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critique - Page 18

  • Gavrilo Princip****

    ou "l'homme qui changea le siècle"webzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,gavrilo princip,henrik rehr,anglais,futuropolis,françois-ferdinand,autriche,serbie,anarchiste,nationaliste,mystique,révolution,baudelaire

    Le récit que nous livre ici Henrik Rehr est d’une profonde noirceur, à l’image du dessein de Gabriel/Gavrilo Princip d’assassiner l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. L’auteur, scénariste et dessinateur, nous fait entrer dans le plan de Princip, sa maturation au fil des années.

    Comment et pourquoi Princip s’est forgé une conscience politique ; comment et pourquoi il a pu décider de passer à l’acte : ces étapes sont retracées à l’aide d’un dessin un peu terne, rehaussé de nuances de gris. Le scénario nous fait comprendre l’essentiel.

    Princip et ses complices terroristes, jeunes marginaux armés par la « Main noire », une organisation nationaliste secrète qui compte dans ses rangs quelques fonctionnaires bien placés, ont conçu leur action comme une véritable œuvre d’art, l’accomplissement d’un destin macabre. Ils y ont beaucoup réfléchi. L’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche n’est pas le fait d’un déséquilibré.

    Cet album, traduit de l’anglais et publié par Futuropolis en 2014, se veut un focus sur l’étincelle qui mit au feu à la poudrière des Balkans et entraîna cette Grande guerre centenaire, largement commémorée l’année dernière. Mais l’on est bien sûr tenté de faire le rapprochement avec des actes terroristes récents. L’étude psychologique de l’assassin Princip, assez fouillée, nous y incite.

    La suggestion de la couverture, sous forme de slogan tapageur : « Gavrilo Princip, l’homme qui changea le siècle », est démentie à l’intérieur même de l’ouvrage. H. Rehr, dessinateur et scénariste, fait dire à Princip : « Une seule personne ne peut pas faire tourner la roue de l’histoire. La guerre aurait eu lieu de toute manière. Moi… je n’ai fait qu’appuyer sur la détente. »

    On constate ici que Princip est animé par une idée religieuse typiquement moderne, selon laquelle la révolution populaire est un facteur de progrès, et cela, paradoxalement, alors même que les acteurs de la révolution n’agiraient que dans une demi-conscience des actes qu’ils accomplissent, et non en pleine conscience. Princip se sent en effet prédestiné à commettre un tel acte, et le sentiment de prédestination est caractéristique d’une conscience religieuse.

    Autrement dit, la foi dans le progrès politique et la révolution est un substitut à une autre forme de foi religieuse, plus traditionnelle. Princip et les quelques jeunes Serbes de Bosnie athées qui furent poussés par des comploteurs, intrigant à un niveau supérieur, croient à la fois dans la notion de patrie ou de terre sacrée serbe, d’ordre « mystique », et dans l’émancipation future du peuple et des classes populaires dont ils sont issus. Comme dirait Baudelaire, lui-même ancien révolutionnaire déçu par la révolution : « La Révolution, par le sacrifice, confirme la Superstition. »

    A son procès, Princip énonce : « Je suis un nationaliste yougoslave et je crois à l’unification de tous les Slaves du Sud, libérés du règne autrichien. J’ai tenté d’atteindre ce but par le biais du terrorisme. Je ne suis pas un criminel, car j’ai détruit le mal. Je pense que je suis bon. Cette idée est née en nous, et nous avons commis cet assassinat. Nous aimions notre pays. Nous aimions notre peuple ! Je n’ai rien d’autre à dire pour ma défense. »

    On voit bien que ces propos ne sont pas ceux d’un déséquilibré, en même temps qu’ils sont empreints de mysticisme.

    Comme certaines des valeurs mystiques athées de Princip ont encore cours en Occident aujourd’hui, on pourrait taxer cet BD d’apologie du terrorisme, si le but de cet ouvrage n’était pas de comprendre et décrire, sans porter de jugement de valeur sur le geste ou la tyrannie autrichienne.

    Comme on peut penser qu’il y a un type du soldat, commun à toutes les armées du monde, cette bande-dessinée dessine un portrait-type du terroriste, quelles que soient les raisons mises en avant, résolu au suicide pour un plus grand bien commun. Et, comme les gangsters fascinent plus que les policiers, les terroristes fascinent plus que les soldats enrôlés dans des armées régulières.

    Emprisonné tout au long de la guerre, Princip finira par mourir en 1918, décharné et affaibli. La tuberculose le rongeait déjà depuis longtemps. La défaite de l’empire austro-hongrois vaudra à Princip d’être réhabilité à Sarajevo.

    « Nos fantômes traverseront Vienne à pied et saccageront le palais : ils terrifieront les seigneurs. », aurait griffonné Princip sur le mur de sa cellule. De tels fantômes ne meurent pas tant que dure le terrorisme.

    Gavrilo Princip, l'homme qui changea le siècle, Henrik Rehr, Futuropolis, 2014.

     

  • Castro****

    Cette BD dans laquelle Reinhard Kleist retrace l’itinéraire de Fidel Castro, des bancs de l'école jésuitewebzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,critique,kritik,reinhard kleist,castro,cuba,che guevara,urss,états-unis,shakespeare au « pouvoir suprême », s’achève par une citation de Simon Bolivar par un Fidel Castro, vieilli, portant un survêtement de sport : « Celui qui se consacre à la révolution laboure la mer. » Toute la mystique révolutionnaire est dans cette citation, et non seulement l’entreprise de décolonisation de l’Amérique de Bolivar ou Castro - une mystique ouverte sur l’infini.

    Je place « pouvoir suprême » entre guillemets, car la position géographique de Cuba, satellite du géant américain, est un élément décisif dans l’histoire de la révolution cubaine et dans le personnage de Castro, dont l’épopée évoque David triomphant de Goliath. Sans l’aide des Soviets et de Moscou, qui n’allait pas forcément de soi, le « leader maximo » aurait facilement été éliminé par les Etats-Unis. La BD montre que Castro sut jouer de la rivalité entre les deux géants pour instaurer une sorte de microclimat politique cubain, que la défaite de l’URSS ultérieurement rendra plus dur.

    La BD nous montre Castro, accusé par ses proches de sacrifier l’esprit de la révolution en pactisant avec l’URSS (dont le motif impérialiste concurrent des Etats-Unis est facilement décelable) – en même temps qu'elle montre que la volonté de Fidel Castro, contrairement à son compagnon Ernesto « Che » Guevara, n’était pas de mourir en martyr de la révolution, mais bel et bien d’essayer de construire quelque chose de durable. Castro est certes un révolutionnaire, mais avec la dose de machiavélisme indispensable à l’action politique.

    R. Kleist dit avoir été motivé par le désir de surmonter les clichés sur Cuba et Castro, aussi bien les clichés de la propagande anticapitaliste que la pro-usa. Il parvient à dépasser le portrait excessivement romantique, comme l’image du dictateur diabolique. Il reste que la séduction exercée par Castro en Occident est facile à comprendre. Tandis qu’il n’y a plus en Occident depuis des décennies que du « personnel politique », c’est-à-dire des politiciens représentant des banques et de l’industrie, Fidel Castro est, en comparaison de ces hommes-liges sans véritable relief, de la trempe des héros capables d’infléchir le destin. Le personnage du reporter-photographe allemand, spectateur de la révolution cubaine, plus castriste que Castro lui-même, est une bonne trouvaille.

    Dans « Jules César », Shakespeare montre que le régicide et la révolte de Brutus, aussi légitimes soient-ils, compte tenu des violations de César, sont voués à l’échec. En effet, la question de la légitimité et du droit n’est que de faible importance au regard des forces naturelles dont le jeu politique est tributaire. A peine César a-t-il été écarté que, déjà, Marc-Antoine s’empare du pouvoir et s’empresse de répéter les ruses et les abus de César. La révolution a pour effet de redistribuer les cartes, mais ne résout en rien le problème du pouvoir. Certain intellectuel stalinien a pu ainsi s’en prendre à Shakespeare, qui blasphème de cette façon contre la mystique révolutionnaire. La BD rend plutôt indirectement justice à la lucidité dont Shakespeare fait preuve en ce qui concerne les promesses politiques et les différentes formules de la cité idéale ; on constate qu’à la fin du règne de Castro, près de voir Cuba réintégrer la « zone d’influence » des Etats-Unis et son rêve se dissiper (Lénine a connu semblable désillusion), la question du pouvoir et de ses limites est restée en friche.

     

    Castro, Reinhard Kleist, Casterman écritures, 2012.

  • Monsieur le chien, je présume ?****

    Avec son optimisme de rigueur, la dictature de la croissance n'est guère favorable à l'humour. Lewebzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,chaval,yvan le louarn,jean-maurice bosc,alphonse allais,delfeil de ton,antisémitisme,collaborationnisme,bordeaux cynisme désespéré d'Yvan Le Louarn, alias Chaval, est par conséquent un excellent tempérament. Natif de Bordeaux, Chaval aurait pu se contenter d'être mélancolique comme Montaigne ou Juppé (toutes proportions gardées).

    C'est une idée judicieuse de la part des "Cahiers dessinés" de rééditer une collection de dessins de cet humoriste. Le thème animalier est peut-être une moins bonne idée. Certains préféreront le trait plus léger de Bosc, d'une dizaine d'années son cadet, aux cernes de Chaval, rançon peut-être de travaux alimentaires dans le domaine publicitaire (où il vaut mieux dire les choses deux fois qu'une) ? Cela dit, Bosc et Chaval sont "grosso modo" de la même trempe, excellant à mettre en exergue de façon comique le - ou plutôt les très nombreux grains de sable dans la mécanique des affaires humaines.

    Comme l'humour de son maître Alphonse Allais, l'humour de Chaval est assez inégal : il va du simple jeu de mots (le genre de gag qui fait rire les médecins), à la critique plus subtile de l'homme et de la société. Le prestige de Chaval équivaut celui de "Hara-Kiri" peu après.

    Brève préface de Delfeil-de-Ton, delfeil-de-tonesque. Chaval a été tardivement accusé (après sa mort) de collaborationnisme et d'antisémitisme. Il a notamment dessiné dans ses jeunes années pendant l'Occupation deux Juifs portant l'étoile jaune : le premier demande au second, qui a deux étoiles cousues : - On t'a fait un prix ? On peux trouver que cet humour n'est pas excellent ; mais si les humoristes sont parfois des martyrs, ils ne sont pas des dieux vivants, infaillibles.

    Une dernière remarque sur les circonstances comiques du suicide de Chaval. Il se présente comme l'apothéose de son oeuvre. Comme son mari la trompait, la femme de Chaval s'est suicidée ; celui-ci en a conçu de la mélancolie et a mis fin à son tour à ses jours en employant le gaz, laissant sur la porte de la cuisine un panneau prévenant : "Attention, danger d'explosion.", sachant sans doute qu'il exécutait là son meilleur gag. L'histoire paraît trop belle pour être vraie, le genre qu'on invoque pour dire que la réalité dépasse la fiction.

    webzine,bd,gratuit,fanzine,zébra,bande-dessinée,kritik,critique,chaval,yvan le louarn,jean-maurice bosc,alphonse allais,delfeil de ton,antisémitisme,collaborationnisme,bordeauxD'autres spécialistes de l'humour noir ont connu une telle fin, qui fait penser à un clin-d'oeil du destin. Plus encore que dieu, Chaval et d'autres humoristes de ces années-là nous montrent que c'est la mort qui est sacrée et tient les foules ridicules en respect.

    Monsieur le chien, je présume ? par Chaval, préface de Delfeil de Ton, éds. Les Cahiers dessinés, 2015.

  • Revue Jade**

    La dernière livraison de la revue "Jade" (janvier 2015), dirigée par X. Guilbert (site web "Du9") fait le bilanwebzine,bd,gratuit,zébra,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,revue,jade,xavier guilbert,morvandiau,gilles rochier,interview,pénélope bagieu,charlie-hebdo,olivier texier des efforts de certains auteurs de BD pour être reconnus comme des artistes à part entière (X. Guilbert aime bien les bilans). Il semble qu'un doute s'installe, et que la médaille de chevalier des Arts et Lettres remise naguère à Pénélope Bagieu en grande pompe au festival d'Angoulême soit l'arbre qui cache la forêt.

    Au fond, la question de la légitimité de la BD n'a pas grand intérêt. La poésie a beau être reconnue depuis l'Antiquité comme un art supérieur, les poètes contemporains n'en sont pas moins contraints, pour 99,9% d'entre eux, de garder leurs vers sous le coude. D'ailleurs si la gloire de Rimbaud fait sans doute rêver beaucoup d'écoliers, peu d'entre eux supporteraient de vivre ne serait-ce qu'un week-end, en enfer. Or, dans l'art moderne, il faut savoir se trancher les veines pour être reconnu ; ne pas oublier que le public, y compris le plus distingué, aime la chair fraîche - voyez "Charlie-Hebdo".

    On peut néanmoins "picorer" "Jade". Une interview de Morvandiau, organisateur jadis à Rennes d'un festival de BD aujourd'hui défunt, lève un peu le voile sur les arcanes du CNL (conseil national du livre) et les subventions qu'il accorde aux festivals et à certains auteurs de BD. Le CNL semble une organisation crypto-soviétique nimbée de mystère.

    Dans une autre interview, Gilles Rochier, auteur de BD issu d'un milieu ouvrier modeste, raconte comment le prix qu'il reçut à Angoulême a changé la façon dont son entourage le regarde.

    Mon morceau de "Jade" préféré : une petite BD d'Olivier Texier dans laquelle celui-ci imagine un gouvernement futur doté d'un ministère de la bande-dessinée et d'un secrétaire d'Etat au fanzine. Vous ne devinez pas quel auteur de BD sera élu président de la République en 2022 ?

    Jade #661U, collectif dirigé par X. Guilbert, éds. 6 Pieds sous terre, janvier 2015.

     

     

  • En même temps que la jeunesse***

    J'étais le moins prédisposé à dire du bien de cette BD sur le rugby : en effet, d'après mon expérience ce sport exige une discipline militaire ennuyeuse et une bonne dose de masochisme. Le sentimentalisme du rugbyman ordinaire, son culte de la boisson et des femmes, rendent la 3e mi-temps pire que tout le reste de la partie.

    J'ai déjà vu des types qui, après avoir fracassé trois mâchoires, démis deux épaules et brisé un nez avec le sentiment du devoir accompli, s'empressaient une fois le match terminé d'envoyer des SMS à leur fiancée, échauffés par ces préliminaires. En un mot, le rugby est un sport républicain. Ceswebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,kritik,jean harambat,rugby,en même temps que la jeunesse,actes sud remarques valent d'autant plus au niveau amateur où le manque d'entraînement et de soigneur compétent multiplie la "casse". Cela dit, après cet avertissement, nous pouvons faire l'apologie de la BD de Jean Harambat en ayant la conscience tranquille.

    Celui-ci parvient à tirer de ce sport séquentiel une ode au rugby. Son personnage d'ailier, commis aux débordements de la ligne adverse, voyage aux quatre coins du monde, jouant dans la réserve de clubs argentin, brésilien, africain, espagnol, australien, irlandais... pour la beauté du geste. Le temps de l'exaltation physique est celui de la jeunesse, d'une sensation de liberté pour les hommes, en dépit des codes et règles de ce sport, auxquels la tactique confère un peu de magie. Peu d'hommes savent s'accommoder de la vieillesse - la plupart sont nostalgiques de leur apogée physique. Le Landais Harambat, outre les stades et les vestiaires, les bars, fréquente aussi les librairies, ce qui ajoute un peu de vernis à ses muscles, de douceur à sa poésie inspirée des contacts homosexuels rugueux du rugby. Peut-être aussi, qui sait, un peu de fadeur, car le rugby n'est jamais qu'un ersatz de la guerre, une manière d'assouvir la violence pendant la trêve, aussi légalement que possible.

    Le trait de croquiste, sec et nerveux, à la manière de Beuville, est pour beaucoup dans cette poésie ; la couleur d'imprimerie un peu lourde, sans doute superflue.

    En même temps que la jeunesse, Jean Harambat, Actes-Sud BD, 2011.

  • Panthère**

    Si les BD étaient des foulards pour dames, « Panthère », du Néerlandais Brecht Evens, auraitwebzine,bd,gratuit,fanzine,gratuit,bande-dessinée,critique,panthère,brecht evens,séduction,noceurs,actes sud,dali, beaucoup de succès, car il est plein de couleurs chatoyantes ; ce dessinateur nous en met plein les mirettes, comme un kaléïdoscope.

    D’histoire, ne cherchez pas, « Panthère » est pure fiction, un rêve érotique, aux antipodes des fantasmes macabres de Dali. Quelqu’un a dit que la peinture du Nord est chaude, colorée, par contraste avec le climat des pays du Nord, tandis que la peinture des Méridionaux est froide, pourvoyeuse d’ombre, au contraire.

    Une fillette a perdu son chat, que son père a fait piquer pour abréger ses souffrances. Une panthère vient alors hanter la fillette, séduisante, joueuse, enveloppante, d’un tout autre calibre, si je puis dire, que le chaton. Les adeptes de Freud traduiront sans peine ces métaphores, dont Brecht Evens se sert pour faire étalage de sa propre capacité à séduire. Le thème de la séduction était déjà celui des « Noceurs » (2010), mettant en scène un personnage charismatique tel qu’on peut en croiser parfois dans les soirées mondaines, captant l’attention de tous, en particulier des femmes, excitant parfois la jalousie de leurs rivaux.

    L’amateur de musique sera comblé par une telle symphonie de couleurs. Les autres seront un peu déçus par le côté un peu répétitif et creux du propos.

    A noter que l’auteur expose ses planches à Paris, où il vit, à la galerie Martel jusqu’à la fin du mois de janvier.

     

    Panthère, par Brecht Evens, Actes Sud BD, novembre 2014.

  • Au coin de ma mémoire

    Sous ce titre, Francis Groux a publié ses mémoires en 2011. Dans un style direct et clair, il se souvientwebzine,zébra,bd,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,francis groux,au coin de ma mémoire,plg,festival angoulême,groensteen,goscinny,boucheron surtout du festival d’Angoulême, dont il fut un des principaux fondateurs et organisateurs, bien qu’il insiste sur le dévouement d’une équipe de bénévoles angoumoisins pour expliquer le succès rapide du festival. Ces souvenirs permettent ainsi de découvrir les coulisses d’un festival, qui dès la première édition rassembla une dizaine de milliers de visiteurs, ce qui lui permit d’emblée de rivaliser avec une ou deux manifestations plus anciennes, et de s’imposer assez vite comme le premier festival de BD-franco-belge.

     L’affirmation du préfacier, T. Groensteen, selon laquelle le festival d’Angoulême a contribué à la reconnaissance de la bande-dessinée en tant qu’art est une pure pétition de principe. Pour le public de la BD franco-belge comme pour ses principaux acteurs, la question de la « reconnaissance de la bande-dessinée » est dépourvue d’intérêt (Goscinny se moquait ouvertement des thèses universitaires sur « Astérix et Obélix » et de leur caractère spéculatif). En un sens, le service rendu par la BD à Angoulême en termes de notoriété est sans doute plus grand. Les souvenirs de Francis Groux le démontrent assez : il n’est pas tant question dans ce livre d’art ou de bande-dessinée, que d’un phénomène culturel mêlant marketing politique, business éditorial et engouement du public pour des héros populaires, que le festival permet d’approcher, ainsi que leurs créateurs. C’est ce qui fait l’intérêt documentaire du livre de Francis Groux, dont la passion est double : non seulement pour la bande-dessinée franco-belge et ses auteurs, que ses responsabilités d’organisateur vont lui permettre de côtoyer, mais aussi pour sa région d’origine, à qui la réputation bientôt internationale du festival bénéficiera selon-lui.

    F. Groux est conscient du mélange des genres, et, par exemple, du poids croissant de considérations d’ordre marketing au fil des années. Si le point de vue de F. Groux n’est pas critique, il est lucide. Il fait état d’une préférence pour les premières éditions du festival et leur bonhomie, tout en s’efforçant de ne pas trop céder à la nostalgie.

     Encore une fois, on se dit que la BD franco-belge est une affaire de boy-scouts, puisque Francis Groux dit avoir puisé dans ce mode d’éducation ses valeurs. Il en profite d’ailleurs pour rendre hommage au seul illustrateur du mouvement boy-scout un peu célèbre, Pierre Joubert. Grosso modo, F. Groux est ce qu’on appelle un « chrétien de gauche » (ou ce qu'on appelait, tant l’espèce semble en voie de disparition), issu d’un milieu modeste, et qui avoue avoir perdu la foi de son enfance pour devenir « déiste ou athée » (sic), ce qui n’est pas exactement la même chose mais permet de cerner la véritable religion de cet homme - le civisme. Lorsque Francis Groux s’éloigne du sujet qui fait l’intérêt principal de ce livre, le fameux festival, pour pendant quelques pages faire état de ses valeurs et engagements, l’intérêt faiblit. Cependant ces pages soulignent utilement l’adéquation entre le civisme de l’auteur, à quoi on peut ajouter le goût de l’action et du sport, et l’esprit de la BD franco-belge, qui a produit de nombreux héros du type « civique et engagé ». Elles permettent de comprendre que Francis Groult, à la barre de ce festival, trouva à s’épanouir dans ce mode d’action culturelle.

     L’enjeu politique et économique du festival, persistant aujourd'hui (chaque édition ou presque est précédée d’un mini-scandale politico-médiatico-économique), F. Groux l’illustre d’emblée en racontant que, dès la première édition, découvrant à son grand étonnement l’intérêt des journalistes pour le festival de BD qui se tenait dans sa ville en son absence, le maire d’Angoulême rappliqua dare-dare pour profiter lui aussi du crépitement des flashs. On a vu, lors de festivals plus récents, bien plus que de simples élus locaux se montrer au Festival international d’Angoulême et y décerner des médailles (à quoi on ne peut mesurer la reconnaissance d’un art, contrairement aux jambons, vins et fromages). Néanmoins l’auteur se montre plus sévère avec les éditeurs qu’avec les hommes politiques, accusant plutôt ceux-là d’avoir fait perdre au festival une bonne partie de sa fraîcheur.

     F. Groux ne manque pas de raconter quelques anecdotes croustillantes, mettant parfois en scène les auteurs de BD dans des situations qui ne sont pas à leur avantage. Mais son côté « boy-scout » le retient peut-être d’en dire plus, par pudeur ou admiration des auteurs concernés ? Pour la même raison sans doute, F. Groux tient aussi nettement à se démarquer de personnalités d’extrême-droite, proches du FN, un peu sulfureuses ; tout en qualifiant l’éviction, par les organisateurs, des éditions du Triomphe (1999), éditeur proche des milieux catholiques intégristes, d’acte de censure qu’il dit désapprouver à titre personnel.

     L’ouvrage vaut donc pour les qualités de son auteur, c’est-à-dire une présentation claire, didactique et qui ne manque pas de franchise des coulisses du festival d’Angoulême, des débuts où l’amateurisme prévalait, jusque à la manifestation d’ampleur bien rodée qu’il est devenu. La limite de cette présentation claire et sans complexe est peut-être le manque de recul ou d’esprit critique sur certains sujets. On sent que des liens affectifs lient l’auteur au festival, par exemple qu’il évite de s’appesantir sur la tournure commerciale prise par cette manifestation. L’aspect économique est le plus difficile à évaluer. Etude statistique à l’appui, Francis Groux souligne le bénéfice de la tenue du festival pour Angoulême et sa région. Mais les milieux culturels ne sont-ils pas victimes eux aussi d’une certaine « euphorie de la croissance », du fait que leurs activités sont liées à un modèle de développement économique capitaliste ? Avant tout le festival d’Angoulême est une entreprise de communication, au service d’une collectivité locale et de quelques éditeurs de taille modeste – Média-participation n’est pas LVMH. Or la communication est ce qui constitue, sans vouloir faire de jeu de mot, une « bulle spéculative » et des investissements parfois malencontreux. S’agissant d’Angoulême, on est d’autant plus tenté d’évoquer le sujet que la fuite de son député-maire Boucheron en Argentine, après avoir placé la ville en cessation de paiement, a défrayé la chronique. Or F. Groux, à propos de Boucheron, préfère souligner son caractère sympathique, cela bien que la littérature (BD comprise) nous éclaire sur le fait que c’est une caractéristique des escrocs.

     Outre une édition luxueuse, ces mémoires bénéficient d'un iconographie abondante (photos, dessins, dédicaces), et d'un index très utile.

     Au coin de ma mémoire, Francis Groux, éds. PLG, 2011.