Caricature par ZOMBI
feuilleton
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Saison 2
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Revue de presse BD (256)
Extrait du recueil "Un certain climat".
+ Le dessinateur satirique René Pétillon a déclaré au magazine "Bretons" (août-sept. 2017) prendre bientôt sa retraite du "Canard enchaîné" ; à vrai dire il pourrait s'agir d'une "retraite de chanteur", avec de nombreux "come backs". Extraits de l'entretien accordé à cette publication identitaire où Pétillon a le culot de déclarer qu'il rêvait plutôt de travailler pour "Charlie-Hebdo".
- Je n'ai pas candidaté [au "Canard"], ce sont eux qui sont venus me chercher. (...) Au tout début des années 1990, je commence à renouer avec le dessin d'actu dans VSD. C'est là que "Le Canard" me repère. Eric Emptaz, rédacteur en chef, me demande de le rejoindre. Il voulait un strip.
- Nous sommes une dizaine de dessinateurs. Moi, je suis salarié. Mais nous ne le sommes pas tous. Cabu, par exemple, ne l'était pas. Quand vous l'êtes, vous réservez l'exclusivité de vos dessins politiques au Canard. (...) Ils tiennent à l'exclusivité de la signature. Je le comprends tout à fait : en tant que salariés, nous sommes très bien payés et bénéficions de tous les avantages : intéressement, participation, etc. Il est logique qu'ils aient leurs exigences.
- L'humour est incompatible avec le militantisme. Nous, dessinateurs de presse, sommes des tordus. Nous dessinons toujours contre. Le militantisme et l'engagement ont sans doute des vertus admirables. Mais il y a toujours, là-dedans, une dose de sectarisme et un certain caporalisme.(...)
Johnny Hallyday, un bel exemple de culture laïque (le chanteur sert ici de modèle au dessinateur Jijé).
+ De nombreux caricaturistes et titres de presse satiriques revendiquent les "valeurs républicaines laïques". A ce compte-là, on pourrait aussi bien créer une chaire pour enseigner la satire à la Sorbonne !
La République française et la laïcité sont-elles particulièrement favorables à la caricature ? Pas plus que le régime de Louis XV, et probablement moins que le Royaume-Uni voisin où une poignée d'intellectuels imposera plus difficilement au reste du pays son opinion qu'il peut le faire en France, par le canal médiatique.
A l'étranger, la prétention des Français à défendre la liberté d'expression mieux que quiconque prête d'ailleurs à sourire.
La presse satirique a connu son âge d'or au XIXe siècle, sous le régime monarchique libéral de Louis-Philippe. Les profs laïcs eux-mêmes ont du mal à soutenir que le régime républicain est favorable à la caricature ; à mots couverts, D. Moncond'huy dans sa "Petite histoire de la caricature de presse en 40 images" (Folio) écrit le contraire : "Gageons que le recul relatif de la satire de presse, à sa manière, constituait un signe de l'affermissement de la République elle-même." Notons qu'il est nécessaire d'employer une litote pour dire que la République moderne est hostile à la caricature.
Certains Français sont fascinés par le droit (les moins fascinés d'entre eux sont ceux qui connaissent le mieux l'appareil judiciaire et ses limites), mais c'est l'esprit le moins disposé à la satire qui assimile la réalité au droit, et le droit à la réalité. C'est là une tournure d'esprit équivalente au fanatisme religieux, qui attribue au fantasme une valeur supérieure à la vie.
+ Retour sur le SoBD (salon de la BD indépendante) qui s'est tenu le week-end dernier à la Halles des Blancs-Manteaux (Paris 5e) : j'ai bien écouté les explications du libraire (spécialisé dans la BD) Sylvain Insergueix, et j'en déduis que le métier de libraire et les librairies n'ont désormais plus aucun intérêt, autre que commercial.
+ Il apparaît d'autre part que la "reconnaissance de la BD" par les autorités culturelles est comparable au label rouge en charcuterie, puisque les auteurs de BD sont les derniers à en profiter, comme les cochons de leur label - sans compter les lecteurs, cinquième roue du carrosse, à qui on vend des livres comme on vend des petits pains.
+ Petit éditeur indépendant (éditions "Lapin") depuis quelques années, après avoir monté un site internet diffusant de la BD gratuitement, Philippe Simon a expliqué qu'il était plus habitué à gérer des dettes que des bénéfices. De plus, son domicile est encombré de cartons de livres ; malgré ces inconvénients, celui-ci a encouragé les passionnés à se lancer dans ce métier. Son catalogue compte désormais une centaine de titres.
+ Le prix "Papiers Nickelés" a été décerné au cours du SoBD à "Case, strip, action !", un copieux ouvrage qui étudie les feuilletons en BD parus dans les magazines pour la jeunesse de 1946 à 1959 (Alain Boillat, Marine Borel, Raphaël Oesterlé, Françoise Revaz (éd. In-Folio).
+ Olivier Tallec, formé à l'école Duperré, est illustrateur de livres pour enfants et publie aussi des dessins humoristiques.
Sempé et Voutch sont ses références, ainsi que le "New-Yorker", et dans un entretien au site d'actu "Toutenbd" il explique sa méthode pour concevoir un gag.
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Qui a peur de Shakespeare ? (4)
Petit feuilleton littéraire estival
Le mystère de la fable
Le halo de mystère qui entoure Shakespeare est donc, pour une part, le résultat d'un malentendu ou de contresens manifestes, disions-nous dans le précédent épisode de ce feuilleton. Quelques dizaines de milliers d'ouvrages ont été rédigés afin de défricher le terrain et permettre une meilleure compréhension du théâtre de Shakespeare ; pourtant, c'est comme si on patinait au lieu d'avancer.
Qui a peur de Shakespeare ? Est-il comme un spectre, hantant notre culture au crépuscule, effrayant comme le diable, et dissuasif pour certains d'entendre son message ?
Si l'on estime, tout comme Freud, que Hamlet est sans doute le portrait de l'auteur des pièces signées "Shakespeare", ne peut-on en déduire que Shakespeare a, comme son héros, beaucoup d'ennemis plus ou moins rusés, et qu'il a pris certaines précautions pour se garder d'eux ?
Parmi les lecteurs et critiques qui, au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, ont éprouvé de l'admiration pour Shakespeare et son oeuvre, certains ont tourné leur veste, tels Voltaire (dénigrant "Hamlet" : "On croirait que cet ouvrage est le fruit de l’imagination d’un sauvage ivre."), Nietzsche (qui finira par avouer sa perplexité, après s'être dit la réincarnation de Francis Bacon, alias Shakespeare), ou encore Claudel (qui préfère Racine, en définitive). La fascination de Polonius pour Hamlet, mêlée de crainte et de ruse machiavélique, n'est pas sans faire penser à l'attitude de tel ou tel commentateur.
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La violence de Hamlet a beaucoup fait jaser : certains l'ont trouvé excessive, à l'encontre de sa mère notamment (Gertrude) ; cette colère a paru incohérente avec l'hésitation de Hamlet à se venger du traître Claudius. Freud s'est perdu en conjectures pour tenter d'élucider le tempérament de Hamlet ; mais le schéma de l'oedipisme nous laisse sur notre faim. Cette incohérence psychologique incite à voir plutôt dans "Hamlet" une pièce tragique, dont le ressort n'est pas principalement psychologique. La violence de Hamlet, ses coups d'épée, sont une violence symbolique, comme celle de nombreux mythes antiques qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre. La mère de Hamlet est comparable à la méchante reine du conte de fée, qui empoisonna Blanche-Neige.
Il est sans doute plus pertinent de prendre Shakespeare pour un auteur de fables ou de contes. Une part du mystère est donc intentionnelle, liée au caractère allégorique de la pièce. Les pièces de Shakespeare sont un peu comme les fables d'Esope, qu'il nous faudrait déchiffrer si elles n'étaient pas suivies ou précédées par une petite explication.
Le choix d'une forme allégorique peut s'expliquer par diverses raisons : le succès de Homère à travers les âges illustre le goût du public le plus large pour la mythologie. Shakespeare comme Homère est apprécié aussi bien par un public lettré que par un public plus fruste. Combien de dramaturges peuvent en dire autant ?
Le parfum de mystère est aussi une incitation pour le public à plonger plus avant dans l'oeuvre, une fois sa curiosité piquée à vif...
Le fossé qui sépare le public contemporain de Shakespeare est sans doute plus difficile à franchir pour ceux qui ne croient pas aux contes de fées, mais plutôt dans le triomphe de la raison sur les mythes du passé.
- Avides de sujets nouveaux, les peintres romantiques se sont emparés des pièces de Shakespeare, qui commencent alors d'être en vogue dans toute l'Europe, et les ont illustrées. Ci-contre, le peintre français Théodore Chassériau a représenté Othello et Desdémone ; le littérateur et peintre britannique J. H. Füssli peint, lui, la démoniaque Lady MacBeth en pleine crise de somnambulisme.
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Qui a peur de Shakespeare ? (3)
Petit feuilleton littéraire estival
Quelques hypothèses et une certitude
Nous pouvons comparer Shakespeare à une haute montagne tel le Mont-Blanc ; son nom est familier de tout le monde ; presque aussi nombreux sont ceux qui ont aperçu le fameux mont de loin, par temps clair ; mais, quant à ceux qui ont escaladé les pentes du Mont-Blanc, atteint son sommet, ils forment un petit nombre...
Nous l'avons dit précédemment : dès lors que l'on s'approche un peu de Shakespeare, après avoir lu quelques-unes de la quarantaine de pièces qui composent son oeuvre, on éprouve le sentiment contradictoire d'un ouvrage cohérent, dont les différentes parties se répondent, en même temps qu'il recèle un mystère.
La cohérence et le mystère sont les deux moteurs de l'investigation ; la cohérence fournit des points d'appui, tandis que le mystère pique la curiosité et le désir d'en savoir plus.
Quelques érudits, spécialisés dans l'étude de Shakespeare, ont cru avoir résolu tout ou partie de l'énigme. S. Freud a poussé loin l'étude psychologique des personnages et fini par se persuader que le savant anglais Francis Bacon (1561-1626), qui fut un temps garde des sceaux du roi d'Angleterre Jacques Ier, n'était autre que le véritable auteur d'une oeuvre qui témoigne d'une érudition hors du commun, dans des domaines aussi variés que le droit, les sciences naturelles, l'astronomie, ou encore ce que l'on appelle aujourd'hui la géographie.
L'identification du personnage de Hamlet à l'auteur de la pièce éponyme est sans doute le plus convaincant dans l'hypothèse de Freud. Néanmoins, l'inventeur de la psychanalyse n'est pas parvenu à donner une explication solidement étayée du théâtre de Shakespeare en général, ni de "Hamlet" en particulier. La question de la condition humaine dépasse sans doute les solutions que la psychanalyse ou la médecine préconise.
Le romancier et critique littéraire André Gide proposa, lui, une hypothèse en forme de piste à suivre, affirmant que l'énigme Shakespeare se résume à l'énigme de la religion de Shakespeare. Gide ne se mouille pas tant que ça, car Shakespeare a été revendiqué par toutes les factions religieuses chrétiennes, et même par le chantre du néo-paganisme, Frédéric Nietzsche (1844-1900).
Cependant Gide a raison d'insister sur la foi de Shakespeare : les quatre siècles qui nous séparent de la publication des pièces ont contribué à épaissir le mystère de la religion de Shakespeare. Ainsi la violente querelle théologico-politique qui opposa l'Eglise romaine aux partisans de la Réforme luthérienne ou aux anglicans est un point crucial de l'histoire européenne, aujourd'hui méconnu, maltraité dans certaines notices accompagnant la réédition des pièces. On ne peut exclure le contexte des guerres de religion quand on se pose la question de la religion de Shakespeare.
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Une part du mystère vient donc, non de Shakespeare ou des pièces elles-mêmes, mais de l'ignorance des admirateurs ou des commentateurs. On pourrait mentionner plusieurs contresens manifestes, commis à propos de telle pièce, ou bien de l'oeuvre en général, dans des notices à vocation scolaire ou didactique.
Mentionnons un élément majeur, que certains commentateurs semblent s'obstiner à ignorer : la satire visant le moyen-âge ou la culture médiévale, qui court pourtant à travers toute l'oeuvre de Shakespeare.
Quelques exemples convergents de cette satire :
- Les moines ont toujours le mauvais rôle dans les pièces de Shakespeare ; le frère Laurent, moine capucin conseiller de Roméo, contribue à la fin tragi-comique de Roméo et sa dulcinée. Quant au complice du frère Laurent, le frère Jean, qui joue le rôle de messager, c'est carrément un imbécile dont la négligence a des conséquences dramatiques. "Mesure pour mesure" est encore plus caractéristique de cet anticléricalisme, puisque Shakespeare esquisse ici une théorie de la relativité des règles morales en vigueur dans la haute société médiévale (dictées par le clergé) ; Shakespeare suggère qu'un tel relativisme débouche sur l'arbitraire. Ophélie, dans "Hamlet", est encore un personnage dont la folie est explicitement liée à une éducation catholique déficiente. Son frère Laërte est une sorte de Don Quichotte ridicule, confondant orgueil et amour, comme le héros de Cervantès.
- Les moines sont montrés chez Shakespeare, comme chez Rabelais ou Boccace ("Décaméron") auparavant, sous un jour peu reluisant. Un autre pan de la culture médiévale n'est pas épargné par la satire, celui de l'héritage antique, qui forme avec l'enseignement du clergé catholique un socle assez hétéroclite. Dans "Troïlus et Cresside", Shakespeare remet en scène la guerre de Troie et ses héros, d'une manière qui discrédite la notion d'"héritage antique" ; en lieu et place des héros troyens, de leur héroïsme légendaire, Shakespeare nous montre des guerriers mus par l'intérêt et des motifs triviaux. Le roman national anglais est écorné.
L'exaltation des guerriers n'est pas tant le but d'Homère qu'il fut celui de "L'Enéide" et du poète Virgile. Cela nous conduit à situer la démarche et le message de Shakespeare à l'opposé de celui de Dante dans sa "Divine comédie" et son traité politique.
Il faut noter que le personnage de Lancelot, chevalier et héros du poème épique de Chrétien de Troyes, est un valet (et un imbécile) dans "Le Marchand de Venise".
- Plusieurs personnages emblématiques des idées théocratiques en vigueur au moyen-âge sont montrés par Shakespeare sous un jour plus ou moins sinistre dans différentes pièces : le cardinal Wolsey, dans "Henri VIII", machiavélique conseiller du roi, paré des attributs de la religion ; Thomas More, dans la pièce éponyme, est présenté sous un jour très défavorable ; à l'instar de Wolsey, More est la victime de sa propre cabale, et son action politique l'entraîne à se parjurer. Enfin, l'un des personnages le plus méprisables du théâtre de Shakespeare, Polonius, joue auprès du roi Claudius un rôle de ministre de l'ombre similaire à celui joué par Wolsey et More.
Une partie du mystère qui entoure Shakespeare n'est autre que de l'incompréhension ; cette incompréhension peut s'expliquer par l'empreinte persistante du moyen-âge sur notre temps, en dépit ou à cause du progrès technique accompli depuis le moyen-âge. En effet, on a oublié à quel point le moyen-âge fut un âge technocratique, à l'instar du nôtre. Les mentalités ne diffèrent guère aujourd'hui aux Etats-Unis de ce qu'elles furent au moyen-âge, en Europe.
(A SUIVRE)
La première des planches reproduites ci-dessus est tirée du "Hamlet" de Gianni de Luca (1927-1991). Elle illustre la scène où Horatio annonce à son ami Hamlet l'apparition d'un spectre sur les remparts du château d'Elseneur au milieu de la nuit. Gianni de Luca a adapté également deux autres pièces de Shakespeare, en transposant d'une manière virtuose le caractère théâtral.
- Le théâtre de Shakespeare a fait l'objet de nombreuses adaptations en BD, plus ou moins réussies et fidèles, parmi lesquelles celle de "MacBeth" par Daniel Casanave, d'où est extraite la seconde planche.
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Qui a peur de Shakespeare ? (2)
Petit feuilleton littéraire estival
Réserve française
Dans le premier numéro de ce feuilleton, nous avons souligné l'empreinte profonde de Shakespeare sur la culture moderne, en même temps qu'un voile de mystère continue de napper l'oeuvre, voire l'identité de son auteur.
Il serait en effet plus facile de dresser la liste de ceux -philosophes, romanciers, poètes, dramaturges, critiques-, qui ne doivent rien à Shakespeare, l'ignorent (délibérément ou pas), plutôt que la liste des suiveurs plus ou moins fidèles.
Le mystère est entériné par la critique qui, ne parvenant pas à classer un certain nombre des pièces de Shakespeare dans le genre comique ou tragique ("Timon d'Athènes", "Mesure pour mesure", "Troïlus et Cressida"...), les a qualifiées de "problem plays" (pièces énigmatiques). Cette difficulté de classement, si elle indique l'originalité de Shakespeare, n'est rien à côté du problème de l'interprétation des pièces et des poèmes, auxquels on a prêté parfois des significations radicalement opposées. Ainsi, quand certains voient en Hamlet le héros de la tragédie qui porte le même nom (ce qui paraît assez logique), d'autres ont affirmé que Claudius (traître, assassin et adultère) en était le véritable héros.
Pourtant l'engouement d'un large public pour le théâtre de Shakespeare montre qu'il n'est pas le domaine réservé de quelques spécialistes. Mieux, ce théâtre vieux de quatre siècles est d'une étonnante actualité.
- Le poids de la finance et des banques sur la destinée des hommes d'aujourd'hui évoque irrésistiblement "Le Marchand de Venise", dont il y aurait peu à changer pour donner une version londonienne dans un décors de buildings de verre et d'acier.
- Mais encore la difficulté à définir des règles morales, une éthique qui fasse consensus entre les hommes, fait penser à "Mesure pour Mesure", où Shakespeare bat en brèche l'idée de morale universelle.
- Dans "Roméo & Juliette", le motif de l'amour est partout et nulle part en même temps, ce qui n'est pas non plus sans faire penser à la société de consommation.
- La collusion du pouvoir politique et du pouvoir religieux est le thème de plusieurs pièces ("Henri VIII", "Thomas More"), toujours aussi "brûlant" aujourd'hui.
Toutes ces coïncidences frappantes suggèrent qu'il y a bien quelque chose à saisir dans cette oeuvre insaisissable.
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C'est le moment d'évoquer une certaine "réserve" française. Aussi marqué soit l'intérêt de Voltaire, Diderot, Hugo (père & fils), Balzac ("notre Shakespeare", selon le critique J. Barbey d'Aurevilly), Vigny, Stendhal, Claudel, Gide, Céline..., pour le théâtre de Shakespeare, l'engouement n'est pas aussi grand en France qu'il est dans d'autres pays, comme l'Allemagne ou les Etats-Unis, en plus de l'Angleterre et d'autres nations plus éloignées (l'intérêt pour Shakespeare ne se limite pas aux nations occidentales).
La raison en est sans doute que la France, ses élites, ses pédagogues, sont moins attachés à l'histoire qu'ils ne sont à la culture. Autrement dit, les élites françaises se passionnent plus pour le "roman national" que pour l'histoire (sans valeur patrimoniale) ; chaque parti, qu'il soit réactionnaire, libéral, communiste, républicain, etc., enseigne son récit des événements politiques, dont il s'empresse de déduire un discours moral.
Or Shakespeare est à l'opposé de ces usages ; on voit bien qu'il n'oppose pas tel camp à tel autre, le bien au mal, de façon manichéenne. C'est avec beaucoup de mauvaise foi que l'on a pu rapprocher Shakespeare du "sentiment national anglais" ; les souverains anglais sont en effet tantôt décrits par Shakespeare comme des imbéciles sans prise sur leur destin (Richard II), tantôt comme des personnages rusés mais cruels (Richard III) ; le portrait peu flatteur de Jeanne d'Arc par Shakespeare ne suffit pas à en faire un dramaturge nationaliste anglais.
S'il y a une leçon à tirer de l'oeuvre de Shakespeare, un message caché, il n'est pas d'ordre éthique.
(A SUIVRE)
Le peintre préraphaélite William Holman Hunt (1827-1910) illustre dans le tableau ci-contre, "Le Berger Mercenaire", un bref passage extrait du "Roi Lear". Occupés à flirter, le berger et la bergère ne prêtent plus attention à leur troupeau de moutons. Le berger négligent tient dans sa main gauche un sphinx tête de mort (papillon assez commun, autrefois appelé "désirée").
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Qui a peur de Shakespeare ? (1)
Petit feuilleton littéraire estival
Insaisissable Shakespeare
On célèbre cette année dans le monde entier les 400 ans de la mort de William Shakespeare, cet illustre inconnu. L'oxymore permet de souligner le paradoxe suivant : Shakespeare est aussi loin que proche, absent que présent ; présent dans la culture contemporaine via la multitude des poètes modernes qu'il a touchés et influencés, des adaptations de son oeuvre qui ont été proposées au public, tant cinématographiques que théâtrales...
Mais il semble aussi distant en raison du mystère qui entoure son oeuvre ; combien sont partis à la recherche de Shakespeare, de l'homme, de son oeuvre... et n'en sont jamais revenus ? Des milliers ? Peut-être encore plus... Une bibliothèque privée, exclusivement consacrée à la collecte d'ouvrage traitant de Shakespeare, recèle plus de 100.000 bouquins !
A quoi bon la culture, si elle nous pousse à célébrer Shakespeare sans même savoir qui il est ?
La commémoration ne doit pas faire oublier que Shakespeare n'a pas que des admirateurs, mais aussi quelques détracteurs plus ou moins sévères ; Tolstoï, par exemple, le jugeait inférieur à Homère. Pour le peintre Delacroix, qui a illustré le texte de S., ses pièces manquent de perfection. Il arrive que les détracteurs en disent plus long que tel ou tel admirateur, pressé de trouver un appui dans Shakespeare à son système de pensée.
"Catholique", "Luthérien", "Athée", "Libre-penseur", "Païen" : à peu près tous les épithètes ont en effet été attribués à Shakespeare par la fine fleur des intellectuels, philosophes ou essayistes modernes, aussi contradictoires soient-ils entre eux, contribuant à brouiller la piste encore plus.
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Si vous n'aimez pas le mystère, arrêtez-vous ici, car il s'épaissit encore sous l'effet des efforts de certains critiques pour dénier à l'acteur de Statford-sur-Avon la paternité de l'oeuvre qui lui est officiellement attribuée. Il y a de cela quelques années, un film américain ("Anonymous", 2011) broda une intrigue autour de cette suspicion d'un auteur différent.
Auparavant, Mark Twain écrivit et fit jouer une pièce exprès pour persuader le public de la conviction qu'il avait acquise que l'acteur natif de Stratford-sur-Avon n'était qu'un prête-nom. Mark Twain est-il convaincant ? Il l'est au moins sur un point : la notice biographique de Shakespeare est étonnamment concise, limitée à quelques lignes, et donc propice à faire naître tous les fantasmes.
Les "antistratfordiens" sont sans doute plus nombreux aux Etats-Unis, car l'antistratfordisme relève presque du blasphème dans la patrie de Shakespeare. Mais il faut ajouter au moins deux noms allemands prestigieux à la liste des sceptiques : ceux du doctrinaire réactionnaire F. Nietzsche et du médecin fondateur de la psychanalyse S. Freud. Tous deux réattribuèrent l'oeuvre au savant Francis Bacon (1561-1626), en se fondant sur divers arguments. La correspondance privée de Nietzsche montre qu'il fut même, pendant un temps, persuadé d'être la réincarnation de F. Bacon alias Shakespeare !...
Tout cela a bien sûr un parfum de complotisme dans l'air du temps ; mais, avec "Hamlet", Shakespeare n'a-t-il pas élevé le complotisme au rang d'oeuvre d'art ?
(A SUIVRE)
Illustration par E. Delacroix de la scène d'Hamlet et des fossoyeurs (acte V, scène 1) ; au XIXe siècle, la passion de Shakespeare se répand petit à petit dans toute l'Europe ; Delacroix y participe, tout en exprimant quelques réserves dans son "Journal".
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Caricature Salah Abdeslam
La Semaine de Suzette Zombi. Samedi : "Si le terrorisme n'existait pas, il faudrait l'inventer !" Le Scénariste