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critique - Page 2

  • Revue de presse BD (373)

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    + "Faut pas prendre les cons pour des gens (2)" : Le premier volume de cette série de gags a cartonné ; l'éditeur (Fluide Glacial) s'est donc empressé d'en publier un second.

    Malgré un mauvais titre, qui sonne comme la réplique d'un vieux sketch des années 80, les auteurs E. Reuzé et N. Rouhaud tendent à notre époque un miroir peu complaisant. Ils n'ont eu pour trouver l'inspiration qu'à parcourir la rubrique des faits divers ; la plupart des gags font écho à l'actualité, enrichie en situations ubuesques par le confinement et la politique sécuritaires... sans oublier la mode des idées écologistes adoptées sans hésiter par des peuples qui ont fait du gâchis dans tous les domaines le principal motif de l'existence.

    Le titre "Faut pas prendre les cons..." n'est pas bon car les faits divers et les gags illustrent une forme d'institutionnalisation de la connerie ; "les gens" sont largement entraînés à être cons depuis le plus jeune âge par les différentes institutions auxquelles leurs parents les abandonnent pour courir après l'argent : la télévision, l'Education nationale, l'Université, j'en passe et des meilleures. La disparition du "bon sens" n'est pas le fait "des gens" en général, mais plutôt d'une petite élite perchée. En effet le "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué" est en filigrane de toutes les situations absurdes exploitées ici.

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    "Comédie française" évoque une satire de moeurs enlevée ou une tragédie. Mais rien de tout ça dans l'album de Mathieu Sapin, pesant malgré son style de dessin naïf. Prendre Emmanuel Macron pour sujet, après François Hollande, c'est prendre le risque de se répéter.

    L'actuel hôte de l'Elysée semble persuadé que la BD est un art de courtisan (il invita le bédéaste Jul à l'accompagner en Chine). E. Macron est un génie du marketing politique ; on le sait déjà depuis son élection et son emploi du temps n'est pas bien palpitant.

    Plutôt que sur les manifestations de Gilets jaunes, vite évacuées, l'auteur préfère s'attarder sur la passion qu'il partage avec Brigitte Macron pour l'oeuvre de Jean Racine.

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    Dessin signé Tignous.

    + Où l'on apprend que Gertrude Stein fournissait en funnies (BD) le jeune couple formé par Pablo Picasso et Fernande Olivier. Quelques justifications supplémentaires à l'expo "Picasso et la BD" (musée Picasso) fournies par son commissaire Vincent Bernière ; une expo un peu "tirée par les cheveux".

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    + Rétrospective "Le Rire de Cabu" à l'Hôtel de Ville de Paris (salle St-Jean) (9 oct.-19 déc.).

    Cabu tempérait : - Le rire... ou le sourire. Sachant que le rire peut être gras, ou même sournois.

    Une expo Cabu sous haute surveillance policière où il faut montrer patte blanche : décidément le destin est ironique...

  • Voltaire (très) amoureux*

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    Le portrait de Voltaire par Clément Oubrerie est-il fidèle au modèle ?

    On ne sait si C. Oubrerie a lu Voltaire "in extenso" (ce n'est pas indispensable), mais il a fait un effort documentaire pour resituer la liberté de ton de Voltaire dans son contexte, montrer en quoi la gloire d'un homme de lettres d'origine bourgeoise (mais déshérité par son père) passe, à la fin du XVIIIe siècle, par la fréquentation de Salons littéraires dirigés par des femmes.

    « Voltaire amoureux » : le titre du premier tome cache que Voltaire est d'un tempérament plus cynique que passionné ou amoureux. "Candide" comporte une satire de l'amour que le "beau sexe" inspire au "sexe fort".

    « Voltaire très amoureux » : le titre du second tome cache, lui, que Voltaire n'est pas tant le sujet traité ici qu'Emilie du Châtelet, qui compte Voltaire parmi ses nombreux amants, et dont le titre de gloire est d'avoir traduit les ouvrages d'Isaac Newton en français, et contribué avec Voltaire et d'Alembert (notamment) à répandre la théorie de l'attraction universelle à laquelle l’académie des sciences française, cartésienne, s’opposait.

    Emilie du Châtelet, dès son plus jeune âge encouragée par son père à étudier, est une personnalité qui ne manque pas d’intérêt ; hélas elle se transforme sous la plume d’Oubrerie en une sorte de "pin-up" en dentelles. En porte-jarretelles ou en nuisette, à l’horizontale ou à la verticale, Oubrerie la dessine sous toutes les coutures, ce qui est un peu… réducteur.

    L’adhésion de Voltaire à Newton passe donc par Emilie du Châtelet. Elle est aussi sans doute la conséquence de l’anglomanie de Voltaire affichée dans tous les domaines. Si Voltaire s’était penché lui-même sur Newton, peut-être l’aurait-il trouvé excessivement mystique, puisque le savant anglais mélange religion, théologie et science, de la manière la moins ordonnée qui soit, en recul par rapport à R. Descartes sur ce point.

    Relire Voltaire n’est pas inutile puisque la France est demeurée une monarchie absolutiste (les manuels d’éducation civique préfèrent parler pudiquement de « centralisme »). K. Marx qui jugeait les critiques de Voltaire limitées incite même à voir dans la mondialisation actuelle le prolongement des « valeurs » absolutistes, notamment le culte mystique de l’Etat.

    Voltaire (très) amoureux, C. Oubrerie, ed. Les Arènes, août 2019.

  • Mécanique du Sage***

    Le trait de Gabrielle Piquet évoque celui de Chaval, qui est une sorte de ligne claire appliquée à la caricature,webzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,caricature,gabrielle piquet,atrabile,charles hamilton,critique,mécanique,sage plus elliptique que la BD. Son humour aussi, teinté de "nonsense" britannique, ressemble à l'humour de Chaval.

    Dans la capitale de l'Ecosse recréée par l'auteure, Charles Hamilton se démène pour être heureux, et ce but dérisoire -en même temps qu'il est très humain-, le rend ridicule.

    Il y a dans les régimes totalitaires (de droite ou de gauche), non seulement quelque chose d'effrayant ou d'inquiétant, mais aussi de ridicule et drôle, que Jarry a su saisir dans son personnage d'Ubu. Ces régimes sont en effet tendus comme des ressorts vers le bonheur ; leur science, leur sagesse elle-même est entièrement subordonnée à ce but. Par chance le Dalaï-Lama ne dispose pas d'une armée puissante pour faire respecter ses préceptes à mourir d'ennui !

    Qui dit "mécanique", dit forcément "grain de sable" : l'organisation du persévérant Charles Hamilton finit par se gripper, et son bonheur être menacé indéfiniment par un nouvel épisode de dépression.

    Mais qui peut se moquer franchement de la quête éperdue de bonheur de Charles Hamilton, sans se sentir concerné ? Seul les morts peuvent, qui jouissent d'un bonheur sans faille.

    Mécanique du Sage, par Gabrielle Piquet. Ed. Atrabile, janvier 2020.

  • Concombres amers***

    "Voyage au bout de la Nuit" : la suite. Récit terrifiant par le bédéaste cambodgien Séra, né en 1965, du conflitwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,critique,concombres amers,séra,vietnam,cambodge,khmers rouges,norodom sihanouk,marabout,vietcong,guerre qui se propagea du Vietnam au Cambodge.

    Le cinéma peine à rendre compte de manière réaliste de la guerre. La BD est un peu plus sérieuse : Séra, qui a dû fuir le Cambodge, a travaillé à partir de documents et d'archives journalistiques nombreux, les articulant entre eux. Le dessin, peu expressif, et les couleurs ternes traduisent l'idée de ténèbres.

    La guerre civile au Vietnam, à travers laquelle s'affrontent les Etats-Unis, la Chine et l'URSS, va inexorablement se propager au Cambodge en dépit des efforts des dirigeants de ce pays, le roi Norodom Sihanouk en tête, pour rester neutres.

    Sur le plan économique et militaire, le Cambodge n'avait pas les moyens de rester neutre. Il va peu à peu basculer dans une guerre où les moyens modernes militaires, à savoir les armes de guerre occidentales, viennent redoubler la barbarie plus primitive des khmers rouges, ennemis intérieurs de la République du Cambodge, alliés aux indépendantistes du Sud-Vietnam (Vietcongs/FNL) ou du Nord, pour qui le Cambodge représente une base arrière.

    Les "concombres doux" sont synonymes dans la culture cambodgienne d'une période de prospérité et de paix, ce qui explique le titre d'une BD relatant la période la plus sombre de l'histoire du Cambodge. Cette BD n'est pas ou peu partisane : elle montre la violence de tous les partis, non seulement des fameux khmers rouges fanatiques, laissant des charniers derrière eux, mais aussi la violence des bombardements américains, celle des khmers vis-à-vis de la communauté vietnamienne installée au Cambodge, qui paya elle aussi un lourd tribut de sang.

    Contrairement à une idée reçue, la fin de la 2nde Guerre mondiale n'inaugure pas une période de paix, mais l'épicentre du conflit entre les grandes nations rivales, se disputant ressources et territoires stratégiques, se déplace, fait le tour des continents.

    Une BD qui ne donne pas du tout envie de faire la fête de l'humanité, mais plutôt de penser comme Marx que "la bêtise humaine est le personnage central de la tragédie".

    Concombres amers, par Séra, éd. Marabout, 2018.

  • Le Travail m'a tué**

    Travail et "condition humaine" sont synonymes du point de vue antique (biblique ou grec) ; l'oisiveté est enwebzine,gratuit,fanzine,bande-dessinée,bd,zébra,critique,travail,futuropolis,hubert prolongeau,grégory mardon,arnaud delalande,nazisme,communisme,libéralisme,carlos,shakespeare,aristote effet pour les Grecs (Aristote) le moyen d'échapper à la condition humaine, au contraire des loisirs modernes qui contribuent au travail.

    Le terme de "société des loisirs" dissimule en effet une nouvelle division du travail en Occident, non plus basée sur le sexe mais sur la richesse, qui procure plus ou moins de loisirs.

    L'attribution au labeur d'un valeur positive dans la culture moderne est un des nombreux points d'antagonisme entre la culture antique et la culture moderne. Il n'est pas inintéressant d'observer que cette mise en valeur du travail est, à l'instar du féminisme, un produit du christianisme ; pour être plus précis, elle résulte d'une interprétation erronée du livre de la Genèse.

    Par conséquent les idéologies modernes en apparence "laïques" telles que le nazisme, le communisme athée ou le libéralisme, prennent leurs racines dans la doctrine chrétienne.

    Il n'est pas abusif de dire que "Le Travail m'a tué" décrit la descente aux enfers d'un cadre employé par l'industrie automobile. L'idée que la victime de ce processus se fait de son devoir est en effet analogue à celle véhiculée par la "Divine comédie", poème chrétien délirant.

    On peut qualifier ce sens du devoir de "masochisme mystique" ; dès le début la BD montre que Carlos est une victime de choix en raison de ses origines sociales, qui font de lui une sorte de dévot. Son "recruteur" est parfaitement conscient de cette faiblesse. Celle-ci n'est pas "innée" chez Carlos, mais bien culturelle. Son épouse, aussi aveugle que lui, ne fait que l'entraîner plus vite encore vers l'issue fatale et une dépendance toujours plus grande vis-à-vis de la firme qui l'exploite.

    On observe que même les augmentations de salaire, tantôt accordées, tantôt refusées à ce cadre supérieur, sont dépourvues de valeur concrète et sont elles aussi mystiques.

    Détail amusant, les modèles des voitures conçues par la firme portent des noms de peintres ou de toiles célèbres, rappelant ainsi au lecteur comment les idéologies modernes s'appuient sur l'argument culturel, qui devrait par conséquent être la première cible de la satire.

    La revalorisation du travail et de la condition humaine a pour corollaire la mise en valeur de la mort. L'héroïsme macabre est ainsi au coeur des cultures totalitaires (mentionnées plus haut) et le suicide fait partie de la compétition économique. Un peu d'esprit d'observation permet de discerner cet arrière-plan macabre dans les loisirs modernes, c'est-à-dire dans le tourisme.

    Si cette BD est habile à décrire la chute inexorable de Carlos, sa conclusion naïve et assez typiquement française est à prendre avec des pincettes. L'épouse de Carlos et son avocate font en effet confiance à la justice française pour combattre les abus constatés au sein de la firme. Une telle naïveté repose sur la même erreur que celle qui entraîne Carlos à se haïr.

    L'Etat et les grandes firmes françaises sont bien entendu solidaires et la justice française ne peut rien contre le darwinisme social et ses ravages à l'échelle mondiale, tout comme la psychothérapie et les psychothérapeutes sont impuissants face au "burn-out", pour ne pas dire complices dans bien des cas.

    "Le Travail m'a tué", par Hubert Prolongeau, Arnaud Delalande (scénario) & Grégory Mardon, ed. Futuropolis, 2019.

  • Revue de presse BD (318)

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    + Qui dit "Art" dit "Panthéon", c'est pourquoi beaucoup de critiques de BD proposent des anthologies. En réalité la critique de BD ressemble beaucoup plus au "Guide Michelin" qu'à la "Poétique" d'Aristote.

    On peut s'amuser de voir chacun présenter son goût personnel comme la panacée universelle. A  l'occasion de la publication d'une épaisse biographie de l'auteur de "Krazy Kat", l'Américain Georges Herriman, Y. Frémion écrit : "Au Panthéon de la BD, difficile de trouver œuvre pouvant rivaliser pour la première place avec Krazy Kat. Un dessin à la fois minimaliste et graphiquement parfait, semblable à aucun autre, sans inspirateur apparent, fulgurant d′efficacité, un scénario minimal aussi, complètement récurrent, presque répétitif, mais hypnotique, une narration sans faille – le tout frisant la perfection absolue, et cela sur quelques décades magiques. (...)"

    - "Sans inspirateur apparent" : le critère exclut de nombreux "maîtres" de la BD, à commencer par Hergé.

    - Le "minimalisme", critère plus net, exclut Moebius, Bilal.

    - Le caractère répétitif et hypnotique du scénario est peut-être plus typique de l'art des "cartoons" ou du "strip" que de la BD.

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    + La critique est-elle victime d'un terrorisme intellectuel insidieux, d'origine commerciale et promotionnelle ? On peut le penser en écoutant ce critique-chroniqueur de la Radio GrandPapier (24 avril), qui ose juger négativement un album de BD -"La Trève, chérie"- publié par "L'Employé du Moi", éditeur soutenant la Radio GrandPapier... mais prend quand même beaucoup de pincettes.

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    Caricature par Piérick Dégomme.

    + Le mouvement des Gilets jaunes trouve peu d'échos dans le milieu des artistes en général et des auteurs de BD en particulier, pourtant échaudés depuis de nombreuses années ; mais la culture "française", dont beaucoup d'artistes sont tributaires, est effectivement produite surtout depuis Paris.

    Le manifeste-pétition "Nous ne sommes pas dupes", du collectif "Yellow Submarine", est donc un manifeste de rattrapage, après de nombreuses fins de semaines de heurts entre des forces de police pléthoriques et des manifestants surtout venus de province, sous l'oeil des caméras et du monde entier, heurts qui ont sans doute sur la fiction de la France des Lumières & des Droits de l'Homme un effet d'usure.

  • Swan - Le Buveur d'Absinthe**

    Le courant impressionniste est difficile à définir autrement que par son antiacadémisme. Ce mouvement dewebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,swan,néjib,absinthe,impressionnime,mary cassatt,degas,picasso,delacroix,monet,félix fénéon,gallimard rébellion contre l'enseignement en vigueur aux Beaux-Arts de Paris et l'organisation de la vie artistique qui en découle, est proclamé mort par le critique d'art Félix Fénéon dès 1886, un peu plus d'une dizaine d'années après ses débuts seulement.

    Au début du XXe siècle, l'impressionnisme est déjà à son tour synonyme d'académisme, de "peinture bourgeoise française", notamment en Allemagne où la vie artistique est en pleine effervescence après la France.

    "Swan", par Néjib (éd. Gallimard), ambitionne de redonner vie à ce mouvement en brossant les portraits croisés de ses principaux protagonistes. L'Américaine Mary Cassatt (1844-1926) a inspiré le personnage (principal) de Swan ; c'est une bonne idée d'avoir retenu un point de vue américain car cela permet de souligner le contraste entre la culture française -disons "sexiste et hédoniste"- et la culture américaine "féministe et puritaine" de Mary Cassatt.

    Le dessin est vif et pas du tout académique, le scénario bien rythmé, mais "Swan" souffre de la comparaison que l'on ne peut s'empêcher de faire avec le "Picasso" de Julie Birmant (et Oubrerie) ; cet ouvrage parvenait à replacer Picasso, trop souvent qualifié de "génie", dans son contexte parisien voire "montmartrois".

    "Swan" est trop décousu pour permettre le même recul sur la petite révolution artistique que fut l'impressionnisme. Les rapports ambigus entre le milieu artistique et la bourgeoisie à la fin du XIXe siècle sont peu montrés ; or la spéculation accrue sur les oeuvres d'art a favorisé l'émancipation des grandes expositions officielles. La "manière impressionniste" préexiste aux impressionnistes, puisque on la retrouve chez Delacroix (pour qui tout était couleur, même les ombres), accompagnée d'un mobile plus précis (faire fusionner la peinture et la musique) ; mais Delacroix n'aurait pas cautionné la trivialité des thèmes traités par Monet ou Degas.

    Swan - tome I : Le Buveur d'Absinthe, par Néjib, éd. Gallimard-BD, 2018.