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KRITIK - Page 7

  • La Balade nationale*

    - Nous sommes au XXIe siècle, Pétain. L'ambiance en France est... étrange. On dit beaucoup de bêtises surwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,etienne davodeau,balade nationale,sylvain venayre,marie curie,jeanne d'arc,pétain,jules michelet,dumas,molière,découverte,revue dessinée,le monde,potet l'histoire de France. On l'instrumentalise dangereusement. Alors voilà: nous nous sommes dit que vous alliez remettre un peu d'ordre là-dedans.

    Cette tirade, placée ici dans la bouche de l'historien Jules Michelet, donne le ton de la BD de Sylvain Venayre et Etienne Davodeau, "La Balade nationale". Une fois passé l'amusement de voir Jeanne d'Arc faire du covoiturage avec Molière, Marie Curie, le général Dumas, Pétain et Michelet, on se lasse du procédé imaginé par le scénariste pour ressusciter le goût de l'Histoire de France, tout en la dépoussiérant des vieux clichés.

    "Instrumentalisation" : le mot est lâché- il résume tout. L'instrumentalisation de l'Histoire aurait pu être le sujet de cette fable. Hélas les auteurs se contentent de remplacer de vieux clichés par de nouveaux stéréotypes, l'image d'Epinal par l'image d'Epinal animée. L'image d'Epinal était grossière, naïve, on l'apprenait par coeur - elle servait de support à une sorte de catéchisme laïc ; l'image d'Epinal animée sautille, va dans un sens, puis dans le sens contraire, elle distrait pendant un moment, s'efface vite.

    "Le Monde" (F. Potet) parle d'une "BD de qualité" : en réalité "La Balade nationale" est caractéristique du genre de gadget pédagogique qui est en train de transformer inexorablement l'Education nationale en gigantesque cour de récréation.

    L'historien Jules Michelet -pape des historiens français- est convoqué à cause de sa gloire pour servir de caution. S. Venayre, dans la postface, explique que certaines positions de Michelet sont aujourd'hui démodées (trop nationalistes).

    Avec la représentation de Pétain comme un encombrant cadavre, trimbalé dans un cercueil, les auteurs passent à côté de l'immense service rendu par Pétain à la France en amassant sur sa tête tout l'opprobre et la honte dus à la capitulation devant l'Allemagne et la déportation des Juifs. Encore un cas d'instrumentalisation, quasi-religieuse cette fois. La République a fait un petit tour au confessionnal et elle en est ressortie presque vierge. Idem pour la colonisation : quelques "mea culpa" publics ne mangent pas de pain et font l'effet d'une thérapie de groupe.

    Ce qui rend l'enseignement de l'Histoire pratiquement impossible désormais, en même temps que le besoin d'un substitut à l'instruction religieuse se fait de plus en plus sentir, c'est l'instrumentalisation de l'Histoire à des fins politiques. Chaque parti réclame sa version du roman national, rebaptisé "récit national" pour faire sérieux.

    L'impact de la politique sur l'enseignement de l'Histoire, au point que sa vocation scientifique s'est volatilisée, de très nombreux exemples l'illustrent. Un des plus significatifs et des plus récents est l'effet de la politique dite de "construction européenne", menée par les élites politiques à grand renfort d'encarts publicitaires jusqu'à la crise capitaliste mondiale de 2008. Cette manoeuvre politique d'envergure a complètement modifié la perspective de l'enseignement de l'Histoire de France. Il convient désormais que cet enseignement contienne la démonstration que le projet européen est un projet pacifiste, aussi peu scientifique soit cette démonstration. Cette politique imposait de combler le fossé culturel entre la France et l'Allemagne, vieil "ennemi historique".

    La mode actuelle du débat autour de l'Histoire de France, plus propice à l'organisation de "talk-shows" télévisés qu'à fonder un enseignement, tient à la crise économique, phénomène déclencheur principal du repli identitaire et du scepticisme à l'égard du projet européen.

    On sent la volonté de "La Balade nationale" de ménager une sorte de consensus mou, assez éloigné du caractère des différents personnages embarqués dans une fourgonnette... "Trafic Renault" (tout un symbole). L'Histoire, comme la satire, exige l'indépendance.

    La Balade nationale, par E. Davodeau & S. Venayre, éd. La Découverte/La Revue dessinée, 2017.

  • C'est la Jungle***

    L'édition française de "C'est la Jungle" de Harvey Kurtzman, cofondateur du magazine "Mad", tenu pourwebzine,bd,zébra,caricature,fanzine,bande-dessinée,critique,harvey kurtzman,jungle,wombat,gotlib,fluide-glacial,wolinski,spiegelman le principal organe de la contre-culture américaine, a surtout une valeur documentaire.

    Pour deux raisons : d'abord, sorti de son contexte américain, l’humour de Kurtzman perd beaucoup de sa spontanéité ; en France, Gotlib et « Fluide-Glacial » ont largement exploité le filon de la dérision façon H. Kurtzman, en l’adaptant au public français.

    D’autre part, la culture de masse n’est pas en France un phénomène de la même ampleur qu’aux Etats-Unis. L’américanisation de la culture française est en cours depuis plus d’un demi-siècle, mais elle s’est heurtée à la résistance d’une partie des élites intellectuelles, pour de plus ou moins bonnes raisons, dont la meilleure est l’hostilité à l’égard de ce qui relève du pur divertissement.

    L’humour de Kurtzman fonctionne à plein quand il s’agit de montrer les rouages et brocarder les codes d’une culture qui semble concourir à l’abrutissement du public et mobiliser le citoyen américain contre tout ce qui n’est pas de son goût.

     « C’est la Jungle » se compose de plusieurs chapitres, ciblant chacun un genre ou un thème de la culture de masse, tel que le western ou le polar ; le western selon Kurtzman ressemble plus à "Lucky Luke" qu’à John Wayne (bien que Lucky-Luke ne soit pas une simple parodie de western, car Goscinny y a injecté une dose de réalisme).

    Kurtzman a travaillé pour la presse : il connaît les recettes et les coulisses du journalisme et lève le voile sur cette cuisine peu avouable dans l’un des chapitres.

    L’album est préfacé par Art Spiegelman et précédé d’une vieille interview de Kurtzman par Wolinski, qui décrit un Kurtzman à la retraite, quelque peu amer.

    Kurtzman avait largement contribué à développer Mad, dont il était rédacteur en chef, mais en fut évincé à la suite d’un différend avec son propriétaire. Les albums de BD produits par Kurtzman ne rencontrèrent que peu de succès. D’où la conclusion que le public américain est peu réceptif à la contre-culture… à moins que "Hara-Kiri"/"Charlie-Hebdo" n’ait bénéficié en France de circonstances un peu plus favorables, ou encore que son équipe rédactionnelle se soit entêtée un peu plus.

    (Ce site publie un large extrait de "C'est la Jungle")

    "C'est la Jungle", par Harvey Kurtzman, ed. française Wombat 2017.

  • La Petite Couronne***

    "Pauvre banlieue parisienne, paillasson devant la ville où chacun s'essuie les pieds, crache un bon coup, passe, quiwebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,petite couronne,gilles rochier,six pieds sous terre,louis-ferdinand céline,banlieue pense à elle ?", écrivait Louis-Ferdinand Céline en 1944 ("Bezons à travers les âges").

    Désormais c'est tout le contraire, la banlieue est continuellement sous le feu des projecteurs ; elle est devenue le principal prétexte de l'agitation médiatique, sous couvert de débattre de "questions de société".

    Comme dans le crime de "L'Orient-Express", on peut dire que tous les partis politiques sans exception trempent ou ont trempé dans cette démagogie. La théorie du complot de l'islam radical, façon Eric Zemmour ou Caroline Fourest, doit presque tout à l'instrumentalisation précédente de la banlieue par la presse de gauche. Zemmour ne paraît "vrai" que dans la mesure où la propagande précédente consistait dans une présentation truquée de la réalité.

    Si son existence est donc désormais reconnue, la banlieue demeure parfaitement inconnue ou presque, au-delà du périphérique. C'est tout le mérite de Gilles Rochier de la montrer telle qu'elle est dans "La Petite Couronne", en soulignant de façon humoristique le décalage entre les préoccupations de ceux, jeunes ou plus âgés, qui vivent en banlieue, et tout le cinoche de gauche ou de droite.

    Cette dimension satirique en fait le meilleur album* de G. Rochier, déjà récompensé auparavant (2012) pour "Ta Mère la Pute", tableau sans fard (ni citrouilles grimaçantes) de la banlieue.

    On sent une légère amertume dans l'humour de celui qui n'a pas fui la banlieue, mais voit le trafic de drogue et ses effets se répandre... la drogue, qui agit sur les corps comme l'idéologie sur les esprits.

    "Petite Couronne", par Gilles Rochier, éds 6 Pieds-sous-terre, 2017.

  • Les Super-héros pour les Nuls*

    De quoi les Super-héros sont-ils le nom ? D'une propagande patriotique assez banale, comme on peut lewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,super-héros,éric delbecque,largo winch,homère,ulysse,hannah arendt penser au premier abord ?

    Il ne faut pas compter sur Eric Delbecque, "expert en intelligence stratégique" (sic) pour nous le dire car, sous couvert d'étude et de vulgarisation, il publie en réalité chez "First-Editions" un plaidoyer en faveur des super-héros.

    A en croire Eric Delbecque, l'industrie du divertissement américaine n'est pas seulement une industrie du divertissement, par-dessus le marché elle véhicule des valeurs "humanistes".

    Tout en énumérant les trente-six variétés de super-héros pas très variés, l'auteur en profite pour distiller sa propagande aux accents macroniens (= le capitalisme, c'est cool) ; l'ensemble forme un tissu d'allégations fantaisistes ("La tradition républicaine n'aime guère les hommes d'exception" ; "Si Jésus ne fut jamais un chef de guerre, il synthétise un bon nombre de figures antérieures symboliques et mythologiques de l'histoire de l'humanité (païenne et juive) qui occupent la place d'intercesseurs, de ponts, dans la verticalité spirituelle, à savoir : les pharaons égyptiens, les demi-dieux gréco-romains, Prométhée, Nemrod ou Caïn".)

    ...et d'allégations contradictoires, comme cette diatribe contre l'idéologie (p. 195), alors même qu'il n'y a pas de but plus idéologique que celui assigné au super-héros de "sauver le monde".

    Au second degré (rarement atteint par les "comics"), on pourra trouver quelques passages cocasses; par exemple quand Eric Delbecque nous explique que la série (belge) "Largo Winch" a le mérite d'affranchir ses lecteurs sur le monde des affaires ; ou encore quand il prétend que Wonder Woman contribue au féminisme... sans pour autant réveiller ou prolonger la guerre des sexes. "De surcroît, les dessinateurs de comics subliment les corps féminins sans tomber dans le machisme ou la vulgarité, ce qui contribue au bout du compte à une valorisation intégrale des femmes, tout aussi bien morale qu'intellectuelle, psychique et physique" [amen]. 

    Le bouquin contient deux allégations erronées qui méritent d'être infirmées : la culture des super-héros est qualifiée de "populaire". Ses moyens de production, largement industriels, indiquent qu'il s'agit d'une culture de masse, produite par conséquent par les élites politiques et économiques afin de susciter un mouvement d'adhésion (la culture de masse opère comme la religion autrefois). Les cultures populaires authentiques contiennent un élément de défi ou de méfiance à l'égard des élites. Quant aux "super-héros", ce sont tous ou presque des "super-flics".

    Ce rôle de supplétif de la puissance publique assigné aux "super-héros" est le premier indice montrant que cette culture diffère nettement de la mythologie grecque (ou biblique, puisque E. Delbecque convoque aussi la Bible à l'appui de sa thèse). Bien plutôt qualifiable de "barbare", du point de vue grec, une culture dont la défense de la puissance et de l'ordre publics représentent le point d'orgue.

    "L'Iliade" n'est pas un récit patriotique ; Homère ne prend pas parti pour les Achéens contre les Troyens ou vice-versa; Homère prend parti pour Ulysse contre Achille, c'est-à-dire pour une forme d'héroïsme supérieure. Même Achille est trop "individualiste", pourrait-on dire, pour se situer au niveau d'un super-héros américain exalté par des sentiments patriotiques.

    Une expression d'Eric Delbecque contredit sa propre tentative d'ériger la culture des super-héros en culture capitaliste humaniste ; en effet, définissant la culture des super-héros comme "un reflet des aspirations et des pulsions de la société américaine", il la situe aux antipodes de la mythologie grecque ; celle-ci ne reflète pas la culture ou la société grecque antique, ne vise pas à la justifier mais à la transcender.

    Les Super-héros pour les Nuls, par Eric Delbecque, First-éditions, 2016.

    P.S. : Au milieu des années 1950, examinant la question de la culture de masse et l'avenir de la société de loisirs, l'essayiste Hannah Arendt écrivait ceci : "(...) Quand livres ou reproductions sont jetés sur le marché à bas prix et sont vendus en nombre considérable, cela n'atteint pas la nature des objets en question. Mais leur nature est atteinte quand ces objets eux-mêmes sont modifiés - réécrits, condensés, digérés, réduits à l'état de pacotille pour la reproduction ou la mise en images.

    Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultat n'est pas une désintégration, mais une pourriture, et ses actifs promoteurs ne sont pas les compositeurs de Tin Pan Alley, mais une sorte particulière d'intellectuels, souvent bien lus et bien informés, dont la fonction exclusive est d'organiser, diffuser et modifier des objets culturels en vue de persuader les masses qu'Hamlet peut être aussi divertissant que My Fair Lady, et, pourquoi pas, tout aussi instructif.

    Bien de grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d'oubli et d'abandon, mais c'est une question pendante de savoir s'ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu'ils ont à dire." (In : "La Crise de la Culture")

  • Le Jeune Karl Marx*

    La crise mondiale de 2008 a replacé Karl Marx sous le feu des projecteurs, tant son célèbre pronostic webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,raoul peck,karl marx,frédéric engels,junge marx,rheinische zeitung,cinéma,capital,ligue des justes,communisted'autodestruction du capitalisme a semblé soudain proche de s'accomplir : - Le pire ennemi du Capital, c'est le Capital lui-même.

    L'auteur du "Capital" indique dans cette formule que le mouvement ou l'ébranlement de la société est d'abord le fait de la bourgeoisie et de son modèle économique de développement. Marx et Engels affirmaient qu'il résulterait de la faillite de l'Etat bourgeois une société meilleure - et s'efforçaient d'y concourir à leur manière, en éclairant la conscience des prolétaires à la lueur de leurs travaux.

    Un film récent, "Le Jeune Karl Marx", entend redonner vie aux personnages de K. Marx et de son ami Frédéric Engels, figés dans les traits pesants de la statuaire soviétique.

    On peine en effet à imaginer aujourd'hui que Marx et sa famille furent traqués dans toute l'Europe et espionnés par la police, tant voire plus que les imams qui prêchent le djihad aujourd'hui. Les élites bourgeoises redoutaient alors que les articles de Marx n'enflamment plus encore les mouvements de contestation ouvriers.

    Le film de Raoul Peck parvient à ressusciter ce climat de vive tension en Europe entre le prolétariat et les "capitaines d'industrie" qui l'emploient, dans des conditions dantesques. Même si l'épicentre s'est déplacé, en même temps que le prolétariat, de l'Europe vers le continent asiatique et l'Inde, ce climat de vive tension persiste désormais à l'échelle mondiale, suivant un schéma de propagation annoncé et décrit par Marx : "Les individus ont été de plus en plus asservis à une puissance qui leur est étrangère, (...) laquelle est devenue de plus en plus massive et se révèle être en dernière instance le marché mondial."

    Les acteurs qui interprètent K. Marx et F. Engels sont assez convaincants. Ils évitent de prendre la pose révolutionnaire romantique, la plus éloignée du souhait de ces deux journalistes subversifs de débarrasser le mouvement révolutionnaire prolétarien de son attirail de slogans sentimentaux à base de fraternité et de "droits de l'Homme" (dénoncés comme une duperie par Marx).

    Pour le reste, suivant la tendance du cinéma à verser dans l'anecdote et le détail, le film déçoit.

    Les costumes d'époque ont l'inconvénient de transporter la critique marxiste dans une sorte de passé glorieux du mouvement révolutionnaire prolétarien.

    Or le spectre du communisme marxiste rôde encore. Ainsi la culture de masse, produite par la bourgeoisie industrielle, qui remplace l'opium des vieilles religions tombées en désuétude, quelle peut bien être sa fonction, si ce n'est d'empêcher une prise de conscience des milieux les plus défavorisés en étouffant l'esprit critique ?

    L'effort des auteurs du film est perceptible pour faire comprendre au spectateur l'originalité de la démarche de Marx, en comparaison d'autres doctrines révolutionnaires, comme celle du Français Proudhon par exemple ; mais cet effort se solde par un échec. Il est vrai que ce n'est pas une mince affaire de résumer le marxisme, car il se présente comme une "science", perfectible et inachevée, non comme une "doctrine" à l'instar de la philosophie réactionnaire de Nietzsche, plus facile à cerner.

    Une part du malentendu à propos du marxisme tient précisément à ce que les mouvements politiques qui se sont réclamé de Marx ne pouvaient se passer d'une doctrine politique (voire d'une stratégie pour les plus vils), et que Marx et Engels fournissent surtout les éléments d'une science, l'Histoire.

    Peut-on comprendre quelque chose au marxisme en se tenant assis dans une salle de spectacle, alors qu'il part d'un mouvement de résistance au confort intellectuel ?

    "Le Jeune Marx" ("Der Junge Marx"), par Raoul Peck, octobre 2017.

    NB: On voit dans le film Marx assister en compagnie d'Engels au congrès de la "Ligue des Justes", renommée lors de ce congrès "Ligue communiste", alors que seul Engels y participa.

    - Ill. représentant Marx et Engels vérifiant les épreuves de la "Rheinische Zeitung" (Gazette rhénane fondée par Marx).

  • Loving Vincent***

    Ce dessin-animé à partir des toiles de Van Gogh, racontant la fin dramatique de l'artiste, est le projetwebzine,bd,zébra,fanzine,gratuit,bande-dessinée,caricature,van gogh,loving,dessin-animé,hugh welchman,dorota kobiela,théo,arles,shakespeare,villiers de l'isle-adam,artaud d'un couple anglo-polonais (Hugh Welchman & Dorota Kobiela), assistés par des centaines de peintre recrutés par petites annonces.

    Prouesse technique, sans doute, que d'assembler des milliers d'images peintes sur toile pour former un film, néanmoins l'art de Van Gogh est tout sauf une prouesse technique ; Van Gogh signe des toiles qui émeuvent par leur simplicité. Shakespeare fait cette remarque que la rose, poussée et épanouie au centre du jardin, une fois fanée ne soutient même pas la comparaison avec l'herbe folle du bord des routes ; Van Gogh est cette mauvaise herbe qui éclipse un art devenu académique - pure perspective de voyeur.

    Ce n'est d'ailleurs pas une performance d'animer les toiles de Van Gogh, car comme le confesse H. Welchman, "la peinture de Van Gogh remue".

    Pour le moins discutable sur le plan esthétique -parfois la lourdeur technique inhérente au cinéma se fait sentir-, "Loving Vincent" permet de s'approcher sans voyeurisme excessif du "suicidé de la société", tel que A. Artaud résume Van Gogh justement, contre la tentative de faire entrer le peintre dans un tableau clinique.

    Sautant de tableau en tableau, on suit les pérégrinations d'un jeune modèle de Van Gogh rencontré en Arles, que son père charge d'acheminer une lettre de Vincent à Théo, peu après la mort du peintre des suites d'une blessure par balle. Cela commence minable, comme une enquête de police ; qui plus est, les circonstances de la mort du peintre, présumé suicidé, sont troubles, et les histoires crapuleuses la société aime ça, pour ne pas dire qu'elle l'adore.

    On comprend mieux grâce à cet enchaînement de petites mailles biographiques que l'art de Van Gogh forme un tout, dont on ne peut isoler telle ou telle toile. Vincent est pratiquement indissociable de son frère. Sa peinture est aussi étroitement liée à une quête d'infini, dévoilée par l'abondante correspondance ; Van Gogh est plus "chercheur" qu'artiste. Elle est aussi indissociable de l'insensé pari d'un pur autodidacte, venu à la peinture à l'âge de... 28 ans, et dont le temps est compté.

    Difficile de ne pas croire au destin, après la cruelle ironie de la "gloire posthume" infligée à Van Gogh, ce faisceau de lumière sale, qui contraste de façon saisissante avec la quête de pureté de Vincent.

    On pense ici à la fable conçue par Villiers de l'Isle-Adam, du cygne étranglé par un bourgeois à la nuit tombée, afin d'en recueillir le dernier chant mélodieux.

    La Passion Van Gogh ("Loving Vincent"), par Dorota Kobiela & Hugh Welchman (Good Deed Entertainment) 2017 (à partir du 18 oct. en salles).

     

     

     

  • D'une Apocalypse à l'autre****

    Réédition augmentée et révisée d'un bouquin de Lionel Richard (1976) traitant de la production intellectuelle etwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,lionel richard,apocalypse,aden,expressionnisme,anarchisme,die brücke,aktion,der sturm,rosa luxembourg,karl liebknecht,nouveau testament,blochevik,hegel,nietzsche,marx,lénine,hitler artistique allemande de la fin du XIXe siècle à la fin des années 1930.

    L'auteur fait la lumière sur cette période de foisonnement intellectuel et artistique méconnue de ce côté-ci du Rhin, période qui précède immédiatement l'accession au pouvoir de Hitler et du parti nazi.

    Plusieurs chapitres détaillés et illustrés par les couvertures illustrées des nombreux journaux qui soutinrent cette effervescence sont précédés de la thèse suivante : l'apocalypse chrétienne hante la culture allemande, profondément marquée par la Réforme protestante et son imagerie, associée à l'émancipation culturelle de la population allemande. L'apocalypse est la toile de fond de la révolution artistique, politique et culturelle que connaît l'Allemagne au tournant du siècle (nation alors en forte expansion démographique et économique).

    "La religion et les luttes religieuses ayant profondément pénétré toute l'histoire de l'Allemagne et sa vie politique depuis la Réforme, la littérature et la peinture allemandes ont été envahies de références à l'Apocalypse, sur la base de son évocation dans le texte chrétien du Nouveau Testament."

    Aux lecteurs français, Lionel Richard rappelle le double aspect de la prophétie chrétienne, catastrophique d'une part, mais aussi réconfortante d'autre part, car synonyme d'avènement d'une ère nouvelle pour les "justes".

    La violence des événements politiques, économiques et militaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècles donnent aussi consistance aux yeux des élites culturelles allemandes à l'idée de catastrophe ultime et d'effondrement d'un monde dominé par Satan.

    L'auteur délaisse le plus souvent cette thèse pour mieux s'attacher à l'évolution des différents mouvements qui s'enchevêtrent au cours de cette période, plus connus sous le terme générique d'"expressionnisme", étiquette à laquelle il est difficile de donner un sens précis autre que la revendication d'une rupture avec le passé culturel bourgeois de l'Allemagne (sur le plan esthétique, l'expressionnisme est particulièrement équivoque).

    Proche de cet "expressionnisme" se situent divers courants alternatifs comme le dadaïsme, "die Brücke" (le "Pont"), et les gazettes sur lesquelles ces courants de pensée s'appuyaient ("Der Sturm", "Aktion"...). L'auteur rappelle néanmoins au fil des chapitres l'usage d'un vocabulaire nettement connoté par les acteurs de cette tentative de révolution culturelle, qui se caractérise aussi par la fusion de l'art et de la politique. Il cite ainsi Rosa Luxembourg, parlant de "chemin de Golgotha de la classe prolétarienne" ; ou encore Karl Liebknecht : ceux des prolétaires qui sont encore endormis finiront par s'éveiller comme "sous les trompettes du Jugement dernier". Pour Ehrenstein, Jésus-Christ est "le premier des bolcheviks".

    Une parenthèse à propos de cette thèse d'une culture révolutionnaire allemande para-chrétienne ou para-apocalyptique ; cette thèse sort renforcée de la lecture de Hegel ou Marx, par lesquels les intellectuels allemands demeurent influencés à la fin du XIXe siècle. En effet, selon Hegel, le mouvement de l'Histoire est chrétien ; la révolution française de 1789 traduit un progrès de l'esprit du christianisme dans le monde et la société occidentale ; sur le sujet du christianisme, K. Marx est plus ambigu, mais sa prose a souvent les accents millénaristes que l'on retrouve ultérieurement chez Rosa Luxembourg ou Karl Liebknecht. En outre Marx voit dans la culture républicaine le prolongement du cléricalisme catholique, les instituteurs prenant la relève des curés afin d'inculquer au peuple la soumission à l'Etat (Marx a décrit la France comme la moins révolutionnaire des nations européennes).

    La philosophie réactionnaire de Nietzsche, qui exprime la haine de l'anarchie et du communisme a contrario, confirme aussi cette thèse. En effet Nietzsche est animé par une germanophobie viscérale, car il considère les Allemands comme un peuple marqué par le christianisme (notamment les milieux prolétariens ou anarchistes). L'exécration peu discrète de Nietzsche du peuple allemand empêchera Hitler de lui ériger une statue, bien qu'il partageait le voeu de Nietzsche de restauration de l'ordre moral contre l'art moderne décadent, car "judéo-chrétien".

    Dernière confirmation, l'attitude française vis-à-vis du bouillonnement culturel allemand, à laquelle l'auteur consacre un chapitre entier. Cette attitude oscille entre l'indifférence et le mépris pour la production artistique et littéraire allemande, perçue comme régionaliste et très inférieure à l'art français. Hier plus encore qu'aujourd'hui, les élites françaises étaient indifférentes au reste du monde, ainsi qu'à l'Histoire, qui se confondrait presque du point de vue français avec la notion de patrimoine.

    On mesure ici à quel point l'idéologie européenne, essentiellement allemande, colle mal avec la mentalité française autarcique, même si la défaite française de 1940, suivie de la domination culturelle des Etats-Unis (nation germanique), pèse depuis dans le sens inverse.

    Cependant on ne peut considérer cette révolution culturelle allemande comme l'illustration ou le produit de l'apocalypse chrétienne ; le lien n'est pas moins lâche ici qu'il s'avère entre la récupération du Nouveau testament par les élites catholiques (monarchie de droit divin/providentialisme/hégélianisme) ou, plus récemment, par la "théologie de la Libération" des révolutionnaires américains. Il reste que la référence au texte chrétien semble incontournable, que l'on se situe du côté des élites dominantes en place, ou bien que l'on veuille révolutionner l'ordre social.

    L'essai explore d'autres aspects intéressants, tel le rapport du mouvement révolutionnaire allemand avec son voisin russe communiste. Le mouvement allemand est plus "anarchiste", c'est-à-dire plus idéaliste et moins tourné vers la conquête du pouvoir que la révolution bolchevique. Pour certains intellectuels et activistes politiques allemands influents, il ne peut être remédié à la violence par une autre violence ; ils préfèrent en appeler à la force de l'Esprit (aux contours assez vagues). De leur côté les bolcheviks, Lénine en tête, ont ironisé sur la pusillanimité des mouvements révolutionnaires allemands, leur impuissance à évincer la démocratie libérale. Hitler, lui, ne reculera pas devant l'usage de la violence pour s'imposer.

    Par ailleurs l'intellectualisme de la révolution culturelle allemande, qui expose trente-six nuances d'anarchisme et de socialisme, est cause d'une césure avec le prolétariat, là où les partis nazi et soviétique usèrent de mots d'ordres démagogiques pour susciter l'adhésion massive.

    Le déclin de cette révolution culturelle est de surcroît analysé ; Lionel Richard dissuade de voir dans la gravissime crise économique que traverse l'Allemagne après la guerre la seule cause d'essoufflement de ce mouvement, mais il pointe aussi l'embourgeoisement des milieux anarchistes, évolution qui évoque le destin du mouvement (plus limité) de "Mai 68" en France, dont les figures emblématiques représentent désormais, non plus la contestation mais le conformisme.

    Le bouillonnement intellectuel de l'Allemagne de la première moitié du siècle fait aussi ressortir la platitude de la production contemporaine, allemande ou occidentale en général, une contre-culture complètement anémiée. L'idéal de la construction européenne apparaît comme principalement économique, c'est-à-dire mercantile. La vie intellectuelle et artistique se retrouve presque dans l'état de léthargie qui précéda, en Allemagne, la révolte contre les institutions bourgeoises.

    D'une Apocalypse à l'autre, par Lionel Richard, ed. Aden, 2014.