont dépourvues de ce relief. Qu'elle ait un ressort "inconscient" n'indique absolument pas la profondeur du travail d'Hergé.

    Encore une fois, ce numéro est un numéro d'intellectuels, et il en dit plus long sur le rôle de l'intellectuel (prolongeant celui du prêtre) dans la société moderne, que sur la bande-dessinée elle-même. Sur la valeur et les limites du genre de BD qu'il pratique, le propos assez pragmatique de J. Tardi est le plus éclairant.

    En feuilletant ces pages, on peut se laisser aller à son tour au jeu de la remise des prix ou des titres, dont les intellectuels sont friands :

    - "Tintin, ce n'est pas rien !" (Rémi Brague) : Prix de la "ligne claire" pour ce titre-coup de bluff.

    - "Cette déflation de la chasse au bijou (au trésor) disparu, où le vol n'est plus réel mais apparent, se marque par la déflation parallèle de la chasse aux voleurs (...)" (Jean-Luc Marion) : Prix "Alcofribas Nasier" de la tournure amphigourique destinée à camoufler l'indigence du propos.

    - "Chez Hergé, l'histoire reste un cadre, pas un matériau, comme elle l'est chez Jacobs [?] et d'autres plus proches de l'esprit d'Alexandre Dumas [?], ce géant, dans "Les Trois Mousquetaires" (Hubert Védrine) : Prix de l'euphémisme, puisque Tintin est aussi éloigné de l'histoire que l'est la propagande politique.

    - "Dans les bibliothèques publiques les plus récentes, la bande dessinée occupe une place de choix. Avec environ 20% des prêts, elle a la réputation non usurpée d'une star des bibliothèques publiques - à tel point que le terme de "produit d'appel" a parfois été prononcé à son sujet." (Antoine Torrens) : Prix "Angoulême" du plus bel emballage.

    Etc.

  • Le Chant du Cygne (1)

    Petit feuilleton historique estival

    Seul Rodin...

    A travers son Journal, le peintre belge Henry de Groux (1866-1930) est un témoin de premier plan, quoique méconnu, de l'art de son temps.

    Praticien exigeant, admirateur d'Eugène Delacroix comme Baudelaire, de Groux se montre le plus souvent sévère avec ses contemporains. Son engagement total au service de l'art et son amitié avec le pamphlétaire Léon Bloy le tiendront à l'écart des circuits officiels de l'art ; l'artiste belge, à demi-marginal, parviendra difficilement à vivre de sa peinture.

    Extrait de son Journal (Eds Kimé) :webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,journal,henry de groux,léon bloy,auguste rodin,balzac,sculpture,delacroix,champ de mars,salon,kimé

    1er Mai (1898) : Visite au Salon du Champ de Mars. Peinture nulle ; absolument nulle. Rien de rien ! Vulgarité, banalité, ordure. Sculpture : le Balzac de Rodin. L'oeuvre est étrange, audacieuse, déconcertante au premier abord. Peu à peu, on se rend compte de la réelle grandeur, de la véritable aristocratie de la conception et on comprend, en persistant, la colère du public, véritablement outré et détraqué de désappointement. C'est une rumeur d'indignation ininterrompue et réjouissante, vraiment le mufle se sent défié et montre les dents.

    En somme, la seule oeuvre du Salon.

    L'oeuvre surabonde de style et de caractère original en sa simplicité très puissante.

    Sentiment que je serai vraiment le seul peintre à l'heure actuelle qui sache son métier à fond et comprenne son art supérieurement. (...)

    *Ci-contre : caricature illustrant la réception du Balzac de Rodin.

  • Ni Dieu ni Eux*

    Mauvais titre (abscons) donné à une anthologie des dessins anticléricaux de Tignous, récemment publiée parwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,caricature,tignous,ni dieu ni eux,chêne,anticléricalisme,athée,fanatisme,religion,juif,catholique,république,islamique,allah,chloé verlhac les éds du Chêne (2017).

    Pour mériter l'adjectif "satirique", il convient de faire preuve d'esprit critique ; or, rares sont les dessins subtils dans ce recueil ; la compilation de caricatures donne l'impression que Tignous était un anticlérical obsédé, tirant à boulets rouges sur tout ce qui porte mitre, voile ou calotte, comme s'il avait un compte personnel à régler avec la religion... et surtout comme si nous étions encore au XVIIIe siècle, quand le clergé catholique exerçait quasiment sans partage l'autorité morale, ce qui n'est plus le cas depuis belle lurette.

    Le bouquin se situe plutôt au niveau de la polémique ou du militantisme que de la satire. Or le militantisme politique mérite les mêmes sarcasmes ou critiques que le fanatisme religieux ; au cours du siècle écoulé, le militantisme a fait des ravages et un nombre effrayant de victimes - nettement plus importants que ceux imputables aux partisans d'un Etat islamique "au nom d'Allah".

    Le fanatisme peut très bien se passer de l'invocation de dieu ; dans les temps modernes, celle-ci n'est plus qu'une "option", sur laquelle ce bouquin se focalise, donnant du fanatisme une image biaisée. Quid du fanatisme de l'argent, du fanatisme juridique, du fanatisme technocratique, typiquement occidentaux ?

    La postface de la veuve du dessinateur (Chloé Verlhac) a elle aussi une tonalité mystique, parlant de "continuer à se battre"... au nom de quelle cause et contre qui, exactement ?

    Dieu est mort, mais la "moraline" lui a survécu, soulignait le philosophe athée Nietzsche, conscient que la "moraline" est bien le problème sous-jacent au fanatisme religieux.

    L'anthologie de Tignous illustre surtout le déclin de l'esprit critique athée, qui avec Nietzsche, Marx, voire Feuerbach, a connu son apogée au XIXe siècle. Ces essayistes et philosophes, très différents voire opposés, avaient en commun de bien connaître les religions qu'ils critiquaient.

    Néanmoins, objectera-t-on, les journalistes de "Charlie-Hebdo" ont été massacrés par des musulmans fanatiques, dont l'acte témoigne d'un regain de la barbarie religieuse.

    Certes, mais il y a près d'un siècle et demi, les attentats des militants anarchistes, Ravachol et Caserio en tête, terrorisaient déjà Paris et la plupart des capitales européennes, visant parfois de supposés "traîtres à la cause du peuple".

    Un détail saute aux yeux dans cette comparaison : les anarchistes étaient aussi impies que les djihadistes se disent pieux ; c'est que l'attitude des élites dirigeantes a changé ; celles-ci utilisaient autrefois la foi et dieu comme un argument et un moyen d'oppression ; peu à peu, les élites industrielles et capitalistes ont relégué cet outil - à la limite contre-productif ; dans les régimes totalitaires athées, la sacralité du travail excède largement celle de dieu. Dieu est, cela depuis des siècles, alternativement un argument des peuples qui se révoltent, ou bien des élites dirigeantes.

    On se souvient aussi (cela figure dans son CV) de la collaboration de Tignous à des magazines confessionnels : "La Croix", "La Vie" (avant que ce dernier magazine ne soit racheté par "Le Monde") ; cette double casquette de caricaturiste anticlérical pour "Charlie-Hebdo" et de salarié d'un titre appartenant au clergé catholique avait scandalisé les lecteurs de "La Croix", au point qu'une pétition avait été lancée, réclamant à la direction du journal l'éviction du dessinateur.

    "Ni Dieu ni Eux", anthologie de dessins signés Tignous, éd. du Chêne, 2017.