"La Vie des Cavernes", le feuilleton de David Roche continue ! Encore quelques semaines avant la réunion de tous les épisodes en album ; en attendant vous pouvez lire les précédents épisodes en cliquant dans le menu du blog, "Vie des Cavernes".
bande-dessinée - Page 610
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Vie des Cavernes (15)
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Les Noceurs***
A propos de l’intrigue, d’abord. Elle s’annonce des plus banales, dès le titre. «Dionysiaque», comme on
dit dans "Télérama"; j’en soupirais d’avance, vu que tout est dionysiaque aujourd’hui: du supermarché en période de fête à la boîte de nuit «California Dream» en bordure de la voie express, jusqu’aux plateaux télé de Patrick Sébastien, sans oublier le look de croque-mort «too much» de Karl Lagerfeld… on n’en sort plus de la bacchanale mollassonne et quasi-quotidienne, si bien que, sans une petite tuerie de temps en temps, du côté de l’Ohio ou d’Oslo, on finirait par prendre le divin Bacchus pour un vulgaire guignol.
On le sait, c'est pas nouveau, le diable est le roi de la fiesta, et il a le don de tomber les filles. Dans la BD de Brecht Evens, il se nomme «Robbie», pour les intimes, et tout le monde est intime avec Robbie, qui s'y entend comme pas deux question "climax". Même si ce tombeur-là n’est pas Don Juan, il ne démérite pas trop, dans le genre sémillant et chatoyant, servi par la palette d’Evens. Celui-ci a tenté l’audacieux pari de la couleur directe, dont on s'étonne qu'il soit gagné, tant il est inadapté à l’imprimerie. On peut craindre l’effet "sucre d'orge", mais ce n’est pas le cas de ces enluminures modernes, qui vibrent plus que la sérigraphie un peu nostalgique, à la mode chez d’autres auteurs.
J’ai connu un Robbie à la fac, tout à fait fascinant: il ne demandait pas -ou presque pas- leur avis aux filles, et ça marchait. Pareil avec les mecs, d’ailleurs; tout le monde voulait être son pote, moi le premier. Je fus vraiment fier qu’il me choisisse. Ce que je ne prévoyais pas, c’est de devoir consoler toutes ces gonzesses, et distribuer les tickets d’entrée de sa garçonnière ; ah ça non, merde, je n'avais pas prévu ça ! J’en ai donc eu marre et j’ai rendu mon tablier (ustensile satanique, pour les non-initiés). Le maelström d’Evens est donc une fiction véridique...
Peut-être manque-t-il un peu de noirceur à ce regard kaléïdoscopique? Comme celle qu’on trouve dans «Vile Bodies» («Ces Corps vils»), perle d’humour noir anglais 1930, sur le même thème:
«(...) Soirées masquées, soirées "Cromagnon", soirées "Victoria", soirées "Grèce", soirées "Far West", soirées "Russie", soirées "Cirque", soirées où il fallait se déguiser en quelqu'un d'autre, soirées presque nues dans Saint-John's Wood, soirées dans des appartements, dans des studios, dans des maisons, dans des hôtels, des bateaux et des boîtes de nuit, dans des moulins à vent et des piscines; thés à la fac où on mangeait des petits pains, des meringues et du crabe en conserve, soirées à Oxford où on buvait du sherry brun et on fumait des cigarettes turques, lugubres bals de Londres, bals amusants en Écosse, ignobles bals de Paris,
Toute cette succession et cette répétition d'humanité agglomérée… Ces corps vils…
La soirée se résumait maintenant à une douzaine de personnes, à ce coriace noyau de gaîté qui ne se brise jamais. Il était dans les trois heures du matin.(…)»(Une exposition consacrée à Brecht Evens et ses "compagnons de route" (sic) se tiendra au cours du prochain festival d’Angoulême.)
- "Les Noceurs" (titre original: «Ergens waar je niet wil zijn», ce qui signifie à peu près: enfer), Actes Sud, 2009, 22€
(par Zombi - leloublan@gmx.fr)
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Revue de presse BD (36)
+ Gérard Depardieu n'est pas le seul à fuir la France pour aller se réfugier en Belgique ; il y a aussi François Avril, auteur de BD (le port de Perros-Guirec, ci-dessus, pour ceux qui ne connaissent pas F. Avril) ; ce dernier n'émigre pas pour échapper au fisc, mais en espérant seulement une plus-value artistique.
+ Petite vidéo d'archive sur le festival d'Angoulême: quand Hergé jouait les VRP pour le festival. C'était avant l'affaire "Tintin au Mali", et le reproche fait à cet album de faire de la propagande pour la lutte antiterroriste.
+ Encore une vidéo, plus récente cette fois, puisqu'elle date de l'année dernière. Ce reportage, selon le tempérament, peut dissuader de se rendre au festival d'Angoulême pour la première fois, ou au contraire y inciter. Je ne vous dirai par l'effet qu'il m'a fait, pour ne pas vous influencer.
+ Le prix "Artémisia" de la BD féministe a été remis à Jeanne Puchol, pour un album "Charonne - Bou Kadir", consacré à la répression d'une manif organisée par le PCF contre l'OAS, et réprimée par le pouvoir gaulliste (1962 - huit morts). Pour des raisons trop longues à expliquer ici, l'oppression n'a pas cessé en Algérie après la guerre d'indépendance (200.000 morts) ; les révolutionnaires algériens qui se réclamaient naguère du communisme sont devenus islamistes désormais, et souhaitent appliquer la charia.
L'association Artémisia qui décerne ce prix stigmatise le sexisme (sic) du milieu de la BD. Je suppose qu'elle fait allusion à ce type d'affiche racoleuse.
+ Le blog Zinocircus, en lice pour le prix de la "Révélation-blog 2013" à Angoulême (prix sponsorisé par la Caisse d'Epargne et la maison d'édition "Vraoum"), annonce qu'il ne fait pas partie des trois nominés.
Les blogs-BD jouent aujourd'hui le rôle que les fanzines jouaient dans les années 80. Ainsi, dans le domaine du fanzine "existentialiste", entre procréation et procrastination, on peut se demander si le blog de Maël Rannou, "1 fanzine par jour", spécialisé dans la chronique de ce type d'ouvrage, ne les absorbe pas tous, tel un Moloch dévoreur de foetus. Mes "Révélations 2013", après dépouillement de l'unique bulletin, sont : n°1 : Mister Hyde ; n°2 : Helkarava ; n°3 : Zinocircus.
+ "Seul l'Anal est légal" ou "Content de ses pieds" sont des titres de fanzines, comme vous pouvez le vérifier dans la banque du sperme du Lillois Albert Foolmoon ; je plaisante, c'est une banque de données. Parfois je me dis qu'on a manqué d'originalité avec "Zébra". J'avais bien proposé : "DSK", sous-titré : "Le fanzine qui viole les militantes du PS", mais personne n'a voulu.
+ Le dessin de la semaine est signé Agathe Pitié (alias "Pit") : il s'agit de la partie centrale d'un triptyque traitant de l'affaire DSK, sur le mode apocalyptique. Une excellente inspiration, dans l'esprit de Jérôme Bosch.
(par Zombi - leloublan@gmx.fr)
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La semaine de Zombi
Mercredi : après avoir résisté pendant pas mal de temps, Lance Armstrong a fini par cracher le morceau: il ne carburait pas seulement à la Badoit... Pauvre Lance, avoir pratiqué ce sport de sado-maso pendant autant d'années pour en arriver là ! La drogue la plus dure dans l'histoire, c'est la gloire, évidemment ; à côté, les cachetons, c'était juste un complément - le sevrage va être brutal.
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Humbug
- Retrouvez les gags ("humbug") de Wschinski traduits de l'allemand dans Zébra.
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Histoire de dessiner
Ceux qui ont raté comme moi l’exposition consacrée à Raphaël au Louvre pourront se consoler à l'aide du site du Louvre consacré au fonds des dessins. Cet outil formidable contribua il y a quelques années à me convertir à l’internet. Des dizaines de milliers de dessins ont été scannés et mis en ligne à la disposition du public.
Le moteur de recherche est d’un maniement qui pourrait être plus simple, mais au bout de quelques minutes d’entraînement, il vous sera possible d’accéder aux dessins suivant l’angle que vous désirez : suivant l’auteur, bien entendu, mais aussi l’école ; vous pouvez encore choisir un thème ou un mot-clef précis : «lion», par exemple, si vous cherchez des exemples d’études de lion, du moyen-âge au XXe siècle. 334 dessins sont ainsi classés sous le nom Raffaelo Santi (Raphaël).
Sainte Marie-Madeleine lisant à plat ventre (Jules Romain)
L’expo de la super star Raphaël aurait été l’occasion de redécouvrir un artiste passé de mode, élève de Raphaël, dont le nom a perdu une partie de son lustre au profit de nouvelles «têtes d’affiche» : Giulio Pippi/Romano (1492/99-1546), autrement dit "Jules Romain", dans la forme francisée, en usage du temps de Baudelaire : «(…)Car une grande peinture vénitienne jure moins à côté d’un Jules Romain, que quelques-uns de nos tableaux, non pas des plus mauvais, à côté les uns des autres.»
En effet, bon nombre d’œuvres exposées étaient de la main de Jules Romain. Après avoir dit le plus grand bien du site de l’inventaire du département des arts graphiques, je n’en dirai pas autant du service de communication du Louvre, qui prend plus ou moins le chaland pour un crétin en mettant un (superbe) portrait de Raphaël, et le nom de ce peintre en avant, quand par ailleurs de dignes conservateurs répètent dans la presse et les médias leur souci de «pédagogie» vis-à-vis du public; sans compter les expos à thèmes, de plus en plus fréquentes, comme il y a des parcs «à thèmes» (la mélancolie, crime et châtiment, les bohémiens, etc.).
Triomphe de Scipion et sacrifice d'éléphants (Jules Romain)
Il ne faut pas avoir honte de s’intéresser au dessin ancien. Le dessin est indémodable, et l’engouement pour celui-ci n’a jamais faibli depuis la fin du XIIIe siècle en Europe, époque où le papier se répandit. Le développement de l’imprimerie, puis de la presse, a joué en sa faveur, tandis que d’autres arts d’apparat, comme la peinture, ont beaucoup moins bien résisté au bouleversement des mœurs et des institutions en Europe. Moins esthétique et bluffant que la peinture, le dessin est également beaucoup moins codifié. La distance entre les époques et le fossé entre les classes sociales est moins grand. D’ailleurs, s’ils n’avaient été soumis à la nécessité d’épater la galerie, certains artistes du XXe siècle auraient sans doute pu se contenter de carrières de dessinateurs, tel Dali ou Picasso, dont on ne peut pas dire que la technique des couleurs soit bouleversante.
Pas peu fier de son talent, Picasso s’est vanté d’avoir très jeune su dessiner aussi bien que Raphaël. Si le propos du maître espagnol n’est pas loin du "concours de bite", il témoigne du prestige de Raphaël à travers les siècles. Mais ce sont plutôt les dessins de la maturité de Picasso qui témoignent d’une liberté de trait et d’une simplicité proche de Raphaël ou Jules Romain.
(par Zombi)
(Groupe de pêcheurs - copie d'après Jules Romain)
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Les Bidochon sauvent la planète***
Je vais encore me faire traiter d’hérétique, mais tant pis : je préfère Binet à Reiser. Je sais que Reiser
est mort jeune, mais ce n’est pas une raison. Chez Reiser, dans le tas, il y a trop de blagues centrées sur le cul, si je peux m’exprimer ainsi. C'est un genre un peu trop facile ; il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour rendre un plan cul comique; la position scabreuse est en elle-même grotesque. Voyez le lion, noble et fier animal bouffeur de zèbres, pas le genre à laisser sa femme tenir la culotte comme la hyène: eh bien même le lion, dans cette posture, a tendance à déchoir. C’est beaucoup plus difficile de parler sérieusement de cul, comme dans «36 Nuances de grey».
D’ailleurs Claire Brétécher me paraît moins digne que Binet du titre de «meilleure sociologue de France», qu’un de ses éminents confrères lui décerna. Je lis parfois à propos des Bidochon : «Pas mal, mais Binet ne se renouvelle pas assez.» Eh, vous en connaissez beaucoup, vous, des comiques qui se renouvellent ? Charb ?
Non, Brétécher connaît à fond le milieu bobo parisien, dont l’influence culturelle s’étend sans doute bien au-delà de St-Germain-des-Prés, mais elle ne déborde pas tellement ce périmètre.
Le couple et les gadgets technologiques permettent de parler de la France moderne tout entière : le thème est «transversal» (j’ignore si c’est le terme exact). Couple + gadgets technologiques, c'est là l'essentiel des valeurs modernes, la religion commune.
Dans son dernier album, Binet parle d’écologie, et ceux qui croient comme moi que l’écologie n’est qu’un gadget de plus vont se taper sur les cuisses (un gadget, c’est-à-dire un truc dont certaines personnes ne peuvent absolument pas se passer, mais dont l’efficacité reste à prouver). Binet s'amuse à confronter le discours beauf habituel de M. et Mme Bidochon à celui de leurs fréquentations écolos: et la partie n’est pas gagnée d’avance...
Que pourrait faire Binet de mieux pour se renouveller ? Un album sur les «gays» ?... quand ils seront mariés.
Ed. Fluide Glacial, 2012, 10 €
(par Zombi - leloublan@gmx.fr)