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KRITIK - Page 31

  • Sauvages blancs****

    La question de l’honneur de l’Occident est liée à celle du colonialisme ou de l’impérialisme, et Gustave webzine,bd,gratuit,fanzine,bande-dessinée,gustave jossot,sauvages blancs,occident,orient,frédéric nietzsche,anarchiste,Jossot ne l’ignorait pas en rédigeant cette collection d'anathèmes vibrants.

    Quelle que soit l’étiquette: chrétienne au XVIIe-XVIIIe siècles, républicaine aux XIXe-XXe siècles, démocratique et anti-islamiste aujourd’hui, le colonialisme se renforce toujours de la démonstration d'une éthique supérieure.

    On a donc affaire ici à un pamphlet anarchiste, et non à un de ces ouvrages sous le coup de la dépression ou de la mélancolie, déplorant la décadence de l’Occident, dont la littérature française regorge dans toutes les domaines censés servir de piliers à la civilisation.

    Ce pamphlet méritait d’être réédité, puisqu’on vient d’assister en Egypte à un coup d’Etat téléguidé par des «sauvages blancs», sous couvert des meilleures intentions. J’en profite ici pour rappeler que le droit-d’ingérence-afin-d’aider-les-peuples-opprimés-à-disposer-d’eux-mêmes n’est pas une invention de Bernard Kouchner, comme on le pense parfois, mais de saint Thomas d’Aquin au moyen âge. Comme quoi la sainteté ne date pas d’aujourd’hui.

    Il est vrai cependant que Jossot partage avec de nombreux poètes ou philosophes inquiets du déclin de l’art, l’admiration de l’Orient, dont il oppose l’immobilisme majestueux et confiant dans lui-même à l’agitation permanente et vaine de l’Occident. Moitié par curiosité, moitié pour faire la nique à ses confrères imbus des valeurs républicaines, Jossot ira même jusqu’à se convertir à l’islam. Humoriste d’abord, il ajoute toujours à ses pamphlets une bonne dose d’ironie mordante, comme témoigne le titre de ce chapitre : "Les parents sont des scorpions" - proverbe arabe.

    De façon surprenante, c’est Frédéric Nietzsche que Jossot cite en référence, à qui il consacre un petit chapitre. Jossot partage avec ce pamphlétaire réactionnaire ennemi de la modernité le dégoût de la moraline républicaine, du clergé laïc ou confessionnel, de la démocratie et du libéralisme, du socialisme, voire la misogynie ; en revanche Jossot ne justifie nulle part l’oppression des faibles par les forts, ni le culte de la puissance, qui est le fondement de la morale instinctive «par-delà bien et mal» selon Nietzsche*.

    L’attrait de Jossot pour Nietzsche vient sans doute principalement de la détestation du peuple allemand, qui fut un des leitmotivs de F.N. au point de s’inventer des origines polonaises, ou de se croire plus Français ou Italien qu’Allemand. Il faut replacer la détestation de Jossot dans son contexte industriel. L’Allemagne rime pour lui avec le progrès technique, qu’il prend pour cible et dans lequel il voit la cause des pires maux: dégradation de l’art, culte du profit intensif, abrutissement des masses populaires, exaltation de la concurrence comme facteur de progrès, etc. De sorte que l’uniformisation de l’Occident, qu’il vitupère en artiste, est un phénomène allemand à ses yeux. Et on ne peut pas dire que l’avenir lui ait donné tort, ne serait-ce que sur le plan de la mainmise industrielle.

    Sauvages blancs - Gustave Jossot - Eds Finitude, 2013.

    *"Périssent les faibles et les ratés ! Premier principe de notre philanthropie. Et il faut même les y aider. Qu'est-ce qui est plus nuisible qu'aucun vice ? La compassion active pour tous les ratés et les faibles (...)" 

    F. Nietzsche, in : L’Antéchrist

  • Economix**

    L’impression que les lois de l’économie échappent aux experts eux-mêmes (les fonctionnaires de Bercywebzine,gratuit,zébra,fanzine,critique,kritik,economix,les arènes,adam smith,économie,science,jacques attali,karl marx,engels pratiquent-ils l’onanisme dans leur grand paquebot ?) incite le grand public à se prendre en main et s’informer lui-même, tant nos vies paraissent réglées par un grand logiciel implacable qui tourne en roue libre. C’est à ce motif de curiosité inquiète que répond l’auteur – américain – d’une volumineuse BD, Economix, récemment publiée par les Arènes.

    -          Leçon n°1 : en matière d’économie, mieux vaut ne pas se fier aux experts. On se souvient du mot de Jacques Attali au plus fort de la tempête des subprimes, involontairement comique, claironnant qu’il avait prévu la crise… dans les trente années à venir. Imaginez le garagiste : «J’avais bien vu que vos plaquettes de frein étaient usées, mais je pensais que vous pouviez encore rouler quelques centaines de km.»

    Le discours des experts économique au plus fort de la crise fait penser à celui des médecins au chevet des grands malades: -Accrochez-vous !, disent-ils en croisant les doigts dans le dos. En dernier recours, une petite prière à mère Nature afin d’accorder une rallonge n’est pas de trop.

    En définitive on en revient à l’hymne païen de Pangloss : «Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.» ; et on peut se demander si penser l’économie ne revient pas à faire le vide dans sa tête, et ne penser à rien. Les abeilles ou les castors n’ont pas d’experts économiques, et ils s’en sortent plutôt pas mal.

    Le bouquin rappelle d’ailleurs que les économistes libéraux les plus prudents, Adam Smith par exemple, définissent le travail et l’argent comme une puissance naturelle. Il convient donc seulement d’éviter à l’homme les lames de fond et les cyclones trop violents par quelques mesures ou plans artificiels. Smith vitupère les spéculateurs ou les capitalistes qui jouent avec le feu. Seulement voilà, il est trop tard, puisque l’Occident est entièrement converti à ce jeu, que ses institutions politiques reflètent et d’où il tire sa supériorité. Il est aussi difficile de faire machine arrière que de transformer le Titanic en canot de sauvetage. J’emploie volontiers des métaphores, puisque le discours économique a tendance à dissoudre les métaphores dans les statistiques et le calcul, d’une manière perceptible aussi sur le plan culturel ou artistique.

    Point positif de ce bouquin également, il fustige l’usage des formules mathématiques dans le domaine économique; elles ont le don de conférer une aura scientifique à des théories qui ne le sont pas, et de procurer une confiance excessive, quand la prudence est surtout requise.

    En effet, «l’exploitation des ressources humaines», selon l’expression qui convient pour qualifier l’esclavage moderne, peut parfois, qui sait, se heurter à la conscience humaine d’une manière imprévisible ? J’ai observé pour ma part que les escrocs sont plus avisés que les experts en matière économique (je soupçonne d’ailleurs que Jérôme Kerviel était parfaitement honnête et persuadé du sérieux de son métier et de ses études): or les escrocs se fient plus à leur instinct qu’aux formules mathématiques.

    Engels et Marx sont résumés aussi dans Economix, qui se veut la première histoire de l’économie en BD, mais dont le ton est parfois un brin moralisateur, hélas.

    Marx à juste titre, puisqu’il fut et reste sans doute l’analyste le plus complet du phénomène de la mondialisation et de la soumission des élites intellectuelles à des systèmes de pensée, notamment le système hégélien, dont on voit qu’il prévaut encore en matière d’art, alors même qu’il est le système le moins susceptible d’enrayer ce que les marxistes qualifient de fétichisme, qui aboutit à se prosterner devant l’argent et son pouvoir de déclencher l’émotion ou la passion humaine.

    Il semble en effet utile de joindre à l’étude de l’économie celle de l’art, ainsi que l'ont fait Marx et d’autres penseurs, et comme ne le fait pas assez Economix, bien qu’il participe d’une volonté artistique d’élucider la bêtise de l’action économique pour mieux y résister (la bêtise qui consiste essentiellement à se soumettre aux forces de la nature, dont l’économie n’est qu’une prothèse, ou à lui opposer des concepts et une éthique creux).

    Le défaut de l’ouvrage est de ne proposer qu’un panorama des différentes thèses ou pensées économiques successives, sans remettre en cause la démarche anthropologique de la «science économique». Celle-là lui donne sans doute cet aspect complexe et inintelligible, caractéristique selon Orwell de l’intellectualisme et des intellectuels, qui semblent ainsi trouver dans les replis de leurs pensées une sorte de confort assez inédite dans l’histoire de l’humanité.

     De même, puisque la prétention historique est ici affichée, on peut reprocher à l’ouvrage de s’abstenir de faire la remarque que l'enseignement économique libéral dominant a le don d’affranchir le progrès économique et technique de son rôle majeur dans le déclenchement des guerres mondiales, qui résultent largement de l’essor industriel.

    Economix - Michaël Goodwin & Dan E. Burr - Les Arènes, 2013.

    (Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • D'autres larmes***

    « Il jouira dans l’évier alors que retentira la sonnerie du micro-onde. » : cet entrefilet donne assez bienwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,glénat,treize étrange,d'autres larmes,camus,houellebecq,bhl,jean-philippe peyraud le ton de ce petit pamphlet satirique en BD, publié dans la collection "Treize étrange" en 2012, dirigé contre l’onanisme de la vie moderne. Le sacro-saint couple, dernier refuge dans le monde occidental, notamment, en prend pour son grade.

    Bien sûr on peut toujours se dire que ces pitoyables comédies sentimentales, dans lesquelles sont mis en scènes des beaufs et des hystériques, ne concernent qu’autrui. On peut toujours se dire ça ; il n’empêche que des gens qui jouent au poker ou au loto, il y en a de plus en plus ! On peut toujours, comme BHL, écrire de belles thèses sur le thème d'"Art et Vérité", pour faire croire que la philosophie continue, ou que la démocratie a de beaux jours devant elle. C’est la mission des intellectuels d’entretenir la foi. Ils seront bientôt les seuls à la prendre au sérieux.

    Cependant, vous me direz : - on a déjà lu ça cent fois ; ou bien : - Camus prône le suicide avec plus de style.

    En effet, M. Houellebecq est un exemple récent de best-seller qui repose largement sur le désenchantement. Des mâles trentenaires qui se pressent en Thaïlande dans des avions affrétés par un capitaine d’industrie démocrate-chrétien, pour s’y vider les couilles et échapper à des féministes castratrices («Plateforme») : c’est sûr qu’on fait plus gai.

     Mais cette petite BD me paraît plus enlevée que les romans de M. Houellebecq, qui a tendance à tirer à la ligne. Le dessin, presque "publicitaire", offre un contraste intéressant au propos.

    Plus tôt on se rend compte que l’existence n’a guère de sens, plus tôt on peut passer à autre chose.

    D'autres Larmes, Jean-Philippe Peyraud, Glénat, 2012.

  • L'Amour infini...

    ...que j'ai pour toi***

    Le dessinateur portugais Paulo Monteiro donne dans cet album une suite de petits textes lyriques webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,paulo monteiro,kritik,amour,infini,pape,paternalisme,politique,shakespeare,6 pieds sous terreillustrés, principalement sur le thème de l’amour et de la mort, qui d’une certaine manière sont deux états voisins.

    Shakespeare, le plus sceptique quant à la possibilité d’un amour humain désintéressé, déverse sa pensée corrosive sur ce plan, et il ne reste plus après ce bain d’acide que quelques vagues traits aussi indécis qu’un dessin de Bonnard. Shakespeare illustre que l’amour n’est qu’un remède au vague à l’âme bourgeois, qui par ce moyen refoule la mort en dehors du cercle de ses préoccupations. La mort est une borne, que la spéculation amoureuse a le don de repousser à l’infini, de façon artificielle. L'espoir fou que l'amour fait naître chez certains s'accommode mal de la trivialité de l'acte sexuel.

    L’intérêt du bouquin de Monteiro, qui de façon judicieuse a placé un bouc en couverture, est qu'il traite surtout de l’amour filial, où le sublime amoureux réside, bien plus que dans le coït conjugal banal, bien trop terre-à-terre.

    Paulo Monteiro évoque son amour pour son père, sa puissante vertu tutélaire jusqu’à la mort de celui-ci, précédée par l’étiolement de ses forces dû à l’âge. Il dessine un rapport amoureux qui repose d’abord sur la force physique d'exister que son père et créateur lui procure, avant de devenir "infini", quand celui qu’on croyait immortel ne peut plus servir d’appui. Dès lors nostalgie et mémoire deviennent le fondement, moins net, de l’espoir de bonheur, à l’instar des civilisations à bout de souffle.

    Les rayons des librairies sont pas mal envahis par des niaiseries sentimentales (dont les mangas japonais se font souvent une spécialité), ou des histoires de couple répétitives, cet auteur portugais publié par les éditions «6 pieds sous terre» (!) a choisi d’aborder la foi amoureuse sous un angle moins commun.

    Même s’il ne suggère pas précisément comme Shakespeare que l’infini, en amour, prouve qu’il n’y a pas d’amour, mais une réflexion narcissique exacerbée, Paulo Monteiro permet au lecteur de s’interroger sur la sincérité de son éthique personnelle, en partant de l’amour familial primitif, qui détermine les amours secondaires au cours de l'existence. 

    A travers l’idée du "père de la nation", ce mysticisme religieux perdure d'ailleurs au niveau politique, et l’espérance des citoyens dans les pouvoirs quasiment surnaturels de l’élu. Mais le pape aussi prend la place du père, contrevenant même ainsi à l'interdiction expresse des écritures saintes d'appeler quiconque n'est dieu son "père". Le seul fait de cette interdiction indique que l'enjeu amoureux de la paternité n'est pas des moindres.

    L'Amour infini que j'ai pour toi, par Paulo Monteiro, éds 6 pieds sous terre, juin 2013.

  • Marx**

    C’est la mode en BD de présenter ou d’introduire des philosophes réputés, voire des hypothèses webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,karl marx,engels,marxisme,biographie,révolutionnaire,hegel,stalinienscientifiques tarabiscotées, auxquelles les  non-initiés ne comprennent que dalle.

    Tous les outils semblent réunis aujourd'hui pour satisfaire la soif de connaissance et la combler -internet, wikipédia-, et pourtant cette soif n’en demeure pas moins aussi impérieuse, après des millénaires d’enquête.

    Il y a deux catégories d’être humains selon la dichotomie de Francis Bacon, qui fait partie des références humanistes de Karl Marx: d’une part ceux qui poursuivent le but du bonheur, de l’autre ceux qui poursuivent le but de la connaissance ou du savoir – que l’ignorance vrille autant que peuvent la soif ou la faim, et qui ne se satisfont pas de l’explication toute faite de la destinée, du hasard ou de l’Etat providentiel. Certainement Karl Marx fait partie de la seconde catégorie ; il affiche son mépris pour Epicure et l’épicurisme. C’est le principal mérite de cette BD de montrer Marx aiguillonné par la curiosité… et peut-être son seul mérite.

    L’album parvient à rendre Marx sympathique, comme le sont me semble-t-il les hommes ou les femmes insatisfaits d’eux-mêmes, et qui ne cherchent pas d’abord à se justifier par les erreurs d’autrui, ce qui est le penchant commun. Sur l’aspect didactique, en revanche, cette BD échoue à dire clairement en quoi la science de Marx est révolutionnaire et perturbe les certitudes technocratiques de son temps, qui est encore le nôtre.

    Le principal problème que la communication des ouvrages de Marx en France doit affronter n’est pas abordé dans cet album. C’est celui de la censure. En effet, Karl Marx ne partage aucune des valeurs laïques républicaines dont l’enseignement est obligatoire en France*. Les élites staliniennes ont naguère fait un effort considérable pour rapprocher Marx de Hegel, alors que celui-là n’a cessé de s’éloigner de la brillante théorie du progrès national-socialiste. Tout simplement parce que l’hégélianisme, lui, est compatible avec l’appareil judiciaire d’une république populaire ou démocratique, contrairement à la démonstration historique de Marx que le droit républicain ne fait que prolonger le droit ecclésiastique en l’adaptant à la nouvelle donne industrielle.

    Marx et Engels ont d'ailleurs anticipé la violence républicaine catastrophique du XXe siècle, tandis que les élites républicaines européennes n’ont fait que se disculper de cette violence, postérieurement aux catastrophes mondiales, suivant une méthode religieuse caractéristique.

    Marx avait bien compris que l’institution catholique romaine était imperméabilisée contre l’histoire. Mais qu'il en va de même pour toute institution puissante, qui pour des raisons organiques ne peut pas se permettre l'autocritique.

    Les quelques dernières pages de cette BD, consacrées à l’actualité de Marx, ne font qu’accroître la déception, car c’était là un sujet bien plus intéressant. Et Marx n’aurait accordé à sa propre biographie aucune espèce d’intérêt, n’étant pas de ces artistes qui se contemplent ou se projettent dans leurs ouvrages, en pensant qu’ils les prolongeront dans l’au-delà.

    Les auteurs, Corinne Maier et Anne Simon, constatent que chaque nouvelle crise économique remet au goût du jour la fameuse observation de Marx : «Le Capital est le pire ennemi du Capital», fortement évocatrice de la spiritualité juive dressée contre la tour de Babel, qui symbolise l’anthropologie ou le langage, et s’écroule d’elle-même. Parodiant Marx, on pourrait dire que la force révolutionnaire des «subprimes» ou des «hedge funds», aussi imprévisibles que les cyclones, excède largement la force révolutionnaire des mélanchoniens ou des lepénistes réunis, somme toute plus nostalgiques des «Trente Glorieuses» qu’autre chose.

    *Le meilleur indice de cette censure est l'omerta sur les études critiques de Marx concernant la révolution française de 1789, dans lesquelles l'historien établit un lien entre la démocratie libérale et le populisme, très peu conforme au catéchisme républicain.

    Marx, par Corine Maier et Anne Simon, Dargaud, 2013.

  • Etapes 213***

    Puisque le graphisme est surtout une question de présentation, on peut faire cette comparaison avec le webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,graphisme,étapes graphiques,critique,kritik,graphisme,bobo,jo ratcliffe,,shoreditch,the estate office,orwellien,stéphanie posavec,adolf hitler,police,caractère,propagande,publicitémaquillage féminin et avancer que le graphisme le plus efficace sera le plus discret.

    Cependant, c’est le développement extraordinaire du commerce et de la publicité au cours des dernières décennies qui explique que le graphisme a pris une telle ampleur (malgré la désaffection grandissante du public pour la presse). Grâce ou à cause de la publicité, le graphiste a été élevé au rang d’artiste. Et la discrétion ne s’est pas imposée partout.

    Appréciée des professionnels, bien que luxueuse, la revue «Etapes graphiques» se situe plutôt dans le camp des puritains que des polices bling-bling et des coups de massicots déjantés ; elle réussit le tour de force de parler du graphisme sans trop ennuyer avec des problèmes de nomenclatures et de chartes.

    J’étais plutôt amusé d’apprendre dans un précédent numéro le goût d’Adolf Hitler pour le graphisme, et même qu’il avait une police de caractère préférée… ce qui est assez logique de la part d’un propagandiste, ou du stade totalitaire où politique et art se recoupent entièrement, donnant à ce dernier le caractère le plus légal.

    La dernière livraison d’« Etapes », volumineuse, est un numéro spécial sur Londres. Même si le point de vue « d’Etapes » n’est pas exactement « orwellien », on nous relate comment une agence immobilière « The Estate Office » a imaginé de draguer les bobos londoniens (dont un certain nombre de professionnels du graphisme), à l’aide d’une campagne de publicité dessinée (Jo Ratcliffe), afin de peupler le village branché de Shoreditch pour en faire un ghetto chic et prospère. Dans la même revue, Stéphanie Posavec évoque « la névrose des graphistes en mal de spontanéité » : il faut souhaiter que la clientèle du village de Shoreditch ait été prévenue.

    Plus sérieusement la question se pose pour des illustrateurs ou des artistes, souvent dans la dèche, de l’engagement au service de causes publicitaires parfois obscures, en même temps que celle de la suprématie de l’argent sur les autres arts abstraits.

    Un autre article est consacré au quartier de « l’East-End » londonien, où misère et crime sévissaient il y a un siècle et demi –c’était d’ailleurs le périmètre d’action de Jack l’Eventreur ; la réhabilitation de ce quartier en a apparemment chassé les derniers fantômes...

    Bref, un bon numéro dans l’ensemble, où le blanc tournant ne l’emporte pas trop sur le jaune d’oeuf.

    Etapes, mai-juin 2013

  • Pablo-Matisse (T.3)****

    Après avoir dit tout le bien que je pensais du premier tome des aventures de Pablo Picasso, par webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,pablo,matisse,clément oubrerie,julie birmant,picasso,max jacob,gertrude stein,biographie,arianna stassinopoulos huffington,biopic,apollinaireBirmant et Oubrerie, je me suis abstenu de faire la critique du second tome, moins léger. On retrouve dans le troisième tome le ton de l’esquisse légère pour brosser le portrait du peintre qu’il est convenu de considérer comme le Michel-Ange des temps modernes, et qui ambitionna, de fait, d’atteindre le sommet de l'art.

    Plus intellectuel que Picasso, Delacroix mentionne dans son «Journal» que, contrairement à la musique, qui exige des œuvres les plus parfaitement composées, l’esquisse vaut souvent mieux en peinture que le produit fini destiné à satisfaire le commanditaire…

    Ma comparaison est ici avec des biographies pesantes, pleines de références et qui se veulent exhaustives, mais tombent dans les détails superflus, voire souvent le piège de l’hagiographie en ce qui concerne Picasso, afin d’en faire une gloire nationale.

    L’habileté du scénario de Julie Birmant consiste à mettre les personnages « secondaires » en avant, et à décentrer au maximum sa biographie de Pablo, ce qui permet de gommer l’image d’Epinal du « monstre sacré », et de rendre l’artiste plus humain. D’ailleurs l’œuvre d’un artiste qui vise la gloire comme Picasso, ne s’élabore pas exclusivement en son âme et conscience. Il tient compte de ses contemporains, ou au moins de son entourage proche, surtout lorsqu’il est composé d’artistes comme Max Jacob et Apollinaire, ou d’amateurs d’art comme Gertrude Stein, que l’on voit traiter Picasso comme son poulain. Les caractères sont bien traités, d’une manière caricaturale mais sans excès, suivant une méthode qui permet d’en saisir le caractère. Max Jacob dans le premier tome, étonné et séduit par tant de primitive virilité chez son ami Pablo ; Matisse fait office de contrepoint dans le dernier, tant son tempérament policé diffère de celui du brutal Espagnol. Le scénario fait bien d’insister sur la virilité, voire le machisme de Picasso, dont l’art n’a pas toujours l’heur, en effet, de plaire aux femmes, a contrario de Gertrude Stein, dont la BD de Picasso nous dit qu’il a voulu la portraiturer comme une pierre. Je fais référence ici à la biographie d’une autre Américaine, qui s’est appliquée à démolir la statue de Picasso, pour la seule raison de cette virilité débordante (Arianna Stassinopoulos-Huffington). Au demeurant, on peut se demander si le seul lien véritable entre Picasso et le parti communiste ouvrier n’est pas, précisément, cette virilité, vu l’indifférence manifestée par Picasso pour l’idéologie ou la politique ? (la mentalité de Picasso est très éloignée de la dévaluation de l'idée de "génie artistique" par K. Marx).

    Pour le défaut de ce «biopic», et bien que le dessin de Clément Oubrerie soit assez enlevé, je mentionnerais la colorisation des planches, estimant le noir et blanc à la fois mieux adapté à la BD en général, et à l’art d’un peintre assez sculptural.

    La biographie de Birmant et Oubrerie permet de suppléer autant que possible à l’enseignement de l’histoire de la peinture, presque parfaitement sinistré en France, ou recouvert du leitmotiv de l’art numérique, qui dissimule mal son objectif de promotion des gadgets technologiques. Des esprits moins ronchon que le mien diront que cela permet au moins de préserver l’art du manque de saveur des matières enseignées à l’école… et ils auront sans doute raison.

    Pablo-Matisse (T.3), J. Birmant & C. Oubrerie, Dargaud, 2013.

    Zombi (leloublan@gmx.fr)