Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

ségur

  • Le Roi des Mouches*

    Charles Bukowski (1920-94) excelle dans deux ou trois de ses meilleurs bouquins à peindre les Etats-Unis comme le culot de l’enfer, tout en introduisant dans cette peinture des touches burlesques. Je crois qu’on peut encore aujourd'hui, malgré l’enrichissement de cette nation depuis "Women" ou "Ham on rye", éprouver la dureté contondante de l’âme américaine, affleurant sous la grasse vaseline du pognon, lorsqu'on y séjourne.

    La mécanique hurle moins de douleur quand elle bien huilée, mais ça reste la mécanique, et les sorties de route, c’est pas ça qui manque, que ce soit cahin-caha ou à pleine tube.

    fanzine,bd,zébra,webzine,gratuit,bande-dessinée,zombi,critique,kritik,charles bukowski,henry miller,hemingway,bret easton ellis,david lynch,roi des mouches,mezzo,pirus,victor hubinon,buck danny,florence dupré-latour,halloween,parc des princes,xavier dupont de ligonès,ségur,malheurs de sophie


    L’humour vengeur fait la différence entre Bukowski et les esthéticiens putassiers de l’enfer, qu’il conspua utilement de son vivant: Henry Miller, et même Hemingway, pressentant sans doute des imitateurs à encore pires à venir. De l’enfer, comme du mur de Berlin, on peut très bien fourguer de petites parcelles au rayon "Culture". Il y aura toujours des clients pour ça. Et, en effet, Bret Easton Ellis ou David Lynch sont venus après, avec leurs gadgets rutilants porno-chics, qui donnent des frissons aux critiques de «Madame Figaro» ou «Voici».

    Peu d’artistes ayant vraiment séjourné en enfer en ont ramené des images plaisantes à l’œil. Plus souvent l’humour, sans doute la disposition d’esprit qui leur a permis de survivre. Or, seule cette expérience et cet humour nous intéressent ; non le trafic de mauvais sentiments du suppôt de Satan à sa maman. Les messes noires sont aussi chiantes que les blanches, dès lors qu’elles se répètent tous les samedis, et que curé débarque en hélicoptère au "Parc des Princes".

     C’est à peu près là que je situe les trois tomes signés Mezzo et Pirus, regroupés sous le titre générique: "Le Roi des Mouches", et situés dans l’Amérique profonde. Plus près de l’esthétique que de la sincérité. Et quelle esthétique: celle de Victor Hubinon, en plus raide, pour ceux qui connaissent «Buck Danny», série des années 60 destinée à inculquer aux petits Français ou Belges l’admiration des Etats-Unis. Le clicheton américain 100%. Même pas une boîte de nuit de province, aujourd’hui, qui voudrait encore de ce look ou ce design (à vérifier quand même). Un pot d’encre par page + la couleur par dessus le marché.

    Au départ, premier tome, on sent une volonté des auteurs de nous entraîner dans une sorte de virée entre mauvais garçons et mauvaises filles qui font des trucs cochons entre eux (qui n’en fait pas aujourd’hui, c’est presque devenu obligatoire), et ça va mal se terminer, vu qu’ils conduisent leur buick comme des garnements. Lourde insistance sur le climat d’inceste qui règne au sein des familles américaines. Un truc vu et revu. D’où l’exigence du lecteur.

    Deux ou trois personnages sont esquissés, qu’on est tenté de suivre ; mais non,  au fil des pages, les auteurs ne parviennent pas à donner de l’étoffe à leurs paumés; est-ce que ce n’est pas plus facile, pourtant, de donner du relief à un mauvais garçon qu’à un diplômé de Harvard ou un pilote de chasse («Buck Danny») ?

    Dernier tome: les auteurs ont renoncé à tout autre projet que celui de dessiner à la manière des auteurs de comics yankees.

     Ça peut paraître étrange, mais j’ai éprouvé plus de malaise à la lecture des "Malheurs de Sophie" qu’à celle de cette trilogie. Vous savez, l’histoire de la petite garce de Ségur, qui torture les animaux et pousse son cousin Paul au vice. Ils ne se tringlent pas encore entre eux à l’arrière des voitures, mais on sent que ça ne va pas tarder. Toute la perversité est dans le non-dit, le minimalisme japonisant des sévices mutuellement administrés. Ambiance Xavier Dupont de Ligonès, ou Florence Dupré-Latour, pour citer deux artistes qui savent, eux, ce que c’est de faire régner un climat malsain, sans le déguisement d’Halloween ou je ne sais quel millième groupe de «heavy metal» à boulons chromés.

    "Le Roi des Mouches", Mezzo et Pirus, éd. Drugstore, 2013.

    (par Zombi - leloublan@gmx.fr)

  • A la manière de...

    Nouveau malheur de Sophie

    (pastiche par Paul Reboux)

    Mirza


    La petite Sophie se laissait souvent emporter par la colère. C’est un vilain défaut que sa maman s’efforçait de corriger.
    Un jour Mme de Réan l’appela et lui désigna une chienne levrette, dont les yeux brillaient du plus beau noir, et dont les pattes étaient minces comme du verre filé.

    MADAME DE RÉAN

    « Sophie ! Le postillon de la diligence vient d’apporter une caisse à ton adresse. Voilà ce qu’elle contenait. C’est un présent que ton parrain t’envoie de Paris. Vois, la jolie levrette !

    SOPHIE, sautant de joie.

    C’est pour moi ? Quel bonheur !

    MADAME DE RÉAN

    Tu la soigneras bien ?

    SOPHIE, serrant la levrette dans ses bras.

    Elle sera la plus heureuse des petites chiennes !
    Viens, mon bijou, mon trésor, que je t’embrasse !

    MADAME DE RÉAN

    Voyons mon enfant, ne la baise pas ainsi qu’une personne, mais de la façon qui convient pour une levrette.

    SOPHIE

    Comment faire, Maman ?

    MADAME DE RÉAN

    Il suffit de flatter cette petite bête de la main en l’appelant par son nom.

    SOPHIE

    Et quel est-il ?

    MADAME DE RÉAN

    Elle répond au nom de Mirza.»


    Sophie, toute joyeuse, emmena Mirza. Elle lui prépara un lit formé d’un panier garni de coussins. Elle demanda même à sa bonne de coudre pour la levrette un paletot de drap bleu ciel, bordé de grenat, du plus charmant effet.
    Quand Paul, venu pour goûter avec sa cousine Sophie, vit Mirza, il se réjouit d’autant plus que sa maman, Mme d’Aubert, avait reçu en cadeau un petit chien de même race, nommé Patapon.

    MADAME DE RÉAN

    « À merveille ! Au printemps prochain, Mirza et Patapon pourront avoir ensemble des petits que vous élèverez, mes enfants.

    SOPHIE

    Bravo ! Quelle bonne idée !

    PAUL, taquin.

    Tu seras grand-mère, Sophie.

    SOPHIE, vexée.

    Et pourquoi donc ?

    PAUL, avec esprit.

    Puisque ta fille aura des enfants !

    SOPHIE, lui tirant les cheveux.

    Tu es un méchant ! Va-t’en ! Je ne t’aime plus du tout !

    MADAME DE RÉAN, sévèrement

    Sophie ! Je vous défends de parler ainsi à votre cousin. Si vous êtes aussi susceptible, je confisquerai Mirza et ne vous la rendrai que dans sept ans !

    SOPHIE

    Pardonnez-moi, maman, je ne le ferai plus.

    MADAME DE RÉAN

    C’est bon. J’enregistre ta promesse. Et maintenant allez jouer, et soyez sages. »


    Sophie et Paul, conduisant Mirza en laisse, se mirent à courir autour de la pelouse.
    Bientôt le bruit d’une calèche qui arrivait attira leur attention. C’était Camille et Madeleine que Mme de Fleurville amenait en visite.
    Tandis que cette dernière allait rejoindre Mme de Réan qui brodait des pantoufles sur la terrasse du château, les enfants demeurèrent ensemble. Ils s’aperçurent alors que Mirza avait disparu.

    SOPHIE, pleurant.

    « Ah, mon Dieu ! Elle est perdue !

    PAUL

    Ne te désole pas, ma bonne Sophie ! Je la retrouverai, dussé-je sauter pour cela dans les épines. »


    Camille et Madeleine partirent vers les serres, Paul s’en alla du côté des écuries, et Sophie du côté de la ferme, en appelant tous quatre à tue-tête : « Mirza ! Mirza ! »

    SOPHIE

    « Camille ! Madeleine ! La voilà ! Venez la voir ! Elle est avec Rustaud, le chien de la ferme.

    CAMILLE, accourant.

    Oh ! Comme elle est jolie !

    MADELEINE

    Dis-moi, Sophie, tu n’as pas peur que Rustaud lui fasse du mal ? Regarde…

    SOPHIE

    Pourquoi donc ? Ils jouent au cheval. Ce doit être leur façon de s’amuser entre chiens.

    CAMILLE

    Elle n’a pas l’air heureuse. Vois comme ses oreilles sont en arrière !

    MADELEINE

    Ce gros Rustaud s’appuie sur cette petite bête de tout son poids. Je t’assure, Sophie, qu’il va la fatiguer.

    SOPHIE

    Mais non. Je te dis qu’ils jouent. (À Paul, qui apparaît au loin.) Paul ! Paul ! Viens donc vite ! C’est très joli ! Viens voir !

    PAUL, accourant.

    Hou ! Hou ! Vilain chien ! Va-t’en !

    SOPHIE

    Pourquoi parles-tu ainsi à ce bon Rustaud ?

    PAUL

    Tu ne comprends donc pas ? Il va la rendre mère de bâtards !»


    Sophie était moins savante qu son cousin en histoire naturelle. Mais ce vilain mot de «bâtards» la mit hors d’elle. Elle ramassa une badine et se mit à frapper très fort sur le dos du pauvre Rustaud. Les deux animaux tentèrent de se séparer. Mais une involontaire fidélité les maintenait associés sous les coups.
    Les mamans accoururent et, de loin, virent Sophie s’escrimant à poursuivre Rustaud, enfin libéré. Indignée par la cruauté de Sophie, Mme de Réan lui tira fortement l’oreille et l’obligea à lâcher la baguette. Puis elle demanda, d’un air sévère :
    - Pourquoi martyrisiez-vous ainsi le chien de la fermière, Mademoiselle ?

    SOPHIE, rougissant.

    Mais non, maman, je ne le martyrisais pas !

    MADAME DE RÉAN

    Je vous ai déjà défendu de répondre :
    «Non» aux grandes personnes.

    SOPHIE, les larmes aux yeux.

    Je ne faisais rien…

    MADAME DE RÉAN

    Vous êtes une petite menteuse ! Je vais vous mettre au pain sec et à l’eau !

    PAUL

    Ne la punissez pas, Madame. Vous n’avez pas vu sans doute que Rustaud et Mirza…

    SOPHIE, pleurant

    Hi ! Hi ! Mirza va avoir des bâtards ! Paul l’a dit !

    MADAME DE RÉAN

    Ah ! Je comprends !… Mais n’importe… Sachez, Mademoiselle, qu’il ne faut jamais être méchante ni avec les pauvres ni avec les animaux privés de discernement. C’est le Bon Dieu qui a fait la Nature. Respectons l’œuvre du créateur.»


    La petite troupe reprit alors le chemin du château, tandis que Sophie se promettait d’être désormais douce et indulgente.
    Nous allons voir comment elle tint parole…

    pastiche,comtesse,ségur,paul reboux,malheurs sophie,mirza,gotlib,illustration

    (Ill. par Gotlib des "Malheurs de Sophie")