Il s'agit ici d'un recueil de 200 dessins tirés de l'hebdomadaire satirique américain "The New-Yorker", traduits
et présentés par Jean-Louis Chiflet (une version plus exhaustive a été publiée dans une autre collection).
"La France et les Français" est un surtitre trompeur, car sont caricaturés ici tout autant, si ce n'est plus que les Français, les touristes américains. Comme le touriste est, par définition, un type plein de préjugés, cela permet de faire le tour des clichés sur ces deux nations, leurs ressortissants et ce qui les oppose.
Du point de vue américain, les Français sont incroyablement minces, bourrus (pour ne pas dire hostiles), contents d'eux-mêmes, futiles (partagés entre leur passion pour la mode et leur passion pour la gastronomie), légèrement arriérés et surtout dotés des services de taxi les moins bien conçus du monde.
Quant aux Américains ils ont tendance à croire que le monde vient de naître comme les Etats-Unis, à être plutôt pudibonds (le dévergondage à la française est une véritable attraction touristique), et à se délecter du nom des vins et leurs consonances plutôt que de leur substance. Il est vrai que ces Américains ne sont pas représentatifs, puisque ce ne sont là que des touristes new-yorkais plutôt aisés.
La fresque est chronologique puisque les dessins sont classés par dates, en partant d'une tranche 1925-1939, jusqu'à la période 1967-2006. Cela permet de mesurer la répercussion de certains événements politiques importants, quoi que les dessinateurs du "New-Yorker" s'y intéressent peu, préférant faire des observations psychologiques. On note tout de même l'indication de "l'ingratitude" des Français après la Libération, qui surprend les Américains.
Dans l'ensemble on reste dans un registre léger ; la tâche des humoristes du "New-Yorker" est de faire sourire le lecteur, si possible subtilement ; on est loin de l'intention provocatrice, voire subversive, de certains caricaturistes ou titres de presse européens. On se souvient que le caricaturiste Tomi Ungerer, après un début de carrière prometteur à New York, se mit à dos l'intelligentsia new-yorkaise en publiant des dessins au vitriol, montrant les New-yorkais sous un jour peu favorable.
En comparaison des dessins du "New-Yorker", les reportages dessinés par Cabu lors de séjours aux Etats-Unis sont de véritables pamphlets. Hormis Barack Obama et les lignes audacieuses de quelque "building" new-yorkais, rien ne trouve grâce aux yeux du caricaturiste français dans le mode de vie américain.
On s'aperçoit donc que la culture ne fait pas que "rassembler" les hommes, elle est est aussi un facteur de division ; d'autre part la culture n'est pas seulement faite de choses raffinées, artistiques ou littéraires, mais aussi d'une foule de détails mesquins.
En dépit des efforts déployés au cours des dernières décennies par les élites françaises pour combler le fossé culturel entre la France et les Etats-Unis, l'antipathie persiste, qui dépasse les clivages politiques. Cette antipathie n'est pas exclusive d'une forme de fascination réciproque ; fascination de l'Américain pour ses origines européennes et un savoir-vivre français (ou italien) en voie de disparition, et fascination des Français pour l'Avenir, incarné depuis la Libération par la première puissance mondiale.
The New-Yorker, La France et les Français, trad. J.-L. Chiflet, Les Arènes-Points, 2010.
(Dessin de Peter Arno)
(Dessin de Booth)